SÉANCE TENANTE #5 – Berlinguer ou le compromis politique à l’italienne

Enrico Berlinguer, leader du parti communiste en Italie dans les années 1970, a su toucher tout un pan de la société italienne grâce à sa manière humaniste de diriger. Walter Veltroni retrace ces années mémorables dans le documentaire Quando c’era Berlinguer.

Lénine, Marx, Marchais… des noms que l’on associe instinctivement au communisme. En Italie, le leader, celui qui a réussi à faire voter un tiers de la population italienne pour le parti communiste italien (PCI) dans les années 1970 est Enrico Berlinguer. Loin des standards du leader à l’italienne, il réussit à insuffler un changement radical dans le paysage politique transalpin. Au travers du documentaire Quando C’era Berlinguer (Quand il y avait Berlinguer), son réalisateur, Walter Veltroni, ancien maire de Rome et ministre de la Culture, retrace en 50 minutes la vie du leader populaire et charismatique du PCI adulés de ses partisans.

L’air timide, portant « des vêtements toujours trois fois trop grand pour lui », comme s’amuse à le dire le musicien Lorenzo Cherubini, Berlinguer a réussi à conquérir aussi bien les cœurs que les esprits de la classe ouvrière et des pans entiers de la société italienne.

L’ascension politique du jeune Berlinguer démarre en 1949 lorsque Palmiro Togliatti, fondateur du PCI, lui confie le poste de secrétaire général des jeunesses communistes italiennes. Ses premières décisions sont particulièrement audacieuses dans le contexte très stalinien de l’époque : en 1957, Berlinguer supprime, par exemple, l’obligation pour les membres du parti de se rendre en URSS. Sa popularité et sa critique ouverte du communisme soviétique lui permettent vite d’obtenir des mandats électoraux : il sera ainsi député de Rome en 1968. Il condamne à l’époque l’invasion de la Tchécoslovaquie et l’écrasement du Printemps de Prague par le régime soviétique et continue d’imposer sa vision humaniste du communisme en Occident.

En 1972, il devient secrétaire du PCI. Dans son documentaire, Veltroni prend le soin de montrer dans avec les images de sa caméra, remportée lors d’un loto sportif à l’âge de 15 ans, les mouvements de liesse suscitée par le leader du PCI sur la place Saint-Jean de Latran à Rome. On y voit un Berlinguer parlant posément, mais « capable de taper du poing ! » comme le décrit le fondateur du quotidien Repubblica Eugenio Scalfari.

Intègre, honnête et sobre, il va devenir la grande figure de la gauche italienne et le leader du parti communiste le plus puissant d’Occident. Tout au long de ce qu’il décrit comme sa « mission », il va lutter pour que la démocratie italienne, menacée par le terrorisme d’extrême gauche et d’extrême droite, perdure. Mais il sera freiné à de multiples reprises. Des agents soviétiques tenteront de l’assassiner lors d’un voyage en Bulgarie en 1973. Les Brigades rouges mettront fin à ses espoirs de compromis en tuant Aldo Moro, chef de la démocratie chrétienne et partisan de ce compromis, et cinq de ses gardes du corps à Rome.

De l’émancipation soviétique à l’eurocommunisme (tentative de regrouper les partis communistes français, espagnol et italien), Berlinguer a toujours recherché le compromis dans son action politique. Homme du renouveau politique italien, il a su dépasser les limites de son propre parti. S’appuyant sur les témoignages de responsables politiques de l’époque, de la fille de Berlinguer et des images d’archives, Veltroni dépeint avec force celui qui était « bien plus qu’un homme politique ».