«Les économistes sont à la fois partout et nulle part.» Pas de quoi rassurer le public de l’Agora des Savoirs du 12 janvier 2011. Mais Benoît Prévost, montpelliérain et professeur d’économie du développement, a plus d’un tour dans son sac. En voici la preuve, avec quelques éléments de réponses sur l’univers des «conseillers du Prince».
Haut Courant : Quelles sont les croyances des économistes ?
Benoît Prévost : Tout le monde pense en premier à l’argent, mais ce n’est pas fondamental. Leur premier objet de réflexion est le marché comme meilleure voie vers une société heureuse. Certains y sont opposés et mettent en avant des formes d’échanges qui n’obéissent pas aux mêmes logiques. Les altermondialistes ou les partisans de la décroissance prônent une économie plus conviviale que concurrentielle. Ainsi, utiliser de l’argent ou pas est secondaire et les logiques derrière l’échange sont essentielles.
Le phénomène d’immédiateté ne les oblige-t-il pas à transformer ces croyances en vérités ?
Il existe une obsession du chiffre. Les économistes de la conjoncture, parfois incapables de prévoir l’évolution des marchés financiers sur 15 jours, nous en fournissent tous les jours. Et on les laisse nous bercer sans poser de question. En parallèle, des théoriciens ont raflé des prix Nobel ces vingt dernières années pour avoir écrit que le marché est le meilleur des systèmes possibles. Or ce sont ces théories, et le jeu ambigu entre politiques et économistes, qui nous ont conduits à la situation de crise actuelle. Ces conseillers du Prince sortent rarement des coulisses du pouvoir et ne sont jamais responsables des conséquences de leurs théories.
La Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne … qui est le prochain sur la liste des économies en crise ?
Actuellement la politique d’ajustements structurels mise en œuvre dans ces pays est semblable à celle que le Fond Monétaire International a exigée des pays en voie de développement dans les années 80. Mais le jeu de domino peut aller jusqu’en France. Le système reste fragile, pour des raisons qui dépassent largement la finance. Les crises écologique ou énergétique à venir comptent aussi. Je ne ferais cependant aucune prédiction. L’économiste est là pour produire des scénarios et les politiques font leur choix. Le risque, c’est que les économistes ne croient plus qu’en un seul scénario ou se vouent aux jeux des prédictions.
Les agences de notation financière sont remises en question. Qu’en pensez-vous ?
Si je bois juste du thé je vais vous dirais que peut-être il faudrait des agences de notation qui soient plus contrôlées par les États et après un verre de vin je vous dirais qu’il faut totalement les supprimer. Il faut totalement repenser la place des marchés financiers dans l’économie et la logique de financement de notre mode de production de richesse. Pointer du doigt quelques institutions financières ou grandes banques, comme Lehman Brothers, puis dire : « Il suffit de mettre des garde-fous pour que ça remarche bien » nous fait oublier d’interroger l’ensemble du système.
C’est-à-dire ?
Remettre en cause le système des marchés financiers c’est entre autre s’interroger sur le financement des retraites aux États-Unis, donc sur le système social américain et sur le mode de production et les rapports salariaux qui reposent sur ce système. Petit à petit, on arrive au cœur du système capitaliste contemporain. Aujourd’hui, on est dans une vrai crise de la théorie économique parce qu’on ne veut pas risquer de remettre trop de choses en question.
Que deviennent les projets de moralisation des marchés financiers énoncés par Nicolas Sarkozy au G20 ?
Il incarne une droite néolibérale qui a mis en place le marché financier et sa dérégulation. On est dans des questions de pompiers-pyromane. De plus une réforme en profondeur des systèmes financiers supposerait un temps plus long que celui sur lequel se base le renouvellement électoral. On voit comment aux États-Unis Barack Obama a été pris à la gorge par les élections à mi-mandat. Avec des élections dans un an et demi en France, ça laisse peut de temps.
Le néolibéralisme pourrait-il passer de mode ?
Il semble y avoir une demande de la part des hommes politique pour un renouvellement. Et l’appareillage théorique pour penser l’intervention ou non de l’État n’est pas radicalement différent. Les économistes, pour répondre à une demande politique, pourraient très bien montrer la nécessité que l’État intervienne. Joseph Stiglitz et Paul Krugman en parle déjà depuis longtemps. Le drame c’est qu’on utilise comme remèdes les mêmes théories qui ont conduits à cette crise. De la même manière qu’on n’a pas remis en cause le pouvoir des banques et des marchés financiers, on a rien changé au pouvoir des économistes.
Il y a un donc un grand «mais» au changement.
Il faut un effet de percolation pour que ces idées-là pénètrent tous les réseaux institutionnels assez forts pour dépasser les effets de structures sur le renouvellement générationnel et les fortes résistances psychologiques. Un économiste qui travaille à la réserve fédérale américaine avec une formation néolibérale et une pratique de 20 ans, va avoir du mal à accepter que le marché n’est peut-être pas la meilleure des choses qui soient. Et surtout à accepter qu’il se soit trompé.
Agora des savoirs – Benoît Prévost
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