Consommation : Malbouffe dans L’Assiette Sale

Dans le cadre du festival AlimenTerre à Montpellier, le cinéma Utopia a accueilli jeudi 13 novembre une projection-débat autour de L’Assiette Sale. Ce documentaire d’1h20 retrace en quelques étapes clés les aberrations du système alimentaire qui pourtant nous nourrit. En voyageant « Des OMI aux AMAP », le cinéaste Denys Piningre nous livre sa vision engagée et militante d’une machine agricole qui broie tout sur son passage.

Quel est le projet de L’Assiette Sale ?

L’assiette sale est un film documentaire réalisé suite au conflit social opposant grandes exploitations agricoles et ouvriers saisonniers étrangers. En 2005, les 270 ouvriers saisonniers de cette entreprise de Saint Martin de Crau ont appris que leur exploitation allait fermer, gravement abimée par la sharka, une maladie arboricole. Conditions de travail déplorables, logements catastrophiques, non-paiement d’heures supplémentaires : la fermeture imminente a déclenché la grève. Une première absolue dans le monde des saisonniers. A partir de là, j’ai essayé de comprendre comment, en 2005 et dans un pays développé, on pouvait assister à des situations proches de l’esclavage.

Vous utilisez fréquemment ce terme d’esclavage. Pourquoi ?

Dans les procès qui ont eu lieu récemment, le terme d’« esclavage moderne » sert à décrire précisément et juridiquement certaines de ces situations là. Les contrats OMI [[(Office des Migrations Internationales)]] sont des contrats Etat à Etat qui encadrent la relation entre les saisonniers étrangers et leurs employeurs français. Ce sont de vrais contrats, mais un peu limites vis-à-vis des droits du travail. Si de nombreux exploitants agricoles utilisent à bon escient les OMI, il n’en reste pas moins que ce contrat permet certains débordements, notamment quand les employeurs ne sont pas très scrupuleux. Mais au-delà de tout ça, j’ai surtout voulu comprendre quel était le système qui pouvait générer ce type de comportements. Et ce système porte un nom bien connu : l’agriculture intensive.

Jean Pierre Berlan, ingénieur agronome et ancien de l’INRA, intervient dans le film pour dire de l’agriculture intensive que « c’est un système qui ne marche pas ». Qu’est ce que cela signifie ?

Que ce système va lui-même à sa perte. Quand on dit en France qu’une exploitation agricole ferme toutes les 20minutes, on ne peut pas dire que ça marche bien. Quand on admet que la France possède un terroir capable de permettre une auto suffisance joyeuse et prospère, pourquoi aller chercher nos tomates au Maroc ? Tout simplement parce que nous somme dans un circuit où il existe des intermédiaires, centrales d’achat et grande distribution, qui vont essayer de ramasser le plus d’argent possible au passage.

Face à ces comportements, le consommateur a-t-il réellement une marge de manœuvre ?

Il faut se rappeler une chose, c’est que l’agriculture intensive a été la solution inventée dans les pays développés pour répondre au boom de la population après la seconde guerre mondiale. Depuis les années 80, on observe un basculement. Mais ce n’est pas en claquant des doigts que nous changerons de système. Car il ne faut pas oublier que nous avons en face de nous des gens qui ont des intérêts énormes et une puissance de tir formidable.

A la fin de L’Assiette Sale, vous développez de nouvelles perspectives. En quoi constituent-elles l’avenir ?

Les AMAP [[(Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne)]], les marchés de producteurs, les paniers paysans et les bio-coop font un travail très intéressant. Je pense personnellement qu’il y a un retour à l’agriculture naturelle. Dans ces initiatives, on remarque généralement, un rapprochement du lieu de production et de consommation pour éviter le transport. Avec l’agriculture biologique, vous supprimez tous ces produits appelés pudiquement phytosanitaires et qui nous empoisonnent au sens propre du terme. Pour progresser, l’homme est obligé d’être dans un rôle d’ « apprenti sorcier ». Le problème c’est que de temps en temps, il serait intéressant de regarder un peu plus loin que le bout de son nez.

L’Assiette Sale, des OMI aux AMAP, documentaire écrit et réalisé par Denys Piningre, 2007.
www.galopinfilms.com

La révolution zamapiste

A la croisée des chemins entre tendance bio, consommation responsable et retour à la terre, promenade du côté du Jardin des Vesses à Lansargues (Hérault) et rencontre du troisième type. Aussi éloigné de l’agriculture raisonnée que de l’agriculture chimique, Laurent Chabaud nous invite à devenir acteur de notre propre alimentation en proposant d’intégrer une AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) certifiée bio.

Un jeudi soir comme tous les autres depuis trois ans, le rendez-vous est donné sur le parking des Arceaux, au fond à gauche. Sous l’aqueduc de bleu vêtu, la pluie tombe en fines gouttes sur les cagettes en bois de Laurent, comme pour former une délicate rosée sur les fruits et légumes de la cinquantaine de paniers. Ils sont aujourd’hui composés d’une salade, de deux poireaux, d’un demi céleri rave, d’un oignon et d’une tranche de courge, de quelques carottes, pommes de terre, pommes et poires. Cinq kilos : une bonne dose de goût et de vitamines à partager en couple, en famille ou en coloc’.

« Salut, tu vas bien ? » : Laurent connaît presque tous les prénoms d’une liste d’émargement que chacun signe en arrivant. Ils seront pour la plupart au rendez-vous, les autres se seront organisés pour qu’un autre « zamapiste » lui prenne son panier ou pour le récupérer samedi, au marché, sur le stand de son producteur. C’est que chaque membre d’une AMAP, et c’est bien ce qui fait la spécificité du système, est tenu par un véritable engagement : le temps d’un semestre, le consommateur assure à l’agriculteur l’achat d’un panier par semaine, à hauteur de 54 euros par mois. Un véritable abonnement à une nourriture bio de qualité et de saison, produite à 22 kilomètres à peine de sa cuisine. Et pour l’agriculteur, l’assurance de pouvoir vivre du fruit de son labeur, sans trop produire pour ensuite jeter, comme sont contraints de le faire maints confrères, agriculteurs bio ou non, « parce que y’a quand même des gens qui crèvent la dalle !».

Une petite entreprise qui ne connaît pas la crise

Laurent n’en est pas peu fier, de son AMAP. Et pour cause: créée il y a trois ans, elle lui assure de pouvoir cultiver son exploitation de trois hectares tournants sans le souci du lendemain –le règlement mensuel étant versé a priori- tout en transmettant son savoir à un stagiaire, voire à un futur employé. Se cantonnant au départ aux employés de l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement) de Montpellier, le cercle s’est bientôt élargi « surtout par le bouche à oreille » pour parvenir à un chiffre qui restera secret. Vous êtes prévenus : la capacité d’accueil d’une AMAP bio est limitée, les dernières places sont « sur le marché »…

Fier, mais aussi pédagogue : « Vous connaissez les études du professeur Joyeux ? », et d’embrayer sur ce cancérologue montpelliérain qui a conduit une étude comparative sur les résultats des trois types d’agriculture, comparant non seulement leur taux de produits chimiques mais aussi celui de sels minéraux, vitamines et autres bienfaits. Le résultat est stupéfiant quant aux risques de contracter un jour un cancer… « L’étude a été enterrée, bien sûr…».

Mais si le label bio fait la particularité de l’AMAP créée autour de l’exploitation de Laurent Chabaud, ses consommateurs, « de 17 à 80 ans, jeunes pour la grande majorité, environ 30 ans », ont encore bien d’autres arguments à avancer, sans toutefois verser dans le prosélytisme. En vrac, le souci de faire des économies tout en aidant celui qui produit le contenu de son assiette, « une relation de confiance », l’aspect éducatif de redécouverte de certains légumes et d’une autre façon de s’alimenter et de concevoir les repas, l’ambiance zamapiste enfin. Le renouveau d’un lien social oublié dans les rayons des hypermarchés, « c’est aussi ça une AMAP ! » : plus qu’un retour aux anciennes valeurs, une (r-)évolution qui pourrait s’avérer majeure, pour peu qu’elle soit relayée.

« Micro-parking » :

Marie-Hélène Petiot
Marie-Hélène Petiot, enseignante, 44 ans, 3 enfants (7, 13 et 16 ans), Montpellier, zamapiste depuis 1 an :
« J’ai connu le système des AMAP par les médias. J’ai été séduite par le côté biologique bien sûr, mais aussi par l’idée du contrat : aider un paysan en lui payant six mois à l’avance ses paniers pour qu’il puisse s’organiser plus facilement. Les produits sont biologiques tout en étant moins chers qu’au marché bio des Arceaux. Nous sommes cinq, donc j’achète tout de même d’autres fruits et légumes au supermarché. En plus, l’ambiance est sympathique : par exemple quand on découvre de nouveaux légumes, on s’échange les recettes. J’aime ce côté éducatif, instructif. Et puis ça m’oblige à les cuisiner. Je suis curieuse d’aller voir l’exploitation et j’aimerais y emmener les enfants qui font un peu la tronche tous les jeudi soirs… »

Julien et Maud
Julien, 31 ans, chef de projet dans un bureau d’étude spécialisé dans l’assainissement et Maud, 27 ans, comptable pour un syndic de copropriété, Montpellier, zamapiste depuis 2 ans :
« On a fait des recherches via Internet. Adhérer à cette AMAP c’est une façon de s’obliger à manger de tout, plus que de manger bio, de varier les fruits et légumes de saison, de les faire produire dans la région. On partage le panier à trois en coloc, en ne mangeant que le soir à la maison. »

Lenny Mercier, 26 ans, en thèse de biologie à Montpellier II, zamapiste depuis octobre:
« J’ai connu cette AMAP par un ami qui m’a dit que c’était la moins chère et la seule à être bio. On cuisine en famille, et quand on ne sait pas quoi faire on consulte marmiton.fr. Aujourd’hui, je prends deux paniers : le mien et celui d’un ami qui n’a pas pu venir ce soir. Je compte aller à Lansargues voir ça de plus près au printemps. »

Tin-Hinane, trentenaire, zamapiste depuis 1an et demi:
« Au début, nous prenions nos paniers sur le site d’Agropolis, à l’IRD, là où travaille mon compagnon. Ce qui nous plaît dans le système des AMAP, c’est l’idée d’une agriculture de proximité, ça permet d’acheter des légumes à côté, de ne pas les faire venir de n’importe où, de permettre à un agriculteur de vivre. La seule contrainte quand on est très pressé, c’est qu’il faut quand même cuisiner. Au début, on était un peu dépassé, on n’avait même pas fini le panier que le suivant arrivait. Surtout que y’a des légumes qu’on est pas habitué à cuisiner, comme les choux et les navets. »

Kamel Hadj-Kaddour, 30 ans, chercheur, zamapiste depuis 1 an :
« Pour moi, c’est adopter une démarche raisonnée de l’agriculture, mais c’est aussi motivé par le goût. C’est forcément plus cher, mais les produits sont cultivés dans le coin. En temps que chercheur, je suis séduit par les initiatives du CIRAD, institut de recherche gérant des AMAP pour développer le concept.»