Zeky : « Le graff c’ est ce qui m’ a permis de me canaliser »

Graffeur et coursier, édité par Wasted Talent et l’Oeil d’Horus, Zeky livre son expérience: études, graff, police … tout y passe.

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Quand tu as débuté dans le graff, tu n’imaginais sûrement pas finir en bouquin ? Ca t’a fait quel effet ?

Zeky : Je ne l’imaginais pas du tout. En fait, ça fait plaisir et ça me motive à aller plus loin, faire des dessins plus finis, plus professionnels. Grâce à Gautier Bischoff et au livre de la collection je me suis un peu plus structuré. J’ai pu voir ce que c’était que d’associer travail et passion. Ca m’a également permis de prendre un peu de recul sur ce que je faisais, sur ma production.

Grâce aux archives de Gautier, tu as pu retrouver des graffs que tu avais oublié ?

Zeky : Oui j’en ai retrouvé beaucoup. D’ailleurs je les ai appelé les « rendeurs de mémoire » car ils ont vraiment récupéré beaucoup de photos que je n’avais pas. C’est des moments assez précieux car quand on te les rend, on te rend un petit bout de ton cerveau, un peu de ta mémoire.

Finalement que retires tu de cette expérience du bouquin, de faire partie de la collection Wasted Talent ?

020.jpgZeky : J’en suis très fier, très content même si on peut toujours faire mieux et que j’aurais pu m’investir plus. Mon entourage était aussi ravi. Ca m’a permis d’avoir un autre regard que le mien sur ma production.

«Jamais trahis que par les siens»

Comment tu as commencé le graffiti ?

Zeky : J’étais en fin d’échec scolaire, rejeté de l’école où on m’indiquait la sortie. Et j’ai rencontré des graffeurs, les TKV qui faisaient une fresque subventionnée par le proviseur. J’ai aimé ça et je me suis jeté dedans à corps perdu. Etant un peu rejeté de l’école, là il n’y avait aucun rejet. Le graff c’est ce qui m’a permis de me canaliser.

Le monde du graffiti est donc un peu comme une famille pour toi ?

Zeky : C’est vrai, c’est comme une vraie famille et on n’est jamais trahis que par les siens. Et puis contrairement aux amis qu’on choisit, dans une famille il y a parfois des cons donc c’est vrai que le terme famille colle bien.

Quels sont tes supports préférés pour peindre ?

066.jpgZeky : En ce moment j’affectionne beaucoup les quais de Seine pour les ambiances. Sinon un mur brut, quel qu’il soit, où qu’il soit, tant que c’est moi qui le dépucelle, c’est une très bonne surface.

«Je voudrais remercier Jacques Chirac»

Tu préfères le tag ou le graf ?

Zeky : Ni l’un ni l’autre, les deux sont essentiels. Rien qu’une signature c’est fort. Picasso finissait en signant sa toile, nous on peut très bien faire une toile en faisant juste une signature. La signature c’est essentiel, c’est un geste créatif

Tu dois bien avoir aussi quelques anecdotes avec la police ?

Zeky : Je me suis plusieurs fois retrouvé en train de courir parce que les flics tentaient de nous attraper. Je voudrais aussi remercier Jacques Chirac car je me suis fait prendre une fois pour un tag « Fuck la police » sur le mur d’un lycée à Montreuil avec cinq potes. En jugement on a eu le choix entre une grosse amende et des T.I.G, on a choisi les TIG. Et quand Jacques Chirac a été élu, notre peine a sauté grâce à l’amnistie présidentielle. C’est le seul service qu’il m’a rendu dans ma vie.

Tu as vu une différence depuis que Sarkozy est devenu président ?

Zeky : Les prix du shit ont augmenté. (Rires)

Graffé dans le marbre

Afin de rendre aux murs qui nous entourent leur mémoire oubliée, Gautier Bischoff et Julien Malland ont édité la collection Wasted Talent (aux éditions l’Oeil d’Horus) qui présente, sous le prisme de cinq monographies aux styles très différents, l’évolution de la culture graffiti sur les dernières décennies. Rencontre et interview autour d’un projet original et classe.

Talents gâchés, talents cachés

Wasted Talent, talent gâché et auparavant caché. Ce n’est plus le cas. Grâce à Julien Malland et Gautier Bischoff (auteurs de « Kapital, un an de graffiti à Paris », Alternatives, 2000) la collection de livres de graffitis, Wasted Talent, éditée par l’Oeil d’Horus (leur maison d’édition), a vu le jour. Avec pour objectif de mettre en valeur le travail d’artistes encore méconnus, la collection réunit cinq monographies pour rendre compte de l’évolution du graff sur une période donnée et garder trace de ces 003.jpgœuvres. Tout a commencé par le travail d’archivage et de compilation entamé par Gautier à la fin des années 1980. La mémoire de l’éphémère. Il a sillonné Paris et sa banlieue en quête de nouveaux blazes, d’oeuvres à découvrir. Est venu ensuite le moment de rendre hommage à quelques artistes dont la production méritait qu’on s’y attarde. Aussi, quant au choix des artistes qu’ils éditent, Gautier explique « qu’avec autant d’archives, les « mecs » on les connaît, on a vu leur évolution depuis 20 ans. Et c’est par rapport à sa production qu’on choisit le mec ».

Etape suivante, la proposition aux artistes de les éditer. Les réactions sont diverses. « Certains réagissent mal, ils me répondent : « attends je suis pas fini » car ils sont toujours en activité » confie Gautier. Zeky, un des artistes édité par Wasted Talent, n’a pas vu cette proposition du même œil. « Ca fait plaisir et ça me motive à aller plus loin, faire des dessins plus finis, plus professionnels ». Dize, un autre artiste de la collection, a consenti à être édité uniquement du fait que le livre ferait partie d’une collection. Wasted Talent cherche à valoriser avant tout le mouvement graffiti dans sa diversité de styles et d’approches.

Le goût de l’illégalité

Dans cette collection diversifiée, où on ne « retrouve pas toujours les mêmes profils », certains se distinguent par leur charisme ou par la singularité de leur histoire. Mais ces artistes ont en commun le goût de l’interdit associé aux valeurs de la culture hip-hop. « Le graffiti est authentique dans le sens où il est difficilement récupérable. La première discipline à avoir été récupérée dans le hip-hop c’est le rap, qui a malheureusement très vite vendu son âme. Le graffiti est le dernier résistant du hip-hop » juge Slice. Vraie culture hip-hop donc sur fond d’illégalité. Car l’interdit est bien l’adrénaline du graffeur. Toujours selon Slice : « Le graffiti illégal est une drogue. Le graffiti en terrain c’est travailler sans contrainte de temps, l’opportunité d’essayer des couleurs, des styles. On fait de l’illégal parce qu’on en a besoin. »
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Chez les graffeurs, l’illégalité va même jusqu’à la bombe de peinture que beaucoup volent, par habitude ou par principe. L’adrénaline du premier coup de peinture sur un mur public, ce sentiment d’enfreindre une loi mais « de mettre de la couleur là où il n’y en a pas », c’est tout cela qui les a attiré dans cet univers. « Dès la première prise tu es accroc, c’est pire que le crack. C’est un besoin d’exister » affirme Zeky. L’actualité n’est pas encore au graff commercial, comme cela peut l’être aux Etats-Unis. Selon Gautier, « en France, les institutions ne sont pas prêtes à faire travailler des graffeurs. Le graffiti est toujours associé aux notions de vandalisme et d’illégalité ».

 » Je cultivais un coté Arsène Lupin du graffiti : «c’est un taggueur oui mais c’est un gentleman» »

Aujourd’hui, alors que la scène graffiti est variée et riche, « beaucoup plus riche que ce que l’on avait au départ, avec beaucoup de concurrence et de styles variés » assure Zeky, la collection Wasted Talent ne se veut pas un historique du mouvement graffiti. Ainsi les cinq artistes que compte la collection sont issues de générations différentes. Mais la structure des livres restent la même et suit une logique similaire pour les cinq artistes édités : Zeky, Poch & Rock, Darco, Nasty & Slice et enfin Dize. Les bouquins commencent tous sur une partie historique revenant sur des anecdotes des artistes, notamment relative à leur arrivée dans le graff. Mais, plutôt que de s’étaler sur l’ensemble d’une « carrière », ce travail de mémoire est concentrée sur une période donnée : 010.jpgDize montre uniquement la période 2000 à 2004 alors que la période traitée pour Nasty & Slice est beaucoup plus longue car ils avaient une grosse activité au début des années 1990, « avant la révolution du graff ». Pour Zeky, la période concernée va de 2000 à 2006. « Ce n’est pas « ma vie, mon œuvre » qu’on a voulu faire sur chaque artiste mais bien un zoom sur une période précise » explique Gautier.

Cette partie rédactionnelle, où l’on retrouve des interviews des graffeurs et des infos sur leur histoire, est évidemment illustrée par des photos. Ici on apprend les changements de « blaze » pour éviter de se faire reconnaître par les flics, les courses-poursuites avec ces mêmes flics ou bien les différents spots exploités. C’est là qu’on découvre l’excentricité de Slice dans le monde du graff. « J’allais en costard dans les dépôts et je cultivais un coté Arsène Lupin du graffiti : « c’est un taggueur oui mais c’est un gentleman. » »

La deuxième partie des bouquins est plus critique et plus artistique dans le sens où elle présente de nombreux graffs légendés. Afin d’avoir des avis plus objectifs et sans compromis, ce ne sont plus seulement les artistes qui parlent de leurs graffs mais des acteurs du mouvement qui ont une légitimité et qui ne connaissent pas toujours personnellement les auteurs des graffs. Pro, à propos de Nasty & Slice, y écrit par exemple : « Petit, je me prenais leurs flops dans la gueule en allant dans le XIIème. Je les ai vu peindre à Javel à 14 ans. Ils étaient les boss des lettres, des phases avec des flèches, des lettrages bien ricains. Ils m’ont donné les bases pour faire ce que je fais aujourd’hui ».