Un flair qui sauve des vies

Deux effondrements tragiques à Marseille le 5 novembre ont mobilisé les unités cynotechniques des pompiers et de la sécurité civile pour retrouver les victimes ensevelies sous les décombres. Incontournables dans les opérations de sauvetage, maître et chien font équipe pour sauver des vies.

Une médaille pour un chien, l’événement était pour le moins insolite. Le 8 novembre, jour de la cérémonie de Sainte Geneviève, patronne de la Gendarmerie, un Saint-Hubert de quatre ans nommé Jupiter recevait la médaille de Bronze de la défense nationale à Montpellier. Le chien décoré par le général Jean-Valéry Lettermann, commandant adjoint de la région de gendarmerie d’Occitanie, avait retrouvé fin 2017 un disparu dans les Alpes Maritimes dans des conditions climatiques extrêmes selon la Gazette de Montpellier.

Qui dispose d’unités cynophiles en France ?

Il existe en France environ 25 pelotons de gendarmerie avec une unité cynophile affectés en Haute Montagne pour les avalanches et 200 équipes cynophiles sur le reste du territoire français. Outre la défense et la recherche de stupéfiants et explosifs, missions que remplissent également les équipes cynophiles de la police nationale, les chiens de gendarmes s’occupent de disparitions inquiétantes.  De leur côté, les pompiers possèdent des maîtres-chiens chargés de trouver les corps sous les décombres. Ils peuvent être assistés par la fédération nationale de protection civile qui comprend six équipes cynotechniques à travers la France. « Nos maîtres-chiens sont formés pour assister en complément des moyens déjà en place par les services de secours publics » explique Quentin Rahms, maître-chien de l’unité cynotechnique de la protection civile.

Comment le chien secourt les victimes ?

Le chien possède une qualité essentielle qui surpasse de loin celle de son maître, l’odorat.  Son flair permet aux équipes de sauvetage de gagner de précieuses minutes lors d’une opération de secours. Un atout de taille pour Frédéric Fillocque, adjudant chef au centre national d’instruction cynophile de la gendarmerie : « Une avalanche gomme toutes les effluves à la surface du sol. Mais le chien, lui, peut détecter les odeurs qui se trouvent sous ce manteau neigeux comme un corps, un ski ou un sac à dos. Ce n’est pas efficace à 100%, mais là où il faudrait 200 personnes pour sonder un couloir d’avalanche, l’animal permet de déterminer une zone à étudier en priorité.» Lorsqu’un chien trouve quelque chose, il doit alerter son maître. On lui demande de se placer devant la victime, ou à l’endroit d’où émerge l’odeur et d’aboyer jusqu’à l’arrivée du maître-chien. La relation de confiance est primordiale. Le maître doit comprendre parfaitement son chien, et garantir sa sécurité lors des opérations. « Dans une équipe cynophiles, on ne fait qu’un.Chaque chien n’a qu’un maître » précise Yannick Douaud, responsable des stages pour entraineurs et moniteurs de la Centrale Canine, association qui améliore la performance des chiens par le biais de la compétition. « L’animal détecte, et le maitre guide, poursuit-il, sa charge c’est la gestion du terrain à quadriller ».

Quelles qualités doivent posséder les chien des unités cynotechniques ?

Ces chiens sont triés sur le volet et doivent savoir s’adapter à des conditions climatiques difficiles. « Rechercher dans la neige est une complication supplémentaire, précise Frédéric Fillocque, on veut des chiens volontaires, toniques et équilibrés. La sociabilité est primordiale, il faut qu’ils soient capables d’évoluer au milieu des gens sans être perturbés dans leur travail». D’autre part, l’animal ne doit pas être trop craintif : « On va leur apprendre à maîtriser leurs peurs, explique Quentin Rahms, les exposer à une multitude de choses, les faire travailler dans le noir, pour qu’ils n’aient pas peur d’un bruit sourd ou d’un caillou qui bouge ». Les races les plus communément sélectionnées sont les bergers belges malinois, les bergers hollandais, les bergers allemands, les labradors, ou les border colli. Le chien doit être très joueur conclut Frédéric Fillocque : « Si on veut arriver à ce que le chien réagisse comme on veut, on va tout faire passer par le jeu. L’animal fait l’assimilation si je trouve quelqu’un enfouit sous la neige, je trouve mon jouet. C’est toujours le jeu la récompense »

L’affaire Grégory: de l’information à la fiction. Autopsie d’un mystère médiatique.

C’est l’une des affaires judiciaires les plus tragiques et les plus médiatisées de ces trente dernières années. Le 16 Octobre 1984, trois ans après l’abolition de la peine de mort, l’assassinat de Gregory Villemin, 4 ans, déchaîne une opinion publique sensible aux crimes d’infanticide. Aussitôt, la presse se passionne pour l’histoire extraordinaire de cette famille ordinaire de Lépanges-sur-Vologne.

Au début des années 80, il faut dire que l’entrée de capitaux privés à la télévision et sur les ondes poussent à la concurrence et encouragent parfois un journalisme sensationnaliste. Si la presse écrite n’est pas en reste, c’est parce que ce fait divers catalyse tous les ingrédients d’une énigme fascinante : une famille divisée, un mystérieux corbeau qui annonce le meurtre deux années avant son exécution, des jalousies exacerbées… le tout, dans un décor de campagne peu hospitalière.

Retour sur les dérapages de la presse, à l’heure où l’enquête est relancée par les analyses ADN.


La ruée vers la Vologne : des journalistes envoyés traiter l’ « affaire »

leFigaro.fr

Dès la découverte du corps de l’enfant dans la Vologne, le correspondant de RTL Jean-Michel Bezzina, comprend la portée de cet évènement funeste : « C’était l’affaire. On était sûrs que c’était le grand fait divers ».
C’est ainsi que des dizaines de journalistes vont se précipiter dans le petit village des Vosges.
Dès les débuts de l’enquête, la presse talonne la gendarmerie, comme l’illustre le cliché du cadavre de Gregory, retrouvé le soir même du meurtre.
Et c’est justement cette course au scoop et à l’image qui va entretenir une chasse au corbeau obsessionnelle.

Europe 1, qui vient de se faire doubler par RTL, envoie Laurence Lacour interviewer les parents endeuillés. Pourtant, à la vue du corbillard du petit garçon, la journaliste stoppe net : « on est obligé de s’aligner sur la concurrence. RTL était déjà passé par là. Moi, j’ai reculé. » Peu de confrères auront les mêmes scrupules, Bezzina en tête. Ce dernier toque bel et bien à la porte des Villemin, réussit à obtenir le témoignage du père et, fort de ce scoop, s’empresse d’envoyer la bande sensationnaliste sur les ondes. Il le revendique alors clairement: « A un moment, Jean Marie Villemin désigne certains coupables. Je laisse tourner le magnéto. Je sais à ce moment que les accusations sont terribles, mais il fallait les diffuser. »

Il faut avouer que la spectacularisation de l’affaire est tentante car l’opinion publique est friande d’informations. Ainsi, dans quelle mesure peut –on reprocher aux journalistes de répondre aux attentes du public ? Si l’on peut bien admettre que la nuée de reporters s’immerge dans la Vologne par professionnalisme, il est cependant difficile de légitimer les dérapages qui s’enchaînent au cours des mois d’enquête.

Quand la sur-médiatisation engendre des monstres

thinesclaude.com

Tout d’abord, on assiste à la spectacularisation du crime. Celle-ci s’opère dans des articles puisant dans les champs lexicaux de l’horreur et de la dramatisation. Mais aussi, à travers des photographies bouleversantes : afin de titrer sur le premier Noël sans Gregory, des journalistes immortalisent des paquets cadeaux vides sur la tombe de l’enfant alors qu’un photographe jette une couronne mortuaire dans la Vologne afin de faire « une bonne image ».
Pire, le jour même des obsèques de Grégory, alors que les gendarmes avaient empêché les caméras et les photographes de pénétrer dans l’enceinte du cimetière, un caméraman de TF1 profite d’un moment d’inattention pour franchir la limite et s’approcher afin de filmer Christine Villemin évanouie. Sous couvert d’information, les médias s’adonnent à un voyeurisme quasi-scénarisé. Dans ce fait divers qui est devenu un véritable feuilleton pour les Français, l’émotion est omniprésente et toujours instrumentalisée.
Ainsi, dans la petite bourgade insignifiante de l’Est de la France, il y a des conférences de presse quotidiennes. Les journalistes suivent les gendarmes, échangent souvent avec eux, ce qui agace considérablement Etienne Sesmat, premier capitaine de gendarmerie à être chargé de l’enquête : « les journalistes savaient des choses qu’ils n’auraient pas dû connaître. Ils étaient trop bien informés ».

En effet, si l’enquête suit tant bien que mal son cours, l’opinion publique trépigne. Le corbeau de mauvais augure est dans les esprits de chacun. De ce fait, la justice travaille sous la loupe des journalistes sur place. Parmi eux, certains vont également prendre part aux recherches, confondant le devoir et le droit d’informer. Cette incompatibilité va rapidement engendrer le pire. Ainsi, Jean Ker, grand-reporter pour Paris Match commence sa propre enquête, au mépris de l’instruction. C’est lui qui va faire écouter à Jean-Marie Villemin la déposition de Murielle Bolle, 15 ans, accusant Bernard Laroche. Il reconnaîtra, trop tard, avoir franchi la limite : « A partir de là, je ne maîtrisais plus rien ». Car, dans les semaines qui suivent, Jean-Marie abat son cousin.

Surtout, devant une presse surexcitée, le jeune juge Lambert chargé de l’instruction ne fait pas le poids et cède souvent à la pression médiatique. Il est prolixe, se laisse aller volontier à des confidences partiales et superflues. Pris dans un engrenage infernal, c’est lui par exemple, qui a organisé une conférence de presse afin de révéler l’identité du témoin N°1, la jeune Murielle, avant de la relâcher dans sa famille et que cette dernière ne se rétracte, à jamais.
Dans cette affaire, les magistrats sont harcelés et aucun rapport d’expertise ne garde le sceau du secret. D’ailleurs, à plusieurs reprises, la presse va doubler la justice et outrepasser son rôle de spectateur objectif, d’aiguillon critique : les journalistes deviennent de véritables acteurs de l’instruction. Ils n’écoutent plus les voix de la raison juste celle des passions.

L’« affaire » vire au fantasme

Photo archives Serge Réalini

Si l’assassinat de Bernard Laroche fait prendre conscience à certains journalistes qu’ils sont allés trop loin dans l’instrumentalisation, l’accalmie médiatique est de courte durée. En effet, la nuit qui précède son enterrement, des photographes dorment dans le cimetière, afin de s’assurer un cliché le moment venu. Dès ce jour, des confrères étrangers déferlent à Lépanges-sur-Vologne.
D’autre part, le fait divers va prendre une tournure de mythe grec lorsque les yeux se tournent vers la mère de Grégory. Jean-Michel Bezzina, proche des avocats de Laroche, matraque d’ailleurs allègrement la thèse de l’infanticide sur RTL et dans huit autres médias nationaux pour lesquels il écrit sous pseudonyme. Dès lors, le fantasme de la mère meurtrière embrase les esprits.

Dans Libération, Marguerite Duras ira même jusqu’à publier un éditorial exalté accréditant l’infanticide : « Christine V., sublime, forcément sublime… ».
Cette transe autour de Christine Villemin, résulte en partie d’une médiatisation à outrance de la mère de Grégory. Selon Denis Robert, alors jeune pigiste, c’est Me Garaud, le propre défenseur de Christine Villemin qui aurait agit contre les intérêts de sa cliente dans un but mercantile :
« Pour toucher des droits photos ou des honoraires sur des pseudo- révélations, il a fabriqué une Christine Villemin de papier glacé qui n’avait rien à voir avec la vraie (… ) Il a participé grandement à la détestation collective autour de Christine et incidemment à la fabrication de cette rumeur sur la mère criminelle « .
Les Villemin ont souvent été accusés de vedettariat car, pour honorer leurs frais exorbitants d’avocat, ils signaient des exclusivités avec de grands hebdomadaires nationaux. La machine infernale enclenchée, impossible pour le couple Villemin de l’arrêter. Ainsi, les pires rumeurs circulent dans la presse et il faudra attendre 1993, pour que la mère soit innocentée. Pour la première fois dans une affaire judiciaire de cet ordre, une inculpée était devenue un véritable « produit », et était exploitée comme une marchandise, par le jeu de contrats d’édition ou d’exclusivités journalistiques, avant d’en devenir victime.

L’affaire Gregory est non seulement l’œuvre d’un corbeau qui revendique son crime, mais aussi celle d’un déchaînement médiatique sans précédent. Autour de ce fait divers, il y a eu cristallisation intellectuelle. C’est dans un halo brumeux de « faux mystère et de divagations de dingues », que la fiction a pris le pas sur le réel. Vingt-cinq ans après le début de l’instruction, les ouvrages et fictions réalisés sur ce fait divers sont légion. Parce que le mystère reste entier, l’ « affaire » continue de susciter les passions.

Trois jours après la mort de Grégory, le capitaine Sesmat faisait une déclaration prophétique aux journalistes « C’est une histoire absolument extraordinaire, mais elle est sans doute encore plus effrayante que vous ne pouvez l’imaginer. Vous verrez quand vous connaîtrez le dénouement ».

Aujourd’hui, les expertises ADN relancent l’enquête et permettront peut-être enfin, de faire la lumière sur une affaire dont le délai de prescription est désormais prolongé jusqu’en 2018.