« Vers une mondialisation judiciaire »

Au mois de novembre 2007, les avocats manifestaient partout en France contre la réforme de la carte judiciaire, coupable selon eux de la disparition, à terme, de plusieurs centaines de postes. A l’approche du premier anniversaire de cette mesure du Ministre de la justice Rachida Dati, il était nécessaire de faire le point. Rencontre avec Me Para, avocat au barreau de Nîmes.

Près d’un an après le lancement par Rachida Dati de la réforme de la carte judiciaire, la grogne des avocats semble largement être apaisée. Qu’en est-il réellement ?
Comme vous le soulignez plusieurs mois ont passé depuis l’annonce de la réforme par la Ministre de la justice. Inévitablement, la profession a donc quelque peu « digéré » cette annonce qui avait fait l’effet d’une bombe à l’époque. Mais elle a bien été maintenue et ne produira de réels effets qu’au 1er Janvier en 2009. On est donc dans la période coincée entre l’annonce et la mise en oeuvre des mesures, ce qui explique le calme relatif du moment. Il ne s’agit pas pour autant d’un apaisement car la colère persiste.

Avec la concentration des tribunaux, les professionnels redoutaient l’apparition d’une justice à deux vitesses au détriment des habitants des zones rurales. Ces craintes sont-elles justifiées ?
Bien sûr car la proximité facilite l’accès à la justice. J’entends par là la proximité des tribunaux mais aussi la proximité des professionnels du droit. Or, en délocalisant les tribunaux on va inévitablement délocaliser ceux qui y travaillent, à commencer par les cabinets d’avocats. Donc pour les « grosses affaires », le justiciable continuera de se déplacer, mais la justice est aussi faite de conflits dits « mineurs », et ceux-ci feront les frais de la réforme.

L’hostilité des avocats à l’égard de Rachida Dati ne vient-elle pas plus de la personnalité du Ministre que de ses réformes à proprement parler ?
Ce n’est pas la personnalité de Rachida Dati qui fait grief aux avocats mais la manière dont elle mène les réformes, à savoir sans aucune concertation et sans prendre connaissance des réalités du terrain. On ne peut pas prétendre faire une réforme à grands coups de statistiques, sans consulter les juristes qui eux, contrairement aux chiffres bruts, sont au courant des réalités du terrain. Résultat, on assiste à des mesures que je qualifierais d’artificielles. Le fait qu’on ait beaucoup mis en évidence le problème de la forme ne doit pas masquer le véritable problème du fond que j’ai déjà évoqué.

Enfin, ne pensez-vous pas qu’il est trop tôt pour juger une nouvelle carte judiciaire dont les effets ne se feront vraiment ressentir qu’en 2009 ?
C’est une réforme qui était censée faire profiter la justice en la rendant plus efficace et moins onéreuse. Mais dans la mesure où elle va inévitablement éloigner le justiciable, on peut déjà considérer que l’esprit de la réforme, qui je le répète a été faite avec de mauvais outils, ne va pas dans le sens d’une meilleure administration de la justice et cela fait légitimement peur aux avocats. Le nouveau système ne profitera qu’aux grosses structures dans une logique qu’on pourrait qualifier de mondialisation judiciaire.

Montpellier – Nîmes : L’accent qui déchante

30 octobre 2008. Nîmes, ville antique, carrefour des cultures occitanes et romaines. Au-delà des arènes et des batailles épiques, une réalité contemporaine. Au local des Gladiators, point de Maximus et de Spartacus, l’histoire se montre bien plus chimérique, mais vingt-trois montpelliérains venus mettre à sac la permanence des ultra nîmois. Armés de battes de base-ball, les héraultais blesseront trois nîmois dans cette joute si équitable. Les vingt-six héros d’un soir, se retrouveront en garde à vue quelques heures plus tard, et n’assisteront pas à l’escarmouche du lendemain.

31 octobre 2008. Jour de match à Montpellier. Ce soir, La Mosson ne vibrera pas que pour ses Pailladins. Montpellier accueille Nîmes, son émule gardois. Une rencontre sportive aux allures d’héraut, d’étendard sportif de la région. Deux villes séparées par quelques douzaines de kilomètres qui alimentent ce même goût de la confrontation, de l’antagonisme et de la différence, et pourtant deux villes qui partagent historiquement un même amour du football. De ce Montpellier 1990-1991 qui tutoyait les sommets européens, d’un Laurent Blanc formaté et d’un Carlos Valderrama capillaire à souhait, de ce Nîmes des « sixties », éternel deuxième derrière l’inoubliable Stade de Reims.

20h20. La Mosson accueille son premier derby depuis huit ans. Au cœur de la tribune « Etang de Thau », les fervents, les abonnés : la Butte. Des chants, des clameurs, des applaudissements. Le speaker pailladin barytonne une « mentalité sudiste ». Un tifo, une bannière aérienne de la Butte, se déploie dans toute la largeur de la tribune. Le bleu et le orange, couleurs de la ville et du club, s’immiscent dans le kop héraultais. Une phrase sur la toile, une provocation : « Ce soir à la Mosson rayonne l’unique blason de la région ». Dans la partie haute de la tribune, au sein de la « Petite Camargue », une douceur, un blason entouré de feuilles dorées. En face, tribune Corbières, les Gladiators nîmois tentent la riposte. Un tifo plus modeste dans l’esthétique comme dans la dialectique : « Range ton blason, seul le nôtre illumine la région. Des feuilles dorées pour une mentalité fanée ». L’âme de la Butte s’indigne et siffle. Les insultes fusent. Au milieu, un terrain de football. Les joueurs ne sont pas encore sur la pelouse.

20h30. Coup d’envoi du match. Les Pailladins en rouge, les Crocos gardois en blanc. D’entrée de jeu, une reprise de volée de Lacombe, feu follet montpelliérain, est détournée par Puydebois, gardien de la citadelle nîmoise (4e). Seule véritable action de la première mi-temps. Au cœur de la Butte, les supporters entonnent un « nîmois, nîmois, on t’encule ». En face, les « Gladiators » répliquent. Le ton est enjoué, lyrique, d’une prose à faire rougir Paul Valéry, le natif : « Montpellier, public de merde ». A l’est, sur le terrain, rien de nouveau.

Mi-temps. Score vierge à la pause. La température ne dépasse pas les cinq degrés celsius. Les spectateurs, impotents, transis par le froid, assistent tranquillement à cette rencontre apathique, discutent, parfois commentent, mais rarement s’emportent. Dans les travées, un homme habile, sûrement mandaté par le Loulou local, s’essaye au lancer de chouchous. Il ne manque que rarement son coup. Nuls doutes, le spectacle ce soir, se déroule en dehors du terrain.

21H30. Les joueurs des deux équipes rentrent sur la pelouse pour la seconde période. Le gardien nîmois vient se placer devant la Butte. Les sifflets enflent. Des torches sont allumées. Trois sont lancées sur le terrain. A quelques mètres du portier gardois. Les fumées toxiques s’émancipent. Le match peut reprendre.
A l’heure de jeu, Lacombe toujours lui, est lancé en profondeur et file seul au but, avant d’être bousculé par Sankharé. L’action est litigieuse et il semble y avoir faute, mais M. Duhamel, arbitre de circonstance habitué au plus niveau, en décide autrement. La Butte explose. Un supporter, à la voix fluette, mais avec cet accent du sud qui chante, déchante : « Oh, l’arbitre, tu ne vaux pas une merde ! ».

21H52. Action nîmoise. Malm déborde sur le côté droit avant de centrer au deuxième poteau pour Kébé qui se jette et ouvre la marque (65e). Stupeur à La Mosson. La lanterne rouge, rivale et voisin régional, vient créer la surprise sur les terres pailladines. Dans les tribunes, comme sur le terrain, la tension monte et les esprits s’échauffent. Les tacles glissent, les cartons s’inclinent. Pris par l’euphorie de la victoire, les Gladiators envoient dans leurs chants « Courbis en prison ».

22h08. Egalisation pailladine. Fana centre parfaitement au deuxième poteau et Lacombe, du haut de ses 1.64 mètre, reprend de la tête et ajuste magnifiquement Puydebois (81e). La Butte se lève et exulte. Les supporters s’enlacent et se congratulent. Les chants reprennent : « Allez hey, allez oh, allez Paillade allez, allez faut rien lâcher ! ». S’ensuit rapidement : « Nous sommes l’armée de Montpellier. Rien ne pourra nous arrêter. Les nîmois, c’est des pédés ».

22h22. Fin du match. Le score reste de parité. Sifflets du public. Jamais un match nul n’aura aussi bien porté son nom.

14 avril 1996. Retour à Nîmes, Stade des Costières. Demi-finale de Coupe de France. Nîmes Olympique, alors en National 1, et délaissé dans les méandres du football sans panache, bâtit une nouvelle épopée qui captive les étoiles. Le nîmois Christian Pérez lâche ces mots, après la victoire 1-0 de ses coéquipiers sur le Montpellier Herault SC : « J’ai attendu trente-deux ans pour pleurer pour un match de foot. Ce soir, c’est fou, ils m’ont fait chialer ! ». Pourtant, en cette soirée illustre, les insultes jaillissent et piquent. Des banderoles virevoltent sans pudeur ni valeurs : « Nicollin ne ramasse que la merde. Montpellier en est la preuve », « Nîmes, la honte du Sud ». Mais à l’époque, le terrain, le football, celui qui passionne et soulève, avait endigué la honte, le déshonneur de l’autre football, celui qui abaisse et discrédite sans concessions la beauté de ce sport.