Alors que les sièges alloués au public sont encore partiellement vides, les trois prévenus font leur entrée dans le box. Un box surprenant. Il se situe juste dans le prolongement des places dévolues aux proches de la victime, Bernadette Bissonnet. Ses deux fils en tête ! Ces proches sont ainsi contraints d’avoir en ligne de mire de façon permanente le fantasque trio des accusés. Il est composé d’un notable, l’époux de la victime, Jean Michel Bissonnet, de l’homme à tout faire du couple, Meziane Belkacem, et enfin de l’aristocrate ruiné, Armaury d’Harcourt.
Jean Michel Bissonnet, placé au plus près de sa famille, tend le bras sous les vitres du box et tient la main de son fils cadet Marc. La sonnerie annonçant le début de l’audience et l’entrée de la Cour, abrège ce bref moment de partage. Cette journée de procès est d’ailleurs très importante pour la défense, car est appelé à la barre l’adjudant-chef Michel Géniès, qui dirigea l’enquête sur le meurtre de Mme Bissonnet. Il s’attèlera, pendant près de sept heures, à défendre son enquête point par point, tout en essuyant les attaques, parfois véhémentes, des avocats.
La colère d’un fils à bout
Un premier éclat de voix se fait entendre dans l’assistance, où la tension est montée d’un cran, moins de deux heures après le début de l’audition du sous-officier de gendarmerie. C’est Marc, l’un des deux fils de Bernadette Bissonnet, qui, à bout de nerf, s’emporte. La colère du jeune homme fait suite aux propos tenus par l’avocat général, au sujet d’une découverte dans la table de nuit de la chambre de ses parents. Les gendarmes ont en effet retrouvé, lors de leur perquisition, des accessoires et objets à caractère sexuel. Ne supportant une énième évocation de ce détail intime sur la vie privée de ses parents, épisode qui n’a pas de lien direct avec l’affaire, le jeune homme ne se contient plus. «Et le respect de l’intimité des personnes, il est où là ? C’est de ma mère dont vous parlez, alors respectez-là ! Vous vous régalez avec ce genre de détail ! ». Dépassé par ses émotions, il quitte l’assistance. Grand silence dans la salle. L’avocat général rétorque alors «Je ne vois pas en quoi parler de vibromasseur en 2012 est indélicat ». L’autre fils (Florent) répond « D’accord, mais pas à chaque fois! C’est de la délectation, c’est du sadisme. Est-ce bien nécessaire ? ». Ambiance électrique et tendue. Le président Daniel Duchemin suspend l’audience pour que chacun recouvre ses esprits.
Cet accès de colère du jeune Marc Bissonnet, très proche de sa mère avant son meurtre, fait écho à la manière dont la vie privée de ses parents a été jetée en pâture à l’opinion publique, via la presse. Ces informations, livrées par la gendarmerie, ont été relayées de manière outrancière par certains médias, s’attardant davantage sur le potentiel racoleur de cette affaire, que sur les véritables tenants et aboutissants du crime. Lors du procès précédent (au palais de justice de Montpellier), Marc et Florent avaient déjà exprimé leur colère contre les enquêteurs, qu’ils suspectent d’avoir mené une enquête à charge, notamment en livrant à la presse, au mépris de l’intimité, ce genre de fuites. Des « saloperies« , pour reprendre les propos de Florent. Ce débat soulève donc une question morale et éthique plus générale: jusqu’où peut-on rendre public la vie privée d’une victime ou d’un accusé? Autre problème. Comment préserver famille et proches de ce déballage médiatique et judiciaire ?
A la reprise, le président se sent dans l’obligation de clarifier la situation. « Il n’est pas d’usage que les parties civiles soient maltraitées. Je ne voudrais pas être amené à interdire la présence d’un membre d’une partie civile ; cette idée m’est désagréable. Mais je ne peux tolérer de tels incidents ». Il demande alors aux avocats d’annoncer ce genre d’éléments, avant d’en parler, pour que la partie civile puisse mieux s’y préparer. L’avocat général reprend ensuite la parole, mais tient avant tout à apporter quelques précisions. « Il n’est pas dans la volonté du ministère public de bafouer la mémoire de la victime. Au contraire, il faut que la vérité soit faite. Et pour que vérité soit faite, il ne peut pas y avoir de sujets tabous ». L’incident clôt, l’audition peut enfin reprendre.
Des assises qui dérivent vers le branle-bas de combat
Il n’y a pas que du côté de l’assistance que les assises sont mouvementées. La partie de bras de fer à laquelle se livrent avocats, témoins, accusés, ministère public et cour engendre de nombreux soubresauts. En effet, disputes et piques fusent entre avocats des différentes parties. A un moment le président avertit même Me Iris Christol (défendant Meziane Belkacem). « Je vais vous demander de regagner votre banc si ça continue ! ». L’essentiel des attaques et emportements vont, cependant, être impulsés par les avocats de Jean Michel Bissonnet et de ses deux enfants.
S’instaure alors une stratégie qui vise à déstabiliser Michel Genies. Ils démontent point par point son enquête, qu’ils jugent menée à charge contre leur client. Par exemple, l’ex adjudant explique que l’un des éléments prouvant la culpabilité de Monsieur Bissonnet concerne les écoutes téléphoniques d’Armaury D’Harcourt. Le vicomte dit à sa fille et ex-femme (qui le prient de s’aligner sur la version de Meziane Belkacem), « C’est le jardinier qui dit la vérité ». A ces mots, Me Liénart s’offusque de la perversité de cet élément par lequel le vicomte peut éventuellement mentir à sa famille, tout en y trouvant son compte. Il lance alors à Michel Genies : « Vous croyez que c’est un raisonnement intelligent ? ». Il n’hésite pas non plus à dire que c’est aberrant, pour l’élite de la gendarmerie, de se suffire de « la pitié » comme mobile expliquant ce meurtre. Lors de sa garde à vue, le jardinier avait en effet déclaré, pour expliquer son geste, avoir éprouvé de la pitié envers son patron.
Lorsque les avocats du notable insistent sur le manque de rigueur dans l’étude des « fadettes », les factures téléphoniques des accusés, et surtout dans la surveillance des appels attribués à Meziane Belkacem, le ministère public estime que cette intervention traîne en longueur. L’avocat général explique qu’ « on perd du temps avec ces points de détail ». A ces mots, les avocats ne manquent pas de s’indigner une nouvelle fois. « C’est systématique que vous m’interrompiez ainsi l ! », s’insurge Me Darrigade. Jean Michel Bissonnet, qui prend des notes depuis le début, parce qu’il est constamment empêché de parler par ses proches et avocats, n’y tient plus et s’emporte à son tour. « C’est un point de détail ? Il s’agit du meurtre de ma femme!». Nouvel incident et nouvelle suspension de séance.
La tension devient tellement palpable qu’elle finit par gagner Michel Genies. Les nerfs de l’ancien gendarme ont, des heures durant, été mis à rude épreuve. Chacun son tour, les avocats remettent en doute le sérieux de son enquête et l’objectivité dont a fait preuve son équipe. Si pour Jean Michel Bissonnet, «Les gendarmes écrivent ce qu’ils veulent » sur les procès-verbaux, Me Liénart, lui, tempère les propos de son client. Il explique que ce n’est pas la sincérité des gendarmes qui est remise en cause. Simplement, «nous pensons que les gendarmes peuvent se tromper honnêtement». Se retenant depuis trop longtemps, Michel Genies coupe court à toutes ces accusations. Il hausse nettement le ton et impose le silence autour de lui. Il défend bec et ongles son enquête qu’il juge objective. Ce n’est pas de sa faute si des témoins changent leur version quand ils arrivent à la barre. «Ils ont prêté serment, ils ont signé, pourtant ces mêmes gens se rétractent devant le juge d’instruction! Alors qui fait le faux ?! Les témoins ou les gendarmes ? Nous avons mené une enquête basée sur des éléments recueillis, sans se prononcer pour telle ou telle personne!»
Un partout, retour à l’envoyeur! Heureusement, le président, est là pour détendre l’atmosphère. « Allons ! Réservons nos forces pour cette fin de semaine car elle sera au moins aussi active qu’aujourd’hui».
Finalement la montée en pression générale durant cette journée de procès aura une nouvelle fois montré à quel point l’affaire est confuse, les preuves minces et les suspicions grandes. Les quelques questions non résolues, et pourtant non négligeables, comme celles portant sur l’identité du propriétaire de l’arme du crime, ont été trop vite expédiées. Des sujets ainsi éclipsés, au bénéfice de la défense ou de l’attaque des habituels éléments à charge de l’enquête. Des éléments qui n’ont toujours pas débouché sur de nouvelles pistes.