La France affronte une concurrence nouvelle sur « sa chasse gardée » qu’était l’Afrique : l’empire du Milieu. La publication prochaine du rapport du Conseil des affaires étrangères, qui analyse la pénétration chinoise en Afrique, pose la question des conséquences sur les intérêts économiques français. Ce rapport, placé sous la direction de Michel de Bonnecorse vient compléter une enquête de la mission économique française de Yaoundé (Cameroun) sur la présence chinoise en Afrique centrale.
Troisième partenaire commercial de l’Afrique, la Chine bouscule les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Bientôt la France. L’Elysée et les grandes entreprises françaises, qui lorgnent désormais sur l’Asie et l’Europe de l’Est, ne peuvent que constater l’entrée de plein fouet sur le marché africain de la République Populaire. Le forum sino-africain, organisé à Pékin en novembre dernier, est révélateur de l’ampleur qu’ont pris ces relations.
L’argument du colonialisme contre celui d’absence de conditionnalité politique
Mais la « realpolitik » adoptée par Pékin, celle qui fait fi des problèmes de corruption et de la nature du régime au pouvoir, déplaît fortement aux diplomates français. L’un d’eux s’inquiétait que « les Chinois investissent en Afrique sans tenir compte des exigences de bonne gouvernance ». En accusation ici, les liens tissés avec le Soudan et le Zimbabwe. Le rapport « de Bonnecorse » abonde dans ce sens : « l’aide chinoise est très appréciée des dirigeants africains pour l’absence de conditionnalité politique ». Cette politique de Pékin fait grincer des dents Paris et la Banque Mondiale, inquiets que la Chine s’implique en Afrique sans prendre conseil. Ce à quoi a répondu Zhai Jun, ministre délégué aux Affaires étrangères, dans un entretien au Figaro : « La Chine n’attache aucune condition à sa coopération. Elle n’entend imposer à quiconque, et encore moins à l’Afrique, une idéologie, des valeurs ou un mode de développement. » Le contre-pied est parfait. Car la France, comme ses « alliés » occidentaux, conditionnaient, depuis les années 1980 (Discours de la Baule de François Mitterrand lors du 16ème Sommet des chefs d’Etat de France et d’Afrique), toute aide à des progrès dans la gouvernance démocratique, soutenant pourtant des régimes souvent tout aussi contestables. La recrudescence des conflits ethniques depuis une quinzaine d’années remet en question cette politique.
Plus de la moitié des appels d’offre remportés par les Chinois dans les contrats de travaux publics
Si elle nie vouloir « déloger » la France, la Chine veut se poser en alternative aux ex-puissances coloniales qui ont eu la mainmise exclusive sur un continent qu’ils ont trop longtemps dominé. Elle se positionne donc comme le chantre de l’aide aux pays du sud alors que la France semble toujours plus soupçonnée et accusée de néocolonialisme, particulièrement par les anglo-saxons. Néanmoins, cette présence nouvelle oblige à repenser la françafrique. Premier fournisseur de l’Afrique subsaharienne devant la France avec 11% des parts de marché, la Chine et ses entreprises remportent de plus en plus d’appels d’offre face aux Français. Particulièrement en ce qui concerne les infrastructures (routes, ports, immobilier) et les télécommunications : plus de la moitié des appels d’offre remportés dans les contrats de travaux publics. La principale agence de financement en Afrique est désormais chinoise.
« Abandonner le béton pour la technologie »
Cela n’est pas sans impact sur les stratégies économiques françaises. Seules des entreprises comme Total ou Areva restent solidement installées grâce à des bastions bien ancrés, en Afrique de l’Ouest francophone principalement. Le rapport du Conseil des Affaires étrangères recommande « d’abandonner le béton pour la technologie, l’ingénierie et la sophistication »(ce que nombres d’entreprises françaises ont déjà commencé à faire isolément depuis de nombreuses années). Là où la Chine ne peut pas offrir de comparaison avantageuse. Il est également préconisé de nouer des relations sur place avec les Chinois dans des accords de sous-traitance ou d’intermédiation. En clair, la France est distancée dans certains domaines où la Chine utilise des armes faussant la concurrence. Elle ne joue plus sur les mêmes tableaux donc elle cherche à coopérer.
La Chine reproduit en Afrique un schéma longtemps utilisé par la France en Afrique de l’Ouest et qui a réussi aux Anglo-Saxons en Afrique du Sud : exploitation des matières premières et perspectives de nouveaux marchés en échange d’exportations de produits manufacturés et développement des infrastructures. Avec une croissance inégalée et des besoins en matières premières importantes, la Chine tourne, plus que jamais, ses yeux vers le Sud et notamment le continent noir, ancien « terrain de jeu » des Français pour sa partie occidentale. La Chinafrique après la Françafrique : l’Afrique y trouvera-t-elle son compte ?