Les vins effervescents : un marché en pleine ébullition

Les vins effervescents représentent 7% de la production totale de vins dans le monde, bien loin de concurrencer les vins sans bulles. Pourtant leur consommation ne cesse d’augmenter et de susciter l’intérêt des pays étrangers et du monde viticole.

Un médicament … ? La mauvaise bouteille apportée par le radin de la soirée … ? Voilà ce que le vin effervescent a longtemps renvoyé au consommateur. Pourtant, le Champagne fait rêver plus que jamais, le Cava évoque les fêtes et le Prosecco les cocktails.

La bulle séduit surtout les jeunes. Habitués aux boissons gazeuses sucrées telles que les sodas, la « génération Coca » se tourne donc plus facilement vers des vins pétillants, surtout lorsqu’elle découvre le monde viticole. Les Prosecco, Cava et autres Crémants permettent aux néophytes de s’habituer en douceur aux tanins, à l’amertume et l’acidité du vin.

La star reste sans aucun doute le Champagne. Associé à la fête et synonyme de qualité, il booste la consommation de ses concurrents étrangers comme le Cava espagnol et le Prosecco italien, alternatives à des prix plus accessibles, notamment pour les jeunes. Les producteurs italiens ont bien saisi le dynamisme du marché et ont modernisé leurs exploitations permettant ainsi un meilleur rendement. Les ventes ont progressé de 216% en 15 ans. Le Prosecco partage désormais l’affiche avec le Lambrusco, vin rouge pétillant à la mode, déjà adopté par les italiens et qui s’impose petit à petit sur le marché français.

Les vins effervescents répondent aussi à une nouvelle consommation du vin : « Ce n’est plus simplement associé à un mets en particulier mais à la fête, agrémenté de glace ou dans un cocktail » analyse, Françoise Antech-Gazeau, présidente de la Maison Antech, productrice de Crémants de Limoux. À l’image du Spritz, boisson à base de Prosecco qui a envahi les terrasses et les bars cet été. « Il y a une consommation plus libérée » poursuit-elle.

Les marchés étrangers pétillent

Le marché se développe surtout à l’étranger. La Maison Antech exporte la moitié de sa production. « Surtout en Europe du Nord, aux Usa et au Canada et plus récemment en Asie. La culture de la bulle se répand, surtout portée par l’image de marque du Champagne et du style français. Le Japon s’ouvre de plus en plus aux vins effervescents. » explique la vigneronne. La France est le premier pays exportateur en valeur, grâce au Champagne qui représente 55% de la valeur des exportations mondiales, notamment à destination des États-Unis, de l’Allemagne et du Royaume-Uni. « Les jeunes britanniques et américains raffolent des Prosecco et des vins effervescents français et c’est eux qui lancent la tendance » rajoute Michel Rémondat, directeur et fondateur de Vitisphère, première plateforme d’informations et de services dans le monde du vin.

-444.jpg

Les salons professionnels se sont adaptés à l’évolution du marché et ouvrent de plus en plus leurs portes aux vins effervescents. Michel Rémondat explique avoir souligné « la difficulté de ces vins à être visibles dans les grands salons au milieu des nombreuses références de vins tranquilles ». « Nous observions aussi l’évolution des produits, celle des entreprises de vins effervescents, l’augmentation des échanges internationaux…» ajoute-t-il. Vitisphère a organisé le premier salon professionnel international dédié aux vins effervescents, Bulles Expo. Il a eu lieu les 20 et 21 juin à Paris et a regroupé 120 exposants et plus de 1 000 visiteurs. Les organisateurs ont d’ores et déjà annoncé une prochaine édition en 2018.

Vinisud, salon professionnel des vins méditerranéens qui se tient du 29 au 31 Janvier à Montpellier surfe également sur l’engouement des vins effervescents. Un espace est uniquement consacré aux productions effervescentes méditerranéennes où 250 échantillons sont présentés. C’est la deuxième fois que le salon professionnel met en place cette « Sparkling Zone ».

Les vins effervescents se sont imposés aussi bien dans le milieu professionnel que chez les consommateurs. Une bulle qui n’est pas près d’exploser.

Domaine du Mas Lou : les « amoureux du schiste »

Avec « Nouvelle Vague », le salon Vinisud ouvre ses portes aux exploitants de moins de cinq ans d’activité. Haut Courant est allé à la rencontre d’Adèle et Olivier, deux jeunes talents producteurs de Faugères. Bienvenue au Mas Lou !

Cuvée littéraire : 3 romans, 3 nationalités, 3 regards

À l’occasion du salon Vinisud, Haut-Courant a sélectionné trois romans autour de la thématique du vin : Les Vignes de Sainte-Colombe du français Christian Singol, La Bodega de l’américain Noah Gordon et Un bon cru de l’anglais Peter Mayle. À lire sans modération !

Les trois romans choisis par Haut-Courant offrent un panorama de la vigne et du vin, du XIXe siècle à nos jours. Les Vignes de Sainte-Colombe (Éditions Albin Michel / Le livre de poche) s’intéresse aux conditions de vie des vignerons de l’époque tandis que La Bodega (Éditions Michel Lafon / J’ai lu) est davantage axé sur le travail de la terre et le lent processus de fabrication du vin. Pour finir, Un bon cru (Éditions Nil / Points) se focalise sur l’héritage des traditions et la relation que les contemporains entretiennent avec le vin.

Les vignes de Sainte- Colombe

-434.jpg

Auteur français très prolifique, Christian Signol porte haut les couleurs de la campagne et des valeurs paysannes. Paru en 1996 Les Vignes de Sainte-Colombe raconte les destins croisés de dizaines de vignerons sur un domaine viticole du Languedoc, de 1870 à 1918. Le second tome de la saga La Lumière des collines a été publié en 1997.

À la mort de Charles Barthélémie, son fils Léone reprend les rênes de l’immense propriété du Solail, au grand dam de sa sœur Charlotte. Autour d’eux, journaliers et régisseurs vivent au rythme des vendanges et des humeurs de leur maître. Tandis que Charlotte prépare son grand retour, le Solail sera tour à tour malmené par l’effondrement des cours, la révolte des vignerons, ainsi que par deux épidémies : le phylloxéra et le milidou. Impétueuse et passionnée, la jeune héroïne œuvrera sans relâche pour redonner au Solail sa splendeur passée…

Avec un style poétique propre à Christian Signol, Les Vignes de Sainte Colombe est un hymne à la campagne, aux senteurs de la garrigue et à la lumière du Midi. La force du roman réside dans la multiplicité et la richesse de destins croisés qui gravitent autour du Solail. Les personnages sont particulièrement développés ainsi que les relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres mais également, avec les vignes.

Plus qu’un roman sur le vin, Les Vignes de Sainte Colombe s’intéresse aux conditions de vie et de travail des hommes de vignes. Sur un fond historique, le lecteur découvre l’organisation et la hiérarchie d’une importante exploitation viticole et les menaces qui pèsent sur les récoltes de l’époque.

« (…) le Solail se mourrait de sa grandeur : les vignes étaient tellement étendues qu’on n’arrivait pas à gagner le fléau de vitesse, et elles mourraient les unes après les autres. Aussi, malgré les suspicions qui frappait les cépages américains (le phylloxéra avait été introduit en France par des importations d’outre-Atlantique), Léonce, poussé par Cyprien, s’était enfin résolu à arracher ses vignes et à replanter des porte-greffes américains (…). Mais la décision était une chose, et le spectacle de l’arrachage en était une autre. Jamais Léonce n’avait ressenti à ce point combien ces ceps semblaient ancrés dans son corps et combien le vin, le sang de la terre, était semblable à son propre sang. Il venait de découvrir qu’il pouvait souffrir de ses vignes comme de son corps. Elles étaient mortellement blessées, lui aussi. » (Christian Signol, Les Vignes de Sainte-Colombe, Le livre de poche, édition 23 – mars 2016, p 129).

La Bodega

-432.jpg

Noah Gordon est un auteur américain. La Bodega, paru en 2008 nous emmène au cœur de l’Espagne du XIXe siècle et des guerres carlistes.

Conscient qu’il n’héritera jamais de la bodega familiale, Joseph Alvarez cherche un sens à sa vie. Déserteur, il se réfugie en Languedoc et trouve un travail dans un grand domaine viticole. Pendant quatre ans, le catalan renoue avec sa passion de la terre et apprend les secrets de la vigne et du bon vin auprès de son bienfaiteur, Luis Mendès. À la mort de son père, il rentre au pays et découvre que son frère aîné souhaite vendre la bodega dont il vient d’hériter. Commence alors une nouvelle vie pour Joseph. Il rachète le modeste domaine et ambitionne de transformer le moût destiné au vinaigre en un véritable vin de table…

La Bodega propose une histoire simple et touchante qui décevra sans doute les amateurs de sensations fortes. À l’image d’une longue vie de labeur, l’intrigue s’étire lentement et calmement. Avec son roman, Noah Gordon invite le lecteur à revenir aux sources et à se reconnecter avec la nature. La Bodega est avant tout un récit de vie : celui d’un modeste viticulteur qui souhaite aller au bout de ses rêves. Aux côtés de Joseph, le lecteur vit au rythme lent de la terre et des gestes qui se répètent de jour en jour, d’année en année. Il partage les déboires du jeune vigneron et se réjouit avec lui de l’avancée des récoltes. Les liens qu’entretiennent les personnages sont à l’image du reste du roman : simples et sans artifices.

La vigne et le vin occupent une place centrale dans l’intrigue. Le lecteur assiste de manière quasi-instantanée à l’ascension de Joseph et à la transformation de son vignoble. Malgré quelques longueurs et une tension dramatique relativement faible, La Bodega est un livre réussi qui fleure bon la terre et le raisin. Les descriptions sont riches et initient le lecteur aux secrets de la vigne et à la fabrication du vin.

« Joseph cédait à la nervosité. Tous ses revenus futurs reposaient désormais entre les mains de la nature. Autrement dit, il devait attendre que s’accomplisse le mystérieux processus au cours duquel le jus de la treille se transforme en vin. L’accompagnement de cette métamorphose exigeait de sa part travail et surveillance. Dans le moût, tout ce qui n’était pas jus – les peaux, les grains, les tiges, les débris – tendait à remonter à la surface, à flotter sur le liquide et à sécher rapidement. Toutes les trois ou quatre heures, Joseph vidangeait par le robinet une partie du jus. Puis il dressait une échelle contre la citerne et il déversait le jus dans le moût. À l’aide d’un râteau, il repoussait la croûte vers le fond et la mélangeait au corps liquide. Il répétait l’opération plusieurs fois par jour et se relevait même la nuit pour aller la refaire dans le noir, comme on accomplit un rituel entre veille et sommeil. » (Noah Gordon, La Bodega, J’ai Lu, édition 2011, p 308).

Un bon cru

-435.jpg

Un bon cru, paru en 2005, est le neuvième roman de l’anglais Peter Mayle. Amoureux de la Provence et de ses vignes à perte de vue, l’auteur est installé dans la région depuis plus de 30 ans.

Le héros du roman, un londonien prénommé Max Skinner, hérite d’un vignoble provençal. Ancien employé de la finance, Max opère un virage à 180 degrés lorsqu’il choisit de s’installer en France pour exploiter les terres de son nouveau domaine. Sur place, l’anglais devra cependant faire face à une déconvenue de taille : la cuvée que produit son vignoble est à peine buvable. Bien décidé à améliorer la qualité de son cru, Max fait alors appel aux services d’un œnologue et découvre que son domaine est le théâtre d’une énorme arnaque…

Un bon cru est un ouvrage qui se lit facilement. L’écriture est fluide et les personnages attachants. La particularité du roman réside dans l’humour, mis en avant par la vision que le protagoniste anglais et – plus généralement l’auteur – porte sur la France et les coutumes autochtones. Le roman est serti de petits clichés qui font sourire car force est de reconnaître qu’ils tombent souvent justes. Le lecteur retrouve l’ambiance d’un village de campagne provençal et les incontournables qui font le charme de la région : chaleur, partie de pétanque, pastis, nourriture abondante et bien entendu dégustation de vin.

La thématique du vin constitue la trame principale du roman et une terre prospère pour l’ironie de Peter Mayle. L’auteur décrit la fierté que les Français portent à leur cépage et les codes quasi-institutionnels liés à la dégustation du vin. Il pointe avec humour certaines bizarreries, comme lorsqu’il dépeint un cours d’initiation à l’œnologie qui rappellera sans doute un moment partagé par bon nombre de lecteurs. Ce moment où, assis à une table de restaurant, on exécute les gestes d’usage sous les yeux inquisiteurs du sommelier en tentant vainement de cacher qu’on ne sait pas très bien ce que l’on fait pour finalement lâcher un « Très bien » mal assuré.

«  » Maintenant, vous faites tourner le vin dans le verre pour l’aérer – il doit respirer.  » Tous imitèrent de leur mieux ses petits mouvements circulaires de la main pour animer un liquide imaginaire dans un récipient vide. Ils commençaient à se sentir légèrement ridicules, ils n’étaient pourtant pas au bout de leurs peines.
Il approchèrent leur verre vide de la flamme des bougies pour mieux apprécier les subtilités imaginaires de la couleur de leur vin imaginaire. Ils penchèrent le nez au dessus d’un verre vide pour en humer le bouquet imaginaire. Ils burent une gorgée imaginaire qu’ils recrachèrent aussitôt ». (Peter Mayle, Un bon cru, Points, édition 2014, p 37).

Bien qu’il ne constitue pas un chef d’œuvre de littérature, Un bon cru a le mérite de faire passer un bon moment, sans prise de tête et distrayant. Le point de vue apporté par le protagoniste anglais donne une dimension amusante et original au roman. Toutefois, la résolution de l’intrigue devient rapidement évidente et les caricatures, relativement faciles.

« Au fur et à mesure des bouteilles, les descriptions devenaient de plus en plus bizarres : il était question de truffe, de jacinthe, de foin et de cuir mouillé, de tweed humide, de belette, de ventre de lapin, de vieux tapis, de chaussettes hors d’âge. La musique à son tour fit une brève apparition avec un vin dont on comparait l’arrière-goût aux dernières notes de la Deuxième Symphonie de Rachmaninov (l’adagio). Chose étonnante, il ne fut jamais question de raisin, sans doute en raison de ses origines trop peu exotiques pour mériter une place dans le lexique de l’amateur de vin. » (Peter Mayle, Un bon cru, Points, édition 2014, p 38).

Pour poursuivre la lecture : Château-l’arnaque, autre roman de Peter Mayle paru en 2008, place également le vin au cœur de son intrigue.

Un bon cru a été adapté au cinéma en 2006 par  Ridley Scott sous le titre Une grande année. Le film met en scène Russell Crowe dans le rôle de Max ainsi que l’actrice Marion Cotillard.

szjWnPkYleg

Azeddine Bouhmama, l’iconoclaste du Pic Saint-Loup

Azeddine Bouhmama est le gérant du domaine Zumbaum – Tomasi , un des plus prestigieux du Pic Saint-Loup. Il y a vingt ans, il plante les premières vignes bio de la région sous le regard dubitatif des autres vignerons. Aujourd’hui tous ses vins sont médaillés et reconnus. Rencontre avec celui qui se définit comme «le cœur du domaine».

Pull jean et basket, œil vif et sourire rieur, Azeddine Bouhmama, franco-marocain, la quarantaine, ne ressemble pas au vigneron d’un village perdu entre Méditerranée et Cévennes. Pourtant, c’est à lui que le domaine Zumbaum – Tomasi doit sa réputation. Situé à Claret, à une vingtaine de kilomètres de Montpellier, le domaine revêt la prestigieuse appellation Coteaux Pic Saint Loup et le label de l’agriculture biologique. Azeddine, ne se prédestinait pas au vin, et pourtant le hasard et les rencontres l’ont mené à construire sa vie autour de ses vignes.

« Je suis venu dans le Sud pour faire les vendanges, pour gagner trois sous comme tous les jeunes à l’époque »

L’été 87, à 20 ans Azeddine quitte les Ardennes pour venir faire les vendanges dans le Sud. Tailleur de pierre formé par les compagnons du devoir, il commence à travailler à Claret comme maçon. Il rencontre Jorg Zumbaum, un allemand qui vient d’acheter un terrain de 25 hectares à l’entrée du village, sans encore trop savoir quoi en faire. Azeddine commence par rénover la cave. Et puis l’été tire à sa fin, mais impossible de partir pour le jeune homme. «Je suis restée ici à cause d’une fille en vérité.» Cette fille c’est son ex-femme, Katy, une espagnole mère de ses trois enfants. «C’est grâce à elle si je suis là aujourd’hui
Jorg Zumbaum lui propose de planter des vignes sur ses terres. «Il n’est pas vigneron du tout, et moi non plus», raconte Azeddine. Le propriétaire du domaine, très sensible à la nature lance l’idée de faire un « produit naturel ». En 89, il fait l’acquisition de 4 hectares d’anciennes vignes, mais le processus est long pour obtenir les certifications de l’agriculture biologique. En attendant Azeddine, encore maçon, va bâtir de ses mains le caveau, fait uniquement des pierres du domaine.
En 1994, le domaine devient officiellement bio et classé dans l’appellation de renom Coteaux Pic Saint-Loup. «On ne parlait pas de bio à cette époque. On est partis à faire du bio sans le savoir vraiment. On s’est lancé comme des amateurs.» Enfin, pas tant que ça. Azeddine suit alors une formation BPA (Brevet professionnel Agricole) en viticulture. Le tout jeune vigneron laboure les vignes avec Pipi et Lauretta, ses deux chevaux en photo sur le mur en pierres de la réception. «Quand on a commencé à faire du bio, ici tout le monde nous prenait pour des fous.» La première récolte de 1997 produit moins de 3 000 bouteilles d’un vin de grande qualité. Les prémices du succès…

« À l’époque quand je suis arrivé j’avais l’impression qu’ils n’avaient jamais vu un black »

Azeddine Bouhmama a la double nationalité. «Je suis marocain et français. Les deux. Soi-disant aujourd’hui c’est pas bon mais je préfère garder la double nationalité», affirme-t-il avec un sourire en coin. Quand l’allemand et le franco-marocain s’installent à Claret, il y a alors 300 habitants, contre 1 600 aujourd’hui. Les villageois posent un regard méfiant sur ces deux étrangers qui plantent ces drôles de vignes bio qui font ricaner tout le monde. «Quand je suis arrivé ici je me suis dit mais qu’est-ce qui se passe là Azeddine ! Tu es revenu 20 ans en arrière. Toutes les petites vieilles de Claret, c’est véridique, elles avaient peur de moi. J’étais le premier black à l’époque.» Le vigneron l’affirme, l’accueil fut loin d’être chaleureux. «On n’a pas eu un bon accueil de la part des autres vignerons. On a fait notre business tranquille, on ne regardait pas les autres.» Désormais, la majorité du Pic Saint-Loup s’est transformé en bio. «Pas grâce à nous, mais on a montré le chemin

Le travail bien fait, parfait

Aujourd’hui le domaine produit environ 40 000 bouteilles par an. 25 000 de rouge, 4 000 de blanc et 7 000 de rosé. Un petit domaine, à la réputation bien scellée. Sur le mur de la réception, des dizaines de prix sont affichés : médaille d’or Signature bio, médaille d’or au Concours des grands vins du Languedoc ou encore médaille d’or Millésime bio. Un palmarès remarquable dont ne se vante pourtant pas le producteur. «Tous les vins sont médaillés, aujourd’hui tous en or. Mais je ne compte pas trop les médailles, je ne suis pas trop médailles et tout ça quoi voilà», balbutie-t-il. Pourtant, rien n’a été simple. «C’est stressant, faut pas croire que c’est facile. Depuis la taille jusqu’à la récolte. Les maladies, le mauvais temps, on sait jamais si ça va être une bonne année.» Même si une part de chance existe, pour Azeddine un seul mot d’ordre : le travail. «Il faut travailler. J’aime que le travail soit bien fait, parfait, même si j’aime pas trop ce mot. Je suis très droit dans n’importe quel travail, il n’y a pas que le vin, c’est un tout.» Jorg Zumbaum le décrit comme un homme discret, qui parle peu mais agit efficacement. Un homme en qui il a entièrement confiance, avec qui il partage la même passion. Même si le propriétaire, qui habite en Allemagne, ne vient pas souvent, ils restent très liés. «C’est comme un père et un fils, on travaille en confiance. Ses enfants ont le même âge que moi. On est amis depuis 26 ans », confie Azeddine. Selon lui, Jorg Zumbaum ne cherche pas à faire fortune avec ce domaine. «C’est pas rentable pour lui, c’est un passionné». Il a deux autres domaines, un en Corse et un Toscane. Même si Zumbaum en est officiellement le propriétaire, le domaine est entièrement entre les mains Azeddine Bouhmama. La relève ? Pas pour les enfants du gérant. «Ils font ce qu’ils veulent mes enfants, sauf du vin. Je leur souhaite autre chose», tranche Azeddine.

-202.jpg Pendant l’entretien la grosse porte médiévale s’ouvre et un ouvrier demande en arabe un conseil à Azeddine. Il est en train de tailler les vignes avec quatre autres salariés. «Ça reste familial, c’est un petit domaine.» En haut de la mezzanine qui surplombe la pièce, deux femmes s’affairent. Depuis deux ans le domaine s’est lancé dans l’œnotourisme sur idée de Joana, son bras droit, et Azziza, sa femme, qui cuisine le magret de canard et le couscous traditionnel pour ses hôtes. «Moi ça me fatigue, je suis pas comme ça », soupire le vigneron, «mais ça amène du monde, je suis d’accord avec elles. C’est bien, ce sont des travailleuses les femmes.» Elles gèrent avec lui toute l’exploitation. C’est Joana qui représente le vignoble au salon Millésime Bio cette année. «Tous les ans on le fait, pour moi c’est important», affirme le gérant. Le domaine Zumbaum – Tomasi est un incontournable du salon, il y est présent depuis sa création à Narbonne dans les années 90. «On était une quinzaine à l’époque», se souvient Azeddine.

Posées sur des tonneaux, à côté d’une horloge comtoise et d’un tableau d’épices, les bouteilles attendent les visiteurs. Le Clos Maginiai 2010, médaillé d’or à Signature Bio, trône en chef : «Robe profonde, reflets de jeunesse. Nez typé et engageant, aux accents de cerise noire, de cassis, de groseille, arrière-plan épicé. Bouche souple, à la chaleur maîtrisée. Un pic saint-loup séducteur.» Quoi de plus parlant que son vin pour décrire Azeddine.

Gilles Contrepois s’est reconverti dans le vin bio : « J’étais prêt à remuer des montagnes pour y arriver »

Voilà vingt ans, Gilles Contrepois plaque tout pour changer de vie. L’informaticien parisien met le cap au sud et décide de devenir vigneron. A 53 ans, il gère aujourd’hui avec sa femme le domaine Grand Guilhem à Cascastel-des-Corbières, dans l’Aude. Chambres d’hôtes et vin bio : il a trouvé sa voie. Rencontre.

Que faisiez-vous avant de gérer le domaine Grand Guilhem et de vous lancer dans la viticulture bio ?
-175.jpgJe suis originaire de la banlieue parisienne où j’ai également fait mes études. N’étant pas trop mauvais en maths et ne sachant pas trop quoi faire de ma vie, j’ai intégré une école d’ingénieur. J’avoue que c’était une voie royale : j’étais sûr de trouver un travail à la sortie. Issu d’un milieu modeste, je me suis payé mes études. Même si le métier d’ingénieur n’était pas une passion en soi, j’ai vécu la vie parisienne à 100 %. Je sortais beaucoup, je rencontrais du monde. Après mes cinq années d’études, j’ai travaillé dans trois sociétés différentes, j’ai touché à tout : marketing, commerce, technique… Mon dernier poste était celui de responsable des ventes dans une société américaine, Oracle. Je gagnais très bien ma vie, à la limite de l’indécence !

Mais alors, comment passe-t-on d’une vie parisienne qui vous procurait argent et confort à vigneron dans l’Aude ? Quel a été le déclencheur ?
À 33 ans, j’ai commencé à m’ennuyer dans mon travail. Je trouvais que ce que je faisais était répétitif, limité. Je traînais des pieds pour aller travailler, ce qui est rarement bon signe ! J’ai commencé à réfléchir aux choses qui me faisaient vraiment vibrer. J’ai beaucoup voyagé et découvert le monde du vin. Puis j’ai toujours aimé le contact avec les gens. Allier ces deux intérêts me paraissait être une bonne idée. Le but était d’associer le côté solitaire du vigneron tout en gardant le contact avec les gens grâce aux chambres d’hôtes.

Pourquoi avoir choisi l’Aude, les Corbières, et ce domaine en particulier ?
-15.pngCe n’était pas une évidence au départ. Avec ma femme, nous avons visité beaucoup d’endroits en France. On a commencé par le Lot avant de se rendre compte que l’hiver est un peu rude et la mer beaucoup trop loin ! On a enchaîné avec le Bordelais : on était tentés par les côtes de Castillon, les côtes de Francs. Mais là, nous n’avons pas aimé la mentalité bordelaise : nous n’avons pas été très bien accueillis. On s’est alors rabattus sur le Languedoc où nous avions l’habitude de passer nos vacances. On s’est dit : c’est une belle région avec de bons vins, il y a des choses à faire. On voyait la possibilité de s’exprimer et de créer des choses nouvelles. Les Corbières sont vite devenues une évidence après un passage dans les Pyrénées-Orientales où on s’est sentis un peu prisonniers : milieu plus urbanisé et accueil là encore pas très chaleureux. On est passés par des agences pour trouver un domaine qui nous correspondait. Le domaine Grand Guilhem avec sa maison qui n’avait jamais été habitée sauf pendant la guerre nous a plus : un site doté de dix-huit parcelles très morcelées avec des lieux-dits et des cépages très différents. Et surtout du Carignan, un cépage qui me faisait rêver !

N’étant pas vigneron à la base, vous êtes-vous formé avant de vous lancer ?
Il a fallu s’installer en tant que jeunes agriculteurs. Pour cela, j’ai passé un bac pro agriculture par correspondance via le Centre National de Promotion Rurale (CNPR). Ma femme, elle, a obtenu un brevet d’aptitude professionnelle agricole. De mon côté, j’ai enchaîné avec trois BTS : viticulture œnologie, boisson vin et spiritueux, conduite et gestion d’une exploitation agricole. Avoir les diplômes était la base pour pouvoir s’installer et bénéficier de prêts bonifiés. Mais je n’y suis pas allé à l’aveuglette : lorsque je suis allé voir la banque, j’avais préparé un business plan avec perspectives pour l’avenir sur trois, cinq, dix ans.

-178.jpgAvez-vous rencontré des difficultés pour vous installer ?
Au départ, la banque des agriculteurs nous a découragé : « il faut tout arracher » nous lançaient-ils ! On a su qu’on n’avait pas eu les prêts par les habitants du village ! Tout ça était un peu étrange. Je n’étais pas préparé à cet obstacle-là. Au vu de mon projet et de mon ancien métier, je pensais que les banques allaient me dérouler le tapis rouge, et pas du tout ! L’objectif était de privilégier l’emprunt pour avoir une trésorerie, ne pas diluer nos économies et vivre confortablement. J’ai consulté le maire qui n’a pas souhaité trop se mouiller. Fort heureusement, d’autres structures se sont montrées plus motivées par le projet. Il faut dire qu’à l’époque, nous étions des jeunes parisiens qui souhaitaient faire vivre une maison inhabitée depuis des années et lancer une production de vin bio : nous étions une curiosité dans le village !

Au-delà du financement, comment avez-vous réussi à construire cette nouvelle vie ?
L’ancien régisseur du domaine, Jeannot, nous a beaucoup soutenu. Vigneron à la retraite qui ne souhaitait pas s’arrêter de travailler, il a été présent à chaque étape. En décembre 1997, quand tout a vraiment démarré, j’avais 35 ans, une femme et deux enfants en bas âge. A cela s’ajoute les travaux de la maison, les artisans à trouver, les vignes à s’occuper en pleine période de taille, les cours par correspondance, le montage de la société… Pendant trois ans, ma femme et moi n’avons pas dormi plus de trois heures par nuit ! Mais j’avais tellement envie que, encore aujourd’hui, les difficultés me semblent toutes relatives. J’étais prêt à remuer des montagnes pour y arriver. Au final, le plus dur à gérer était l’inquiétude de mes parents : l’éloignement, le changement de vie… D’autant que je suis à la base « gaucher de la main gauche », pas du tout manuel ! J’ai dû tout apprendre sur le tas !

Pourquoi avoir choisi la viticulture biologique ?
Mon objectif était de travailler comme un artisan, au plus près du raisin. Le bio était une évidence dès le départ, même si à l’époque ce n’était pas vraiment tendance ! Je suis passé pour un fou, j’ai beaucoup fait rire dans le village ! Car évidemment, on a des rendements inférieurs à ce que l’on a en viticulture conventionnelle. Mais je me considère comme simple locataire des sols et je n’ai pas envie de transmettre des terres mortes. Parallèlement, je n’ai pas envie de me faire du mal : quand on voit le nombre de cancers du cerveau chez les viticulteurs, ça fait peur ! Dans certains produits utilisés à l’époque il y avait de l’arsenic, c’est vous dire ! Mon souhait aussi est de proposer un produit qui fasse du bien, un vin qui me ressemble. Une cuvée « nature » issue de vendanges manuelles, vinifiée à partir de levure naturelle, avec aucun ou très peu de sulfites : du raisin et rien que du raisin !

-176.jpgVous participez au salon Millésime bio à Montpellier. Que vous apporte cet événement ?
Cela fait dix ans que je participe au salon Millésime bio grâce auquel je trouve 80 % de mes clients. Le but est de ne pas être un vendeur de vin mais d’être présent. Je travaille avec des cavistes et des restaurateurs rencontrés au salon. J’ai fait le choix de ne pas courir les salons pour continuer à être présent dans les vignes. Millésime bio est sympathique mais c’est devenu énorme, peut-être un peu trop. C’est le reproche qu’on lui fait. Dès lors, des salons off se développent : chaque année j’admets me poser la question de continuer ou pas. Et tous les ans, au final, je reste fidèle pour honorer l’appellation et la certification. C’est un choix parfois mal vu par d’autres viticulteurs qui boycotte le côté « usine » du salon. Mais moi, j’aime sa philosophie : celle qui consiste à donner le même stand si on est jeune viticulteur ou viticulteur expérimenté, si on a 2 ou 50 hectares de vignes. Ce n’est pas le cas de tous les salons : sur certains, plus on a d’argent ou de parcelles, plus notre stand est important, je n’aime pas ça ! Malgré tout, je participe à deux autres salons : Expression des Vins Bio à Bordeaux (un off de Vinexpo) et Real Artisanal Wine à Londres.
Hors salons, je vends 20 à 30 % de mes produits au domaine : un tiers à l’export, un tiers aux cavistes et restaurateurs. C’est une répartition que j’essaie de préserver parce que la vente en direct, c’est forcément plus de marges.

Quels conseils donneriez-vous à ceux qui souhaitent suivre votre exemple : se lancer dans la viticulture bio ou, tout simplement, changer de vie ?
Il faut d’abord être conscient que tout projet n’est pas voué à la réussite. Dès lors, la motivation et la réflexion sur la faisabilité économique du projet sont très importantes. Il est aussi nécessaire, quand on est en couple, de construire le projet à deux et de tenir compte des aspirations de chacun. Dans la viticulture bio plus précisément, être polyvalent est une obligation ! Tout comme avoir une âme de chef d’entreprise : s’occuper de la comptabilité, de l’encadrement des employés, du marketing, du matériel, des vignes… De notre côté, j’avoue que le fait d’ouvrir des chambres d’hôtes en parallèle nous a beaucoup aidé pour maintenir un lien social et pour la notoriété du domaine.

Quels plaisirs trouvez-vous dans votre métier ?
L’idée que des personnes boivent mon vin aux quatre coins du monde, je trouve ça top ! Le fait que le fruit de mon travail donne du plaisir aux autres : quand je reçois un SMS pour me remercier, je suis le plus heureux des hommes !

« Le bio doit être une agriculture de conviction, pas d’opportunistes »

Dans l’Hérault, 6 000 hectares de vignes ont été converties au bio ces dernières années. Préservation de l’environnement, raisons de santé, mais aussi motivations plus philosophiques… Paroles de vignerons pour qui le bio est un choix de vie.

« Ou on fait du bio, ou on fait de la chimie ». Les mots de Jean-Claude Daumond se distillent dans chaque cuve biologique du bassin montpelliérain. Au domaine Folle Avoine à Vendargues, la vigne macère de raisons sanitaires quand au domaine Clavel à Assas elle se bonifie d’ écologie. Mais partout, la grappe biologique se vinifie à partir de principes plus profonds.

Au tournant de cette conversion, divers éléments décisifs rentrent en compte. Les motivations du passage au bio sont hétéroclites mais les vignerons se retrouvent sur des fondamentaux ou autour des enjeux sanitaires et environnementaux, ainsi que sur des convictions d’ordre plus philosophique.

Les vignerons bio de l’Hérault que nous avons rencontrés ont le verbe fort. Ils dénoncent une viticulture conventionnelle « violente et industrielle ». Et pointent des risques majeurs pour la santé comme pour les ressources du terroir. D’où leur volonté d’en revenir aux sources authentiques de la viticulture traditionnelle.

Un enjeu de santé publique

« J’ai commencé dans la culture biologique à cause d’une intoxication à un produit chimique  », explique Jean-Claude Daumond, vigneron bio depuis trente ans, tombé malade en inhalant un insecticide. Viticulteur à Vendargues, il se souvient de sa conversion au bio : « Avant 1984, ça commençait un peu à me trotter dans la tête. Et puis j’ai eu pleins de problèmes de santé et ça a été le facteur déclenchant. » Il atteste avoir souffert de problèmes de foie, de peau, d’articulation, d’allergies « à tour de bras » et d’asthme.

En cause dans son cas, l’organophosphoré, un produit phytosanitaire utilisé fréquemment dans la viticulture dite conventionnelle. Selon l’enquête « Apache » de l’association Générations Futures de 2013, ce pesticide présente des effets sur la santé, et notamment sur les personnes qui les emploient telles que les vignerons. Mais, pendant des années, une omerta régnait autour de ce problème sanitaire. À l’époque de la maladie de Jean-Claude, la responsabilité de ces produits sur le plan médical n’était pas reconnue : « On ne parlait pas du danger des pesticides, on supposait seulement. » Chez lui, la pratique de la viticulture biologique s’inscrit dans une démarche sanitaire et soulève un véritable enjeu de santé publique : « Autant pour l’utilisateur que le consommateur, ça peut altérer la santé.  »

Moins catégorique, Virgile Joly, viticulteur du domaine éponyme de Saint-Saturnin-de-Lucian, affirme à son tour que la santé « est un facteur déterminant dans la conversion au bio, sans en être la raison première ». Il poursuit son raisonnement : « Le bio est moins nocif. Il en va de la sécurité du consommateur et de la mienne, car je suis le premier exposé. C’est une mesure de prévention. »

Préserver les ressources du sol

« Il s’agit de la santé des consommateurs, de ma santé personnelle et de celle de mon terroir  », renchérit Francis Bouys, vigneron de Saint Vincent de Barbeyrargues. Selon lui, diminuer les risques sanitaires et préserver l’environnement vont de pair. Son profond attachement à la terre constitue un élément fondamental de sa conversion. Il dit s’être mis à l’agriculture biologique « par amour du terroir qu’on nous a laissé et qu’on essaie de continuer à entretenir avec une bonne morale ». À Assas, Pierre Clavel ne parle pas de terroir mais de territoire : « Il faut être fort pour préserver les territoires viticoles des villes qui grignotent petit à petit. » Jean-Claude Daumond évoque plutôt un « état d’esprit » : « Il y a eu une prise de conscience et je suis en accord avec mes idées (…) sinon tu n’as plus de liens avec la terre. » Ce rapport au sol revêt une éthique environnementale certaine chez ces vignerons.

Au domaine Clavel, les motivations de la conversion au bio ont été « essentiellement environnementales ». « Avant 2007 (année de la certification Ecocert, ndlr), nos pratiques étaient déjà proches du bio » assure Pierre Clavel. Pour ce vigneron du Pic Saint-Loup, l’agriculture biologique permet de préserver les ressources et le potentiel des sols vivants, « et non pas les sols chimiques qui sont l’apanage de l’agri-industrie  ». Son refus d’employer des produits de synthèse pour traiter ses vignes tend à contribuer à la pérennisation de la biodiversité. Avec ce bémol que souligne Jean-Claude Daumond : « Le bio pur, ça n’existe pas. L’environnement extérieur, je ne peux pas le maîtriser. »

« Une agriculture de conviction »

Opter pour la viticulture biologique ne se réduit pas au simple rejet des pesticides : elle s’accompagne de pratiques plus larges. Pierre Clavel a par exemple équipé son domaine de panneaux photovoltaïques. Les bouchons en liège qu’il utilise proviennent de forêts gérées durablement. « Il s’agit de toute une démarche dans laquelle on s’est inscrit depuis des années » précise-t-il, « nous avons ça vissé au fond de nos tripes !  » Il martèle : « On revient à des choses simples, des compréhensions des cycles de la vie, des cycles lunaires…  » Au domaine Folle Avoine de Vendargues, la vigne est cultivée de manière traditionnelle. Le désherbage est mécanique voire manuel, et le compost a remplacé depuis trente ans les produits chimiques.

Au-delà de la technique bio, ces vignerons sont d’abord habités par une philosophie et un mode de vie. Jean-Claude Daumond accuse ainsi  : « Je voudrais mettre sur mes étiquettes « agriculture non violente », car aujourd’hui l’agriculture est violente. Je me disais « comment est-ce possible qu’il faille employer des produits de mort pour donner la vie ?  », car la terre c’est la vie.  » Et il confie : « moi, je ne suis pas rentré dans le système !  » Pierre Clavel refuse quant à lui de travailler pour ce qu’il appelle « l’agri-industrie ». Il hausse le ton et trouve « énervant de devoir indiquer sur les étiquettes qu’ [il est] bio, ça devrait être la norme, c’est fondamental  ». Cet agriculteur de 55 ans rétorque enfin : « Le bio doit être une vraie agriculture de conviction et pas d’opportunistes. »

« On n’est pas des ayatollah du bio »

Alors finalement, sa conversion au bio, Jean-Claude la définit comme « un retour à une culture sans artifices, artisanale (…) comme on le faisait avant en fait, il y a cent ans  ». L’agriculture biologique, prétendument nouvelle et à la mode, ne serait autre qu’un retour en arrière, un « retour aux sources  » selon le vigneron vendarguois. Au domaine Cour Saint Vincent, Francis Bouys stipule que « dans le bio, il y a des choses qu’on ne fait plus par philosophie. On en revient automatiquement à des racines authentiques ». Quelques décennies aupravant, le bio était la norme et non pas l’exception comme aujourd’hui. «Cette période de chimistes n’a que 50 ans. On peut en revenir à des choses simples» espère Pierre Clavel. Les partisans de la viticulture biologique ne seraient donc pas des puristes-écolos, mais de simples vignerons, comme le scandent Jean-Claude et ses pairs. «C’est un mode de vie. On vit simplement, on n’est pas des ayatollah du bio.»

Montpellier fête ses vignerons

Pour la septième année consécutive, l’Agglo a présenté du 26 au 27 novembre une cinquantaine de ses viticulteurs sur la Place de la Comédie. Venus de Beaulieu, de Cournonsec, Grables ou Pérol, tous n’avaient que deux choses en tête : promouvoir leur vin et partager un bon moment avec le public.

La Sixième Fête des Vignes, le cache-misère

Dans une ambiance que l’on aurait pu imaginer plus tendue, suite à la manifestation houleuse des viticulteurs du mercredi 25 novembre 2009 à Montpellier, la sixième édition de la Fête des Vignes s’est déroulée dans le calme et a donné l’occasion, cette année, à 49 domaines vinicoles d’être sur le devant de la scène locale, place de la Comédie, les 27 et 28 novembre 2009. Seul hic, et pas des moindres, les vignerons présents se trouvent en réalité à l’abri de la crise viticole dans le Languedoc-Roussillon…

Eux, ne sont pas concernés par les problèmes de la chute des ventes et des prix. Les viticulteurs qui occupaient les stands, étant tous situés dans l’agglomération de Montpellier, bénéficient en effet d’un accès facile à leurs caves, au regard de la proximité avec le centre-ville et des infrastructures routières rapides. Interrogés à propos de leur rapport à la crise, ils ont un discours qui est sensiblement le même : dans un premier temps, ils compatissent avec les viticulteurs en colère et vantent pour la plupart les mérites du label Sud de France pour pallier à cette crise -n’oublions pas qu’ils ont été invités par le créateur dudit label, Georges Frêche…- . Ensuite, lorsque nous les interrogeons plus longuement, ils avouent alors ne pas se sentir concernés : « C’est quand on est plus loin de Montpellier qu’on est confronté aux problèmes d’exportations. Nous, on fait du commerce local » nous dit Benoit Lacombe, à 37ans, après sept ans d’exploitation du domaine de Rieucoulon, et exerçant parallèlement une activité de chercheur en biologie végétale au Centre National pour la Recherche Scientifique.

Nous pouvons alors distinguer les présents des absents : d’une part les petits exploitants à faible production, souvent situés aux abords de Montpellier, présents donc pour la plupart à cette fête, et d’autre part, les absents, en crise, les moyennes et grandes exploitations de l’arrière-pays dont l’export seul permet d’écouler la forte production dont les grandes surfaces ne veulent pas. Les présents étant forcément satisfaits de rentrer dans leurs frais et de profiter de cette publicité extraordinaire que prodigue cette Fête des Vignes : « Il y a plus de monde près de Montpellier c’est plus facile pour nous de nous faire connaître, et cette Fête permet aux passants de découvrir des domaines qu’ils ne connaissaient pas ! » résume Patrick Galtion, un des vendeurs présents au stand des caves de Saint-Georges d’Orques. Ne peut-il pas alors sembler choquant que ce soient les mêmes qui cumulent tous les avantages, à savoir proximité, faible coût d’exploitation et publicité peu onéreuse, quand la crise se déroule aux portes de l’agglomération?

D’ailleurs, Georges Frêche en a paru gêné si nous nous fions au ton coléreux du discours qu’il a prononcé pour l’inauguration de la fête, vendredi après-midi. Le Président d’agglomération a en effet développé longuement et avec virulence une grande partie de ses propos sur le thème de la crise viticole dans le Languedoc-Roussillon, jouant par là-même le rôle de Président de région sortant en pré-campagne. Alors que Benoit Lacombe fera une distinction entre « un regroupement de commercialisation vertueux et un regroupement de production moins efficace », Georges Frêche déclare vouloir « regrouper tous les domaines de la région pour mettre un terme à la parcellisation de l’offre », c’est à dire sous la bannière Sud de France. Contraste alors entre un ton électoraliste, populiste, « maurrassien » dira un observateur -en référence aux louanges adressées à la viticulture latine-, et le contexte d’une Fête des Vignes favorisant parmi les viticulteurs, ceux qui en ont le moins besoin… Au final, l’auditoire était peut-être plus abasourdi et confus qu’enthousiaste, par le décalage entre la nature des propos de Georges Frêche et le sourire des viticulteurs présents à cette manifestation.

Face à ce discours, nous avons aussi pu échanger quelques mots avec François Delacroix, directeur général des services de l’agglomération de Montpellier, qui pour sa part a évoqué, que la volonté était plutôt de « promouvoir l’excellence et la qualité ». Il est vrai que depuis vingt ans le vin local a considérablement évolué vers plus de qualité : si ce n’est que pendant ces vingt dernières années, Georges Frêche n’a passé que cinq années à la tête de la région. Et enfin, M. Delacroix de nous avouer : « Il fallait qu’on montre qu’on s’occupait de la préservation du monde viticole. ». Une devanture donc, rendue attractive par un prix de deux euros pour trois verres en théorie, mais pour une dégustation à discrétion dans les faits -aucun ticket ne nous a été demandé-. Clairement, une vitrine soigneusement décorée, pour afficher les performances de l’agglomération… tout en masquant une crise grave que la Région ne sait toujours pas résoudre.

Franck Michau

Retour au dossier spécial Régionales 2010 en Languedoc-Roussillon