Aurel, portrait d’un épicurien du dessin

En plein cœur de l’Écusson, Aurélien Froment alias Aurel partage un atelier, « La porte de gauche », avec Albane, Cécile et Jean. Trois de ses amis qui ont, selon lui, un « vrai métier ». Aurel est dessinateur, de presse notamment, mais ne se résume pas qu’à ça.
Originaire d’Ardèche, il vit à Montpellier depuis qu’il a obtenu sa majorité. À 32 ans, il partage sa vie avec une infirmière, sa muse, avec qui il a coproduit deux enfants et élève un chat comme il aime à dire.

En préparant un café ristretto, Aurel avoue qu’il n’était pas destiné à devenir dessinateur. Dans sa jeunesse, il considère le dessin comme un simple loisir qu’il ne cherche pas à partager.

Au lycée, passionné de musique, il a les cheveux longs et joue du piano dans plusieurs groupes. Son jazzband, le Flying Pélardon, acquiert même sa petite renommée. Seulement le jazz, confie-t-il avec un sourire malicieux, « c’est moins funky et sexy que le hard rock pour devenir la star du lycée.»

« Charb, c’était mon idole quand j’avais 15 ans.» Encore maintenant, il a les yeux qui sourient en parlant du dessinateur de Charlie Hebdo, notamment « son trait, d’une efficacité redoutable et son humour dévastateur. C’est le seul qui puisse me faire hurler de rire ». À cette époque, il ne conçoit pas le métier de dessinateur autrement que par la publication dans Charlie Hebdo, véritable institution à ses yeux. Il commence donc à leur envoyer ses dessins mais son parcours sera tout autre.

Après un bac scientifique et deux échecs au concours de pharmacie, il envisage enfin une carrière artistique. Comme aucune école d’arts ne lui ouvre ses portes, il s’inscrit en BTS de bio-chimie sous la pression de ses parents. « Après deux ans de bachotage en pharma, c’était facile à suivre. » Il s’offre alors le luxe de suivre, en parallèle, une formation de bande dessinée par correspondance. Major de promo, il refuse la place en école d’ingénieur qui lui est pourtant réservée.

« Je considère Tignous comme mon père dans le métier »

En terminant sa tasse de café, Aurel explique que tout s’accélère lors de sa rencontre avec Tignous, dessinateur à Charlie Hebdo. Il devient en quelque sorte son mentor et lui permet d’atteindre l’objectif qu’il s’est fixé : percer dans le métier en seulement un an. Il aide Aurélien, le conseille, le soutient, critique son travail lorsque c’est nécessaire. Aurélien encaisse et progresse. « C’est difficile de ne pas prendre la critique de manière personnelle quand tu mets tes tripes dans chaque dessin, encore aujourd’hui ». Le travail paie, il commence à publier dans l’Héraut du jour, Cocazine et le Courrier du club de la presse de Montpellier.
Aurélien doit choisir rapidement une signature, un nom qui deviendra sa deuxième identité, celle de l’artiste. Bien que cela n’ai jamais été son diminutif, il devient Aurel.

« Là où je suis le plus à l’aise et le plus heureux c’est derrière ma planche à dessin.» Aurel fait un choix risqué mais payant, celui de renoncer à la capitale et son réseau. En vivant à Montpellier, il a prit le parti de conserver un confort de vie personnel et familial pour produire des dessins de qualité.
Un pied dans l’engrenage de la presse régionale, s’ensuivent de nombreuses publications notamment dans : Psikopat, Le Monde, CQFD, Jazzmagazine, Politis, le Nouvel Observateur ou encore Yahoo ! Actualité. Il varie les supports et les exercices : « Sujets imposés ou carte blanche, tout est stimulant. »

« Dans le boulot, c’est l’envie et le désir qui prime »

S’il tire le principal de ses revenus du dessin de presse, Aurel se considère avant tout comme un dessinateur tout court. Il ne se prive de rien, il veut goûter à tout. Illustrations de plusieurs bandes dessinées et de carnets de voyages, co-réalisation d’un court métrage d’animation avec Florence Corre, co-initiateur de la première application smartphone et internet française d’abonnement à du dessin de presse : Ça ira mieux demain. Il n’est pas boulimique de travail, il est juste gourmand.

Actuellement, il prévoit l’illustration de trois bandes dessinées et un film d’animation en long métrage. Un autre projet qui lui tient à cœur : achever l’écriture d’un disque, dont les chansons seront interprétées par des amis chanteurs.
Aurel ne sait pas où il sera dans dix ans, mais une chose est sûre il sera là où il a envie d’être, il ne veut rien s’interdire.

Festival « Hérault Trait Libre » : le dessin de presse fait fi des frontières

29 dessinateurs de presse et 18 nationalités étaient réunis le week-end dernier à Pierresvives. Ils étaient présents pour célébrer le festival Hérault Trait Libre, premier festival du dessin de presse, avec la thématique de l’eau en fil rouge. Du Japon jusqu’à Cuba, en passant par l’Iran, Madagascar ou Israël, tous sont membres de l’association Cartooning for peace, présidée par Plantu. Les enjeux du dessin de presse varient considérablement d’un pays à l’autre. Et la notion de liberté peut changer du tout au tout. Mais tous ont en commun la passion du dessin. Des idées, un seul langage, une image. Rencontre avec six dessinateurs.

No-Rio : la langue e(s)t l’image

NORIO.jpg Le plus important pour No-Rio, c’est de transmettre un message. « L’image est à la base du langage, elle est la parole la plus simple. » Le japonais a travaillé dans le cinéma et dans le dessin animé puis s’est entièrement consacré au dessin de presse. « Au début, j’avais du mal à m’exprimer uniquement par l’image, mais, à force, j’ai appris à réduire mes phrases » confie le nippon. Même dans un pays comme le Japon, il est parfois difficile de publier certains dessins. La pudeur des Japonais empêche d’aborder des sujets lourds en émotion. Selon No-Rio, « que ça soit pour le 11 septembre ou pour le tsunami en 2011, les gens en souffrent encore. (…) Ce dessin par exemple, (voir ci-dessous) n’a pas du tout été apprécié. Pourtant vous y voyez quelque chose de mal ? ». C’est pourquoi il publie souvent dans des médias étrangers. « Le dessinateur est un être idéaliste, il dessine pour le résultat. Moi, je dessine pour garder espoir en la liberté de la presse » conclut-il.

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Ares : l’autodidacte free-lance

ARES.jpg Primé à de nombreuses reprises, le cubain a commencé le dessin en caricaturant amis et professeurs. Puis, il s’est attaqué à « l’humour, sans aucun contenu politique. » Le temps fait son travail et Ares fait du chemin : « Mon humour a évolué… Du point de vue du contenu et du point de vue de la forme. Un humour avec plus de préoccupations sociales. » Pour autant, l’artiste, qui met un point d’honneur sur son indépendance, dit toujours, ne pas toucher au politique. Publié à Cuba, mais surtout à l’étranger, il parle de son dessin comme d’un langage sans frontières textuelle ou idiomatique : « L’humour avec lequel je travail est sans textes. Il se comprend bien et a plusieurs lectures. Très souvent je fais un dessin pour une situation et il sera utilisé dans une autre publication, pour un thème très différent. »

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Bousiko : une image, 1 000 mots

BOUSIKO.jpg Originaire d’Haïti, Bousiko a fait ses premières dents sur la bande dessinée avant de se lancer dans le dessin de presse. Il travaille à présent pour les journaux haïtiens, Le Matin et Le Nouvelliste. « Aujourd’hui, je travaille seul. J’écoute, j’observe et je dessine. Je me suis vite rendu compte qu’un dessin vaut plus que 1 000 mots » affirme le caricaturiste. Les restrictions quant au dessin de presse en Haïti sont de moins en moins nombreuses. Le pays est en totale reconstruction et la presse est un élément qui y contribue. Bousiko fait partie de ces dessinateurs militants qui veulent voir de l’avant. Il termine en déclarant : « Je veux donner de l’espoir à mon pays et montrer au monde que Haïti n’est pas sur le point de périr. »

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Firoozeh : devoir d’auto-censure

FIROOZEH.jpg En Iran, les interdits sont partout, surtout dans la presse. Pour Firoozeh, le problème vient de l’État qui multiplie les limites. « Limites politiques, sociales… je ne peux même aborder de sujets économiques depuis les nouvelles mesures internationales », mais en contrepartie « ces limites nous obligent à plus d’imagination » assure-t-elle. Après avoir fait de l’illustration pour enfants, la dessinatrice s’est tournée vers le dessin de presse et a travaillé dans près de 10 journaux. En Iran, le pouvoir décide à lui seul de l’ouverture et de la fermeture des titres de presse, ce qui force les journalistes à l’autocensure : « Je n’ai jamais eu de problèmes avec mes dessins car je m’autocensure. Si ce n’est pas moi, ce sera le rédacteur en chef qui le fera. Le risque de voir la fermeture du journal est trop grand.»

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Boligán : Un dessin sans alphabet, un dessin universel

BOLIGAN.jpg 1992. « L’Europe de l’est vient de s’effondrer » et il ne reste que « très peu d’espace de publication à Cuba ». Boligán est alors embauché au Mexique. Son coup de crayon ? Un syncrétisme, entre le style d’Union-soviétique -~sans texte~- et la griffe caribéenne. Combinant humour et réflexion, ses dessins « traitent de problèmes universaux et non précisément de politique (…) Ça peut concerner le Japon comme la France. » Les questions de la globalisation, de l’écologie, ou des technologies, le sensibilisent. Convaincu que « la caricature est un moyen efficace pour tenter d’activer la conscience », Boligán se réjouit qu’elle soit « respectée » et « toujours vue dans un journal – même s’il n’est pas lu. Encore plus aujourd’hui avec les moyens électroniques. » Il regrette que l’impact ne soit pas aussi grand dans son pays natal, où « il y a moins de journaux et pas d’accès Internet. »

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Côté : 99 %

COTE.jpg Originaire du Québec, Côté travaille aujourd’hui pour le quotidien Le Soleil. Il a d’abord fait de la science-fiction et du dessin pour enfants. « L’avantage du dessin de presse, c’est que l’on n’est pas astreint à la rigueur journalistique. On peut jouer davantage sur l’émotion. » souligne-t-il. Le québécois préfère les sujets polémiques aux sujets consensuels, il a notamment été très inspiré lors des manifestations étudiantes de 2012 au Canada. Il ajoute que « le dessin de presse est vu par 99 % des lecteurs, ça nous donne plus d’impact. L’interaction avec le public est plus importante. » Côté n’a jamais eu à se soucier de savoir si ce qu’il faisait était publiable ou non. Il le résume en affirmant : « La censure nous est complètement extérieure. Il faut juste faire attention au niveau de langage. Il y a une certaine manière de dire les choses. »

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L’association Cartooning for peace a été créée en 2006, afin de promouvoir la tolérance et le dessin de presse comme « moyen d’expression d’un langage universel ». Si chaque pays a ses contraintes en termes de liberté d’expression ou de bienséance, il n’en demeure pas moins que le dessin de presse a l’avantage de pouvoir être compris au-delà des frontières.

Des collégiens à la découverte du dessin de presse

« À quel âge, vous avez commencé à dessiner ? », « Vous connaissez des dessinateurs en prison ? », « Combien de dessinateurs il y a dans le monde ? »… 18h30, jeudi dernier, dans l’amphithéâtre de Pierres Vives, à Montpellier, les enfants interrogent les 29 dessinateurs de presse présents à l’occasion de la première édition du festival Hérault Trait Libre. Du 15 au 17 novembre, les dessinateurs du monde sortent de leur bulle, une occasion rêvée pour expliquer le rôle du dessin de presse.

« Si on m’avait tout expliqué avec des images à l’école, j’aurais tout pigé ! », Plantu

L’un des enjeux du festival du dessin de presse est de faire que « les dessinateurs rencontrent le public » explique Plantu, le célèbre dessinateur du Monde. Au programme des festivités, un thème rassembleur : l’eau. Mais, au-delà de ce thème universel, les organisateurs mettent un point d’honneur à expliquer le dessin de presse. Alors quand il faut sensibiliser, c’est dès le plus jeune âge. Ainsi pour l’inauguration du festival de nombreux enfants sont présents. Visite de l’exposition «Lignes d’eau »[[L’exposition reste ouverte au public jusqu’au 28 février 2013 à Pierresvives]] et conférence-débat sont menu du jour.

Après la visite, Plantu ouvre la séance dans l’amphithéâtre. Il insiste sur le rôle essentiel du dessinateur et de l’image pour comprendre la société : « Le rôle du dessinateur est de dessiner tout ce qui se passe pour provoquer un débat. Si on m’avait tout expliqué avec des images à l’école, j’aurais tout pigé ! »

Dans l’assemblée, douze élèves du collège les Escholiers de la Mosson sont présents. S’ils ont préparé leurs questions en classe, ils ne manquent pas une occasion pour prendre la parole. Cette rencontre est l’aboutissement d’un travail suivi : « on a été invité il y a un mois par Pierres vives, plusieurs rencontres ont été organisées avant le festival et mardi dernier les élèves ont dessiné sur le thème de la journée de la gentillesse avec le dessinateur Wingz » précise Denis Tuchais, leur professeur documentaliste.

« Ce qui compte c’est le message », Aurel

Contrairement à ce qui se fait dans une salle de classe, les élèves sont invités à se lever quand bon leur semble pour venir dessiner. En effet, chacun peut s’exprimer en direct sur un écran d’ordinateur relié au grand écran de l’amphithéâtre. Alors que quelques-uns n’osent pas et s’inquiètent de ne pas savoir dessiner, Kap, dessinateur Catalan, intervient: « la première chose, c’est de penser. Alors tout le monde ici est dessinateur ». Aurel, dessinateur Montpelliérain, ajoute que «même si vous dessinez des bonhommes en bâtons, c’est bon. Ce qui compte c’est l’idée que l’on veut faire passer, le message ».

Entre les dessinateurs et les élèves le courant passe bien. Très bien même, Kroll, caricaturiste bruxellois, décide d’inverser les rôles et pose à son tour une « qui s’est déjà fait punir par un professeur car il dessinait en classe ? ». Une dizaine de jeunes se lèvent dans l’assemblée, des rires éclatent dans la salle, les professeurs esquissent un sourire. Et Kroll renchérit : « moi, ça m’arrivait souvent, désormais je dessine en direct le dimanche à la télévision pendant les débats, comme quoi j’ai montré à mes professeurs que l’on pouvait dessiner en écoutant ». À ces mots, les enfants applaudissent.

Chacun y va de son mot d’humour pour encourager les enfants à s’exprimer. À Kroll de conclure : « tous les enfants dessinent, c’est juste que certains s’arrêtent! »