WikiLeaks : « Le 11 septembre de la diplomatie mondiale »

Le 28 novembre dernier, WikiLeaks a commencé la publication de plusieurs milliers de mémos diplomatiques américains. Relayés par cinq grands quotidiens mondiaux (Le Monde, El Pais, The New York Times, The Guardian et Der Spiegel) les révélations du site restent au cœur de tous les débats. Deux experts, Guillaume Dasquié, journaliste d’investigation à Libération, et Mathieu O’Neil, maître de conférence à la Sorbonne, expliquent ce phénomène controversé.

Un miroir de la culture hacker

En créant WikiLeaks, Julian Assange, a fait connaître au grand public une pratique informatique réservée aux seuls hackers depuis les années 1990. conference_wikileaks.jpg Spécialiste des médias alternatifs aux États-Unis, Mathieu O’Neil est venu expliquer aux Montpelliérains cette révolution dans le monde de l’information. Cet universitaire australien a tenu à rappeler, mardi 14 décembre, que les fuites publiées par le site ont été fournies par des hackers, « ces informaticiens qui travaillent de façon totalement libre […]. Aux États-Unis, leur culture est basée sur une vision libérale, voire libertaire. On parle de tout et tout peut se dire. » Cet esprit venu d’outre-atlantique suscite l’incompréhension des Européens, notamment « l’aspect intrusif du hacker, qui entre là où on n’est pas censé entrer. »

Seul véritable principe de WikiLeaks : la transparence. Paradoxalement, cette volonté de dévoiler tous les secrets gouvernementaux repose sur une organisation complexe et opaque. Cette dernière lui d’ailleurs a permis d’échapper aux menaces de fermeture du site. Guillaume Dasquié s’est penché sur la question et donne son avis sur ce système.

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Chaque jour, les câbles diplomatiques paraissent au compte-goutte dans la presse mondiale. Au total, 250 000 documents devraient être publiés. De nombreuses personnes s’interrogent cependant sur cette promesse ambitieuse. Lors des précédentes révélations, sur les guerres en Irak et en Afghanistan, WikiLeaks avait annoncé la mise en ligne d’un grand nombre de documents. Dans les faits, une partie n’a jamais été rendue publique.

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« Premier vrai combat entre les États et Internet »

Les révélations sur l’Afghanistan (ou « Afghan Diaries ») publiées durant l’été 2010 ont attiré l’attention des seuls spécialistes. En dévoilant des pratiques inconnues du grand public, les mémos diplomatiques impliquent aujourd’hui les grands acteurs de la scène politique internationale. De Sarkozy à Poutine, les diplomates américains jugent sévèrement de nombreux responsables, remettant ainsi en cause la confiance des pays envers les États-Unis.

Pour Mathieu O’Neil, « c’est la première fois qu’il y un vrai combat entre internet et les États et que les hackers s’en prennent au pouvoir politique de façon aussi directe. » Cet affrontement pourrait bien être à l’origine « d’un 11 septembre de la diplomatie mondiale ».

Plus rien n’est caché, tout est mis au grand jour :« Avec un tel système, on ne peut plus parler de désinformation, les documents bruts sont accessibles à tout le monde. » Le professeur de la Sorbonne est conscient de la puissance de telles sources. Il relativise cependant le déclenchement de réelles menaces. Ni les diplomates, ni les relations inter-étatiques ne sont en danger. Guillaume Dasquié le rejoint sur ce point.

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Julian Assange, symbole critiqué du site

Indissociable de son fondateur, WikiLeaks vit aujourd’hui au rythme des affaires judiciaires de Julian Assange. La personnalité marquée de ce dernier a déjà provoqué des désaccords avec certains de ces proches collaborateurs. Mathieu O’Neil rappelle le cas de Daniel Schmitt, ou de son vrai nom Daniel Domscheit-Berg, numéro 2 de WikiLeaks, qui « lui avait reproché d’être devenu trop personnel » avant de quitter le site. « Assange a toujours eu envie de tout savoir, pour lui le pouvoir politique n’est qu’une conspiration secrète qu’il faut empêcher de faire fonctionner en révélant ses dossiers confidentiels. »

Ces dernières semaines, de nombreux blogueurs ont étudié le cas Assange, allant jusqu’à y trouver des ressemblances avec Guillaume Dasquié. Flatté de cette comparaison, le journaliste de Libération relativise tout de même ce rapprochement.

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L’Etat et les journalistes : une opposition difficile à conserver. Entretien avec Guillaume Dasquié

La protection des sources et celle des journalistes face à la puissance de l’Etat sont les principales questions posées lorsqu’un journaliste touche de trop près aux secrets de la puissance publique. Guillaume Dasquié en a fait les frais : il est mis en examen en Décembre 2007, suite à un article paru dans Le Monde du 17 Avril 2007. Cet article racontait, preuves à l’appui, que la DGSE connaissait les menaces pesant sur les Etats-Unis, avant le 11 Septembre 2001.
Entretien.

Pourquoi êtes-vous mis en examen plus de huit mois après la plainte déposée par Mme Alliot-Marie ? (L’article du Monde date du 17/04/2007; votre mise en examen intervient en Décembre) ?

Ce délai-là correspond à la durée de l’enquête préliminaire. C’est-à-dire aux recherches menées par les services de la DST, sur instruction du procureur, pour découvrir ma source ou mes sources, et à défaut, pour reconstituer mon réseau d’informateurs et de contacts. Au stade de l’enquête préliminaire, de telles investigations peuvent se dérouler tous azimuts, sans qu’un juge d’instruction n’intervienne.

Pouvez-vous nous expliquer ce que signifie « le secret défense » appliqué à certains documents ministériels ?

Les lois en vigueur prévoient que l’Etat a la possibilité de protéger les documents touchant la sécurité nationale, en leur attribuant des mentions empêchant ou limitant leur circulation. Les textes déterminent une graduation de cette classification, de la moins stratégique à la plus stratégique : confidentiel défense, secret défense, très secret défense.

Pouvez-vous aussi nous expliquer clairement l’article 109 du code de procédure pénale, concernant les sources journalistiques ?

Quand un journaliste est entendu dans une affaire couverte par ses activités de presse, cette disposition lui permet (théoriquement) de ne pas répondre aux questions des autorités sans encourir la moindre sanction civile ou pénale.

Qu’est ce qui va se passer maintenant, pour vous, dans cette affaire ?

Nous déposons avec mes avocats une requête en nullité contre l’ensemble de cette procédure, en attaquant directement la plainte du ministère de la Défense qui, selon nous, vise à déployer des moyens contre un article de presse qui ne sont proportionnés à un but légitime.

Est-ce que cette affaire vous renforce dans votre conviction de faire du journalisme d’investigation ?

Maintenant oui. Plus que jamais.

D’autres affaires concernant des journalistes et le secret de leurs sources, ont déjà eu lieu, ou sont en cours. Que pensez-vous de ce jeu du chat et de la souris entre les journalistes et l’Etat ?

Nous devons devenir les chats, et eux les souris.

Que pensez-vous de la définition de la Cour Européenne pour les journalistes, qu’elle qualifie de « watchdog » (chiens de garde) de la démocratie?

C’est le plus beau, le plus précieux et le plus noble objectif qu’une institution n’a jamais assigné aux journalistes.

Etes vous inquiet pour l’avenir des journalistes d’investigation tel que vous et d’autres le pratiquent ?

Je suis inquiet pour l’avenir des citoyens (cf. ce qui précède…). Dans une société où l’information se révèle structurée et organisée uniquement par des communicants, les citoyens disparaissent au profit des consommateurs.