Le vin bio non européen est-il bien bio ?

Au salon Millésime Bio à Montpellier, certains vins viennent de loin. L’Amérique du sud, l’Afrique, l’Australie, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande sont représentés au plus grand salon de vins bio du monde. Mais les vignobles de ces pays sont-ils en accord avec les critères européens de l’agriculture biologique ? Haut courant a mené l’enquête.

« Pourquoi avoir choisi un sujet aussi chiant ? », demande Simon Daure propriétaire du domaine Viña las Niñas, dans la région de Santa Cruz au Chili. En effet, le sujet de la certification bio est loin d’être sexy. Mais un consommateur averti en vaut bien deux, voire trois ! Nous avons donc cherché à savoir si notre vin bio du Chili est bien conforme au bio européen. Pour le président du salon Patrick Guiraud, la question ne se pose pas : « s’ils sont sur le salon c’est qu’ils sont certifiés biologiques ». Comprendre le pourquoi du comment de la procédure fut un long chemin semé de verres de vins. Aucun vigneron ou négociant interviewé n’a une vision globale des démarches administratives. Les deux contrôleurs de l’organisme de certification Ecocert interrogés, n’ont pas la totalité des informations en mains non plus. Mais en recoupant les témoignages et avec l’aide de Valérie Pladeau, ingénieure à Sudvinbio, nous avons réussi à reconstituer le parcours d’importation du vin bio en Europe.

Premier cas de figure : l’équivalence entre le pays exportateur et l’Union Européenne

Si le vin provient d’un pays qui a des équivalences avec l’Union Européenne, la certification du pays tiers suffit pour être certifié bio en Europe. Par exemple, le clos Henry Vineyard, dans la région de Marlborough en Nouvelle-Zélande, est certifié par l’organisme Bio-Gro, comme étant conforme aux standards de la Nouvelle-Zélande. L’Union européenne reconnaît le label de ce pays, le vigneron peut donc appliquer « l’eurofeuille » sur ses bouteilles. -571.jpgPour l’instant, en ce qui concerne le vin, l’Union Européenne a reconnu l’équivalence de cinq pays tiers : le Canada, les États-Unis, la Suisse, la Nouvelle-Zélande et dernièrement le Chili. L’Europe à des équivalences sur les produits biologiques avec huit autres pays (Australie, Argentine, Japon, Tunisie, République de Corée, Costa-Rica, Israël, Inde), mais elles ne concernent pas le vin pour ceux-ci.
L’équivalence ne signifie pas que les réglementations bio de ces pays correspondent exactement à celles de l’Union. Par exemple, les Etats-Unis sont plus strictes sur la définition d’un vin biologique. La dose de sulfites (additifs utilisés pour la vinification) autorisée dans le vin est de 100mg/l chez l’oncle Sam, alors qu’elle varie de 100 à 170 mg/l, en fonction des vins, dans le règlement européen.

Deuxième cas de figure : passer par un organisme de certification

Certains pays comme l’Afrique du Sud, l’Australie ou l’Argentine, ne sont pas reconnus comme équivalents par la commission européenne. Les vignerons et les négociants doivent donc passer par des organismes certificateurs pour exporter leur production. Le français Ecocert, l’allemand BCS, ou le néerlandais Control Union ont des filiales sur tous les continents. « Une soixantaine de ces organismes sont reconnus par l’Union Européenne », précise Valérie Pladeau, ingénieure à Sudvinbio. Être certifié bio d’après le cahier des charges de ces organismes suffit pour recevoir « l’eurofeuille ». C’est le cas d’Andrej Razumovsky, vigneron dans la région de Mendoza en Argentine. Il est certifié Argencert Organico en Argentine, une filiale d’Ecocert. Il respecte un cahier des charges accepté par la Commission Européenne et peut donc exporter son vin bio en Europe.
Ce régime d’importation devrait changer d’ici 2021, en parallèle de la révision générale du règlement bio. « Les organismes devront revoir leurs cahiers des charges pour correspondre stricto sensu au règlement européen », explique Valérie Pladeau.

Du bio sans logo

Louis Boutinot, responsable exportation au Domaine Waterkloof en Afrique du Sud est bien loin de ces considérations. Il n’appose aucun logo bio sur ses bouteilles. « Je ne veux pas être catégorisé », confie-t-il. Selon lui, le bio regroupe une grande diversité de produits plus ou moins respectueux de l’environnement. Il fait du vin bio par conviction et par souci de qualité, mais ne voit pas le besoin de l’afficher sur ses bouteilles. « Je suis tout de même certifié Ecocert, comme ça mes clients peuvent vérifier mes pratiques », précise Louis Boutinot. Mais sa décision n’est pas inaliénable : « Si j’ai une grosse commande qui me demande d’apposer le logo européen, je le ferai ».
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Un double contrôle du vin bio

Les exportateurs sont contrôlés dans leur pays d’origine mais aussi dans le pays d’importation. L’importateur du vin bio est soumis à l’évaluation d’un organisme de certification, qui vérifie l’origine de la production. C’est un contrôle au prisme de la documentation. « S’il y a des doutes, le contrôleur peut demander une analyse par prélèvement », explique un contrôleur Ecocert. Ces contrôles sont critiqués par certains vignerons. « Parfois c’est un peu du pipeau, on a l’impression que les contrôleurs ne connaissent pas grand chose à la vigne », confie un exportateur qui taira son nom. « Ils vérifient plus la taille du logo que ce qui se passe dans les champs … ».

Le Bio-protectionnisme entre pays

« Les négociations d’équivalence entre pays c’est compliqué », commente Valérie Pladeau. En effet, chaque pays cherche à protéger son marché. Jusqu’il y a deux ans, il fallait faire venir un contrôleur chinois pour certifier en bio son exploitation. « C’est politique, les Chinois veulent favoriser leur propre production », confie un jeune contrôleur d’Ecocert. Mais cela « bouge » avec la hausse de la demande en bio dans les pays émergents.

Le vin bio voyage-t-il trop ?

Pourquoi produire en respectant l’environnement, puis envoyer son vin bio à l’autre bout du monde, à l’aide de transports peu écologiques ? Cette question taraude nos esprits innocents. Après quelques recherches, nous découvrons que nous ne sommes pas les seuls à trouver cela paradoxal. L’organisme privé Bio Suisse, qui gère le label Bourgeon, interdit les transports en avion des produits labellisés. Mais ceci s’applique rarement au vin, puisque l’exportation se fait principalement en bateau. Cet impact écologique négatif, les exportateurs le regrettent et le justifient souvent par « la petite taille de leur marché » respectif. D’après Patrick Guiraud, le président de Sudvinbio, ce phénomène est minime : « 98% des vins consommés en France sont français, seul 2% proviennent de l’étranger ». Ces 2%, englobent les vins européens et les vins extra-européens. Mais la France ne représente pas la diversité de la situation européenne. L’Allemagne, la Suède, ou le Danemark sont de grands pays importateurs. Principalement des trois plus grands producteurs de vin bio : l’Espagne, l’Italie et la France. La part exacte de vin bio non européen importé dans l’Union européenne reste pour l’instant un mystère.

Ecocert : déambulation avec «la police» bio du salon

Ils considèrent leur mission comme la « sauvegarde de la réputation » du salon. Les contrôleurs du label bio Ecocert ont inspecté les allées du Millésime Bio pour épingler d’éventuels vignerons fraudeurs ou distraits. Les réactions peuvent être épidermiques… ou pas. Reportage.

«Vous voulez voir quoi exactement ?». Le contrôleur à peine salué, le ton est donné. «Simplement votre certificat bio, l’étiquetage de vos bouteilles et leur provenance pour m’assurer qu’elles soient bien toutes issues du même domaine». Paul Robinet, formulaire au bras, tente d’apaiser la vigneronne, les yeux au ciel à l’écoute de sa réponse. Un soupir. Les sourcils en circonflexe. Une moue barre son visage. À l’évidence, la présence du contrôleur sur son stand du Millésime Bio l’agace autant qu’elle la surprend. « Je l’ai déjà montré lors de l’inscription au salon. Je ne l’ai pas avec moi sous forme papier. Je ne pensais pas en avoir besoin puisque je ne savais pas qu’il y aurait encore des contrôles ».

Argument courant selon Paul Robinet. Pourtant, la présence sur deux jours des cinq employés de l’organisme de certification indépendant Ecocert, mandaté par Millésime Bio, a été annoncée au préalable sur le site officiel de l’événement.

« – Franchement, inspecter sur le salon, c’est… »
« – En quoi est-ce un problème Madame ? »
« – Ça fait perdre du temps
», s’agace-t-elle.

Car il est vrai que des contrôles ont déjà été effectués en amont auprès de chaque exposant, par les organisateurs eux-mêmes.

L’épreuve – même si elle n’est que de courte durée – peut, de fait, légitimement exaspérer. Et ce genre de réaction épidermique – bien que marginale, selon les contrôleurs, sur les 200 stands inspectés -, Paul Robinet les comprend : « La filière oenologique est l’une des plus contrôlées. Et celle du bio, la plus visée par les scandales. La sincérité des producteurs est souvent remise en cause. Il s’agit donc pour eux d’un énième contrôle ».

Apporter de la crédibilité au salon

Une impression d’être «suspect» pas très agréable donc. Mais selon eux, indispensable : «Nous vérifions que le certificat est en cours de validité, que tous les produits en exposition sur le stand sont exclusivement bio et qu’un seul domaine soit représenté, explique Paul Robinet. Nous ne sommes, certes, pas la garantie la plus forte du salon, mais nous assurons la cohérence entre tous les exposants et faisons en sorte que les visiteurs ne soient pas floués. Il est question de la sauvegarde de la qualité et de l’image de prestige du Millésime Bio ».

« Globalement, les gens le comprennent assez bien, tient à préciser l’un de ses collègues, Julien Pezet. Certains sont même contents. Comme les habitués par exemple. Car ils estiment que cela apporte de la crédibilité à l’événement».

Des sanctions graduelles

Mais pour d’autres, qui dit contrôles dit sanctions. « C’est vrai qu’on est perçus comme la police du salon », continue Paul Robinet. Et c’est pour cela « qu’on essaye d’y aller en douceur. Après tout, on n’est pas des huissiers. On est surtout là pour rectifier le tir. Ce sont des contrôles essentiellement dissuasifs. On ne fait que dresser un rapport. La sanction n’est pas de notre ressort » mais bien de celle des organisateurs.

En plus d’être décidées au cas par cas, les sanctions sont graduelles. Elles peuvent aller du simple avertissement à l’exclusion du salon, avec effet immédiat. « Tout dépend de la gravité de la fraude, explique Cendrine Vimont, chargée de communication et relations presse. Si la personne ne fait qu’exposer ses vins en conversion, on lui demandera de les ranger immédiatement. En revanche, si elle fait déguster du conventionnel, elle peut risquer une exclusion de un à trois ans du Millésime Bio. »

« Tout le monde se surveille »

Dans le cas de cette vigneronne, le contrôle était aléatoire. Mais les deux-tiers des stands à inspecter résultent d’une présélection établie par les organisateurs de l’événement selon des profils dits « à risques » : les primo-exposants peut-être pas complètement au fait du règlement du salon, les exploitants mixtes qui pourraient profiter de l’occasion pour exposer ou faire déguster leur production conventionnelle ou encore les « récidivistes » ayant déjà reçu un avertissement l’an passé.

Mais Paul Robinet le confesse, «nous effectuons parfois des contrôles sur dénonciations. Il y a de la concurrence entre les vignerons. Tout le monde se surveille».

Mais ici, la commerciale était totalement clean. Son certificat a été présenté sous forme digitale. Et si des contre-étiquettes manquaient à quelques bouteilles, pas de quoi alarmer le contrôleur : « Elle n’ont peut-être tout simplement pas pu être étiquetées à temps ».

Avant de s’éclipser, une signature en bas du formulaire, quelques impressions échangées sur le salon avec la collaboratrice de la vigneronne… elle, déjà partie, sans piper mots.