Hillary Clinton s’est rendue à Alger le 29 octobre dernier. L’objectif pour Washington : tenter de convaincre le président Bouteflika qu’une intervention est nécessaire au Nord du Mali. La prise de pouvoir des salafistes a fait naître les pires craintes dans le pays. Le quai d’Orsay préconise une intervention dans l’Azawad. Les enjeux sont d’une grande complexité et cruciaux à différentes échelles, ainsi que nous l’a expliqué Yaré Diagne.
Haut courant : Quelles sont les différentes forces en présence à l’heure actuelle au Mali ?
Yaré Diagne : Le Mali, depuis son indépendance en 1960, a connu pas moins de trois coups d’État. Le pays, comme beaucoup d’États africains, a été frappé par une stagnation économique due aux intérêts des anciennes puissances coloniales. L’autorité publique dans les années 2000 n’a pas réussi à s’imposer et la faiblesse de l’État est à l’origine de la crise actuelle.
Dès janvier 2012, des groupes touaregs (qui réclamaient l’indépendance du Nord-Mali depuis longtemps, déjà) ont pris le contrôle de certains villages au Nord. L’armée n’a rien pu faire. Les rebelles touaregs étaient lourdement armés suite à la débauche de Kadhafi en Libye. Ils étaient en mesure de prendre le pouvoir. Le MNLA [[Mouvement National de Libération de l’Azawad. Le MNLA est un mouvement rebelle laïc.]] a bénéficié de la reconnaissance des différents groupes touaregs qui ont rejoint le mouvement. Le problème est que l’État malien n’a jamais été en mesure de résoudre le différend territorial au Nord. Officieusement, ce territoire n’appartenait à personne.
C’est ce qui a conduit au Coup d’État du 23 mars. Mais tout le monde y était opposé : l’Union africaine, la CEDEAO[[Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest dont les ressources proviennent à 80% de l’Union européenne]] et l’Union européenne. Le coup d’État s’est donc soldé par un échec.
Aujourd’hui le MNLA est dépassé par les événements. Les groupes djihadistes dont le Mujao [[Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest]] et Ansar dine (soutenu par le Qatar) sont entrés en conflit contre les rebelles laïques (dont le MNLA) et ont pris le dessus. Et, depuis trois semaines, les troupes islamistes se renforcent. Certains viennent du Soudan voire de la corne de l’Afrique pour soutenir les salafistes !
HC : Quelle est la réaction des États frontaliers ?
Y.D. :L’Algérie est dans une situation délicate. Elle refuse d’intervenir et pousse un « ouf » de soulagement car elle voit le danger islamiste se déplacer hors de ses frontières. Mais il existe des relations entre certains villages au Mali et d’autres en Algérie. La composition sociale est la même. C’est pourquoi, en dépit des troupes postées à sa frontière Sud, l’Algérie prend des risques en restant en dehors du conflit. D’autant plus que des membres du FIS (Front Islamique du Salut), originaires d’Algérie sont entrés dans la coalition (voir carte ci-dessous).
La CEDEAO soutient plutôt une intervention. Mais qui peut le faire ? À part le Sénégal, il n’y a pas de réelle armée en Afrique de l’Ouest et rien ne se fera sans l’aval de l’Europe.
La France est elle aussi dans une situation inconfortable. Elle ne souhaite pas intervenir directement mais soutenir une action militaire. Cependant, les intérêts financiers avec les ressources naturelles que sont le pétrole, l’uranium et le fer au Mali lui sont primordiaux. Le pays capitalise toujours aujourd’hui sur ses ex-colonies. Si le Sénégal veut emprunter du fer à un autre pays, il doit passer par la banque de France. C’est également le cas pour le Mali. Elle essaye de résoudre un conflit qu’elle a elle-même créé : elle a établi un État malien faible sous De Gaulle puis a fourni indirectement des armes aux rebelles avec l’intervention en Libye (voir carte ci-dessous).
HC : Comment les populations vivent-elles cette situation ?
Y.D. : Au Sud, les populations sont inquiètes à deux niveaux. D’une part parce que l’État est désorganisé et semble incapable de résoudre le conflit. D’autre part, du fait du manque total d’informations en provenance du Nord. Le pays est divisé et les informations parviennent au compte-goutte. Et même quand elles arrivent, elles sont invérifiables.
Au Nord, les gens sont terrorisés. L’imposition d’un islam radical modifie totalement leur manière de vivre. L’Islam au Mali était auparavant tolérant et respectueux des institutions étatiques. Il n’a rien à voir avec les croyances extrémistes. Aujourd’hui, la population est dos au mur. À la radio (média principal du pays), tout est prohibé, seules les informations d’ordre médical peuvent être données. Auparavant l’information circulait librement. Les mutilations sont monnaie courante. La destruction des mausolées de Tombouctou n’est pas un hasard : les djihadistes n’acceptent pas la vénération de quelqu’un d’autre que le prophète. Des actes de résistance ont lieu çà et là. Une frange de la population prépare des actions (militaires ou non) pour lutter contre le nouveau pouvoir.
HC : À quel genre de conflit fait-on face à l’heure actuelle ? Quels en sont les enjeux ?
Y.D. : Le conflit au Mali n’est pas ethnique et ne l’a jamais été. Certains Touaregs sont également les victimes des djihadistes. Ce à quoi on fait face, c’est un conflit au nom de la religion pour le contrôle d’un territoire. Et au vu de la porosité des frontières avec le Niger, la situation semble incontrôlable et les djihadistes, de plus en plus nombreux ont en réalité le contrôle d’un territoire quatre fois plus grand. Territoire aux enjeux géostratégiques primordiaux pour l’Afrique et le monde entier. Mais cette situation masque d’autres problèmes toujours présents au Mali. Par exemple, un accord entre le gouvernement, l’Italie et la Belgique a été signé pendant le conflit concernant l’exploitation de l’or, le tout sur le dos de la population. Malheureusement, personne n’en parle…
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