« Je me demande, docteur, si mes enfants sont totalement normaux ». Dans ses pieds, deux « oiseaux ébouriffés » qui gazouillent, piaillent, et se griffent, la dizaine d’années à peine passée. Mathieu et Thomas. Ses deux fils handicapés, « des enfants pas comme les autres ». C’est un peu sa spécialité à Jean Louis Fournier, cet auteur aux livres pas comme les autres : « Ca laisse le bénéfice du doute ». Le ton sarcastique, parfois dur quand il n’est pas amer, de son dernier roman « Où on va, papa ? » lui a valu le prix Femina 2008 et le globe Crystal 2009. En bonus, un moment en compagnie des montpelliérains de la médiathèque Emile Zola un soir de mardi 2 Février.
Deux naissances, deux miracles à l’envers
A l’initiative de la librairie Sauramps, ce père de trois enfants, dont deux garçons handicapés, est étrangement venu parler plus de lui que de son dernier livre paru au éditions Stock en fin d’année. La salle est comble, la lumière chaleureuse, les têtes sont grises. Une main sous le menton, les lectrices de Jean Louis Fournier ont la posture de femmes concernées.
Jean Louis se raconte. La veille, il était au Lido. Pour y recevoir son « truc », le Globe Crystal Roman&Essai, décerné par un jury de plus de 4000 journalistes. Parler d’handicaps dans un lieu symbole de beauté et de réussite, « c’est assez insolite » ironise l’intéressé, les yeux encore pétillants. Parce que, «voyez vous, les danseuses du Lido c’est pas vraiment des handicapés, plutôt des chefs d’œuvre de la nature.»
« Deux miracles à l’envers » en deux ans, Jean Louis Fournier a connu l’enfer. Dans « Où on va, papa ?», le père et narrateur alterne confessions et moments partagés. Il a la voix sans timbre de ceux qui ont tout vécu. Des moments de folie où Thomas, 7 ans, tente d’enfiler sans succès son pull par le chas de l’aiguille, aux visites à l’institut, où parmi des adultes qui ne seront jamais que de vieux enfants, son fils tarde à le reconnaître. « Où on va, papa ? », ce refrain qui tournait en boucle à l’arrière de la Camaro lors des échappées du dimanche, Jean Louis Fournier ne l’entend plus. « Mon fils n’a plus envie d’aller nulle part » confie ce vieil écorché qui fait semblant d’être méchant.
La vierge Marie aux WC
Le rire agit sur lui comme un antidépresseur, un antalgique qu’il injecte dans sa vie et dont il repeint ses pages. « J’ai tendance à voir l’insolite des situations, du drôle dans le drame, un peu comme les enfants. » Le cartable au dos, Jean Louis Fournier mettait déjà son hygiène artistique au service de la paroisse locale. Ainsi l’effigie de Marie la Sainte a-t-elle participé à une expérience esthétique qui l’a vue passer du bénitier aux sacrosaints doubles WC.
« La reproduction n’était pas digne d’elle » rétorquera le bon samaritain au chanoine venu lui remonter les bretelles et médire auprès de la mère Fournier «ce gamin on en fera jamais rien ». Fort d’une vingtaine d’ouvrages à son actif, dont une collaboration prolifique avec l’humoriste Pierre Desproges, le petit garnement a défié les pronostics. Une dent tout de même contre celui qui n’aura pas su reconnaître son talent : « ce chanoine, j’espère qu’il est mort depuis longtemps et qu’il est bien en enfer !»
Le regard des autres, Jean Louis Fournier sait s’en passer. Pour ce qui est de leur pitié, il préfère faire sans. Les gens compatissants lui font horreur, la faute à des problèmes de transpiration : « Ils ont toujours la main moite lorsqu’ils la posent sur vous. Que ceux qui ont des enfants normaux restent à leur place et nous laissent tranquilles. » Son amour, Jean Louis Fournier le réserve à ses lecteurs. Bien qu’il espère mettre à l’aise la société avec ses moins chanceux, il croit encore en l’humanité tant « qu’elle achète son livre ». Pour ça, pas de pénuries à l’horizon. L’une après l’autre, les auditrices présentent pieusement leur exemplaire du dernier Fournier à la dédicace. Bon seigneur, Jean Louis rend l’hommage : « Mesdames je vous adore, ce n’est pas grâce à vos maris que je vends, c’est grâce à vous, continuez ! »