« Le patrimoine c’est important dans nos constructions à tous, et ce n’est pas un hasard si Daesh s’en prend au patrimoine : c’est qu’il y a bien un effet sur l’être humain, sur l’homme, sur son histoire ». Ce sont les mots de Lara-Scarlett Gervais, photographe de l’exposition Alâthar. Seul(e) après Daesh qui se décompose en deux séries : l’une en Irak, l’autre en Syrie. Des milliers de photos pour n’en choisir que vingt-six.
Après la guerre, le combat culturel en Syrie
En mars 2016, celle qui se dit voyageuse plus que photographe parcourt l’Iran, le Kurdistan irakien, le Liban et la Syrie. À Palmyre elle capture douze des 26 images de cette exposition. Elle se retrouve au cœur de l’évacuation du musée de Palmyre après la libération de la cité de l’emprise de Daesh, en mars 2016. Ses clichés permettent de suivre les Monuments Men et la DGAM (Direction Générale des Antiquités et des Musées) dans leur opération de sauvetage des œuvres d’art. Au total, ce sont 300 000 œuvres évacuées et mises à l’abri, dans le plus grand secret. Une autre photo d’une route interminable, déserte, laisse paraître la chaleur sous laquelle ces hommes s’affairent.
Celle qui a abandonné ses études d’archéologie pour parcourir le monde et être au contact des gens se retrouve face à des ingénieurs, des citoyens et des archéologues prêts à sauver ce qui reste du patrimoine aujourd’hui détruit. Entre deux détonations dues au déminage de la ville par l’armée russe, ces hommes se retrouvent livrés à eux-mêmes ; pas de machines, pas de protection, pas de moyens : des matelas sanglés autour des statuts, des barres métalliques tirées des gravats comme outils, des plaques d’isolation du plafond pour caler les débris des œuvres, des caisses d’armes vides pour stocker ce qu’il en reste. Une réalité dont rendent bien compte les images de la jeune photographe de 32 ans. Elle retournera à Damas en décembre et expose la photo de l’une des œuvres d’art de Palmyre, mise à l’abri.
Une autre photo, celle de l’affiche de l’exposition, est peut-être la plus parlante. Elle représente une arche qui reste debout après la destruction du temple de Bêl quelques mois avant, comme un message d’espoir au milieu des débris : tout n’est pas perdu.
Quand le front se retire, l’Irak retient son souffle
D’octobre à décembre 2016, elle effectue un second voyage et parcourt l’Irak et à nouveau le Kurdistan irakien, le Liban et la Syrie. Elle gagne Qaraqosh, vide d’habitants. La plus importante ville chrétienne d’Irak est libérée depuis le 22 octobre 2016, suite à la bataille de Mossoul. Désormais, la ville n’est plus sur le front, mais l’on perçoit sur une photo des colonnes de fumées des combats encore proches. Ces treize clichés percutants sont plus ancrés sur ce qu’il reste de la guerre : une cathédrale calcinée encore debout, dont le blanc du marbre tranche avec le noir laissé par les flammes ; un tableau d’école en son sein sur lequel il est expliqué, en un dessin aux traits quasi-enfantins, le fonctionnement d’une kalachnikov ; des pages, dont l’une prône la lutte contre les règles que leur dictent leurs bourreaux, sont brûlées et abandonnées au sol, au milieu des douilles d’AK47. Un arrêt sur image d’un théâtre après-guerre encore fumant.
De l’art, il ne reste souvent que des gravats irrécupérables sur la Plaine de Ninive : un taureau ailé détruit, génie protecteur du palais de Nimroud ou encore quelques fragments de bas-reliefs qui, il fut un temps, ornaient l’entrée du site archéologique de Nimroud. Du paysage, il n’y a plus que des tas de pierre grises où apparaissent par-ci un barrage tenu par un soldat, par-là quelques autres qui se tiennent au cœur du triste paysage.
Deux photos sont à part. L’une représente le minaret de la mosquée al-Mutawakkil, abîmée en 2005 lorsque l’endroit servait de tour de guet à l’armée américaine à Samarra, où la vie a repris. La deuxième est celle de La Dame de Warka, « l’un des visages plus anciens du monde », pillée en 2003 au musée de Bagdad. Le conflit est plus ancien, mais s’en prend au patrimoine irakien.
Entourée de ses clichés, Lara-Scarlett Gervais se confie : « Je ne voulais pas montrer mes photos si c’était pour ne pas agir ». Alors elle créé l’association HÉRITAGE & CIVILISATION pour permettre aux spécialistes français (archéologues, chercheurs, techniciens, architectes, professionnels du patrimoine) de partager leur savoir-faire en formant des professionnels locaux. En attendant repartir, elle porte un autre projet, ODYSSÉE celui d’ateliers internationaux de valorisation du patrimoine en milieu scolaire.
HÉRITAGE & CIVILISATION « L'association s'est donnée pour mission de transmettre le patrimoine de manière vivante et pédagogique. Elle est constituée d’une équipe de bénévoles provenant d’horizons variés : étudiants, archéologues, photographes, historiens, juristes, entrepreneurs qui mettent à la disposition de l'association leurs compétences dans des domaines variés. Réunis par une même passion : sauvegarder le patrimoine comme lien entre les hommes, et ayant tous la volonté d’œuvrer pour la paix. » ODYSSÉE « Nous préparons pour le lancement de ce projet l'exposition ODYSÉE en partenariat avec la Ville d'Angoulême lors du du Festival International de la Bande Dessinée du 24 au 27 janvier. A l’occasion du festival 2019, la Ville d’Angoulême s'associe à l'association HERITAGE & CIVILISATION pour présenter l’exposition ODYSSÉE avec des auteurs de bande dessinée. Les auteurs partiront d'une de mes photographies de mes différents voyages dans le monde, pour faire réagir les jeunes sur le thème de la préservation du patrimoine. Ces supports serviront à enrichir les kits pédagogique de notre programme éducatif.»