Vous avez travaillé sur la primaire du PS et du Parti Radical de Gauche en 2011, présentée comme un succès populaire, avec environ 2,5 millions de participants. Cette expérience a-t-elle permis la mobilisation de nouveaux profils d’électeurs ?
Tout le monde n’avait pas participé à cette primaire. Ce que l’on avait montré c’est que loin de mobiliser l’ensemble du corps électoral, et notamment à gauche, il manquait deux groupes sociaux importants pour son électorat habituel : les jeunes d’un côté et les milieux populaires de l’autre. Surtout les jeunes. Sur les 1 000 questionnaires qu’on a fait passer dans les bureaux de vote, environ 500 par tour de scrutin, la jeunesse était sous-représentée. En revanche, une majorité des répondants avaient un profil sociologique proche de celui des adhérents traditionnels du Parti Socialiste, c’est-à-dire des individus plutôt âgés, issus des catégories socio-économiques élevées et particulièrement politisés.
Les primaires ouvertes ce sont imposées dans le paysage politique français, au point que le Parti Socialiste y recourt à nouveau en janvier prochain. Outre ses difficultés, comment se fait-il que François Hollande ne jouisse pas d’un statut de candidat « naturel » en tant que Président sortant ?
Les primaires se sont imposées comme le moyen de désignation des candidats, en tout cas pour les deux principaux partis français qui l’ont adopté. Il est difficile d’imaginer un retour en arrière. On peut penser qu’une fois adoptées, les primaires ouvertes resteront. D’ailleurs, concernant le Parti socialiste c’est devenu une obligation, inscrite dans ses statuts.
Cependant, on observe que tout est fait pour que la primaire ne soit pas hautement concurrentielle. Plus encore quand on est président sortant en difficulté dans les sondages et qu’on se représente à la primaire. C’est à dire qu’il y a des candidats minoritaires, avec peu de poids, qui ont peu de chances de l’emporter en somme, pour faciliter la réélection. Ce qui ne veut pas dire que c’est ce qu’il va se passer. Dans l’avenir, on peut penser qu’il y a des primaires qui seront utilisées plus pour légitimer un candidat, déjà prévu, que pour organiser une véritable concurrence entre les différents candidats.
Rémi Lefebvre, professeur en science politique à l’université Lille 2, avec lequel vous avez travaillé sur son dernier ouvrage, reproche à ce mode de désignation des candidats de favoriser les logiques d’opinion au détriment du socle idéologique du parti. L’influence des médias et des sondages est-elle renforcée avec l’organisation des primaires ouvertes ?
L’influence des sondages d’intentions de vote existe, mais elle est impossible à mesurer, pour les primaires comme pour autre chose. On sait juste qu’elle existe. On peut penser que c’est plus fort quand les primaires sont ouvertes, parce qu’on peut imaginer que les canaux d’information des sympathisants sont plus à rechercher du côté des médias de masse, alors que chez les adhérents c’est plus à l’intérieur des discussions au sein des partis. Ce qui ne veut pas dire que les médias de masse et les sondages d’opinion ne comptent pas pour les adhérents. Mais on peut penser qu’il y a des effets plus puissants auprès d’un électorat qui ne participe pas aux activités régulières du parti et qui raisonne moins sur des bases idéologiques. Il est cependant difficile de dire dans quelle mesure les sympathisants voteraient moins sur des bases idéologiques.
Avez-vous observé des différences de vote entre les sympathisants et les adhérents ?
À Montpellier en 2011, on a observé que le vote pour les outsiders est plus fort chez les sympathisants que chez les adhérents. Pas très étonnant, puisque des participants viennent de l’extérieur pour peser sur le vote. Certains ne vont pas voter pour le candidat du parti au premier tour de la présidentielle mais veulent quand même choisir le moins pire pour le second.
Il y a aussi une forte domestication des suffrages chez les adhérents, qui tient au contrôle des élus locaux sur leur fédération. Ce sont des domestications qu’on observe sur de nombreux scrutins. Quand il faut voter pour des motions, bien souvent les adhérents s’alignent assez largement sur la position de celui qui tient la fédération. Donc là encore ça pose deux questions. Est-ce que c’est sur des bases idéologiques, est-ce que c’est parce qu’ils sont convaincus de cette ligne-là ? Ou est-ce qu’il y a d’autres logiques interpersonnelles, de loyauté, qui priment ? Ça peut être les deux à la fois d’ailleurs, sans que ce ne soit très conscientisé par les acteurs.
On peut penser que c’est justement parce que les sympathisants sont plus éloignés des relations de parti. Derrière il y a l’idée que voter de manière raisonnée, instruite, éclairée, c’est faire partie d’un parti, c’est participer aux discussions. C’est pour ça que la thèse de Rémi Lefebvre, à laquelle je souscris largement, est quand même critiquable. On peut discuter de cette thèse. Un sympathisant n’est pas forcément moins politisé, moins éclairé, moins averti.
Justement, l’appareil partisan et les élus locaux gardent-ils un contrôle sur ce mode de désignation des candidats, ne serait-ce que dans le choix de ceux qui pourront concourir aux primaires ?
Effectivement, pour se présenter, les candidats doivent remplir des conditions de parrainage. C’était le cas en 2011 pour la primaire de la gauche, et c’est encore le cas pour la primaire de Les Républicains. Puis, à l’intérieur de la primaire, les responsables des partis soutiennent tel ou tel candidat. On l’a bien vu avec la primaire du Parti socialiste, où les deux candidats dominants, Martine Aubry et François Hollande, étaient ceux qui avaient eu la main sur le parti, et qui par là même disposent de tout un réseau de soutiens. D’ailleurs Martine Aubry a fait de meilleurs résultats dans le nord de la France, puisque c’était là qu’elle disposait du plus de soutiens et qu’elle était davantage connue. Ensuite, les adhérents vont souvent s’aligner sur les positions dominantes.
Est-ce que les élus locaux ont un avantage à soutenir tel candidat plutôt qu’un autre ?
Il y aura des récompenses. Une de nos hypothèses, mais ça ne sera vérifié que dans quelques mois, c’est que si jamais le prochain Président de la République se trouve parmi ces candidats [de la primaire de la droite et du centre], qu’il s’agisse de Juppé, Fillon ou Sarkozy, c’est que la carrière politique des parrains sera un peu boostée par rapport aux autres. Peut-être relativement, peut-être de peu, peut-être de beaucoup pour certains. Parce qu’on pense qu’il y a des formes, des logiques de récompense. Des gens qui seront peut-être promus ministre, ou secrétaire d’État, ou député, etc…
Est-ce que vous pensez, que la pérennisation de ces primaires ouvertes pourra impacter les formes de militantisme, puisque la désignation du candidat à l’élection présidentielle occupait une place importante dans l’offre d’adhésion ?
Certainement, c’est aussi une des thèses fortes de Rémi Lefebvre, à laquelle j’adhère. Il faut toujours le conjuguer au conditionnel quand même parce que c’est difficile à mesurer et il y a d’autres facteurs qui jouent. La primaire contribuerait à dévaloriser le statut du militant traditionnel, qui effectivement se voit un peu déposséder d’un pouvoir essentiel qui est celui de la sélection des candidats à l’élection sur la base d’une participation régulière aux activités du parti. Ça favoriserait au contraire des formes de militantisme un peu plus atomisées, intermittentes, ou même d’engagement sans militantisme.
En 2007, lorsque le Parti socialiste avait organisé des primaires, mais cette fois-ci uniquement réservées aux adhérents, il y avait déjà une tendance à une certaine ouverture. Dans la mesure où ils avaient mis en place la fameuse carte d’adhésion à 20 euros, qui avait un prix beaucoup plus bas que ce qui se faisait habituellement. Du coup, on a vu un reflux beaucoup plus important du nombre d’adhérents, qui en fait adhéraient juste pour pouvoir participer à la sélection du candidat à la présidentielle. À l’époque c’est Ségolène Royal qui avait été désignée contre Laurent Fabius et Henri Emmanuelli. Des études ont montré que beaucoup de ces nouveaux adhérents avaient voté Ségolène Royal, considérant sur la base des sondages d’opinion de 2006 que c’était elle qui avait le plus de chances de l’emporter dans le cadre d’une présidentielle. De ce fait, ce sont des adhérents qui ont très vite quitté le parti sitôt l’élection terminée. Ils n’ont peut-être même jamais participé à une réunion partisane. Donc effectivement ça change le militantisme.
Cette dévalorisation est-elle surtout perceptible à gauche ?
On peut penser que ça dévalorise le militantisme traditionnel qu’on voyait à gauche, notamment au Parti socialiste, au profit d’une figure du sympathisant beaucoup plus électron libre. Même si le sympathisant reste proche des milieux d’adhérents. Il y a rarement une étanchéité complète entre les deux. Il y a souvent parmi les sympathisants des anciens adhérents, ou alors leur conjoint, frère, sœur, qui adhérent au parti. On est plutôt sur des logiques de continuum.
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