Le médecin Cesare Lombroso (1835-1909) représente la figure de proue de l’anthropologie criminelle. Cette science a connu son apogée à la fin du 19ème siècle. De nombreux médecins tentaient alors d’établir les différences anatomiques, physiologiques, psychologiques ou sociales entre les individus » honnêtes » et les délinquants.
Désormais, la tache appartiendra à une commission pluridisciplinaire composée de médecins, magistrats, préfets et responsables pénitentiaires. Le rôle de ce collège d’expert sera d’évaluer le » degré de dangerosité » d’un détenu ayant purgé sa peine. En fonction du diagnostic, les détenus pourront être placés en rétention dans des centres appelés « médico-socio-judiciaires », pour une période d’un an renouvelable indéfiniment, sur décision de justice.
Une incarcération ne dépendra plus exclusivement de l’acte qui a été commis. La dangerosité supposée d’un individu suffira.
Dès l’annonce du projet de loi instituant une rétention de sécurité trois organisations (GENEPI, SNEPAP-FSU, Syndicat de la magistrature) ont appelé les parlementaires à ne pas voter ce texte. Elles ont été rejointes par plus de 40 associations et syndicats.
Sans résultat. La loi sur la rétention de sûreté portée par la ministre de la Justice Rachida Datia, été publiée, mardi 26 février, au journal officiel. Certes, le conseil constitutionnel a partiellement censuré l’application de ce texte en refusant que la loi soit rétroactive. Néanmoins, » les sages » n’ont pas opéré de rupture avec les principes que développe ce texte. Plus exactement, les membres du conseil constitutionnel n’ont pas empêché que les principes affirmés dans la déclaration de 1789 soient rompus. Désormais, une incarcération ne dépendra plus exclusivement de l’acte qui a été commis. La dangerosité supposée d’un individu suffira.
» On crée l’emprisonnement pour raisons de dangerosité, concept éminemment flou «
Dans Le Monde daté du 24 février, l’ancien garde des sceaux Robert Badinter avait estimé que cette loi constituait « un tournant très grave de notre droit« . « On crée l’emprisonnement pour raisons de dangerosité, concept éminemment flou. Une personne sera enfermée, non plus pour les faits qu’elle a commis, mais pour ceux qu’elle pourrait commettre. On perd de vue l’un des fondements d’une société de liberté. On est emprisonné parce que l’on est responsable de ses actes. Nous passons d’une justice de responsabilité à une justice de sûreté. C’est un tournant très grave de notre droit. Les fondements de notre justice sont atteints. Que devient la présomption d’innocence, quand on est le présumé coupable potentiel d’un crime virtuel ? »
De son coté, le président de la république est lui aussi animé par un principe qui lui est cher. » Le risque zéro. « . Les membres du gouvernement, dans leur stratégie de défense de la loi instituant la rétention de sûreté, évoquent les plus atroces faits divers de ces dernières années avec pour fer de lance, l’affaire Evrard. Ces tragiques événements alimentent naturellement le rêve d’une société sans risque. Or, le risque zéro n’existe pas. Dans un rapport d’information sur les mesures de sûreté concernant les personnes dangereuses (2006), les sénateurs Philippe Goujon et Charles Gautier indiquaient que » s’il est indispensable de limiter le plus possible le risque de récidive, celui-ci ne peut être dans une société de droit, respectueuse des libertés individuelles, complètement éliminé « .
» La vie en société est un risque, on l’assume ou pas «
Gilles Sainati, vice-président du Syndicat de la magistrature, lors d’une conférence sur le thème de la sécurité le mardi 22 janvier à Montpellier avait également abondé dans ce sens : » Le chiffre officiel des récidives en cas de libération conditionnelle est de 1%. La vie en société est un risque, on l’assume ou pas. On ne pourra pas aboutir à une société de risque zéro à mon sens. A moins de faire le choix d’une société où la notion de liberté est très limitée »
Une idée reprise par les signataires de l’appel. » Nous ne pouvons accepter un modèle de société qui sacrifie nos libertés au profit d’un objectif illusoire de » risque zéro « . Selon eux, le fait de » procéder à des enfermements préventifs, sur la base d’une présomption d’infraction future et dans une logique d’élimination s’apparente à une mort sociale « . Or, depuis 1981 la logique d’éliminer définitivement du corps social un individu a été abolie au profit de valeurs humanistes. Toutefois, si le sifflement du couperet des guillotines ne se fait plus entendre, certains détenus continuent d’attendre leur mort en prison.
Le service public pénitentiaire a pour objet, depuis la loi du 22 juin 1987, « de participer à l’exécution des décisions et sentences pénales et au maintien de la sécurité publique, et de favoriser la réinsertion sociale des personnes confiées par l’autorité judiciaire « . La loi sur la rétention de sûreté pose la question de la réinsertion des détenus en fin de peine.
Pourquoi attendre ? Ne faudrait-il pas se poser se concentrer sur la réinsertion des détenus dès leur condamnation ? Ne serait-il pas plus honorable de réfléchir à des peines qui tendent à placer l’individu au cœur de la société plutôt que de l’en exclure ?
Depuis l’abolition de la peine de mort en 1981, l’élimination, qu’elle soit physique ou sociale d’un criminel, n’existait plus. Sans distinction, la république relevait le défi de la réinsertion de tous les individus. La loi sur la rétention de sûreté balaie vulgairement cet héritage politique.
Sans doute, le premier acte de la politique de civilisation souhaitée par le chef de l’Etat.