Il est 13 h ce vendredi 27 décembre quand Morgan Euzenat fait son apparition dans le hangar des Machines de l’Ile. Vêtu d’une parka rouge et d’un jean il se présente sans son robot, Klug, qui profite de ses derniers instants de repos avant son ultime représentation prévue à 14h30. Avec le temps maussade et le vent qui souffle en rafale sur la cité des Ducs, la sortie de l’Eléphant est annulée. L’occasion pour le robot, fait de bois et de roues de fauteuils roulants, de jouer les premiers rôles dans la galerie crée par François Delarozière et Pierre Oréfice. Et pour son créateur de revenir sur son parcours.
A 39 ans Morgan Euzenat a trouvé sa voie, celle de la création de marionnettes robotiques. Passionné par les machines, il s’oriente, dès le début de ses études vers le domaine de la mécanique en passant un Bac STI génie mécanique puis en poursuivant dans un BEP maintenance des systèmes mécaniques de production. Cependant, frustré par l’absence de réalisation concrète, il décide de passer un concours d’éducateur spécialisé pour « allier l’art avec les enfants ayant eu un parcours difficile ». Un rôle d’accompagnement qui va renforcer son envie de divertir les autres par l’art de la manipulation.
Sûr de son choix, il refusera toutes les propositions de CDI et de CDD afin de se consacrer exclusivement à la marionnette. Il prendra même le statut d’intermittent du spectacle. En 2004, il rejoint la compagnie vannetaise l’Hémisphère de l’Ouest ou il participe à la création de spectacles burlesques. « Ca m’a permis de mettre le pied à l’étrier et de toucher à tout » se souvient-il. Néanmoins, par manque de confiance l’expérience s’achèvera. « Je ne me suis pas trouvé au niveau. Je ne me voyais pas construire un spectacle à 100% » explique-t-il pour justifier son départ de la troupe.
Quand la mécanique rencontre la marionnette
Mais ce n’est pas la seule raison. « J’étais plus dans la déambulation par rapport au public. C’est le premier aspect des marionnettes à fil. Au final ça a marché. En effet, sa rencontre en 2009 avec l’inventeur hollandais Fred Abels et la marionnettiste Mirjam Langemeijer, membres du groupe Electric Circus va marquer un tournant dans la trajectoire du jeune artiste. « Avec eux j’ai redécouvert les machines. Ils m’ont permis d’associer les savoirs passés. » C’est surtout de cette collaboration que va germer dans l’esprit de Morgan l’idée de la création d’un nouveau type de marionnette sous forme de robot. Une façon aussi de marier ses compétences techniques à sa passion pour les arts de la marionnette.
Construit en neuf mois et finalisé en 2009, Klug est l’aboutissement d’un long travail d’assemblage de divers matériaux. Les roues par exemple ont été récupérées sur un fauteuil roulant. Ce processus d’assemblage a aussi été parsemé de moments de doutes sur la réussite du projet. « J’ai eu des difficultés techniques. La déception fait révéler le manque de confiance. Je ne savais pas ce que je faisais » avoue-t-il. Mais il y a eu des moments plus intenses comme lorsqu’il a fallu poser les yeux de Klug. Ou celui de la mise en mouvement du robot qui reste, selon l’artiste, le moment le plus émouvant. D’où le rapport plutôt détendu qu’il entretien avec sa création. « Quand je manipule il y a un transfert. Je suis en connexion dans la tête. Au début j’ai eu peur de ne rien ressentir, de ne pas envoyer d’émotions » confesse-t-il.
Influencé par la fiction, les cartoons et surtout la science fiction il pense qu’« il y a du E.T dans Klug ». Fan du Donald Duck de Disney, Morgan n’hésite pas non plus à pousser la comparaison avec le célèbre canard « Comme Donald c’est un personnage attendrissant. Il est impressionnant et fragile ». L’aspect robotique de Klug a été inspiré par les films « Terminator » qui ont longtemps « habité » Morgan. De même, afin de créer les mouvements d’une de ses marionnettes il s’est directement inspiré du film « Dans la peau de John Malkovitch » en faisant des pauses pendant le visionnage afin de reproduire les mouvements des acteurs.
« J’ai du mal avec les cadres »
Présenté pour la première fois en 2009 à Charleville-Mézières pour un test, Klug va devenir une véritable attraction. Le succès populaire du robot continue d’ailleurs de surprendre son créateur. « Je voulais juste faire une machine. Tout de suite les gens ont été attirés » s’étonne t-il. Retravaillant le rapport de la marionnette au public, Morgan explique que son but était « que les gens se débrouillent et construisent leurs théories sur le robot ». Il aime ainsi se qualifier de « créateur de mémoire, de souvenirs » pour les enfants, qui repartent souvent émerveillés de leur rencontre avec Klug. Son meilleur souvenir ? « Un type qui avait l’air très macho et qui est tombé comme amoureux. Il est resté 2 heures avec la machine. Il lui faisait des signes de la main, des bisous» se rappelle-t-il ému.
Comédien et bricoleur Morgan Euzenat profite de son indépendance. « J’aime la liberté. J’ai du mal avec les cadres. Je n’ai pas fait les beaux arts. Pourtant je suis libre ». clame-t-il fièrement. Artiste plutôt solitaire, Morgan reste attentif à tous les modes de manipulation de l’objet et du public. Avec la réussite du projet Klug qui l’a entraîné sur les routes de France, de Belgique et du Canada, il avoue se concentrer désormais sur la recherche. En attendant, le hangar des Machines de l’Ile et ses automates issus de l’univers de Jules Verne est un théâtre idéal pour cet admirateur de l’écrivain nantais et son attachant robot.
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