« Respire » de Mélanie Laurent

Respire, le second film de l’actrice-réalisatrice française Mélanie Laurent, a été projeté en avant-première, samedi 25 octobre 2014, lors de la soirée d’ouverture du 36e Festival de Cinéma Méditerranéen de Montpellier. Déjà présenté en séance spéciale lors de la 53e Semaine de la Critique, le film raconte l’histoire de l’amitié toxique, faite d’amour et de haine, de deux lycéennes. Il est l’adaptation du roman éponyme d’Anne-Sophie Brasme (Le Livre de Poche, 2001) et sa présentation à Cinemed vaut essentiellement en ce qu’il a été tourné aux alentours de Montpellier, à proximité de l’étang de Thau. Critiques.

Double « je »

Sur fond de premiers émois amoureux et de transgression des interdits, Charlie, élève discrète et réservée de Terminale, que rien ne semble pouvoir détourner d’une réussite certaine, fait la rencontre de Sarah, la nouvelle arrivante de sa classe. Sarah est une jeune fille libre, à la silhouette irrésistible, qui est privée de la présence physique de sa mère. Les deux filles deviennent aussitôt fusionnelles et partagent entièrement leur quotidien, leurs pensées et leurs vies. Si rien ne semble pouvoir abîmer cette amitié soudaine, un mot anodin, pourtant, la mettra à mal. Sarah, déçue de ne pas être considérée comme une « amie », laisse éclater un tempérament inaccoutumé, soudainement antipathique et verbalement violente. Le vrai visage de Sarah transparaît : manipulatrice, menteuse, perverse, narcissique et machiavélique. Mais Charlie, obsédée par la personnalité de cette créature envoûtante et imprévisible, semble prête à accepter les rudes coups que son amie rivale lui assène. Assaillie, submergée, elle s’isole et se coupe de ses amies. Mais la perfidie de Sarah, dont le plaisir suprême semble d’accroître toujours plus les souffrances de sa proie, paraît ne devoir rencontrer aucune limite…

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« Les faibles restent faibles »

Si les deux jeunes actrices, Joséphine Japy et Lou de Laâge, sont étonnamment convaincantes, le scénario, lui, laisse plus à désirer en jouant quelquefois la carte du « cliché ». La relation des deux jeunes lycéennes est en effet entièrement conditionnée par la relation que chacune d’elles entretient avec sa mère. Pour Mélanie Laurent : les problèmes des parents semblent devoir aussi être, ceux, oubliés et tus, des enfants. Dans une sorte de mécanique déterministe, l’enfant, réduit à n’être que la somme psychologique des traumas hérités de ses parents, reproduit ce qu’il a lui-même subi. Tout comme l’enfant battu ne peut prétendre qu’à battre ses enfants, Charlie, à l’instar de sa mère incapable de réagir aux blessures infligées par un père égoïste et insensible – parfaite Isabelle Carré en mère fragile beaucoup plus préoccupée par ses chagrins d’amour que par l’éducation de sa fille -, ne peut qu’être affectée négativement par la cruauté de Sarah. Mais, paradoxalement, elle reste inapte à faire fuir cette situation réductrice qui pourtant l’anéantit. Comme l’explique Mélanie Laurent : « les faibles restent faibles. Ils ne peuvent lutter contre les forts ». Dialectique simple et simpliste qui semble dédouaner à bon compte les agissements de Sarah. Pour le pire. Car la force apparente de cette dernière n’est que la réaction déguisée d’une faiblesse relationnelle refoulée. Celle-ci subit en effet la relation qui la lie à sa mère et la fait souffrir.

Sons intérieurs

Si le scénario ne convainc guère, la mise en scène est en revanche beaucoup plus concluante, essentiellement en ce qui concerne la texture sonore du film. Même si Mélanie Laurent repose en des termes similaires le problème, désormais classique, de la représentation cinématographique de la psychologie des personnages, force est de constater que la réponse sonore qu’elle lui apporte convainc. Là où le roman peut sonder en mots les psychés des protagonistes, le cinéma, lui, ne peut que donner à voir ce qui coule et s’exprime à la surface des visages, des corps. Gus van Sant s’était essayé à la résolution de ce problème en créant des univers sonores propres à chacun de ses personnages dans Elephant (2003). Ici, ce sont des ambiances sonores créées à partir de variations sur les respirations, calmes ou haletantes, saccadées ou rythmées, des personnages qui laissent deviner ce que renferment les arcanes psychiques des différents personnages. Si le titre du film invite, sous la forme d’une injonction faite à l’asthmatique Charlie, à prendre (et reprendre) son souffle, le film, lui, déploie le cheminement de la longue agonie asphyxiante d’un être malgré lui prisonnier de ses faiblesses. Le paroxysme de la suffocation interne est atteint lors d’une scène où, pour prouver qu’elle est plus forte que les attaques qui lui sont perpétuellement adressées, Charlie, en pleine séance d’endurance, allonge sa foulée… jusqu’à l’effondrement. Il ne reste des perceptions conscientes de la jeune lycéenne que son souffle époumoné, symbole d’une impuissance à jamais enfouie en son for intérieur.

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Passion

La thématique du film reste indubitablement l’attachement passionnel qui lie deux êtres. Comme souvent, la thématique du film est évoquée lors d’une séquence en apparence anodine. Ici, un cours de philosophie où il est question des passions humaines, fondamentalement liberticides et physiologiquement attachées aux tripes, opposées à la droite raison platonicienne. Le film se fonde donc sur un couple de notions dont la conceptualisation est aussi vieille que dépassée. Pire, leurs explicitations laissent penser que le spectateur est inapte à saisir seul la teneur du propos défendu. Son ignorance justifie ainsi cet appui théorique. Cette évocation notionnelle a de plus une valeur cathartique. Comme s’en défend M.L. : « beaucoup de lycéens se sont identifiés au personnage de Charlie. Ils ont pris conscience de ce qui les frappait et ont décidé d’agir ». Est-ce à dire que le film a une valeur de thérapeutique existentielle ? Les arts de la représentation serait-il à nouveau devenu cathartique ? Épurateur des villes passions humaines ? Célébrissime débat lancé par Aristote il y a plus de deux millénaires et qui resurgit, aux Etats-Unis, à chaque nouveau massacre orchestré par un jeune adepte de violences filmiques et/ou vidéo-ludiques… sans toutefois trouver de réponse définitive et convaincante. À problème désuet, réponse éculée.

A bout de souffle

Si l’atmosphère et la matière principale du film nous rappellent le majestueux film d’Abdellatif Kechiche La vie d’Adèle ou encore les ambiances romantiques des films de Christophe Honoré, le film de Mélanie Laurent manque cruellement d’originalité. A Respire, nous lui aurions préféré le titre, certes godardien, A bout de souffle tant la réalisatrice peine à révolutionner le thème, pourtant si fécond, de l’adolescence lycéenne.