« L’impression d’être les boucs émissaires »

Le malaise est grand entre les clubs de football et les arbitres. Interview de Philippe Malige, arbitre de Ligue 1, qui revient sur la pression exercée à leur encontre ces derniers temps.

Comment réagissez vous aux tensions survenues cette semaine à propos de l’arbitrage ?

La même réaction que mes collègues, on en a assez ! On a l’impression d’être les boucs émissaires même si on ne nie pas qu’il y a des erreurs. C’est un acharnement qui ne nous met pas dans de bonnes conditions, qui ne nous permet pas de travailler avec sérénité.

Avez vous senti le ton monter récemment ?

Le ton est monté doucement. On sentait la polémique sous-jacente. Il ne fallait plus qu’un prétexte pour qu’elle réapparaisse. De plus, le championnat est sur sa fin, il y a de plus en plus de crispation. Ce genre de polémiques n’arrive pas en début de saison, au bout de 4 ou 5 journées.

Comment expliquer la dégradation du climat ?

On a trop laissé passer certaines déclarations aussi graves. Si dès le départ on ne réagit pas, on s’expose à cela. Il aurait fallu éviter cette escalade dans les propos. La commission d’éthique n’a saisi aucun de ces dossiers.

Avec l’évolution du football, est-ce devenu plus difficile d’arbitre qu’auparavant ?

Ok, le jeu s’est accéléré mais parallèlement on est plus préparé. Mais nous restons des humains. Nous essayons de faire le moins d’erreurs possible. Il ne faut pas systématiquement les stigmatiser. Quand un attaquant loupe un but tout fait ou frappe trois mètres au-dessus, on ne s’arrête pas autant sur cette erreur.

Le « ras le bol » des arbitres de L1

Depuis la finale de la coupe de la Ligue, les critiques envers le corps arbitral se multiplient.

Le torchon brûle entre les arbitres de Ligue 1 et les clubs. Toute la semaine, entraîneur et présidents de clubs sont montés au créneau pour critiquer un corps arbitral jugé défaillant. Les polémiques se multiplient et le malaise, déjà bien palpable cette saison, s’est encore agrandi.

La colère de Gervais Martel, à l’issue de la finale de la coupe de la Ligue perdue par Lens contre le PSG samedi dernier au stade de France, avait donné le ton: «Il y a un penalty imaginaire de sifflé. C’est incroyable qu’un arbitre qui est soi-disant parmi les meilleurs arbitres français puisse prendre une telle décision (…) il faut le mettre six mois en National».

Mercredi dernier Antoine Kombouaré en a rajouté une couche, annonçant qu’il allait enfreindre le protocole en ne serrant pas la main des arbitres avant la prochaine rencontre de Valenciennes à Caen. Il compte ainsi protester contre «une nouvelle discrimination» à son encontre, la troisième suspension en un an.

«Mettons leur un chapeau et un costume et prenons les en photos»

Les erreurs d’arbitrages ne sont pas l’apanage de la Ligue 1. Lors de sa conférence de presse hebdomadaire, Rolland Courbis, entraîneur du Montpellier Hérault, s’est également lâché. Revenant sur le penalty donné à retirer puis loupé par son équipe contre Reims, le coach montpelliérain a fustigé le corps arbitral. «Avant, j’avais envie de les aider mais désormais je vais arrêter, je vais être égoïste.» Il ajoute, provocateur comme à son habitude :«Mettons leur un chapeau et un costume et prenons les en photos. Normalement on ne doit pas parler de l’arbitre mais là on ne parle que d’eux». Il ne se fait pas non plus prier pour évoquer l’ensemble des erreurs ayant pénalisé son équipe au cours de la saison.

«Les conséquences de tels agissements sont incalculables et dévastateurs»

Le syndicat des arbitres de football élite (SAFE) n’a pas tardé à réagir et a souhaité «tirer un signal d’alarme pour que chacun retrouve sa sérénité après une recrudescence des dérapages verbaux et lbai_arbitre.gifcomportements agressifs» envers les hommes en noir. Pour le syndicat, remettre en cause «la probité et l’intégrité morale» des arbitres ne peut qu’être néfaste pour le football français. «Les conséquences de tels agissements sont incalculables tant par l’effet dévastateur sur le grand public que par la crise de confiance qu’ils insinuent entre les techniciens du football et surtout par leurs impacts déplorables sur l’arbitrage amateur». Dans ce climat tendu, le SAFE a même écrit à son « ministre de tutelle » Bernard Laporte pour demander sa «protection contre les attaques personnelles, en diffamation et injures publiques»

L’image des arbitres français auprès de l’UEFA ne risque pas de s’améliorer dans ce contexte alors qu’aucun représentant tricolore en sera à l’Euro 2008 en juin.

Marc Batta, ancien arbitre international et directeur national de l’arbitrage souhaite calmer le jeu et rendre les relations moins tendues. «Les insultes personnelles doivent être rejetées par la communauté du football». A quelques heures du très attendu Marseille-Lyon au stade Vélodrome, il n’est pas sûr qu’il ait été entendu. Entre clubs et arbitres, le divorce semble consommé.