Cette histoire aurait pu faire l’objet d’un bon polar. Il n’en est rien. Lorsqu’il apprend que son ami Alexandre Litvinenko a été empoisonné, Andreï Nekrassov dispose de seulement six mois pour réaliser son documentaire, tourné à partir d’éléments collectés durant sept ans. Il le présente au Festival de Cannes, en 2007. Pourquoi un tel empressement ? Ce film à petit budget est un témoignage à multiples facettes.
Alexandre Litvinenko, nom de code Sacha, décède le 23 novembre 2006 à Londres, où il a trouvé refuge. Empoisonnement au polonium 210, un produit radioactif très toxique. La victime est un ex-agent du FSB, nouveau service de sécurité intérieure russe créé après la dissolution du KGB en 1991. Cet homme a accusé ses supérieurs de commanditer des assassinats dans une vidéo tournée en 1998, et révélée au public des années plus tard. A ses côtés, d’autres officiers du FSB parlent. Il s’agit d’une véritable rébellion au sein des services secrets. Après avoir été libéré, Sacha est finalement condamné à trois ans de prison avec sursis. Il préfère fuir pour protéger son fils, âgé de six ans.
Mais la caméra d’Andreï Nekrassov ne se contente pas de recueillir les propos du défunt. Les sources sont confrontées, recoupées et alimentées d’images d’archives et de documents officiels. La politique de Vladimir Poutine est clairement mise en cause : la guerre en Tchétchénie, le meurtre de la journaliste Anna Politkovskaïa, les affaires de corruption…Autant de sujets que l’auteur traite de façon pédagogique et approfondie.
Il reste fermement engagé : c’est un sympathisant déclaré du mouvement d’opposition L’autre Russie, de l’ex-champion d’échecs Garry Kasparov. Mais ses positions politiques ne l’empêchent pas d’accomplir un travail remarquable, digne d’un journaliste d’investigation. La défense des libertés demeure primordiale à ses yeux ; la politique vient après. Sans cesse aux aguets, il décèle les lèvres pincées ou l’œil fuyant de celui qui ne veut pas en dire trop.
De retour chez lui en avril 2007, le réalisateur retrouve sa maison dévastée…sans qu’aucun objet ne manque. Seule la photo de son ami, agonisant sur son lit d’hôpital, est disposée en évidence sur l’oreiller.
Selon lui, A. Litvinenko a fait preuve de « courage civique » en dénonçant les crimes du FSB. En s’engageant à restituer la vérité de cette affaire, noyée par le mensonge d’Etat, A. Nekrassov a aussi pris des risques au nom de valeurs démocratiques.
Ce documentaire n’a malheureusement pas été diffusé en Russie. La censure – non officielle – sévit aussi sur le grand écran.