Dialogue de sourds au Sahara Occidental

Le 10 octobre dernier, entre 10 000 et 20 000 Sahraouis militant pour l’autodétermination du Sahara Occidental s’installaient à une quinzaine de kilomètres d’Al Ayoun. Leur camp appelé Gdeim Izik (‘‘camp de la liberté’’ en arabe) a été démantelé dans la violence le 8 novembre par les autorités marocaines.

Le 7 novembre, représentants marocains et sahraouis se réunissaient à Manhasset, aux États-Unis, pour discuter de l’avenir du Sahara Occidental. Le lendemain, la police et l’armée marocaines menaient l’assaut aux abords d’Al Ayoun pour démanteler le camp installé par le Front Polisario, organisation luttant pour l’autodétermination des Sahraouis. Cette intervention marocaine a provoqué de violents affrontements dans la ville d’Al Ayoun, chef-lieu du Sahara Occidental. Les chiffres, concernant cet événement, ne sont pas clairs. Selon les autorités marocaines, le bilan fait état de onze morts, dont dix policiers marocains.

Le journal algérien El Watan, quant à lui, rapporte la mort de 19 Sahraouis. 723 personnes auraient été blessées au cours de l’attaque, et 159 personnes resteraient à ce jour disparues, selon le même journal. Rendre compte de la réalité des faits est d’autant plus difficile que le gouvernement a instauré un embargo sur l’information. Les journalistes étrangers, et notamment espagnols, peinent depuis le 8 novembre à se rendre à Al Ayoun. Les autorités marocaines les en empêchent pour des questions de ‘‘sécurité’’.

Une terre sans statut juridique

SaharaCette attaque marocaine en terre sahraouie n’a fait qu’accroitre un climat politique déjà très tendu. Le Sahara Occidental est, depuis le retrait de l’Espagne en 1975, considéré par l’ONU comme territoire non autonome et sans administration. Autant dire une terre sans statut juridique, qui a donné lieu à une violente lutte de souveraineté entre le Maroc et les indépendantistes de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD), fondée en 1975 par le Front Polisario. Depuis 1991 et la fin des hostilités directes, le Maroc administre 80% du territoire quand le Front Polisario, soutenu par l’Algérie, ennemi historique de son voisin chérifien, en administre 20%. Une situation qui n’aurait dû être que temporaire.

Des négociations bilatérales avortées

Le groupement sahraoui a demandé à maintes reprises l’organisation, par le biais de l’ONU, d’un référendum d’autodétermination où le peuple choisirait entre l’indépendance du Sahara Occidental, l’autonomie sous souveraineté marocaine, et le rattachement complet au royaume chérifien. Ce dernier milite activement pour que la seconde solution soit choisie sans passer par l’aval des Sahraouis. C’est sur ce point que portait la réunion informelle des deux parties à Manhasset la semaine dernière. Le démantèlement du camp Gdeim Izik et le blocus pratiqué sur Al Ayoun ont précipité l’échec annoncé des négociations.

Le Front Polisario a depuis durci le ton à l’égard du Maroc. Son porte parole, Mohammad Abdelaziz a exigé que soit mise en place une commission d’enquête internationale sous l’égide de l’ONU. La classe politique marocaine, elle, se félicite de la bonne gestion de la crise. Quand les uns réclament une enquête sur une attaque meurtrière, les autres saluent l’action pacifique menée par ses forces de l’ordre. Un véritable dialogue de sourds, donc, tandis que la communauté internationale demeure muette.

El Ghalia Djimi, militante sahraouie en territoire occupé

Invitée par la commission du droit des femmes du Parlement Européen, une délégation de femmes sahraouies a fait escale à Paris, en décembre, afin de sensibiliser les Français à la répression marocaine que subissent encore les sahraouis en mal d’indépendance. Rencontre avec El Ghalia Djimi, vice présidente de l’ASVDH, (Association Sahraouie des Victimes des Violations Graves des Droits Humains), à Laayoune.

Le teint brun, les yeux pétillants, cette femme de 47 ans n’a rien perdu de ses capacités d’indignation, malgré des tentatives d’intimidation radicales. Elle naît en 1961 à Agadir, au Maroc, où elle passe son enfance. Ses parents ayant fuit le pays, elle est élevée par sa grand-mère, Fatimatou, qui lui transmet sa culture sahraouie et son dialecte traditionnel, le Hassania. A cette époque, le Sahara Occidental, au sud du royaume marocain, est encore entre les mains de l’Espagne. C’est en novembre 1975 que tout bascule. Le Maroc envahit le territoire, et pousse les indépendantistes sahraouis à l’exil, dans le sud algérien, après des représailles sanglantes. Du haut de ses 14 ans, El Ghalia observe les évènements ; sa fibre militante s’éveille. Mais c’est la disparition de sa grand-mère, en 1984, qui la propulsera au coeur de la bataille. Elle rejoint sa terre d’origine et intègre alors des mouvements de résistance sahraouis.

Ils lui banderont les yeux trois années durant

En 1987, El Ghalia se joint à un groupe de militants qui s’apprête à dénoncer la répression marocaine auprès d’une commission de l’ONU, à Laayoune. L’arrivée de la commission est repoussée, mais les militants, identifiés. Le 20 novembre, El Ghalia est dans son bureau, à la direction provinciale de l’agriculture, quand des « agents de la sûreté nationale » lui ordonnent de les suivre. « Je leur ai demandé d’attendre, pour aller chercher mon sac à main. Ils m’ont dit que ça ne durerait pas longtemps… » Elle grimpe dans un Land Rover ; ils lui banderont les yeux trois années durant. Elle passera ses années de captivité et de torture dans une geôle secrète au beau milieu du désert. « A mon arrivée, ils m’ont allongée sur un banc pieds et mains liés, et m’ont versée des détergents dans la gorge. Ils m’ont battue… J’ai été victime d’abus sexuels… Ils m’ont électrocutée ». Près de vingt femmes sont entassées dans une pièce. Dans les cellules voisines, des hommes ont également été capturés. Parmi eux : son futur mari, Dafa. Aujourd’hui, tout deux portent encore les stigmates de leur détention. Sous son foulard aux couleurs vives, El Ghalia n’a plus de cheveux à cause des produits chimiques. Elle garde aussi, imprimées sur sa peau, des traces de morsures de chiens. « J’ai été libérée avec quelques camarades, grâce aux pressions internationales… mais finalement, ce que j’ai subi, ce n’est rien comparé à d’autres, enfermés parfois plus de dix ans ». Au sortir de ces trois années d’enfer, elle donne enfin un nom à son combat, c’est celui des droits de l’Homme. Elle ne parle ni d’indépendance, ni d’autonomie, ni de territoire. Elle veut la paix, et la reconnaissance des violences subies par son peuple. Dès 1991, elle épouse Dafa. Depuis, ils vivent auprès de leurs cinq enfants, à Laayoune et s’évertuent encore à dénoncer le sort des prisonniers politiques, à travers l‘ASVDH. « Et je continuerai, insiste El Ghalia, jusqu’à ce que justice soit faite… »