Presse sportive : l’exception qui confirme la règle

La situation de la presse sportive en France nécessite une analyse plus en profondeur, en raison de son caractère de phénomène social.

Le retour du café du commerce

La crise que traverse la presse française est multi-factorielle. La baisse du pouvoir d’achat additionnée à l’explosion de l’internet favorisent cette déperdition d’intérêt, tant pour la Presse Quotidienne Régionale que pour la Presse Quotidienne Nationale. Outre ce versant économique, la presse écrite généraliste souffre d’un malaise plus profond. La perte de confiance dans la politique, devenue spectacle aussi bien au niveau national qu’international, et dans les politiques, qui perdent peu à peu toute crédibilité, sont autant de raisons à une crise latente.
C’est là que la presse sportive tire son épingle du jeu, car même si internet et la récession ont sur elle des effets négatifs, elle ne subit pas la perte d’intérêt des français dans la chose publique. Les valeurs sportives sont encore (mais pour combien de temps ?) éloignées du jeu politique qui semble lasser les français. En sport la polémique est ailleurs, plus humaine, plus proche des gens. C’est le retour en grâce du café du commerce. Les quotidiens sportifs ont d’ailleurs un style beaucoup plus proche du modèle anglo-saxon, basé sur les faits et rien que les faits, et qui connaît un succès non démenti à l’étranger. Ils transmettent des informations qui permettent de créer et d’entretenir un lien social, une communauté. Pour preuve d’ailleurs l’importance du sport local dans la PQR.

L’opium du peuple

Le sport est partout de nos jours, et au moins aussi important que la politique pour une majorité de la masse populaire. Les sportifs jouissent d’une aura bien supérieure à celle des personnages politiques. Ils sont connus et reconnus. Cette « addiction » est relayée tout au long de l’année par des évènements sportifs allant du local à l’international (du championnat de foot du canton aux Jeux Olympiques).
On est loin de l’époque où la religion était l’opium du peuple. Fort de ces arguments, il est intéressant de s’interroger sur le fait que les deux nouveaux quotidiens ne profitent que peu de l’impact de la crise sur l’Équipe. Pourtant la réponse coule de source. Elle n’est pas à chercher en profondeur, dans une contre-analyse de ce qui a été dit précédemment. Il semble tout simplement que Le 10 Sport et Aujourd’hui Sport se sont beaucoup trop appuyés sur les prévisions positives d’un marché ouvert et ont totalement oublié que la qualité faisait partie des conditions sine-qua-none au succès d’un quotidien ; soit-il sportif. Au final, pourquoi payer pour un journal dont le contenu s’apparente à celui d’un gratuit ? Si la presse sportive est moins touchée par la crise, à elle d’en profiter pour passer au niveau supérieur et ne pas se reposer sur des lauriers que l’on sait vénéneux…

La presse sportive ne connaît pas la crise

Grande oubliée des États Généraux, la presse sportive semble moins sous le feu de la crise actuelle. Encore économiquement rentable, l’Équipe conserve son monopole ainsi que des ventes correctes. Un, deux puis trois nouveaux quotidiens sportifs tentent de prendre leurs marques sur un marché apparemment ouvert.
Radiographie d’un guerre entre plusieurs David et un Goliath.

Pour le sport en France, il y a une institution : l’Équipe. Elle jouit d’une position monopolistique depuis des années, et même des décennies. Elle a même atteint un tirage à faire pâlir les meilleurs quotidiens nationaux en 1998 pour la victoire finale de l’équipe de France de football en coupe du monde. Le succès ne se dément pas, porté par quelques évènements majeurs comme la victoire en coupe d’Europe en 2000, le bide retentissant de 2002 ou encore le coup de tête de Zidane en 2006. Depuis quelques temps pourtant, suivant le mouvement d’une presse qui se meurt, le quotidien connait une baisse de régime, plutôt importante si on la met en relation avec un été qui aurait du être porteur (coupe d’Europe de football, jeux olympiques). On note quelques tentatives pour contrecarrer l’image du journal roi comme le lancement du quotidien Élans en 1948 ou encore Le Sport en 1988, mais aucune d’elles n’aboutirent. Ces temps-ci pourtant, la concurrence se relance à l’attaque d’un géant qui connait, comme l’ensemble de la presse, un passage à vide ( -7% en septembre 2008). Le mois de novembre 2008 a vu paraître deux nouveaux quotidiens sportifs, à mi-chemin entre les gratuits et les payants (50cts) : Le 10 Sport et Aujourd’hui Sport, et le mois de janvier verra naître un troisième titre : Le Sport.

La nouvelle concurrence

3 novembre 2008. Un nouveau quotidien sportif vient marcher sur les plates-bandes du géant national. Son nom : Le 10 Sport. Crée par Michel Moulin, ancien conseiller sportif du Paris St Germain, et Alain Weill, patron de NextRadioTV, le journal est vendu 50 centimes en kiosque. Un prix inférieur à celui de l’Équipe (90 centimes), un même nombre de
pages, mais du côté de 10 Sport on se défend de faire concurrence à la référence.
« La France, qui ne compte qu’un seul et même journal sportif a le droit elle aussi, tout comme nos voisins Espagnols et Italiens, d’offrir aux lecteurs et aux passionnés de sport un nouveau journal« . Michel Moulin qui a notamment lancé Paru Vendu est conseiller du groupe Hersant Média, axe son quotidien à 70% sur le football, le reste du journal étant consacré au rugby, à l’omnisport et aux courses hippiques. Mais le football, c’est le fond de commerce de l’Équipe, sa matière première. Le Destroyer, malgré l’attitude du 10 Sport qui tente de calmer le jeu et se défend de toute récupération de lecteurs, ne voit pas d’un bon œil que l’on vienne chasser dans ses eaux. Ainsi, l’Équipe dès les prémices de la mise sur pied du 10 a contre attaqué en lançant du tac au tac : Aujourd’hui Sport. Quotidien, 50 centimes, là encore même format, axé football, l’Équipe a poussé le vice à délibérément copier son adversaire afin de le supprimer d’entrée et de récupérer une part des lecteurs qui auraient pu s’y intéresser.

Des objectifs pas atteints

« Le point mort se situe à 80.000 exemplaires vendus » a récemment annoncé Michel Moulin au Journal du Dimanche. Il va falloir pour lui revoir ses intentions à la baisse. Les premiers jours de parution se sont situés à environ 100 000 lecteurs par jour pour les deux quotidiens, jouant certainement sur la curiosité des lecteurs. Mais comme le signalait très justement Marie Odile Amaury, la patronne de Aujourd’hui Sport, les ventes lors des premiers jours ne sont pas significatives. L’effervescence passée, les ventes ont dégringolé. Selon des chiffres recoupés, les ventes moyennes du 10 Sport auraient avoisinées les 40 000 exemplaires, Aujourd’hui Sport lui, serait à 30 000 exemplaires par jour. Des ventes bien éloignées du chiffre d’équilibre. Face à ce constat d’échec, le 10 Sport s’est vu contraint à retravailler sa copie. Nouvelle maquette, nouvel habillage, le groupe s’est également associé au groupe Partouche afin d’ouvrir ses colonnes au Poker, de plus en plus populaire en France. De son côté Aujourd’hui Sport n’a rien changé sur la forme ou le fond mais est allé chercher son lectorat à la source en installant des points de ventes aux entrées des stades.
Guerre des nerfs, bataille de communication, tout est bon pour éliminer son adversaire et faire progresser les ventes. Dans cette histoire, c’est Le 10 qui a beaucoup à gagner mais aussi beaucoup à perdre. Marie Odile Amaury a d’ores et déjà annoncé que si Le 10 se retirait, elle cesserait la parution de son concurrent. C’est donc au journal de Michel Moulin de faire ses preuves et de tenter de conquérir son lectorat.

Après la guerre

Pendant que la guerre se déroule et que les chiffres n’incitent pas à l’enthousiasme, un troisième larron doit se faire du souci en ce moment. Le 26 janvier est programmée la sortie d’un troisième quotidien sportif : Le Foot. Il sera lancé par Robert Lafont, tiré à 150000 exemplaires et vendu à hauteur de 60 centimes. Devant le triste tableau que proposent les deux quotidiens lancés en novembre, le directeur d’Entreprendre reste serein. «Il reste la place pour un journal de foot de qualité» assure-t-il. Encore faut-il parvenir à faire de la qualité pour ce prix. Chose insolite, les ventes de l’Équipe ne se sont jamais aussi bien portées depuis l’apparition des deux journaux. L’Équipe se frotte déjà les mains en attendant le 26 janvier.