Acte premier de la politique de civilisation : la présomption de dangerosité.

La  » rétention de sûreté  » est un  » changement profond d’orientation de notre justice. […] Après un siècle, nous voyons réapparaître le spectre de  » l’homme dangereux  » des positivistes italiens Lombroso et Ferri, et la conception d’un appareil judiciaire voué à diagnostiquer et traiter la dangerosité pénale. On sait à quelles dérives funestes cette approche a conduit le système répressif des Etats totalitaires.  » (Robert Badinter, La prison après la peine, le Monde du 27/11/2007).

Le médecin Cesare Lombroso (1835-1909) représente la figure de proue de l’anthropologie criminelle. Cette science a connu son apogée à la fin du 19ème siècle. De nombreux médecins tentaient alors d’établir les différences anatomiques, physiologiques, psychologiques ou sociales entre les individus  » honnêtes  » et les délinquants.
Désormais, la tache appartiendra à une commission pluridisciplinaire composée de médecins, magistrats, préfets et responsables pénitentiaires. Le rôle de ce collège d’expert sera d’évaluer le  » degré de dangerosité  » d’un détenu ayant purgé sa peine. En fonction du diagnostic, les détenus pourront être placés en rétention dans des centres appelés « médico-socio-judiciaires », pour une période d’un an renouvelable indéfiniment, sur décision de justice.

Une incarcération ne dépendra plus exclusivement de l’acte qui a été commis. La dangerosité supposée d’un individu suffira.

Dès l’annonce du projet de loi instituant une rétention de sécurité trois organisations (GENEPI, SNEPAP-FSU, Syndicat de la magistrature) ont appelé les parlementaires à ne pas voter ce texte. Elles ont été rejointes par plus de 40 associations et syndicats.

Sans résultat. La loi sur la rétention de sûreté portée par la ministre de la Justice Rachida Datia, été publiée, mardi 26 février, au journal officiel. Certes, le conseil constitutionnel a partiellement censuré l’application de ce texte en refusant que la loi soit rétroactive. Néanmoins,  » les sages  » n’ont pas opéré de rupture avec les principes que développe ce texte. Plus exactement, les membres du conseil constitutionnel n’ont pas empêché que les principes affirmés dans la déclaration de 1789 soient rompus. Désormais, une incarcération ne dépendra plus exclusivement de l’acte qui a été commis. La dangerosité supposée d’un individu suffira.

 » On crée l’emprisonnement pour raisons de dangerosité, concept éminemment flou « 

Dans Le Monde daté du 24 février, l’ancien garde des sceaux Robert Badinter avait estimé que cette loi constituait « un tournant très grave de notre droit« . « On crée l’emprisonnement pour raisons de dangerosité, concept éminemment flou. Une personne sera enfermée, non plus pour les faits qu’elle a commis, mais pour ceux qu’elle pourrait commettre. On perd de vue l’un des fondements d’une société de liberté. On est emprisonné parce que l’on est responsable de ses actes. Nous passons d’une justice de responsabilité à une justice de sûreté. C’est un tournant très grave de notre droit. Les fondements de notre justice sont atteints. Que devient la présomption d’innocence, quand on est le présumé coupable potentiel d’un crime virtuel ? »

De son coté, le président de la république est lui aussi animé par un principe qui lui est cher.  » Le risque zéro. « . Les membres du gouvernement, dans leur stratégie de défense de la loi instituant la rétention de sûreté, évoquent les plus atroces faits divers de ces dernières années avec pour fer de lance, l’affaire Evrard. Ces tragiques événements alimentent naturellement le rêve d’une société sans risque. Or, le risque zéro n’existe pas. Dans un rapport d’information sur les mesures de sûreté concernant les personnes dangereuses (2006), les sénateurs Philippe Goujon et Charles Gautier indiquaient que  » s’il est indispensable de limiter le plus possible le risque de récidive, celui-ci ne peut être dans une société de droit, respectueuse des libertés individuelles, complètement éliminé « .

 » La vie en société est un risque, on l’assume ou pas « 

Gilles Sainati, vice-président du Syndicat de la magistrature, lors d’une conférence sur le thème de la sécurité le mardi 22 janvier à Montpellier avait également abondé dans ce sens :  » Le chiffre officiel des récidives en cas de libération conditionnelle est de 1%. La vie en société est un risque, on l’assume ou pas. On ne pourra pas aboutir à une société de risque zéro à mon sens. A moins de faire le choix d’une société où la notion de liberté est très limitée  »
Une idée reprise par les signataires de l’appel.  » Nous ne pouvons accepter un modèle de société qui sacrifie nos libertés au profit d’un objectif illusoire de  » risque zéro « . Selon eux, le fait de  » procéder à des enfermements préventifs, sur la base d’une présomption d’infraction future et dans une logique d’élimination s’apparente à une mort sociale « . Or, depuis 1981 la logique d’éliminer définitivement du corps social un individu a été abolie au profit de valeurs humanistes. Toutefois, si le sifflement du couperet des guillotines ne se fait plus entendre, certains détenus continuent d’attendre leur mort en prison.

Le service public pénitentiaire a pour objet, depuis la loi du 22 juin 1987, « de participer à l’exécution des décisions et sentences pénales et au maintien de la sécurité publique, et de favoriser la réinsertion sociale des personnes confiées par l’autorité judiciaire « . La loi sur la rétention de sûreté pose la question de la réinsertion des détenus en fin de peine.
Pourquoi attendre ? Ne faudrait-il pas se poser se concentrer sur la réinsertion des détenus dès leur condamnation ? Ne serait-il pas plus honorable de réfléchir à des peines qui tendent à placer l’individu au cœur de la société plutôt que de l’en exclure ?

Depuis l’abolition de la peine de mort en 1981, l’élimination, qu’elle soit physique ou sociale d’un criminel, n’existait plus. Sans distinction, la république relevait le défi de la réinsertion de tous les individus. La loi sur la rétention de sûreté balaie vulgairement cet héritage politique.
Sans doute, le premier acte de la politique de civilisation souhaitée par le chef de l’Etat.

Insatisfaction présidentielle autour de la loi sur la rétention de sûreté

Malgré la polémique provoquée par son annonce, la loi sur la rétention de sûreté a été publiée, mardi 26 février, au Journal officiel.

Signée lundi par le président de la République après avoir été partiellement censurée par le Conseil Constitutionnel jeudi, la loi sur la rétention de sûreté a été promulguée mardi 26 février. Des lieux d’enfermement à vie pour les criminels jugés dangereux seront donc créés.
Cette loi relative à « la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental » compte 18 articles ainsi que la décision du Conseil constitutionnel.

Il est prévu l’ouverture de centres où les détenus les plus dangereux, auteurs de crimes avec circonstances aggravantes, pourront être enfermés à vie si ils sont toujours jugés dangereux au moment de l’expiration de leur peine de prison. Seuls sont concernés les criminels condamnés à 15 ans de prison et plus. Trois magistrats, réunis en commission, décideront le placement en rétention prévu pour un an et renouvelable indéfiniment.

Le Conseil Constitutionnel a refusé, jeudi, que la loi soit rétroactive. Saisie par les parlementaires socialistes, il a estimé que la rétention de sûreté « ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi » ou « pour des faits commis antérieurement » à cette publication. De ce fait, la loi ne produira ses premiers effets que dans quinze ans, puisqu’ elle concerne les détenus condamnés à 15 ans de prison minimum.

Cette décision n’a pas été du goût de Nicolas Sarkozy et l’a amené, vendredi, à demander au premier président de la Cour de cassation, Vincent Lamanda, « de faire toutes les propositions » pour permettre « une application immédiate » de cette loi. Ce dernier « a accepté le principe d’une réflexion sur le problème de la récidive et de la protection des victimes mais il est bien évident qu’il n’est pas question de remettre en cause la décision du Conseil constitutionnel » a expliqué un chargé de mission de la Cour de cassation. Le chef de l’Etat lui a demandé, lundi, de lui adresser ses propositions dans les trois mois.
En plus du refus sur la rétroactivité, le Conseil Constitutionnel a pointé du doigt les soins apportés aux détenus. Il faudra vérifier que le condamné a pu bénéficié, pendant son incarcération, de la prise en charge et des soins adaptés au trouble de la personnalité dont il souffre.

Dans un entretien au journal Le Parisien-Aujourd’hui en France, publié mardi 26 février, Nicolas Sarkozy a réaffirmé sa volonté de rendre la loi rétroactive pour ne pas risquer de placer les criminels dans une situation d’inégalité. « On aura donc deux catégories de serial-violeurs : celui qui sera libre parce qu’il a été condamné juste avant la loi, et celui qui n’aura pas le droit de sortir parce qu’il a été condamné juste après, affirme-t-il. J’aimerais qu’on ne mette pas ce principe de la rétroactivité au service des criminels les plus dangereux ».

Selon un sondage Ifop pour Le Figaro, 80% des personnes interrogées approuvent la loi sur la rétention de sûreté. 64 % d’entre elles estiment qu’« il faut appliquer dès maintenant la rétention de sûreté à ces personnes pour éviter qu’elles récidivent ».

PRISONS : en attendant la mort.

83 ans. C’est l’espérance de vie moyenne d’un homme en France. De 1900 à 2000, elle est passée de 40 à 78 ans. Et les conséquences sont multiples. Souvent relayées par démographes ou politiques, certaines sont parfois insoupçonnées. Si les agences de voyage célèbrent le bien-être de la génération des papy-boomers, pour une fraction de la population, l’allongement de l’espérance de vie ne rime pas avec bien-être mais avec souffrances.

Invisibles. Les détenus sexagénaires sont de plus en plus nombreux. Au 1er octobre 2005, les prisons françaises comptaient 2013 incarcérés âgés de plus de 60 ans, dont 411 avaient plus de 70 ans. Un chiffre en augmentation, notamment en raison de l’allongement des sanctions depuis l’abolition de la peine de mort en 1981. L’Observatoire International des Prisons par l’intermédiaire de deux rapports en cinq ans s’est penché sur les évolutions démographiques au sein des établissements pénitentiaires. L’OIP dévoile « une souffrance cachée derrière les murs ». Cette nouvelle donne se heurte à la vétusté des prisons. Les détenus âgés parlent peu de la mort. Leur souffrance est masquée. Peu nombreux à se suicider à cet âge-là, les personnes âgées incarcérées sont davantage dans le syndrome de glissement.

« C’est mes maudits genoux et cette foutue pluie Lorraine »

Maison d’arrêt de Metz-Queuleu. 17h, sous les néons qui peinent à compenser l’obscurité écrasante du couloir central, les détenus s’affairent à leurs occupations. La règle est simple, « il faut travailler pour gagner de quoi cantiner ». Le bruit des portes qui claquent et les verrouillages automatiques rythment le déplacement des incarcérés. Fred, 30 ans, et Jacques, 64 ans, allure frêle et fragile, ont pour mission d’acheminer « les gamelles » des cuisines au « Bloc B » où séjournent les détenus. Fred pousse le chariot pendant que Jacques ouvre les lourdes portes. A leur passage l’odeur de tabac froid s’efface et laisse place au parfum du menu du soir. « Ce soir c’est choucroute les gars, Alsace en force ! » annonce Fred. Un peu plus loin, stoppé net par trois marches d’escalier, Luc, 59 ans, reprend des forces. Armé de sa canne, il exprime sa souffrance « c’est mes maudits genoux et cette foutue pluie Lorraine, c’est pas bon pour mes rhumatismes ». Philosophe ou réaliste il enchaine, « de toute façon, ici, c’est bien le seul endroit où je ne suis pas pressé. »

Vieillir et mourir en prison, Dedans-Dehors (n°46), OIP

INTERVIEW : Marcel, 67 ans a purgé une peine de 16 ans de prison. Les trois dernières années, il était incarcéré à la maison d’arrêt de Metz-Queuleu. Il a retrouvé la liberté en Juillet 2007.

Quel regard portez-vous sur vos seize ans d’incarcération ?
Etrangement, ce n’est pas la solitude ou la privation de liberté qui m’a le plus fait souffrir. On s’habitue à tout. Ce qui m’a le plus peiné c’est de ne pas pouvoir être au sein de ma famille durant des périodes douloureuses. Ne pas pouvoir assister à l’enterrement de ma mère m’a beaucoup peiné. La prison n’est pas différente de dehors sur un point. Si on garde le moral, la vie y est plus facile.

Comment vivez-vous votre réinsertion notamment au regard de votre âge ?
J’ai une chance que beaucoup d’autres détenus de mon âge n’ont pas. Mon épouse et ma fille ne m’ont pas quitté. Ce qui change tout. Non seulement en prison car je gardais le moral et j’avais des visites qui m’apportaient beaucoup de joie, mais aussi à l’extérieur. Je n’ai pas eu à me « réadapter à la vie » tout seul ; j’ai pu prendre le temps. Beaucoup de choses ont changé et à mon âge, il faut du temps pour comprendre. Internet, les portables, la carte vitale, tout ça je ne connais pas, moi !

« A la sortie on est plus seul qu’un mort. »

Que pensez-vous du fait que de plus en plus de détenus ont plus de 60 ans ?
La prison n’est pas faite pour accueillir ce public. Physiquement, c’est dur. Les portes sont lourdes, il fait froid, c’est bruyant, on s’ankylose, etc. Les services de soins ne sont pas à la hauteur des pathologies du troisième âge. Moralement, chaque année qui passe est de plus en plus souffrance. On perd espoir de revivre pleinement un jour surtout si, comme c’est souvent le cas, la famille n’est pas présente ou disparaît subitement. Du coup, à la sortie on est plus seul qu’un mort.

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