Dans son discours d’inauguration des États Généraux de la presse, le 2 octobre 2008, le président Nicolas Sarkozy, a déclaré: « Je ne veux en aucun cas que l’État décide à votre place, choisisse à la place de vos entreprises de presse. Il ne le pourrait d’ailleurs pas. Au contraire, j’ai souhaité que des états généraux associent l’ensemble des acteurs concernés dans une volonté commune de partager un diagnostic et de dégager des solutions. Je me réjouis de voir que c’est bien ainsi qu’ils ont été accueillis. »
Des animateurs pas comme les autres
Le chef de l’État se soucie des problèmes qui touchent la presse. Pourtant, celui-ci n’a pas convié des journalistes, des lecteurs ou des rédacteurs en chef de la presse écrite et audiovisuelle à animer les débats, mais seulement des patrons de presse. Heureux de contribuer au changement du paysage des médias français, Bruno Frappat (président du directoire du groupe Bayard), Arnaud de Puyfontaine (senior advisor du groupe Mondadori), Bruno Patino (ancien patron de Télérama et directeur de France Culture) et François Dufour (président du groupe de presse enfantine Play Bac) ont tenu à « sauver la presse ».
En rang serré, chacun d’eux anime un atelier de travail visant à se questionner sur l’avenir des métiers du journalisme (M. Frappat), le processus industriel de la presse (M. De Puyfontaine), la presse dans l’ère du numérique (M. Patino) et les rapports entre presse et société (M. Dufour). Ces thèmes sont ambitieux et importants dans le monde journalistique. Mais ne faudrait-il pas un atelier sur la crise de confiance des français envers leur presse? La Fédération Européenne des Journalistes présidée par Arne König indique que « Nous attirons l’attention des participants sur les risques que soulèvent certaine propositions, alors que le journalisme traverse une crise d’identité avec la banalisation des blogs et du contenu généré par les utilisateurs. Le journalisme de qualité en France est en jeu. »
Le monopole des grands groupes de presse
Cependant comme l’explique Rue89, le but non caché de Nicolas Sarkozy est de « voir émerger de ce « Grenelle » de la presse de grands groupes de média français, de taille européenne, susceptibles de concurrencer les « anglo-saxons » ». Daniel Schneidermann ajoute que le président français veut « favoriser l’émergence de grands groupes de presse au bénéfice de ses amis personnels et politiques qui détiennent déjà les conglomérats audiovisuels ». Dans son discours, le Président ne trouve pas que la concentration des médias soit « incompatible avec la protection du pluralisme ». Ce dernier appelle également la France à se « documenter sur le secteur de la presse dans les pays qui sont comparables ». Dans son communiqué du 6 octobre 2008, la Fédération Européenne des Journalistes (FEJ) répond à ces propos : « Même si aucune réglementation européenne ne le prévoit, il existe des limites à la concentration de la propriété, selon différents critères de marché, d’audience ou de publicité, dans plusieurs pays d’Europe ».
Depuis le lancement des États Généraux beaucoup d’encre à couler, Rue89 se désole de voir « la diabolisation d’Internet » qui semble être le nouvel outil de travail des journalistes. De son côté le Syndicat des Journalistes-CGT considère dans un communiqué de presse, qu’au vu des animateurs des quatre groupes de travail, « ces États généraux ne sont qu’une opération de pure mystification ». Conscients du besoin d’avoir des États Généraux de la presse, le SNJ-CGT s’indigne de voir le détournement fait par la présidence pour conforter la position des patrons de presse français.
Le journaliste de Marianne 2 Régis Soubrouillard constate que le chef de l’État n’a pas pris en compte « les questions de fonds : à savoir l’indigence éditoriale de certains titres, une presse largement suiviste dans les grands médias, la perte de crédibilité des journalistes éduqués le plus souvent sur les mêmes bancs que les élites du pays, la mise en scène et la mauvaise hiérarchisation des informations, le permanent soupçon de collusion de cette profession vis à vis des puissants, la proximité avec l’univers de la communication, enfin une incapacité au retour critique sur soi. »
Dans une chronique pour Libération datée du 27 octobre 2008, Daniel Schneidermann conclut ironiquement : « Convoquer des États Généraux de la presse écrite à l’abri des journalistes, et des lecteurs (grand oublié de ce « Grenelle » de la presse), est une démarche qui a sa logique. Si les États Généraux de 1789 s’étaient tenus en présence de la seule noblesse, à l’exclusion du clergé et du tiers, nul doute qu’ils eussent été nettement plus paisibles. Mais sans doute moins efficaces. »
D’autres grondent
La polémique gronde également dans le milieu des chercheurs à l’image de Jean Marie Charon, spécialiste des médias, sociologue et chercheur au CNRS. Il répond aux questions de Thierry Leclère pour Télérama, le 18 octobre. Le sociologue émet des doutes vis-à-vis des conséquences de ces États généraux mais ne conteste pas le fait qu’il en fallait. « Cette idée qu’on va résoudre la crise de la presse en dotant la France de grands groupes est inutile et dangereuse. Elle va augmenter le doute dans l’esprit du public, qui est déjà très sceptique sur l’indépendance et la liberté de la presse. C’est ce qui me rend très dubitatif sur ces États généraux de la presse, même si de bonnes questions, par ailleurs, sont soulevées, comme les coûts de fabrication et de distribution des journaux. »
Par ailleurs, Jean-Michel Dumay, qui préside le Forum des sociétés de journalistes s’indigne: « Tout est opaque, dans ces États Généraux. On ne nous permet pas de venir. Ni nous, ni d’ailleurs tous ceux qui, depuis deux ou trois ans, participent à ce bouillonnement de réflexions sur notre métier : le collectif Ça presse, Jérôme Bouvier, l’initiateur des Assises du Journalisme ou encore l’association de préfiguration d’un conseil de presse. Le public n’est pas non plus associé. On ne sait pas qui participe aux ateliers, quand ils ont lieu. Les travaux doivent rester secrets… alors que la presse est par définition le lieu de la transparence et de l’indépendance. Cette opacité pose un vrai problème. Je crains que ces pseudo-États Généraux n’aboutissent à un énième rapport. Il y a tromperie sur l’intitulé. »[[Cf. « Les journalistes indésirables aux États généraux de la presse ? », Télérama, 18 octobre 2008]]
Cela ne présage rien de bon pour le métier qui va devoir, à la fin de ces États Généraux, faire face à de nouvelles règles émises non pas par les intéressés mais par les financiers.
La question est posée par Rue89: « Était-ce au Président d’organiser cet exercice? » Voilà peut être le fond du problème, la refonte des médias par une instance publique, le métier de journaliste serait-il un service public et non un contre pouvoir?