Cuvée littéraire : 3 romans, 3 nationalités, 3 regards

À l’occasion du salon Vinisud, Haut-Courant a sélectionné trois romans autour de la thématique du vin : Les Vignes de Sainte-Colombe du français Christian Singol, La Bodega de l’américain Noah Gordon et Un bon cru de l’anglais Peter Mayle. À lire sans modération !

Les trois romans choisis par Haut-Courant offrent un panorama de la vigne et du vin, du XIXe siècle à nos jours. Les Vignes de Sainte-Colombe (Éditions Albin Michel / Le livre de poche) s’intéresse aux conditions de vie des vignerons de l’époque tandis que La Bodega (Éditions Michel Lafon / J’ai lu) est davantage axé sur le travail de la terre et le lent processus de fabrication du vin. Pour finir, Un bon cru (Éditions Nil / Points) se focalise sur l’héritage des traditions et la relation que les contemporains entretiennent avec le vin.

Les vignes de Sainte- Colombe

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Auteur français très prolifique, Christian Signol porte haut les couleurs de la campagne et des valeurs paysannes. Paru en 1996 Les Vignes de Sainte-Colombe raconte les destins croisés de dizaines de vignerons sur un domaine viticole du Languedoc, de 1870 à 1918. Le second tome de la saga La Lumière des collines a été publié en 1997.

À la mort de Charles Barthélémie, son fils Léone reprend les rênes de l’immense propriété du Solail, au grand dam de sa sœur Charlotte. Autour d’eux, journaliers et régisseurs vivent au rythme des vendanges et des humeurs de leur maître. Tandis que Charlotte prépare son grand retour, le Solail sera tour à tour malmené par l’effondrement des cours, la révolte des vignerons, ainsi que par deux épidémies : le phylloxéra et le milidou. Impétueuse et passionnée, la jeune héroïne œuvrera sans relâche pour redonner au Solail sa splendeur passée…

Avec un style poétique propre à Christian Signol, Les Vignes de Sainte Colombe est un hymne à la campagne, aux senteurs de la garrigue et à la lumière du Midi. La force du roman réside dans la multiplicité et la richesse de destins croisés qui gravitent autour du Solail. Les personnages sont particulièrement développés ainsi que les relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres mais également, avec les vignes.

Plus qu’un roman sur le vin, Les Vignes de Sainte Colombe s’intéresse aux conditions de vie et de travail des hommes de vignes. Sur un fond historique, le lecteur découvre l’organisation et la hiérarchie d’une importante exploitation viticole et les menaces qui pèsent sur les récoltes de l’époque.

« (…) le Solail se mourrait de sa grandeur : les vignes étaient tellement étendues qu’on n’arrivait pas à gagner le fléau de vitesse, et elles mourraient les unes après les autres. Aussi, malgré les suspicions qui frappait les cépages américains (le phylloxéra avait été introduit en France par des importations d’outre-Atlantique), Léonce, poussé par Cyprien, s’était enfin résolu à arracher ses vignes et à replanter des porte-greffes américains (…). Mais la décision était une chose, et le spectacle de l’arrachage en était une autre. Jamais Léonce n’avait ressenti à ce point combien ces ceps semblaient ancrés dans son corps et combien le vin, le sang de la terre, était semblable à son propre sang. Il venait de découvrir qu’il pouvait souffrir de ses vignes comme de son corps. Elles étaient mortellement blessées, lui aussi. » (Christian Signol, Les Vignes de Sainte-Colombe, Le livre de poche, édition 23 – mars 2016, p 129).

La Bodega

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Noah Gordon est un auteur américain. La Bodega, paru en 2008 nous emmène au cœur de l’Espagne du XIXe siècle et des guerres carlistes.

Conscient qu’il n’héritera jamais de la bodega familiale, Joseph Alvarez cherche un sens à sa vie. Déserteur, il se réfugie en Languedoc et trouve un travail dans un grand domaine viticole. Pendant quatre ans, le catalan renoue avec sa passion de la terre et apprend les secrets de la vigne et du bon vin auprès de son bienfaiteur, Luis Mendès. À la mort de son père, il rentre au pays et découvre que son frère aîné souhaite vendre la bodega dont il vient d’hériter. Commence alors une nouvelle vie pour Joseph. Il rachète le modeste domaine et ambitionne de transformer le moût destiné au vinaigre en un véritable vin de table…

La Bodega propose une histoire simple et touchante qui décevra sans doute les amateurs de sensations fortes. À l’image d’une longue vie de labeur, l’intrigue s’étire lentement et calmement. Avec son roman, Noah Gordon invite le lecteur à revenir aux sources et à se reconnecter avec la nature. La Bodega est avant tout un récit de vie : celui d’un modeste viticulteur qui souhaite aller au bout de ses rêves. Aux côtés de Joseph, le lecteur vit au rythme lent de la terre et des gestes qui se répètent de jour en jour, d’année en année. Il partage les déboires du jeune vigneron et se réjouit avec lui de l’avancée des récoltes. Les liens qu’entretiennent les personnages sont à l’image du reste du roman : simples et sans artifices.

La vigne et le vin occupent une place centrale dans l’intrigue. Le lecteur assiste de manière quasi-instantanée à l’ascension de Joseph et à la transformation de son vignoble. Malgré quelques longueurs et une tension dramatique relativement faible, La Bodega est un livre réussi qui fleure bon la terre et le raisin. Les descriptions sont riches et initient le lecteur aux secrets de la vigne et à la fabrication du vin.

« Joseph cédait à la nervosité. Tous ses revenus futurs reposaient désormais entre les mains de la nature. Autrement dit, il devait attendre que s’accomplisse le mystérieux processus au cours duquel le jus de la treille se transforme en vin. L’accompagnement de cette métamorphose exigeait de sa part travail et surveillance. Dans le moût, tout ce qui n’était pas jus – les peaux, les grains, les tiges, les débris – tendait à remonter à la surface, à flotter sur le liquide et à sécher rapidement. Toutes les trois ou quatre heures, Joseph vidangeait par le robinet une partie du jus. Puis il dressait une échelle contre la citerne et il déversait le jus dans le moût. À l’aide d’un râteau, il repoussait la croûte vers le fond et la mélangeait au corps liquide. Il répétait l’opération plusieurs fois par jour et se relevait même la nuit pour aller la refaire dans le noir, comme on accomplit un rituel entre veille et sommeil. » (Noah Gordon, La Bodega, J’ai Lu, édition 2011, p 308).

Un bon cru

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Un bon cru, paru en 2005, est le neuvième roman de l’anglais Peter Mayle. Amoureux de la Provence et de ses vignes à perte de vue, l’auteur est installé dans la région depuis plus de 30 ans.

Le héros du roman, un londonien prénommé Max Skinner, hérite d’un vignoble provençal. Ancien employé de la finance, Max opère un virage à 180 degrés lorsqu’il choisit de s’installer en France pour exploiter les terres de son nouveau domaine. Sur place, l’anglais devra cependant faire face à une déconvenue de taille : la cuvée que produit son vignoble est à peine buvable. Bien décidé à améliorer la qualité de son cru, Max fait alors appel aux services d’un œnologue et découvre que son domaine est le théâtre d’une énorme arnaque…

Un bon cru est un ouvrage qui se lit facilement. L’écriture est fluide et les personnages attachants. La particularité du roman réside dans l’humour, mis en avant par la vision que le protagoniste anglais et – plus généralement l’auteur – porte sur la France et les coutumes autochtones. Le roman est serti de petits clichés qui font sourire car force est de reconnaître qu’ils tombent souvent justes. Le lecteur retrouve l’ambiance d’un village de campagne provençal et les incontournables qui font le charme de la région : chaleur, partie de pétanque, pastis, nourriture abondante et bien entendu dégustation de vin.

La thématique du vin constitue la trame principale du roman et une terre prospère pour l’ironie de Peter Mayle. L’auteur décrit la fierté que les Français portent à leur cépage et les codes quasi-institutionnels liés à la dégustation du vin. Il pointe avec humour certaines bizarreries, comme lorsqu’il dépeint un cours d’initiation à l’œnologie qui rappellera sans doute un moment partagé par bon nombre de lecteurs. Ce moment où, assis à une table de restaurant, on exécute les gestes d’usage sous les yeux inquisiteurs du sommelier en tentant vainement de cacher qu’on ne sait pas très bien ce que l’on fait pour finalement lâcher un « Très bien » mal assuré.

«  » Maintenant, vous faites tourner le vin dans le verre pour l’aérer – il doit respirer.  » Tous imitèrent de leur mieux ses petits mouvements circulaires de la main pour animer un liquide imaginaire dans un récipient vide. Ils commençaient à se sentir légèrement ridicules, ils n’étaient pourtant pas au bout de leurs peines.
Il approchèrent leur verre vide de la flamme des bougies pour mieux apprécier les subtilités imaginaires de la couleur de leur vin imaginaire. Ils penchèrent le nez au dessus d’un verre vide pour en humer le bouquet imaginaire. Ils burent une gorgée imaginaire qu’ils recrachèrent aussitôt ». (Peter Mayle, Un bon cru, Points, édition 2014, p 37).

Bien qu’il ne constitue pas un chef d’œuvre de littérature, Un bon cru a le mérite de faire passer un bon moment, sans prise de tête et distrayant. Le point de vue apporté par le protagoniste anglais donne une dimension amusante et original au roman. Toutefois, la résolution de l’intrigue devient rapidement évidente et les caricatures, relativement faciles.

« Au fur et à mesure des bouteilles, les descriptions devenaient de plus en plus bizarres : il était question de truffe, de jacinthe, de foin et de cuir mouillé, de tweed humide, de belette, de ventre de lapin, de vieux tapis, de chaussettes hors d’âge. La musique à son tour fit une brève apparition avec un vin dont on comparait l’arrière-goût aux dernières notes de la Deuxième Symphonie de Rachmaninov (l’adagio). Chose étonnante, il ne fut jamais question de raisin, sans doute en raison de ses origines trop peu exotiques pour mériter une place dans le lexique de l’amateur de vin. » (Peter Mayle, Un bon cru, Points, édition 2014, p 38).

Pour poursuivre la lecture : Château-l’arnaque, autre roman de Peter Mayle paru en 2008, place également le vin au cœur de son intrigue.

Un bon cru a été adapté au cinéma en 2006 par  Ridley Scott sous le titre Une grande année. Le film met en scène Russell Crowe dans le rôle de Max ainsi que l’actrice Marion Cotillard.

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Étienne Davodeau : « Même si « Les Ignorants » est terminé, l’expérience continue »

Auteur de bandes dessinées, Étienne Davodeau s’est immergé pendant un an chez le vigneron Richard Leroy. Dans ce domaine de l’Anjou, il a appris le métier de son ami et lui a fait découvrir la bande dessinée. « Les Ignorants » est le récit de cette rencontre. Rééditée 15 fois depuis sa publication il y a 6 ans, cette bande dessinée est un phénomène de librairie. Retour sur cette « initiation croisée » avec Étienne Davodeau.

Sorti en 2011, vendu à 200 000 exemplaires, Les Ignorants est toujours un succès de librairie. Comment l’expliquer ?

C’est compliqué après coup d’expliquer le succès d’un livre. Quand j’en ai eu l’idée, c’était quelque chose d’expérimental. J’ai mis en place un cadre pour cette expérience, c’était de raconter cet échange en temps réel avec beaucoup d’improvisation. J’ai été très surpris par la façon dont les gens s’en sont emparés. Je pense qu’ils aiment le côté optimiste, mais aussi le postulat qui est la vertu de l’ignorance, et donc de la découverte.

Il n’y a quasiment aucune mention de l’année et de l’actualité dans le livre. On sait qu’on se trouve en 2010 et à quelle saison de l’année, mais ce n’est pas important pour le récit. Est-ce que c’est une volonté délibérée pour donner un aspect intemporel à l’histoire ?

Absolument. Dans cette expérience, le cadre est ma relation avec Richard Leroy et son travail. Ce qui est hors cadre a été défini avec Richard : il n’y a pas de mention d’argent, de sa famille ni d’actualité parce que ce n’est pas le sujet. La question du livre, c’est pourquoi et pour qui on fait du vin ou de la BD.

« Tout est subjectif dans le vin », comme dans la BD.

Le sous-titre du livre dit « récit d’une initiation croisée », mais le vin occupe plus de pages que la BD. Est-ce un choix délibéré ?

Bien sûr, dans le récit, on voit plus la vigne car c’est ce que je voulais raconter et dessiner. C’est plus intéressant graphiquement qu’un type qui dessine sur sa planche. Mais je ne crois pas que le vin prime sur la BD, car ce livre est déjà une bande dessinée. On y voit même l’éditeur, la fabrication de l’ouvrage, ce qui est assez rare. Et c’est ça l’expérience, c’est une bande dessinée qui parle de vin et de bande dessinée, une méta-BD en quelque sorte. Ce livre se situe dans ce que j’ai envie de faire et la direction où je veux voir la BD aller, notamment l’improvisation. Une bande dessinée c’est souvent un processus complexe, où il faut écrire un scénario, etc. Là, j’ai pu aller voir mon éditeur, lui présenter simplement mon idée des initiations croisées et lui dire que je n’ai pas la moindre idée de ce que je vais raconter, puisque ça ne s’est pas encore passé. L’improvisation a été très importante.

« Je n’étais plus auteur de bandes dessinées, j’étais ouvrier agricole. »

Est-ce que vous faisiez des croquis sur place, ou dessiniez-vous d’après photos ?

Quand j’étais avec Richard Leroy, j’étais ouvrier agricole, je n’étais plus auteur de bandes dessinées. Je faisais mes 8h de travail donc je ne dessinais pas. Je travaillais et je discutais avec lui, sur son travail, sur les BD que je l’ai forcé à lire. J’avais un appareil photo dans ma poche si besoin, pour pallier ma mémoire, mais je ne dessinais quasiment jamais sur place. Je dessinais dans mon atelier le soir. Ce livre m’a pris presque deux ans.

Pourquoi ce choix du noir et blanc ?

Ce livre est en lavis parce que j’aime bien le travailler, mais aussi parce que c’est plus rapide. La mise en couleurs prend très longtemps en BD. Je supposais dès le début qu’il allait avoir une pagination importante [219 pages, ndlr]. Si j’avais dû le mettre en couleurs, ça m’aurait pris un an de plus.

« Richard Leroy était curieux car ignorant. »

Dans le vin, la couleur est importante. Ce choix est-il une occasion manquée de dessiner et raconter cet aspect du vin ?

La couleur m’a manqué à quelques moments, notamment pour la couleur des vins. Il y a aussi eu des moments d’orage au-dessus de la vigne où il y avait de très belles couleurs qui m’ont causé un petit regret. Mais j’ai fait un choix de départ, et je m’y suis tenu.

La couverture aurait pu être en couleur.

J’ai préféré m’en tenir au choix du lavis. Puisque le livre est en noir et blanc, je préfère que la couverture ne laisse pas penser autre chose. C’est un choix que je fais en tant que lecteur et en tant qu’auteur.

Dans le livre, Richard Leroy s’exclame : « Tout est subjectif dans le vin ». On pourrait dire la même chose de la BD.

Bien sur. Ce livre est autant un éloge de la perception que de la finesse, du travail de vigneron. J’ai été très étonné des compétences, de l’analyse et de la science nécessaires pour faire ce vin. Tout en sachant que tout ça sera finalement confronté à la subjectivité de celui qui va le goûter. Le vin pourrait être simplement du jus de raisin fermenté qu’on vend pour gagner sa vie. J’ai voulu mettre en scène la complexité qui vient avant ce moment. Avec Richard, quand une bande dessinée lui plaisait particulièrement, j’ai voulu qu’il rencontre l’auteur pour chercher la personne derrière l’objet, pour lui donner chair. Il était curieux car ignorant. Ce livre a permis de se rencontrer, de poser des questions et de se raconter.

« La question du livre, c’est pourquoi et pour qui on fait du vin ou de la BD. »

« Le travail de vigneron a des points communs avec celui d’auteur de bandes dessinées. »

Ce livre est aussi l’histoire d’une rencontre, dont la BD et le vin sont de bons prétextes.

Oui, à l’origine de l’idée, j’entendais Richard parler de rapports avec les marchands, de sa conception du travail de vigneron et j’ai eu l’impression qu’il y avait des points communs avec la BD. Je me suis dit que ce serait intéressant de voir nos deux conceptions du métier.

À la fin des Ignorants, une liste regroupe les vins goûtés et les bandes dessinées citées. Est-ce qu’on vous parle toujours de cette liste ?

Pour les vins, c’est compliqué car certains sont chers ou difficiles à trouver. Heureusement les BD n’ont pas trop ce problème. Des gens me disent encore qu’ils s’en servent comme recommandation de lecture. Je l’ai même vue affichée par des libraires. C’est une bonne façon de poursuivre la lecture.

Plusieurs années après, Richard Leroy lit toujours ?

Il lit toujours des bandes dessinées, et il en achète. Je continue à lui en prêter et on continue à boire du vin. Même si le livre est terminé, l’expérience continue.