Grand entretien avec Anne-Laure Bonnel : « Ce qui m’intéresse, c’est comment les humains parviennent à survivre »

Jurée à l’occasion de la première édition du Festival International du Film Politique, Anne-Laure Bonnel a réalisé le documentaire Donbass en 2016 sur la guerre civile en Ukraine. La réalisatrice, que nous avons rencontrée, se spécialise aujourd’hui sur les zones de conflits.

Pourquoi avoir accepté d’être jurée au FIFP ?

Le documentaire est souvent politique, le voir traiter en fiction m’intéressait beaucoup. On observe que l’actualité des gilets jaunes se mêle à tout cela avec des tensions sociales brûlantes et palpables à tous les niveaux de la société. Les personnes qui m’ont contactée ont également évoqué des termes qui me parlent énormément comme l’envie de créer le débat, d’éveiller les consciences, de créer du lien social, être une passerelle de communication dans une époque où les intermédiaires et les lieux de débats n’existent plus vraiment. Les individus sont en train de se réapproprier cette question urgente du sens de l’existence. Qu’est-ce qui est acceptable ? Qu’est-ce qui ne l’est plus ? On est allé tellement loin dans les abus d’un capitalisme exacerbé, une mondialisation qui a été mal gérée, un appétit des élites pour le pouvoir qui a laissé de côté les questions sociales. On est dans une drôle d’époque pour tout ce qui a trait à l’humanisme.

Est-ce le devoir de l’artiste de s’engager ?

Je ne pense pas qu’il doive s’engager dans le sens du militantisme. Par contre son travail est par essence politique. L’artiste a un point de vue sur le monde, une sensibilité, un regard. Son devoir c’est d’éclairer différents mondes, de faire réfléchir sur une réalité en prenant de la distance. Il donne à voir et à comprendre ce que l’on n’a pas l’habitude de voir et d’entendre. Il rend palpables à travers des personnages ou des histoires des choses qui vont nous mettre en colère ou nous indigner. En tout cas, qui réveillent nos émotions.

En tant que jurée, quels sont vos critères de sélection d’un film ?

Pour moi le fond et la forme sont indissociables. Un bon film c’est l’adéquation parfaite entre son contenu et sa forme. Je regarde aussi d’autres facteurs comme l’interprétation, l’atmosphère du film, le rythme, la mise en scène, la lumière, l’audace du sujet et la manière de le traiter. Quand on arrive à avoir cette osmose là, à voyager à travers tous ces éléments, je trouve que c’est une grande réussite.

Envisagez-vous de réaliser une fiction ?

Non, parce que je n’ai pas le talent d’écrire une bonne fiction ou de diriger des acteurs. Le réel offre tellement d’histoires incroyables qu’il me suffit. J’aime le contact humain direct, les histoires que les gens me racontent, rendre la justesse du réel. Dans le documentaire, je travaille ma forme en cherchant à rendre le sujet palpable. Chaque projet a son écriture, une musique particulière, un rythme unique. Pour moi, le point de vue humain reste le sujet le plus intéressant, montrer les situations dans lesquelles l’être humain ne devrait pas se trouver. Je me spécialise aujourd’hui dans les zones de conflits. J’ai eu l’occasion de voir des populations ravagées au quotidien, la souffrance d’un peuple, les effets d’une guerre sur un individu.

Dans votre documentaire Donbass, y a-t-il des éléments que vous avez choisi de retirer en vous disant je ne peux pas montrer cela ?

Oui, la violence des corps. J’ai coupé les corps des enfants. Quand vous rentrez de zones comme celles-là, vous êtes révolté. Le premier réflexe, c’est de vouloir exposer un maximum de choses. Mais avec du recul, vous vous rendez compte que cela ne changera rien. Quand vous assistez à un bombardement, vous voulez montrer la souffrance des gens. Mais elle n’est pas efficace. La seule raison pour laquelle j’ai montré des corps au début du film, c’est pour contredire les discours du Président Porochenko qui affirme qu’il n’y a pas de morts au Donbass et qu’il ne bombarde pas son peuple. Encore aujourd’hui, j’ai eu des échanges avec des ambassades pour qui le discours officiel c’est qu’il n’y a pas de guerre au Donbass. Je voulais une preuve.

Avez-vous eu peur parfois lors du tournage ?

Non, parce que j’ai fait le choix d’y aller. J’en assume les conséquences. Quand ces gens vous parlent de leur quotidien, vous comprenez que ce que vous vivez un instant, eux, le vivent tous les jours. À ce moment-là, vous ne sentez plus la peur. Le corps humain est bien fait, il s’habitue à tous les stress possibles.

Ces violences ont des conséquences désastreuses sur les sociétés.

Ce type de conflit génère plusieurs générations de souffrance. Les stigmates, les plaies et les conséquences ne s’arrêtent pas à la fin de la guerre. Encore moins dans le cas d’une guerre civile comme  le Donbass. Les gens deviennent paranoïaques. Ils ont vu leurs voisins trahir des gens qu’ils connaissaient depuis des années. Certains pardonnent, mais n’oublient pas. Comment voulez-vous que la société se reconstruise. Pour le Donbass, on parle de 10 000 morts mais c’est aussi 200 000 amputés. Quand tout s’est inversé dans votre vie, l’impensable devient normal, la charité n’existe plus. Cela va créer des individus qui n’auront plus foi en quoi que ce soit. Si on regarde les enfants nés sous la guerre, vont-ils réussir à se construire une conscience humaniste . Quand vous avez vu la haine partout dès vos plus jeunes années, vous y êtes habitué. Paradoxalement peut-être que vous en souffrez moins. Qu’est-ce que cela va laisser comme failles ? Quels individus de demain la société va voir fleurir ? La haine entretient la haine. On rentre dans des cycles de vengeance. Il y a beaucoup de probabilités que ces gens aient des pulsions destructrices en eux. On ne fait pas assez d’études sur l’après-conflit.

Comment avez-vous vécu votre retour en France  ?

Il y avait une forme de décalage avec les gens autour de moi. En six mois, j’ai très peu parlé. Je ressentais beaucoup de colère, un sentiment de lassitude. Vous êtes un peu plus seul aussi. Cela change votre sensibilité. Vous sentez moins les problèmes du quotidien. J’avais tendance à relativiser énormément, à adopter un comportement plus désengagé dans ma vie de tous les jours.

Quels sont vos futurs projets ?

J’ai un projet sur les femmes prostituées du trafic humain en France. On n’a pas besoin d’aller à l’autre bout du monde pour trouver des horreurs aussi terribles que dans des zones de guerre. Pour moi le trafic humain, c’est un crime contre l’humanité.  J’essaie de comprendre, la manière dont les individus arrivent à survivre dans les cas les plus terribles. Mon but est de rendre leur dignité et de montrer leur force. Ces personnes ont une philosophie quand vous les écoutez parler, c’est une grande leçon d’acceptation, de patience, et de bienveillance. Sans faire de généralités, les femmes prostituées que j’ai rencontrées ont une forme presque de pureté. Elles souffrent énormément, mais ne se plaignent pas. Elles sont dans l’idée : moi j’en suis sortie, maintenant je pense aux autres. Elles mettent une énergie incroyable pour dénoncer ces abus et risquent leur vie. Vous savez dans des milieux comme cela, on ne pardonne pas. Si vous balancez, on vous tire dessus.

Vous parlent-elles facilement ? Ne sont-elles pas méfiantes ?

J’ai le sentiment que quand vous n’êtes animé par aucun calcul autre que l’écoute, cela se ressent. Lorsque je vais sur le terrain, je n’ai pas de brassard presse, je ne mets pas de gilet pare-balles. Je vis avec la population, non dans les hôtels où logent les journalistes. Je traverse les zones avec eux dans leur voiture. Les gens voient bien que je ne suis pas là pour faire du scoop. Ces femmes me parlent parce que je vais rentrer sur ces zones de trafic avec elles. Il y a un partage du risque. Si cela se passe mal, on en fait les frais ensemble. Cela génère une confiance.

Comment souhaitez-vous le diffuser ?

Je recherche une maison de production qui soit respectueuse de la forme. Je suis en discussion avec Arte qui laisse une grande marge de manœuvre. Si la chaîne le prend, la question du cinéma ne se posera pas. Je préférerais ne pas passer à la TV que d’être diffusée avec un commentaire imposé irrespectueux du sujet pour garder l’audimat. Certaines situations fortes se suffisent à elle-même. Mais vous n’avez pas le droit au silence en TV.

Propos recueillis par Léa Coupau et Camille Bernard

Vidéo : recontre avec le réalisateur belge Idriss Gabel

À l’occasion du Festival International du film politique, Haut Courant a rencontré Idriss Gabel pour son nouveau documentaire « Je n’aime plus la mer ». À découvrir.

Les enfants de l’exil

Présenté au Festival International du Film Politique à Carcassonne Je n’aime plus la mer offre une perspective singulière sur la migration, le regard de onze enfants réfugiés dans le centre d’accueil de Natoy en Belgique.

Montrer la dureté de l’exil avec douceur, c’est le choix qu’a fait Idriss Gabel dans son nouveau documentaire Je n’aime plus la mer. Le réalisateur belge dévoile les visages de Lisa, Ali, Dicha, Myriam…des enfants contraints de quitter leur pays dévasté par la guerre. Dans le centre d’accueil de Natoy, ils attendent seuls ou avec leurs parents de se voir délivrer un permis de séjour par le commissariat général aux réfugiés et apatrides de Belgique.

« Ce film part d’une démarche citoyenne ». Idriss Gabel a voulu comprendre, questionner ses propres stéréotypes et représentations de la migration. En visitant des centres d’accueil pour réfugiés le réalisateur a été interpellé par le discours de ces enfants :« j’ai marché sur un squelette », « je n’aime plus la montagne », ou encore « je n’aime plus la mer ». Des mots qui ne devraient pas être les leurs. « Dans ce documentaire, j’ai cherché à transmettre la claque que j’ai reçue. Je ne voulais pas voler des images de leur souffrance pour faire pleurer. Je souhaitais que ce film soit un véritable échange, qu’ils en retirent quelque chose. »

« J’avais peur que l’on me vole »

Originaires d’Afghanistan, d’Irak, de Syrie ou d’Érythrée, avec leurs mots d’enfants, ils racontent l’insécurité, le racket et la violence qui les ont menés à fuir. Leur histoire est presque toujours la même. Les membres de Daesh, qu’ils appellent « des voleurs », ont menacé leurs parents de les enlever contre de l’argent. « En Irak j’étais triste parce que je ne pouvais pas sortir ou aller à l’école, j’avais peur que l’on me vole » confie Malak une jeune afghane. Ces enfants décrivent avec justesse et simplicité l’horreur de la traversée jusqu’en Belgique. Ils évoquent l’assassinat de leurs proches, le déchirement de l’abandon de leur maison et de leur pays, l’épuisement des journées de marche en montagne et la crainte de se noyer dans des bateaux de fortune. Mais même en Belgique, la peur est toujours présente : « Est ce que cela peut recommencer ici ? » demande à son père une jeune fille dont le bras a été entaillé par un homme de Daesh pour récupérer son bracelet en argent.

Avant de commencer à filmer, Idriss Gabel a vécu sept mois avec ces jeunes pour créer une relation de confiance. « J’ai cherché un groupe qui était à ce stade où ils ont besoin de parler, explique-t-il. Les enfants peuvent être parfois très cash, s’exprimer très ouvertement malgré un fort traumatisme ». Une psychologue les a accompagnés lors du tournage afin de les rendre conscients du partage qu’ils faisaient. A la différence de la spontanéité et du besoin d’extérioriser des enfants, les adolescents filmés portent leur blessure en silence, se replient sur eux-mêmes. Mais leur colère est palpable. « Il y a des gens ici qui disent qu’en Irak, il n’y a pas de violences, qu’ils aillent vérifier et vivre une semaine là bas » défie l’un de ces jeunes.

Idriss Gabel a choisi de capter l’émotion brute sans musique de fond. Le réalisateur a filmé leurs jeux, la complicité qui les lie et leur joie qui n’a pas disparue. Loin de tout misérabilisme, il montre des enfants comme les autres, qui continuent à vivre avec humour et innocence malgré la dureté de ce qu’ils ont vécu .

Jawad Rhalib, artiste conscient et libre

Réalisateur engagé, attiré par le réalisme social, Jawad Rhalib a ouvert mardi dernier le Festival international du film politique à Carcassonne avec son nouveau documentaire, « Au temps où les arabes dansaient ». À travers ses productions, il n’a qu’une obsession : transformer les mentalités.

« J’ai toujours voulu être acteur de ma vie, pas uniquement me mettre sur un balcon et regarder passer la vie, les gens. » Voilà chose faite. Depuis ses débuts, le cinéaste a réalisé plus d’une vingtaine de films. Tous, sur des problématiques sociales. Tous, pour « éveiller les consciences, changer le monde », explique le Belgo-Marocain de 53 ans, qui s’avoue « pessimiste mais engagé ». Pour le documentariste, réaliser était une évidence, autant que montrer l’immigration et la culture arabe sur grand écran.

« Le cinéma est mon arme politique »

Tout a commencé en 1991. Après des études en journalisme et en communication à l’Université catholique de Louvain-La-Neuve, Jawad Rhalib s’est tourné vers le cinéma. S’il ne peut citer le nombre de « grands réalisateurs » qu’il apprécie, un l’a pourtant marqué plus que les autres. Ken Loach. « C’est un véritable exemple. Un maître du réalisme social. À travers ses documentaires, vous captez le réel grâce à des sujets et des personnages ancrés dans la réalité. C’est la meilleure école », pointe le cinéaste qui ne peut s’empêcher de revenir « à ce terrain de jeu incroyable. »

Et le réalisateur aime parler des vérités qui dérangent. De « Regards sur l’Inde » sur la cohabitation des religions dans le pays à « Au temps où les arabes dansaient » dernièrement, Jawad Rhalib use du cinéma pour faire entendre sa voix. « Je ne manifeste jamais, je ne porte pas de pancartes dans la rue. Le grand écran est ma manière de résister. L’outil qui me sert pour dénoncer les injustices et accompagner des actions. » Bref, il l’assure. « Le cinéma est mon arme politique. »

« El Ejido, la loi du profit », en 2005, a eu un effet boule de neige. Le film résume l’exploitation des travailleurs immigrés dans les serres d’Alméria, où dans leurs cabanes de fortune, ces hommes de l’hombre n’ont ni eau, ni électricité. À l’issue de la projection, ces conditions déplorables racontées provoquent un vif débat entre les parlementaires espagnols. Les lois changent et le scénario reçoit plusieurs prix, dont celui du meilleur documentaire au Fespaco 2007. « À tous ceux qui pensent le contraire, les films font bouger les lignes », ajoute Jawad Rhalib, qui projette d’ores-et-déjà deux futurs projets. Tout aussi engagés.

Des gilets jaunes pour la culture et l’éducation

Son constat est sans appel. « Quand je regarde ce qu’il se passe, on n’a pas terminé de payer le prix du communautarisme. Ce fascisme islamique va nous tuer. Il faut l’endiguer. » Vans aux pieds, tatouage sur le bras, le Belgo-Marocain demande à ce que l’on applique simplement les lois déjà en vigeur contre les salafistes. « Avec mon allure, je ne peux pas aller partout au Maroc. Ici, on ne peut pas porter la burqa et le niqab [interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public]. Malheureusement, les politiques ont peur d’allumer le feu, mais en ne faisant rien, ils donnent à cette minorité tous les droits. »

La solution ? L’éducation. « Je suis content qu’on puisse apprendre l’arabe à l’école. Je suis content qu’on puisse découvrir l’Islam autrement que par les discours des extrémistes. » Et rebondissant sur l’actualité du moment, le réalisateur espère. « On parle d’environnement, d’impôt, mais on n’oublie cette menace [du communautarisme] qui est là et qui va vraiment nous bousiller si on la laisse progresser. Il faudrait des gilets jaunes pour la culture et l’éducation. C’est notre unique porte de sortie. » 

SÉANCE TENANTE #6 – Dans l’attente filme des vies en suspens

Avec Dans l’attente, Sarah Limorté suit le parcours de huit afghans hébérgés dans les Cévennes. Présenté à Cinemed dans la section Regards d’Occitanie, le documentaire peint avec justesse et réalisme le poids de l’attente d’un permis de séjour.

Dans le cadre des ateliers Varan, Sarah Limorté réalise son premier documentaire sur le thème : « Est ce ainsi que les jeunes vivent ?». Elle choisit de partager le quotidien de jeunes réfugiés afghans dans le village de Lassalle. Une problématique qui lui tient à cœur : « A Marseille, je suis impliquée dans les actions du collectif soutien migrants 13». Son intérêt est renforcé par la méfiance qu’elle observe envers ces jeunes croisés dans les rues et les commerces du village. «  Il y avait souvent des discours hostiles à leur présence qui faisaient complétement contraste avec l’engagement des bénévoles». La réalisatrice marseillaise décide alors de montrer les difficultés de l’attente pour l’asile, de vivre ce processus de l’intérieur.

«Je suis allée frapper à leur porte. Je  n’en menais pas large, j’étais un peu intimidée». Mais très vite, les jeunes l’accueillent, l’invitant à manger et à boire le thé. L’échange humain s’établit de manière évidente. La communication linguistique, elle, s’avère plus complexe. Le groupe d’afghans ne comprend pas immédiatement que Sarah Limorté souhaite faire un documentaire sur leur parcours. « Je pense que je suis arrivée un peu comme un ovni, le lien s’est créé mais de là à amener une caméra…». La contrainte de temps – un mois pour réaliser le documentaire – n’a pas favorisé l’instauration d’une relation de confiance. La seule expérience que ces jeunes avaient de l’image était l’agressivité des journalistes de Calais lors du démantèlement de la jungle. Certains d’entre eux étaient terrorisés à l’idée d’être retrouvés par les talibans. D’autres craignaient que le film ait un impact sur leur demande d’asile. A force de discussions, ils acceptent d’être filmés mais à une seule condition, conserver leur anonymat.

Tout l’espace cérébral est occupé par l’incertitude de l’avenir.

Une contrainte formelle qui va peu à peu devenir un choix esthétique. Pour ne pas filmer les visages, Sarah Limorté choisit d’explorer le gros plan : les mains, les pieds, le jeu, les exercices de français, le téléphone. « J’ai beaucoup tâtonné avec ma caméra, je ne savais pas trop au début comment m’y prendre, mais très vite cela m’a ouvert une porte sur des détails, des moments de forte concentration, de focalisation sur des choses pour passer le temps». Avec ces gros plans, Sarah plonge le spectateur dans l’intensité de chaque instant. Les vies sont en pause. Tout l’espace cérébral est occupé par l’incertitude de l’avenir. Face à l’attente d’un permis de séjour, les projections dans le futur sont impossibles. Pourquoi apprendre une langue, créer de nouvelles relations, faire un effort d’intégration si c’est pour être expulsé du pays dans les mois qui suivent ? Ces jeunes sont marqués par des déchirements permanents. Les communautés qu’ils recréent volent constamment en éclat. : «Ils me parlaient beaucoup de leur colère d’être séparés. Je l’ai un peu vécu avec eux, je commençais à filmer quelqu’un et il me disait deux jours après « je m’en vais ».

Aujourd’hui, ils sont dans une toute autre dynamique. «J’ai fait ce film dans un moment de leur vie où ils étaient en suspens ». Ils ont quasiment tous obtenu une réponse positive à leur demande d’asile et sont désormais inscrits à des formations intensives de français et des formations professionnelles. Les jeunes afghans ont assisté à la projection de son documentaire avec beaucoup d’enthousiasme. La peur et la pudeur qui avaient poussé certains à dissimuler leur visage a fait place à la fierté. L’un d’entre eux confie même à la jeune réalisatrice :  « si tu refais un film je montrerai que je travaille, que je parle mieux français et là tu pourras montrer mon visage ».

Mais cette situation est loin d’être une généralité. De nombreux «dublinés » vivent dans la terreur d’être rattrapés par la police et expulsés rappelle Sarah Limorté. Elle dénonce l’arbitraire des décisions de l’Office Français des réfugiés et apatrides mais surtout la procédure Dublin qui impose de demander l’asile dans le premier pays franchi en Europe. «Se retrouver à renvoyer des francophones en Italie pour des questions d’empreintes, je trouve cela scandaleux».

SEANCE TENANTE #4 – Jean Lassalle, un héros atypique

On connait de lui son béret. Pierre Carles et Philippe Lespinasse ont suivi Jean Lassalle lors de sa campagne électorale de 2017. Un berger et deux perchés à l’Elysée ? raconte leur chemin au jour le jour, sans langue de bois.

4 avril 2017, au soir. Les onze candidats à l’Elysée sont présents au débat télévisé qui les oppose avant le premier tour de la présidentielle. Focus sur Jean Lassalle. Le Béarnais s’organise à sa manière dans les toilettes du studio. « Je n’ai rien préparé. Vous savez ma mère a mis huit jours à me mettre au monde. […] Je n’ai jamais pu rattraper le retard. » L’homme politique fait sourire. Voire carrément rire quand il compare la moralisation de la vie publique au toilettage d’un patient en maison de retraite. Le personnage est « un loser magnifique » s’amuse Pierre Carles, l’un des réalisateurs.

Alors pourquoi en faire le héros du documentaire ? Déprimés par le paysage politique français et assoiffés de révolution, Philippe Lespinasse et Pierre Carles se tournent vers les chefs d’Etat progressistes latino-américains. Dans le lot, Rafael Correa, Hugo Chávez… et Jean Lassalle, maire à 22 ans, qui n’a rien de sud-américain. Ni de Président. Mais les deux journalistes sont séduits. Ils voient en le berger de Lourdios-Ichère, un humaniste anti-libéral capable de gravir les échelons du pouvoir. Un pacifiste « le moins à droite des députés de droite », capable de remporter le « Château ». Il est difficile de les prendre au sérieux. Pourtant, les deux réalisateurs, « perchés » comme ils disent, en sont convaincus : le gardien de troupeaux sera à l’Elysée.

Pendant une année, ils décident de le suivre dans sa campagne électorale. Chargés aussi de l’aider à trouver les 500 parrainages nécessaires pour participer à la course folle vers la présidence. Une difficile chasse aux signatures où s’enchaînent les témoignages de soutien de ses proches et moins proches. Il faut dire que le petit candidat « libre, indépendant et populaire » rassemble tous les bords, du communiste au monarchiste qu’il charme par sa gouaille et son naturel. Quand il s’agit de chanter ou de monter sur les tables, Jean Lassalle est le premier volontaire. Le premier aussi à se cogner contre les meubles, renverser du vin et à ne pas reconnaître Philippe Poutou après deux minutes de conversation. Mais le berger n’en oublie pas une certaine part d’auto-dérision. « Vous savez, je suis une caricature ambulante », résume-t-il. Et cette caricature, quoique maladroite, croit en son pif.

Mais c’est sans compter sur ses faux pas. Comme le malheureux jour où le Béarnais rencontre Bachar el-Assad, jugé responsable de crimes de guerre. Le regard des réalisateurs change. Premières inquiétudes, les préludes à d’autres tracas. Ses brebis verront-elles l’herbe verte de l’Elysée ? Les résultats tombent. Malgré plus de 700 parrainages soit plus que Marine Le Pen, le candidat arrive en septième position avec 1.21% des voix. La réalité a refait surface.

En clôture de l’avant-première ce lundi à Cinemed, les deux journalistes, tantôt enthousiastes, tantôt désillusionnés, expriment leur joie d’avoir pu suivre le quotidien du berger le plus connu de France. Et comptent bien la partager avec leur reportage, dans les salles de cinéma en janvier 2019.

CINEMED : « Le Bouton de nacre » illumine le festival de toute sa beauté

Le nouveau documentaire du Chilien Patricio Guzmàn était présenté en avant-première lors du Festival Cinemed et il n’est pas passé inaperçu. Le « Bouton de nacre » est dans les salles obscures depuis mercredi.

C’est une histoire sur l’eau, le Cosmos et nous. Aussi dense qu’est le sujet du film, Patricio Guzmàn nous emporte dans un voyage mystique et sensoriel pendant près d’une heure trente. L’occasion de mettre en relation deux pans de l’histoire oubliés du Chili : celui des indigènes de Patagonie et celui des prisonniers politiques. Deux populations reliées entre elles par ces mystérieux boutons de nacre.

Après Nostalgie de la lumière, le cinéaste offre un documentaire majestueux et atypique. Parsemé de paysages époustouflants, de photos magnifiques, de cartes grandioses et d’intervenants bouleversants, Le Bouton de nacre montre une densité narrative et visuelle rare, mais également sonore. Patricio Guzmàn y capte des bribes de sons fascinantes démontrant qu’en plus d’avoir une vie, l’eau a une parole.

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On y parle aussi de l’espace, du Chili, de la responsabilité politique des États-Unis concernant le coup d’État de Pinochet et du destin des indigènes de Patagonie. La minutie du travail de recherche et artistique est exceptionnelle. Plus de mille photos d’indigènes ont été retrouvées et des cartes immenses ont été façonnées par une artiste Chilienne. Il a également fallu retrouver parmi la vingtaine d’Indiens survivants du massacre ceux en mesure de pouvoir témoigner.

La force du cinéaste Chilien est d’arriver à intégrer toutes ces thématiques, pourtant diverses, et d’en faire un tout cohérent – l’eau – fluide et linéaire. Il nous parle de ce pays qu’il aime tant, à la géographie si particulière. Le Chili est en effet bordé par 14 000 kilomètres de mer et par la cordillère des Andes.

Le Bouton de nacre est très personnel mais aussi universel. La mélancolie et la poésie des images ne cessent d’accompagner le spectateur pendant ce beau voyage. Il restitue l’une des histoires volée à ce pays d’Amérique du Sud, en rendant le plus beau des hommages. Si le succès est au rendez vous, le cinéaste Chilien a pour projet de se recentrer sur la cordillère des Andes, sa vie et son histoire… À suivre.

La Bande Annonce :

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« Un temps de président », que doit-on retenir des coulisses de l’Elysée ?



Lundi 28 septembre au soir, les Français ont pu s’immerger pour la première fois dans l’Elysée version François Hollande. 1H50 d’aperçu des coulisses de cette vie politique ont été mises au jour dans le documentaire « Un temps de président », d’Yves Jeuland. Avec des images tournées entre l’été 2014 et février 2015, voici quelques faits marquants dont il faut se souvenir.

«Un temps de président » est loin d’être le coup d’essai d’Yves Jeuland en matière de documentaire politique. En 2010, il suivait déjà l’ancien maire de Montpellier, Georges Frêche, alors en course pour la présidence de la région Languedoc-Rousillon. Le réalisateur a en 2012 suivi durant 5 mois la rédaction du journal Le Monde, plongée dans l’effervescence des dernières élections présidentielles. 2015 marque alors la rencontre forte avec le chef d’État français, sans pour autant tomber dans le voyeurisme.

Un rajeunissement ministériel sur fond de remaniement

L’entourage de François Hollande n’a pas hésité une seule seconde à se targuer de la jeunesse du gouvernement Valls II. Alors que le 24 août 2014, « les frondeurs » Arnaud Montebourg et Benoît Hamon s’élèvent tous deux contre la politique économique française, le Premier ministre n’a d’autre choix que de présenter la démission de son gouvernement dès le lendemain. Le 26 août 2014, le 38ème gouvernement de la Ve République française est annoncé.

« Un temps de président » commence alors, sur un moment difficile du mandat de François Hollande. Un personnage clé de la proche équipe du président apparaît alors : il s’agit de Gaspard Gantzer. Ce qui frappe en premier, c’est la différence d’âge du chef de la communication du président et responsable des relations presse, avec ses interlocuteurs. Cet énarque alors âgé de 35 ans lors du tournage, dénote particulièrement avec le reste de l’entourage de François Hollande. L’effet de surprise est d’ailleurs moindre, lorsque l’on voit M. Gantzer montrer une certaine joie lors de la nomination d’Emmanuel Macron à la tête du Ministère de l’Economie et de l’Industrie, quand on sait que les deux protagonistes sortent de la même promotion Léopold Sédar Senghor de l’ENA.

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Un éléments à retenir de ce remaniement ministériel, c’est le rajeunissement. Il est particulièrement visible avec les nominations d’Emmanuel Macron (37 ans), Najat Vallaud-Belkacem (37 ans) ou encore Fleur Pellerin (42 ans). La moyenne d’âge du gouvernement descend alors à 53 ans. On note d’ailleurs la réflexion du ministre des Finances Michel Sapin, lors de la première rencontre du gouvernement dans les jardins de l’Elysée : « On se sert les coudes contre les jeunes (rire), parce qu’avec tous les petits jeunes qui arrivent.. ».

La « solidité » du rôle de président selon François Hollande

De fil en aiguille, le réalisateur du documentaire a l’occasion de se rapprocher de plus en plus du président, et se retrouve côte à côte avec ce dernier pendant un déplacement. Un tweet apparaît alors à l’écran, parlant du livre écrit par Valérie Trierweiler, Merci pour ce moment. Le président « n’est pas épargné ». Un conseiller tend le téléphone au président, nous laissant imaginer que ce dernier apprend la nouvelle. On se rappelle que quelques mois plus tôt, Closer lâche une bombe dans le paysage médiatique : c’est l’affaire Julie Gayet. Tout le monde en parle, la compagne du président claque alors la porte de l’Elysée et écrit dans le plus grand secret un livre qualifié par beaucoup de « vengeance ». Un haussement de sourcil. Si tant est que la séquence eut été réellement prise au moment ou M. Hollande découvre le tweet, c’est la seule réaction qu’il laisse échapper devant le réalisateur.

Samedi 6 septembre, c’est la réunion de rentrée du cabinet du président. François Hollande parle alors d’épreuves, notamment personnelles : « Il y a des épreuves personnelles, celles que je peux connaître, même si je ne fais rien paraître parce que je n’ai à répondre qu’à des questions politiques ». Il parle ensuite de « la solidité de son rôle et de sa solidité personnelle ». En tant que spectateur, c’est bien l’impression que nous donne le président, même si nous nous doutons que le réalisateur n’a pas eu l’occasion de filmer l’intimité de M. Hollande.

Un président « normal » ?

Le mot « normal » a souvent été utilisé pour représenter François Hollande, comme avant tout une personne douée d’une certaine humanité, même avec le titre qui est le sien. Toutefois, l’opposition n’a jamais cessé de reprendre ce mot pour donner dans la critique.

Un fait très intéressant qui fût observé dans le documentaire, c’est la relation du président avec son entourage. La surprise n’est pas vraiment au rendez-vous lorsque nous l’entendons fréquemment tutoyer ses interlocuteurs. Contrairement à cela, il est bien plus étonnant de constater que ces derniers tutoient le président de la république en retour. Outre le fait que le président ait apparemment une écriture indéchiffrable, la séquence lors de laquelle ses secrétaires, accompagnées de Jean-Pierre Jouyet, secrétaire général de la présidence, corrigent le discours de M. Hollande, la scène tourne de plus en plus à la dérision.

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La scène se répète au moment de la réunion des membres de la commission des finances. Alors même que les députés socialistes traitent de la Loi Macron, sujet sérieux, le président entre dans la pièce en charriant Henri Emmanuelli. Tous les protagonistes en rient, l’ambiance semble résolument détendue.

Les attentats de Charlie Hebdo : une émotion intense

La France entière s’est réveillée avec la gueule de bois le 8 janvier 2015. La veille, Charlie Hebdo, journal satyrique, est attaqué en pleine conférence de rédaction par les frères Kouachi. 12 personnes tuées, 11 blessées, et dans le même temps leur complice Amedy Coulibaly tue 5 personnes entre le 8 et le 9 janvier. Bilan: jamais la France n’a vécu une telle attaque terroriste sur son territoire, très vite revendiquée par la branche d’Al-Qaïda au Yémen.

Après les moments de joie du Noël de l’Elysée, vient la torpeur. « Le 11 septembre français » titre Le Monde, alors posé sur le bureau de Gaspard Gantzer. Ce dernier lit la presse quotidienne, le réalisateur nous montre alors les portraits de Cabu, Charb ou encore Tignous. Yves Jeuland nous emmène dans les coulisses de l’Elysée au moment qui sera probablement vécu comme le pire du quinquennat de François Hollande.

Après la conférence donnée par Jean-Pierre Jouyet à l’Elysée, on voit un François Hollande en plein désarroi, au téléphone avec une personne présente dans l’Hyper Cacher. Puis s’en suit la marche des quarante-quatre chefs d’états à Paris, et la visite du président à la famille d’une des victimes. Le réalisateur terminera en nous montrant des images de la Grand Messe à la Synagogue de la Victoire, célébrant les défunts : l’émotion est à son comble.

Ainsi, le documentaire d’Yves Jeuland se termine sur un moment terrible pour la France. Il est presque difficile de tirer des conclusions après une fin pareille, tant ces dernières séquences rappellent l’effroi que les Français et le monde entier ont vécu durant la seconde semaine de janvier 2015. La presse et la «twittosphère » ont cependant, mis peu de temps à donner leurs réactions suite au visionnage d’ « Un temps de président ».

Mais où sont les femmes dans l’Elysée ?

La toile s’est donc empressée de réagir à l’expérience d’Yves Jeuland et à sa diffusion sur France 3. Le Point a été jusqu’à parler d’un « mélange de vanité et de vacuité », accusant le président Hollande de ne pas avoir pris la moindre décision importante durant les six mois du tournage. Outre ce « manque de décisions », ou encore « la malchance de François Hollande », une des réactions les plus notables est le manque apparent de femmes dans les coulisses de l’Elysée.

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Et pour souligner cela, beaucoup ont critiqué le manque visible de femmes dans l’entourage du président ; le hashtag « #UnTempsDePresident s’est vu inonder de contestations et de plaintes, alors même que le documentaire était en cours de diffusion. La séquence lors de laquelle François Hollande est coiffé et maquillé par deux femmes, a été fréquemment reprise pour prouver que le peu de femmes montrées dans le documentaire sont soit coiffeuses, maquilleuses ou secrétaires. Il semble évident pour l’audience, que la parité dans le gouvernement ne suffit pas. Comme cela a été précisé dans un article de Rue89, seulement 16 femmes composent le cabinet de François Hollande.

A bientôt 18 mois des élections présidentielles, il reste un grand nombre de défis à relever pour François Hollande, son cabinet et son gouvernement. Les sondages mènent en ce moment la vie dure au PS : une vague bleue est annoncée pour les élections régionales de décembre, et ce, après la déroute socialiste lors des élections départementales. Il semble que l’Elysée va encore connaître des jours difficiles.

Intime conviction : quand la fiction rencontre la réalité… ou l’inverse

La chaîne ARTE revisite le genre policier, en proposant aux tantôt internautes tantôt téléspectateurs d’enfiler la peau d’un juré aux assises. Explications.

Suivre un procès d’assises comme si on y était ? C’est le dernier projet d’ARTE. Créer un dispositif multimédia pour projeter le spectateur dans un espace fictionnel qui se cogne à la réalité. Un dispositif en deux temps : d’une part « l’affaire » sous forme d’un téléfilm diffusé vendredi dernier sur Arte. L’histoire de Paul Villers qui découvre un soir, après une dispute, le corps de sa femme qui, à première vue, s’est suicidée dans la salle de jeu des enfants. Le film débute par la découverte du corps et se conclut par la mise en examen du mari, sans preuve mais fondée uniquement sur l’intime conviction de la policière en charge de l’affaire.

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Jusque là un téléfilm policier tout ce qu’il y a de plus banal….

Mais dans un second temps, la chaîne met à disposition l’ensemble des pièces constitutives de l’instruction du meurtre ou suicide de Manon Villers, sur un site entièrement dédié : intimeconviction.arte.tv.. Sous la forme d’une web série conceptuelle associant la multivision et les réseaux sociaux, l’internaute avance d’épisode en épisode vers le verdict de Paul Villers. Le projet d’ARTE est de proposer aux spectateurs d’entrer dans les rouages d’un procès. Précisément, dans la peau d’un juré : situation possible pour tout citoyen âgé de plus de 21 ans et étant inscrit sur les listes électorales, à condition d’être tiré au sort. Ainsi, le site donne accès à toutes les pièces du dossier jusqu’aux plus confidentielles, comme les photos de la scène de crime, de toutes les preuves, des auditions, bref : une mise en situation absolue. Ou plutôt, une mise en scène absolue, entre le Cluedo et 10 ème Chambre instants d’audiences de Raymond Depardon, le spectateur suit le procès afin de se forger son intime conviction. .. Le choix du casting permet la confusion entre fiction et réalité. Car à l’audience, dans le tribunal de Tours, ce sont de vrais procureurs, juges et avocats. Tandis qu’à la barre, l’acteur Philippe Torreton interprète Paul Villers. L’ensemble des protagonistes du téléfilm sont aussi présents. Le mélange entre la véracité de la cour et du décor et les interprétations – excellentes – des acteurs, immerge le spectateur à tel point qu’il puisse être affecté pour de vrai par l’affaire. L’effet « jeu de rôle » fonctionne, bien que les commentaires intempestifs des autres participants en bas du lecteur perturbent plus qu’ils ne servent la vidéo. Ce détail mis à part, c’est une idée à la fois citoyenne et divertissante qui permet peut-être d’entrevoir ce que pourrait être la télévision du futur…

« Sugar Man » : à la recherche de Sixto Rodriguez

Sixto Rodriguez, c’est le soldat inconnu de la folk américaine des seventies. Il est le protagoniste de Sugar man, le premier documentaire de Malik Bendjelloul, en ce moment à l’affiche.

Sugar Man, enquête musico-journalistique de Malik Bendjelloul, revient sur le parcours d’un musicien atypique, né dans les années quarante à Détroit : Sixto Rodriguez. Le chanteur, entiché de musique grâce à la guitare de son père, écrit les banlieues ouvrières de cette Amérique que l’on oublie parfois. Ses textes sont aussi poétiques que politiques et sa voix attire rapidement les chasseurs de succès. Pourtant, après deux albums sortis en 1969 et 1971, les honneurs attendus ne sont pas aux rendez-vous. Sixto Rodriguez, toujours ouvrier, abandonne sa carrière musicale et disparaît de la scène publique. 


Une icône ressuscitée

Pendant ce temps, l’Afrique du sud s’ébranle, toute coupée du monde qu’elle est. La musique de Sixto Rodriguez y arrive, par le hasard d’un disque oublié dans la valise d’une touriste américaine. Une génération privée de liberté reprend Sugar man, l’histoire d’un dealer américain. Rapidement censuré, il devient un étendard pour les rares afrikaners qui luttent contre l’apartheid. D’aucuns le comparent à Bob Dylan et il vend plus de 500 000 albums, devenant, sans le savoir, une véritable icône de la « nation arc en ciel ».
Dans les années 90, un vendeur de disque et un journaliste musical, tous deux Sud-Africains, veulent en savoir plus sur ce mystérieux artiste. Ils le pensent mort, suicidé sur scène, immolé ou victime d’une overdose en prison. Leur démarche d’enquête constitue la base du documentaire de Malik Bendjelloul. Les pérégrinations de ces fans de la première heure nous mènent doucement vers la révélation : Sixto Rodriguez n’est pas mort. Il travaille dans la démolition, toujours bien arrimé au bitume de la Motown qu’il décrivait dans ses chansons. La suite, émouvante quoiqu’un peu galvaudée, raconte la rencontre des deux protagonistes avec Sixto Rodriguez, sa vie modeste dans la ville du moteur puis la consécration, enfin, de ce musicien talentueux. A l’initiative des deux acolytes, il découvre son public, immense et passionné, lors d’une tournée en Afrique du sud en 1998.

Un documentaire original et passionnant

Malik Bendjelloul signe un documentaire presque à la hauteur du talent de Sixto Rodriguez. Les témoignages sont bien choisis, émouvants sans être complaisants. Les images sont soignées et la bande son – signée Rodriguez – ravira les amateurs de folk. La première partie du documentaire souffre parfois de longueurs, et quelques images prétextes – qui viennent pallier le défaut d’images d’archive de l’artiste – gâchent un esthétisme par ailleurs bien maîtrisé. On regrette que le documentaire soit quelque peu romancé. En effet, Sixto Rodriguez n’ignorait pas tout de son succès puisqu’il avait effectué plusieurs tournées en Australie au début des années 80 avant d’abandonner effectivement la musique. Malik Bendjelloul occulte complètement cette partie de la carrière de Sixto Rodriguez. L’histoire, vraie, se suffisait à elle-même. Le résultat est toutefois convaincant et le rythme ne souffre pas trop des quelques excès de Bendjelloul et la seule découverte du trop peu connu Rodriguez est un argument suffisant pour aller voir Sugar Man.