Grand entretien avec Anne-Laure Bonnel : « Ce qui m’intéresse, c’est comment les humains parviennent à survivre »

Jurée à l’occasion de la première édition du Festival International du Film Politique, Anne-Laure Bonnel a réalisé le documentaire Donbass en 2016 sur la guerre civile en Ukraine. La réalisatrice, que nous avons rencontrée, se spécialise aujourd’hui sur les zones de conflits.

Pourquoi avoir accepté d’être jurée au FIFP ?

Le documentaire est souvent politique, le voir traiter en fiction m’intéressait beaucoup. On observe que l’actualité des gilets jaunes se mêle à tout cela avec des tensions sociales brûlantes et palpables à tous les niveaux de la société. Les personnes qui m’ont contactée ont également évoqué des termes qui me parlent énormément comme l’envie de créer le débat, d’éveiller les consciences, de créer du lien social, être une passerelle de communication dans une époque où les intermédiaires et les lieux de débats n’existent plus vraiment. Les individus sont en train de se réapproprier cette question urgente du sens de l’existence. Qu’est-ce qui est acceptable ? Qu’est-ce qui ne l’est plus ? On est allé tellement loin dans les abus d’un capitalisme exacerbé, une mondialisation qui a été mal gérée, un appétit des élites pour le pouvoir qui a laissé de côté les questions sociales. On est dans une drôle d’époque pour tout ce qui a trait à l’humanisme.

Est-ce le devoir de l’artiste de s’engager ?

Je ne pense pas qu’il doive s’engager dans le sens du militantisme. Par contre son travail est par essence politique. L’artiste a un point de vue sur le monde, une sensibilité, un regard. Son devoir c’est d’éclairer différents mondes, de faire réfléchir sur une réalité en prenant de la distance. Il donne à voir et à comprendre ce que l’on n’a pas l’habitude de voir et d’entendre. Il rend palpables à travers des personnages ou des histoires des choses qui vont nous mettre en colère ou nous indigner. En tout cas, qui réveillent nos émotions.

En tant que jurée, quels sont vos critères de sélection d’un film ?

Pour moi le fond et la forme sont indissociables. Un bon film c’est l’adéquation parfaite entre son contenu et sa forme. Je regarde aussi d’autres facteurs comme l’interprétation, l’atmosphère du film, le rythme, la mise en scène, la lumière, l’audace du sujet et la manière de le traiter. Quand on arrive à avoir cette osmose là, à voyager à travers tous ces éléments, je trouve que c’est une grande réussite.

Envisagez-vous de réaliser une fiction ?

Non, parce que je n’ai pas le talent d’écrire une bonne fiction ou de diriger des acteurs. Le réel offre tellement d’histoires incroyables qu’il me suffit. J’aime le contact humain direct, les histoires que les gens me racontent, rendre la justesse du réel. Dans le documentaire, je travaille ma forme en cherchant à rendre le sujet palpable. Chaque projet a son écriture, une musique particulière, un rythme unique. Pour moi, le point de vue humain reste le sujet le plus intéressant, montrer les situations dans lesquelles l’être humain ne devrait pas se trouver. Je me spécialise aujourd’hui dans les zones de conflits. J’ai eu l’occasion de voir des populations ravagées au quotidien, la souffrance d’un peuple, les effets d’une guerre sur un individu.

Dans votre documentaire Donbass, y a-t-il des éléments que vous avez choisi de retirer en vous disant je ne peux pas montrer cela ?

Oui, la violence des corps. J’ai coupé les corps des enfants. Quand vous rentrez de zones comme celles-là, vous êtes révolté. Le premier réflexe, c’est de vouloir exposer un maximum de choses. Mais avec du recul, vous vous rendez compte que cela ne changera rien. Quand vous assistez à un bombardement, vous voulez montrer la souffrance des gens. Mais elle n’est pas efficace. La seule raison pour laquelle j’ai montré des corps au début du film, c’est pour contredire les discours du Président Porochenko qui affirme qu’il n’y a pas de morts au Donbass et qu’il ne bombarde pas son peuple. Encore aujourd’hui, j’ai eu des échanges avec des ambassades pour qui le discours officiel c’est qu’il n’y a pas de guerre au Donbass. Je voulais une preuve.

Avez-vous eu peur parfois lors du tournage ?

Non, parce que j’ai fait le choix d’y aller. J’en assume les conséquences. Quand ces gens vous parlent de leur quotidien, vous comprenez que ce que vous vivez un instant, eux, le vivent tous les jours. À ce moment-là, vous ne sentez plus la peur. Le corps humain est bien fait, il s’habitue à tous les stress possibles.

Ces violences ont des conséquences désastreuses sur les sociétés.

Ce type de conflit génère plusieurs générations de souffrance. Les stigmates, les plaies et les conséquences ne s’arrêtent pas à la fin de la guerre. Encore moins dans le cas d’une guerre civile comme  le Donbass. Les gens deviennent paranoïaques. Ils ont vu leurs voisins trahir des gens qu’ils connaissaient depuis des années. Certains pardonnent, mais n’oublient pas. Comment voulez-vous que la société se reconstruise. Pour le Donbass, on parle de 10 000 morts mais c’est aussi 200 000 amputés. Quand tout s’est inversé dans votre vie, l’impensable devient normal, la charité n’existe plus. Cela va créer des individus qui n’auront plus foi en quoi que ce soit. Si on regarde les enfants nés sous la guerre, vont-ils réussir à se construire une conscience humaniste . Quand vous avez vu la haine partout dès vos plus jeunes années, vous y êtes habitué. Paradoxalement peut-être que vous en souffrez moins. Qu’est-ce que cela va laisser comme failles ? Quels individus de demain la société va voir fleurir ? La haine entretient la haine. On rentre dans des cycles de vengeance. Il y a beaucoup de probabilités que ces gens aient des pulsions destructrices en eux. On ne fait pas assez d’études sur l’après-conflit.

Comment avez-vous vécu votre retour en France  ?

Il y avait une forme de décalage avec les gens autour de moi. En six mois, j’ai très peu parlé. Je ressentais beaucoup de colère, un sentiment de lassitude. Vous êtes un peu plus seul aussi. Cela change votre sensibilité. Vous sentez moins les problèmes du quotidien. J’avais tendance à relativiser énormément, à adopter un comportement plus désengagé dans ma vie de tous les jours.

Quels sont vos futurs projets ?

J’ai un projet sur les femmes prostituées du trafic humain en France. On n’a pas besoin d’aller à l’autre bout du monde pour trouver des horreurs aussi terribles que dans des zones de guerre. Pour moi le trafic humain, c’est un crime contre l’humanité.  J’essaie de comprendre, la manière dont les individus arrivent à survivre dans les cas les plus terribles. Mon but est de rendre leur dignité et de montrer leur force. Ces personnes ont une philosophie quand vous les écoutez parler, c’est une grande leçon d’acceptation, de patience, et de bienveillance. Sans faire de généralités, les femmes prostituées que j’ai rencontrées ont une forme presque de pureté. Elles souffrent énormément, mais ne se plaignent pas. Elles sont dans l’idée : moi j’en suis sortie, maintenant je pense aux autres. Elles mettent une énergie incroyable pour dénoncer ces abus et risquent leur vie. Vous savez dans des milieux comme cela, on ne pardonne pas. Si vous balancez, on vous tire dessus.

Vous parlent-elles facilement ? Ne sont-elles pas méfiantes ?

J’ai le sentiment que quand vous n’êtes animé par aucun calcul autre que l’écoute, cela se ressent. Lorsque je vais sur le terrain, je n’ai pas de brassard presse, je ne mets pas de gilet pare-balles. Je vis avec la population, non dans les hôtels où logent les journalistes. Je traverse les zones avec eux dans leur voiture. Les gens voient bien que je ne suis pas là pour faire du scoop. Ces femmes me parlent parce que je vais rentrer sur ces zones de trafic avec elles. Il y a un partage du risque. Si cela se passe mal, on en fait les frais ensemble. Cela génère une confiance.

Comment souhaitez-vous le diffuser ?

Je recherche une maison de production qui soit respectueuse de la forme. Je suis en discussion avec Arte qui laisse une grande marge de manœuvre. Si la chaîne le prend, la question du cinéma ne se posera pas. Je préférerais ne pas passer à la TV que d’être diffusée avec un commentaire imposé irrespectueux du sujet pour garder l’audimat. Certaines situations fortes se suffisent à elle-même. Mais vous n’avez pas le droit au silence en TV.

Propos recueillis par Léa Coupau et Camille Bernard

Vidéo : recontre avec le réalisateur belge Idriss Gabel

À l’occasion du Festival International du film politique, Haut Courant a rencontré Idriss Gabel pour son nouveau documentaire « Je n’aime plus la mer ». À découvrir.

Le secret des Kennedy : le terrible monde de la politique

Avec Le secret des Kennedy, John Curtan signe sa 7ème réalisation. Il allie à l’écran un nouveau drame de la vie des Kennedy et l’impitoyable monde politique dans lequel ils évoluent, dans une représentation fidèle aux rapports de l’accident Chappaquiddick.

Au soir du 18 juillet 1969, le sénateur Edward Kennedy, dit Ted (Jason Clarke), fait une sortie de route à Chappaquiddick. Mary Jo Kopechne (Kate Mara), ancienne directrice de campagne de Robert Kennedy, y trouve la mort. Débutent alors sept longs jours dramatiques pout le sénateur Ted Kennedy, alors que tout le pays a les yeux rivés sur Apollo et Neil Armstrong.

John Curtan fait le choix du fil conducteur du premier pas sur la lune pour ancrer l’affaire dans le temps. Le film débute par Ted Kennedy s’exprimant sur la politique de son frère, ancien président des États-Unis, qui a lancé la mission Apollo 11. Le décollage a lieu ce soir du 18 juillet. Le 21 juillet, Neil Armstrong marche sur la lune sous le regard admiratif de tous les américains, y compris Ted et les parents de Mary, frappés par la tragédie du pont Dike Bridge.

Rien n’est laissé au hasard. L’enquête de police de l’époque a donné lieu à des compte-rendu et à un rapport du FBI de 77 pages sur l’accident. C’est à partir de ces documents que le film a été réalisé, laissant apparaître des détails fidèles aux faits rapportés : une intersection, la Oldsmobile Delta 88 de Ted Kennedy, le sac à main et les clés de Mary Jo laissés dans la chambre, la présence de maisons près de l’accident. Certains suspecteront l’alcool, c’est le parti pris du réalisateur qui montre le Sénateur un verre à la main. Pourtant, lorsque le personnage est amené à se prononcer sur sa consommation, il prétendra ne plus se souvenir, une manière de laisser planer le doute. Il demande l’aide de deux personnes avant de gagner son hôtel sans contacter les secours. Le corps de la jeune femme est découvert par deux pêcheurs le lendemain matin. Pourtant, une bulle d’air était présente dans le véhicule, laissant la jeune femme suffoquer un long moment avant de succomber. Il sera condamné à 2 mois de prison avec sursis pour délit de fuite, échappant à la peine de l’homicide involontaire.

Cet accident a probablement changé le cours de l’histoire présidentielle. Favori des démocrates après la mort de son frère pendant sa campagne, Ted Kennedy vise la Maison Blanche à l’horizon 1972 et nous offre l’image d’un monde politique impitoyable. Tout est bon pour sauver son image publique : coups de fils, mensonges, faux certificat médical. Les premiers mots de Ted après l’accident sont : « Je ne serai pas président ». Quand les membres de l’équipe de sa campagne apprennent la mort de Mary Jo, sur fond de sanglots, l’une des amies de Mary Jo est tout aussi directe : « Qu’est-ce qu’on peut faire pour aider le Sénateur ? ». La fin du film laisse entrevoir des électeurs fiers d’annoncer, malgré tout, leur vote pour lui. Par moment apparaît un tandem plus large mais indissociable depuis toujours : la politique et la presse, un jeu du chat et de la souris dans une course à la vérité journalistique et celle qui pourrait sauver la carrière d’un homme politique au détriment d’une vie.

Dernier garçon d’une fratrie de neuf enfants, Ted est à ce moment-là le seul fils encore vivant. L’aîné est décédé dans l’explosion d’un avion, JFK est assassiné durant son mandat et Bobby, durant sa campagne. Il devient alors celui en qui tout le monde croit pour prendre le relai dans la course à la Maison Blanche, mais il n’est pas réellement désireux de devenir président. Jason Clarke tente un fils qui a le courage de parler à son père qui avec toute la force qu’il lui faut pour aligner quelques mots se contentera de lui répondre « tu ne seras jamais un grand homme ». Bruce Dern incarne toute la dureté d’un père pour qui seule la réussite compte, celui qui veut que ses fils réalisent ses propres rêves, infligeant à Ted un perpétuel rappel de la réussite de ses frères. Défait aux primaires démocrates, Ted Kennedy ne se présentera pas aux élections présidentielles. En revanche, il deviendra le « Lion du Sénat » et en sera membre près de 40 ans avant de trouver la mort en 2009, par la maladie. Sorti aux États-Unis en avril 2018, la date de sortie en France n’est pas encore annoncée, affaire à suivre…

Festival international du film politique : une première réussie !

Samedi soir, le Festival international du film politique a tourné la page de son premier volet. Avec succès.

Après cinq jours intenses de projections, d’échanges et de rencontres, la bande d’Henzo Lefèvre et Étienne Garcia peut souffler. C’est une première réussie !

Il y a un an et demi, ces deux-là ont imaginé un projet fou : créer un festival du film politique à Carcassonne. Un défi de taille quand on sait que les festivals de Porto-Vecchio et Rennes sont aujourd’hui des références. Avec un Costa Gavras, réalisateur mythique, parrain du festival, la présence durant la semaine de personnalités qui sont des pointures dans leur domaine, tels qu’Edwy Plenel, Jacques Audiard, Joey Starr, Pascal Clark, Richard Sammel, Yves Jeuland, Juliette Tressanini, Bernard Le Coq, … Quand on fait les comptes, le challenge est relevé haut la main.

Toute la semaine, spectateurs et jurés ont eu l’occasion de visionner plusieurs films de différentes catégories, de la fiction au documentaire en passant par des classiques, projetés au cinéma CGR « Le Colisée » et à la salle du Dôme. Cette dernière accueillait tous les soirs les spectateurs à venir échanger avec les artistes après les séances autour d’un buffet offert par l’organisation et la région.

La Permission les a mis tous d’accord

Samedi, à l’occasion de la cérémonie de clôture animée par un Stéphane Guillon des grands soirs, sept prix ont été décernés. Un cérémonie dans laquelle les personnalités politiques locales ont pris la parole à l’instar de Carole Delga, présidente de région, ou encore Gérard Larrat, maire de Carcassonne.

Puis vient le temps des remises de prix. Où un film a marqué le jury : La permission. Cette fiction de Soheil Beiraghi rafle les Prix des étudiants, d’interprétation (Baran Kosari) et surtout le Grand Prix du Festival. Le Prix de la jeunesse est décerné à Olivier Cossu pour son film Un homme est mort ; Almudena Carracedo et Robert Bahar remportent le Prix de la critique avec Le silence des autres ; Les Invisibles de Louis-Julien Petit décroche le Prix de la réalisation. Enfin, Mention spéciale à Génésis de Arpad Bogdan.

La cérémonie s’est conclue en beauté avec un des plus grands réalisateurs français qu’est Jacques Audiard, qui s’est vu remettre le Prix d’Honneur de la réalisation.

La première édition du Festival international du film politique a placé la barre très haut. On attend la seconde avec impatience…

PALMARÈS :

Grand Prix du Festival : La permission, de Soheil Beiraghy

Prix d’interprétation : Baran Kosari dans La permission, de Soheil Beiraghy

Prix de la critique : Le silence des autres, d’Almudena Carracedo et Robert Bahar

Prix de la réalisation : Les invisibles, de Louis-Julien Petit

Prix des étudiants : La permission, de Soheil Beiraghy

Prix de la jeunesse : Un homme est mort, d’Olivier Cossu

Prix d’Honneur de la réalisation : Jacques Audiard

 

La page Facebook de l’événement : https://www.facebook.com/FIFPoccitanie/?epa=SEARCH_BOX

Vidéo : l’oeil d’Edwy Plenel sur l’actualité

Gilets jaunes, haine et violence envers les journalistes, les institutions de la Ve République, les réseaux sociaux… Pas de tabou ! À l’occasion du Festival International du film politique, le patron et co-fondateur de Mediapart analyse l’actualité pour Haut Courant. À ne pas manquer.

Jawad Rhalib, artiste conscient et libre

Réalisateur engagé, attiré par le réalisme social, Jawad Rhalib a ouvert mardi dernier le Festival international du film politique à Carcassonne avec son nouveau documentaire, « Au temps où les arabes dansaient ». À travers ses productions, il n’a qu’une obsession : transformer les mentalités.

« J’ai toujours voulu être acteur de ma vie, pas uniquement me mettre sur un balcon et regarder passer la vie, les gens. » Voilà chose faite. Depuis ses débuts, le cinéaste a réalisé plus d’une vingtaine de films. Tous, sur des problématiques sociales. Tous, pour « éveiller les consciences, changer le monde », explique le Belgo-Marocain de 53 ans, qui s’avoue « pessimiste mais engagé ». Pour le documentariste, réaliser était une évidence, autant que montrer l’immigration et la culture arabe sur grand écran.

« Le cinéma est mon arme politique »

Tout a commencé en 1991. Après des études en journalisme et en communication à l’Université catholique de Louvain-La-Neuve, Jawad Rhalib s’est tourné vers le cinéma. S’il ne peut citer le nombre de « grands réalisateurs » qu’il apprécie, un l’a pourtant marqué plus que les autres. Ken Loach. « C’est un véritable exemple. Un maître du réalisme social. À travers ses documentaires, vous captez le réel grâce à des sujets et des personnages ancrés dans la réalité. C’est la meilleure école », pointe le cinéaste qui ne peut s’empêcher de revenir « à ce terrain de jeu incroyable. »

Et le réalisateur aime parler des vérités qui dérangent. De « Regards sur l’Inde » sur la cohabitation des religions dans le pays à « Au temps où les arabes dansaient » dernièrement, Jawad Rhalib use du cinéma pour faire entendre sa voix. « Je ne manifeste jamais, je ne porte pas de pancartes dans la rue. Le grand écran est ma manière de résister. L’outil qui me sert pour dénoncer les injustices et accompagner des actions. » Bref, il l’assure. « Le cinéma est mon arme politique. »

« El Ejido, la loi du profit », en 2005, a eu un effet boule de neige. Le film résume l’exploitation des travailleurs immigrés dans les serres d’Alméria, où dans leurs cabanes de fortune, ces hommes de l’hombre n’ont ni eau, ni électricité. À l’issue de la projection, ces conditions déplorables racontées provoquent un vif débat entre les parlementaires espagnols. Les lois changent et le scénario reçoit plusieurs prix, dont celui du meilleur documentaire au Fespaco 2007. « À tous ceux qui pensent le contraire, les films font bouger les lignes », ajoute Jawad Rhalib, qui projette d’ores-et-déjà deux futurs projets. Tout aussi engagés.

Des gilets jaunes pour la culture et l’éducation

Son constat est sans appel. « Quand je regarde ce qu’il se passe, on n’a pas terminé de payer le prix du communautarisme. Ce fascisme islamique va nous tuer. Il faut l’endiguer. » Vans aux pieds, tatouage sur le bras, le Belgo-Marocain demande à ce que l’on applique simplement les lois déjà en vigeur contre les salafistes. « Avec mon allure, je ne peux pas aller partout au Maroc. Ici, on ne peut pas porter la burqa et le niqab [interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public]. Malheureusement, les politiques ont peur d’allumer le feu, mais en ne faisant rien, ils donnent à cette minorité tous les droits. »

La solution ? L’éducation. « Je suis content qu’on puisse apprendre l’arabe à l’école. Je suis content qu’on puisse découvrir l’Islam autrement que par les discours des extrémistes. » Et rebondissant sur l’actualité du moment, le réalisateur espère. « On parle d’environnement, d’impôt, mais on n’oublie cette menace [du communautarisme] qui est là et qui va vraiment nous bousiller si on la laisse progresser. Il faudrait des gilets jaunes pour la culture et l’éducation. C’est notre unique porte de sortie. » 

Grand entretien avec Richard Sammel (1/2) : Le cinéma.

De OSS 117 à Inglourious Basterds en passant par Un village français, Richard Sammel a enchaîné les productions à succès, devenant l’un des nazis les plus populaires du cinéma international.
Membre du jury du premier Festival International du Film Politique (FIFP) qui se clôturera ce samedi à Carcassonne, l’acteur allemand nous livre son regard sur le monde du cinéma et évoque ses nouveaux projets.

“Le cinéma politique permet de trouver des solutions et de ne plus se taper sur la gueule”

Pourquoi avoir accepté de faire partie du jury du premier Festival International du Film Politique ?

D’une part, je souhaitais soutenir cette initiative. Car d’une manière générale, il manque de films politiques à l’écran. Le film politique est un moyen pour l’art de pointer ce qui ne va pas dans la société. Et comme il y a beaucoup de choses qui ne vont pas aujourd’hui, je trouve important qu’un festival comme celui-ci existe pour les mettre en lumière.
Mais je viens aussi pour moi, tout simplement, en tant qu’étudiant, pour découvrir des films qu’autrement je ne verrai pas car ils risquent d’être peu programmés en salles.

Quel regard portez-vous sur ce début de festival ?

Il est très intéressant et offre une belle base de réflexion. On sent un vrai intérêt du public notamment lors des discussions avec les équipes des films après les diffusions. C’est super important de créer des événements fédérateurs comme le FIFP. A partir du moment où on arrive à discuter ensemble, on évite de se taper sur la gueule. On se rend compte qu’on est tous dans le même bateau et qu’on peut trouver des solutions pour s’en sortir.

“Si je suis juste là parce que je suis Allemand, que je porte bien l’uniforme et que je peux crier d’une manière assez convaincante, ce n’est pas la peine.”
Depuis vos débuts à l’écran en 1991 dans La Secte de Michele Soavi, vous avez décroché plus de 110 rôles. Qu’est-ce qui vous passionne tant dans le cinéma ?

J’ai depuis toujours un goût prononcé pour l’art au sens large. J’ai d’abord fait des études de musique puis le jeu de l’acteur a pris le dessus et j’ai eu la chance d’en faire mon métier. Je me considère constamment comme un élève itinérant. Je vais toujours là où les challenges m’attendent, surtout s’ils me font peur. Il est passionnant de sortir de sa zone de confort. J’aime m’exposer à d’autres langues et d’autres cultures par exemple.

Vous avez souvent joué des rôles d’officier allemand pendant la Seconde Guerre Mondiale au cours de votre carrière. Sortir de votre zone confort, c’est aussi chercher d’autres rôles que celui du nazi ?

J’ai joué une vingtaine de fois ces rôles là. Sur 110 films, ce n’est pas tant que ça finalement. Mais c’est vrai que ces rôles ont marqué mon CV car ils ont connu un grand succès (La vie est belle, OSS 117, Un Village français, Inglourious Basterds). Je ne suis pas lassé de ces rôles là, je suis plutôt lassé de me répéter tout le temps. Car il me semble que beaucoup de scénaristes utilisent ce rôle d’officier allemand dans une logique de réduction historique. On essaye de cantonner les nazis à des espèces de brutes, sadiques et sans coeur. On laisse le spectateur dans sa zone de confort. Si je suis juste là parce que je suis Allemand, que je porte bien l’uniforme et que je peux crier d’une manière assez convaincante, ce n’est pas la peine. A partir du moment où ça ne me fait pas grandir en tant qu’artiste, ça ne m’intéresse pas.
Par contre des personnages complexes, comme celui d’Heinrich Müller dans Un village français, où l’on prend le temps de raconter l’histoire d’un homme, c’est différent.

 “La réalisation est l’un des rêves que je poursuis”

Vous avez tourné avec de nombreuses légendes du cinéma comme Brad Pitt ou Quentin Tarantino. Qu’est-ce qui ressort de ces expériences ?

C’était nul (rires). Non je plaisante bien sûr, c’était un rêve qui se réalisait. Que dire de plus ? C’était magnifique bien évidemment ! Plus simple, chaleureux et instructif que je ne l’imaginais. Les plus grandes stars, on les met toujours au firmament, et à partir du moment où vous les rencontrez, vous vous rendez compte qu’elles sont comme vous et moi. C’est cette approche simple finalement qui permet d’être complètement à l’aise. C’est uniquement quand vous voyez la place accordée à votre film dans les médias que vous vous dîtes “j’ai travaillé avec des Dieux”. Vous le saviez avant, vous le savez après, mais ils font en sorte que vous l’oubliez pendant. C’est ce qui rend l’expérience superbe.

Vous êtes aussi à l’aise au cinéma et à la télévision qu’au théâtre. Quelles sont vos envies pour l’avenir ?

J’aime beaucoup varier les supports. Actuellement, je suis très attiré par la comédie, les films politiques et les chroniques sociales. J’aime beaucoup les choix cinématographiques de Vincent Lindon et d’Olivier Gourmet par exemple. Ce qu’ils font est extrêmement engagé, extrêmement humain. Mais je suis très éclectique. Faire un Marvel me plairait aussi beaucoup.

N’avez-vous jamais envisagé de passer de l’autre côté de la caméra ?

 La réalisation me tente c’est vrai. Je donne des stages d’acteurs à des professionnels et il semble que j’ai un crédit auprès d’eux car on parle le même langage. Je trouve que j’ai la possibilité de sortir quelque chose d’eux qui les dépasse. C’est ce qui m’intéresse moi-même, aller au-delà de ce que je sais faire. Après, il y a aussi des histoires que j’ai envie de raconter. Ca mijote depuis un moment. Je suis actuellement en phase d’écriture. Je ne sais pas si ça va aboutir dans un scénario, mais la réalisation est sur la liste de mes rêves.

A suivre prochainement : Grand entretien avec Richard Sammel (2/2) : la politique.

Propos recueillis par Paul Seidenbinder et Boris Boutet

Alâthar, Seul(e) contre Daesh : la photo s’invite au Festival International du Film Politique

Tout au long de la première édition du Festival International du Film Politique de Carcassonne, Lara-Scarlett Gervais a exposé les photographies de ses voyages au Moyen-Orient pour rendre compte des destructions culturelles entreprises par Daesh.

« Le patrimoine c’est important dans nos constructions à tous, et ce n’est pas un hasard si Daesh s’en prend au patrimoine : c’est qu’il y a bien un effet sur l’être humain, sur l’homme, sur son histoire ». Ce sont les mots de Lara-Scarlett Gervais, photographe de l’exposition Alâthar. Seul(e) après Daesh qui se décompose en deux séries : l’une en Irak, l’autre en Syrie. Des milliers de photos pour n’en choisir que vingt-six.

Lara-Scarlett Gervais devant la mosquée Al Nuri à Mossoul en juillet 2018
Après la guerre, le combat culturel en Syrie

En mars 2016, celle qui se dit voyageuse plus que photographe parcourt l’Iran, le Kurdistan irakien, le Liban et la Syrie. À Palmyre elle capture douze des 26 images de cette exposition. Elle se retrouve au cœur de l’évacuation du musée de Palmyre après la libération de la cité de l’emprise de Daesh, en mars 2016. Ses clichés permettent de suivre les Monuments Men et la DGAM (Direction Générale des Antiquités et des Musées) dans leur opération de sauvetage des œuvres d’art. Au total, ce sont 300 000 œuvres évacuées et mises à l’abri, dans le plus grand secret. Une autre photo d’une route interminable, déserte, laisse paraître la chaleur sous laquelle ces hommes s’affairent.

Evacuation du musée de Palmyre

Celle qui a abandonné ses études d’archéologie pour parcourir le monde et être au contact des gens se retrouve face à des ingénieurs, des citoyens et des archéologues prêts à sauver ce qui reste du patrimoine aujourd’hui détruit. Entre deux détonations dues au déminage de la ville par l’armée russe, ces hommes se retrouvent livrés à eux-mêmes ; pas de machines, pas de protection, pas de moyens : des matelas sanglés autour des statuts, des barres métalliques tirées des gravats comme outils, des plaques d’isolation du plafond pour caler les débris des œuvres, des caisses d’armes vides pour stocker ce qu’il en reste. Une réalité dont rendent bien compte les images de la jeune photographe de 32 ans. Elle retournera à Damas en décembre et expose la photo de l’une des œuvres d’art de Palmyre, mise à l’abri.

Une autre photo, celle de l’affiche de l’exposition, est peut-être la plus parlante. Elle représente une arche qui reste debout après la destruction du temple de Bêl quelques mois avant, comme un message d’espoir au milieu des débris : tout n’est pas perdu.

Quand le front se retire, l’Irak retient son souffle

D’octobre à décembre 2016, elle effectue un second voyage et parcourt l’Irak et à nouveau le Kurdistan irakien, le Liban et la Syrie. Elle gagne Qaraqosh, vide d’habitants. La plus importante ville chrétienne d’Irak est libérée depuis le 22 octobre 2016, suite à la bataille de Mossoul. Désormais, la ville n’est plus sur le front, mais l’on perçoit sur une photo des colonnes de fumées des combats encore proches. Ces treize clichés percutants sont plus ancrés sur ce qu’il reste de la guerre : une cathédrale calcinée encore debout, dont le blanc du marbre tranche avec le noir laissé par les flammes ; un tableau d’école en son sein sur lequel il est expliqué, en un dessin aux traits quasi-enfantins, le fonctionnement d’une kalachnikov ; des pages, dont l’une prône la lutte contre les règles que leur dictent leurs bourreaux, sont brûlées et abandonnées au sol, au milieu des douilles d’AK47. Un arrêt sur image d’un théâtre après-guerre encore fumant.

Cathédrale de Qaraqosh, calcinée par Daesh .

De l’art, il ne reste souvent que des gravats irrécupérables sur la Plaine de Ninive : un taureau ailé détruit, génie protecteur du palais de Nimroud ou encore quelques fragments de bas-reliefs qui, il fut un temps, ornaient l’entrée du site archéologique de Nimroud. Du paysage, il n’y a plus que des tas de pierre grises où apparaissent par-ci un barrage tenu par un soldat, par-là quelques autres qui se tiennent au cœur du triste paysage.

documentation du patrimoine culturel irakien sur le site archéologique de Nimroud dans la province de Ninive.

Deux photos sont à part. L’une représente le minaret de la mosquée al-Mutawakkil, abîmée en 2005 lorsque l’endroit servait de tour de guet à l’armée américaine à Samarra, où la vie a repris. La deuxième est celle de La Dame de Warka, « l’un des visages plus anciens du monde », pillée en 2003 au musée de Bagdad. Le conflit est plus ancien, mais s’en prend au patrimoine irakien.

Minaret de la mosquée al-Mutawakkil

Entourée de ses clichés, Lara-Scarlett Gervais se confie : « Je ne voulais pas montrer mes photos si c’était pour ne pas agir ». Alors elle créé l’association HÉRITAGE & CIVILISATION pour permettre aux spécialistes français (archéologues, chercheurs, techniciens, architectes, professionnels du patrimoine) de partager leur savoir-faire en formant des professionnels locaux. En attendant repartir, elle porte un autre projet, ODYSSÉE celui d’ateliers internationaux de valorisation du patrimoine en milieu scolaire.

HÉRITAGE & CIVILISATION
« L'association s'est donnée pour mission de transmettre le patrimoine de manière vivante et pédagogique. Elle est constituée d’une équipe de bénévoles provenant d’horizons variés : étudiants, archéologues, photographes, historiens, juristes, entrepreneurs qui mettent à la disposition de l'association leurs compétences dans des domaines variés. Réunis par une même passion : sauvegarder le patrimoine comme lien entre les hommes, et ayant tous la volonté d’œuvrer pour la paix. »

ODYSSÉE
« Nous préparons pour le lancement de ce projet l'exposition ODYSÉE en partenariat avec la Ville d'Angoulême lors du du Festival International de la Bande Dessinée du 24 au 27 janvier.
A l’occasion du festival 2019, la Ville d’Angoulême s'associe à l'association HERITAGE & CIVILISATION pour présenter l’exposition ODYSSÉE avec des auteurs de bande dessinéeLes auteurs partiront d'une de mes photographies de mes différents voyages dans le monde, pour faire réagir les jeunes sur le thème de la préservation du patrimoine. Ces supports serviront à enrichir les kits pédagogique de notre programme éducatif.»

Vidéo : « Depuis Mediapart » vu par sa réalisatrice et Edwy Plenel

De mai 2016 à mai 2017, Naruna Kaplan de Macedo propose une immersion dans la rédaction de Mediapart. Un documentaire qui nous fait vivre l’organisation d’un journal faisant face à une actualité débordante. La réalisatrice et Edwy Plenel nous racontent les origines et les motivations de ce projet, et comment le film s’intègre parfaitement dans un festival politique.

En avant-première au Festival International de Carcassonne, la réalisatrice du documentaire « Depuis Mediapart » Naruna Kaplan de Macedo se livre sur les motivations et les origines de ce projet. En compagnie du fondateur de Mediapart Edwy Plenel, elle revient également sur sa présence au sein du festival.

 

« Au temps où les Arabes dansaient » : l’art de la transgression

Diffusé pour la première fois en France à l’occasion de l’ouverture du Festival International du Film Politique, « Au temps où les Arabes dansaient » éveille les consciences et suscite l’enthousiasme dans les festivals étrangers. Retour sur un documentaire original du cinéaste belge Jawad Rhalib.

On les entend à plusieurs reprises mais on ne voit jamais leurs visages. “Je donne la parole aux fondamentalistes uniquement pour introduire le véritable sujet : la transgression des règles islamistes par les artistes”, explique le réalisateur Jawad Rhalib.
Résultat de cinq ans de tournage en Belgique, au Maroc, en Egypte et en Iran, Au temps où les arabes dansaient donne la parole à ceux qui doivent se cacher pour exercer leur art. Danseurs, comédiens, philosophes et performeurs en tout genre, tous sont sous la menace d’une fatwa, avis juridique donné par un spécialiste de la loi islamique sur leurs activités. “Les convaincre de témoigner à visage découvert pour ce documentaire a été une épreuve longue et difficile”, détaille le cinéaste. “Pour les islamistes, la danse est associée à la prostitution et les femmes qui se maquillent ou se parfument sont accusées de provoquer les pulsions sexuelles des hommes.
A travers les difficultés de ces artistes, Jawad Rhalib met en avant plusieurs aspects de la culture arabe oubliés par les Orientaux eux-mêmes, mais aussi par les Occidentaux. Car bien plus qu’une succession de témoignages, Au temps où les Arabes dansaient, montre les performances artistiques des personnages, accompagnées par une musique qui évolue tout au long du documentaire. “Au début du film, la bande son est mélancolique mais j’ai voulu mettre quelque chose de plus positif à la fin”, justifie le compositeur Simon Fransquet. “La musique est un véritable personnage du documentaire”, appuie Jawad Rhalib.

Quand le contemporain est régressif

Dans ce Moyen-Orient rétrograde où pouvoirs politique et religieux se confondent et étouffent la culture, le cinéaste se refuse à toute mise en scène. “L’idée n’était pas de démontrer quelque chose. On est juste là pour capter le réel sans rien imposer aux personnages. Ils ne sont là que pour exprimer leur réalité. Une réalité qu’ils connaissent bien mieux que nous.
Une réalité que les artistes veulent combattre. Mais à l’image de l’acteur belge Mourade Zeguendi, en pleine répétition d’une adaptation théâtrale du roman d’anticipation de Michel Houellebecq Soumission, la peur des représailles des fondamentalistes est prégnante.
Dans ce contexte de peur permanente, on en oublierait presque que cette situation n’a pas toujours existé. “Il y a 50 ans, le président égyptien Nasser se moquait des Frères Musulmans. Les moeurs étaient bien plus modernes qu’aujourd’hui et l’art fleurissait au Moyen-Orient”, rappelle Jawad Rhalib.

Car au milieu du XXè siècle, la femme orientale s’épanouissait dans les arts et la mode et le rigorisme était marginalisé. Pour Jawad Rhalib, les fondamentalistes musulmans ont commencé à imposer leurs visions au début des années 1980.
Le religieux a pris le dessus avec l’arrivée de Khomeini à la tête de l’Iran. Arrivée à laquelle la France n’est pas étrangère. C’est avec lui que s’est lancée la mode des fatwas. Aujourd’hui, le danger est réel et je ne suis pas optimiste. L’extrême droite renforce les fondamentalistes, et les islamistes boostent l’extrême droite. Au milieu, une majorité silencieuse a peur d’agir et les dirigeants politiques ne font plus appliquer les lois laïques pourtant en vigueur comme l’interdiction de la burqa”, conclut le cinéaste pour qui le salut “viendra de l’éducation et de la culture.”