« Au temps où les Arabes dansaient » : l’art de la transgression

Par le 6 décembre 2018

Diffusé pour la première fois en France à l’occasion de l’ouverture du Festival International du Film Politique, « Au temps où les Arabes dansaient » éveille les consciences et suscite l’enthousiasme dans les festivals étrangers. Retour sur un documentaire original du cinéaste belge Jawad Rhalib.

L'affiche du film lors de sa diffusion au Festival de Toronto

On les entend à plusieurs reprises mais on ne voit jamais leurs visages. “Je donne la parole aux fondamentalistes uniquement pour introduire le véritable sujet : la transgression des règles islamistes par les artistes”, explique le réalisateur Jawad Rhalib.
Résultat de cinq ans de tournage en Belgique, au Maroc, en Egypte et en Iran, Au temps où les arabes dansaient donne la parole à ceux qui doivent se cacher pour exercer leur art. Danseurs, comédiens, philosophes et performeurs en tout genre, tous sont sous la menace d’une fatwa, avis juridique donné par un spécialiste de la loi islamique sur leurs activités. “Les convaincre de témoigner à visage découvert pour ce documentaire a été une épreuve longue et difficile”, détaille le cinéaste. “Pour les islamistes, la danse est associée à la prostitution et les femmes qui se maquillent ou se parfument sont accusées de provoquer les pulsions sexuelles des hommes.
A travers les difficultés de ces artistes, Jawad Rhalib met en avant plusieurs aspects de la culture arabe oubliés par les Orientaux eux-mêmes, mais aussi par les Occidentaux. Car bien plus qu’une succession de témoignages, Au temps où les Arabes dansaient, montre les performances artistiques des personnages, accompagnées par une musique qui évolue tout au long du documentaire. “Au début du film, la bande son est mélancolique mais j’ai voulu mettre quelque chose de plus positif à la fin”, justifie le compositeur Simon Fransquet. “La musique est un véritable personnage du documentaire”, appuie Jawad Rhalib.

Quand le contemporain est régressif

Dans ce Moyen-Orient rétrograde où pouvoirs politique et religieux se confondent et étouffent la culture, le cinéaste se refuse à toute mise en scène. “L’idée n’était pas de démontrer quelque chose. On est juste là pour capter le réel sans rien imposer aux personnages. Ils ne sont là que pour exprimer leur réalité. Une réalité qu’ils connaissent bien mieux que nous.
Une réalité que les artistes veulent combattre. Mais à l’image de l’acteur belge Mourade Zeguendi, en pleine répétition d’une adaptation théâtrale du roman d’anticipation de Michel Houellebecq Soumission, la peur des représailles des fondamentalistes est prégnante.
Dans ce contexte de peur permanente, on en oublierait presque que cette situation n’a pas toujours existé. “Il y a 50 ans, le président égyptien Nasser se moquait des Frères Musulmans. Les moeurs étaient bien plus modernes qu’aujourd’hui et l’art fleurissait au Moyen-Orient”, rappelle Jawad Rhalib.

Car au milieu du XXè siècle, la femme orientale s’épanouissait dans les arts et la mode et le rigorisme était marginalisé. Pour Jawad Rhalib, les fondamentalistes musulmans ont commencé à imposer leurs visions au début des années 1980.
Le religieux a pris le dessus avec l’arrivée de Khomeini à la tête de l’Iran. Arrivée à laquelle la France n’est pas étrangère. C’est avec lui que s’est lancée la mode des fatwas. Aujourd’hui, le danger est réel et je ne suis pas optimiste. L’extrême droite renforce les fondamentalistes, et les islamistes boostent l’extrême droite. Au milieu, une majorité silencieuse a peur d’agir et les dirigeants politiques ne font plus appliquer les lois laïques pourtant en vigueur comme l’interdiction de la burqa”, conclut le cinéaste pour qui le salut “viendra de l’éducation et de la culture.”

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