Lecteurs : persona non grata !

Écartés de la participation et de l’organisation des États Généraux, les différentes associations de lecteurs de presse écrite ont réagi dernièrement via à une pétition adressée aux organisateurs et ce à l’initiative de la société des lecteurs de Libération.


Incompréhension des uns…

Après les journalistes, c’est au tour des lecteurs de monter au créneau et contester la façon dont se déroulent ces fameux États Généraux de la presse, absents de l’organisation et des débats, les lecteurs se sentent écartés de ce rendez-vous controversé.
Ces associations représentent environ 40 000 lecteurs attachés à leur journal ou amis, soutenant la liberté et la pluralité de la presse en général comme la Société des lecteurs de Libération (5 000 membres), la Société des lectrices et lecteurs de l’Humanité (14 400), la Société des Amis de l’Humanité (1050), l’Association des lecteurs d’Alternatives économiques, la Société des lecteurs du Monde (12 000), l’association pour Politis, les Amis de la Vie ou les Amis du Monde diplomatique.
Pour les organisateurs, la raison de l’absence des représentants des lecteurs et des associations de consommateurs réside dans « la difficulté de trouver des personnes susceptibles de les représenter… ». Sociétés de lecteurs et associations de consommateurs n’existeraient-elles donc pas ? Cependant, ils sont invités à s’exprimer sur Internet… Mais la question se pose d’elle-même : les éventuelles propositions des internautes seront-elles prises en compte?

Face à cette « négligence » des organisateurs, les lecteurs ont poussé un « coup de gueule » ayant pour thème « sans lectrice ni lecteur, il n’y a pas de presse ». En effet, dans une pétition adressée aux rédactions et dont nous pouvons lire l’intégralité sur Rue89, les différentes sociétés de lecteurs ont dit tout le mal qu’ils pensaient des États Généraux. Ces derniers ont compris qu’ils étaient « persona non grata » en s’inquiétant d’un tel choix : « l’absence d’une représentation la plus large possible du lectorat « tiers-état » à ces « états généraux » constituerait un signal inquiétant pour son développement à venir et celui de la démocratie qu’elle fait vivre »
Soutenue par la majorité des rédactions, cette démarche a fait réagir la majorité des journalistes qui s’interrogent sur la volonté d’écarter les lecteurs, comme le témoigne Pierre Haski, sur Rue 89, le 23 octobre dernier « Nous entendons bien défendre le point de vue de ceux, journalistes et citoyens, qui veulent une information pluraliste, indépendante aussi bien vis-à-vis des politiques que des groupes industriels qui ont fait main basse sur l’information. » De son côté Libération, par la plume de son directeur Laurent Joffrin, appellent le 1er octobre dans les colonnes de son quotidien à « un examen de conscience collectif », qui ne peut se faire qu’en présence des lecteurs de la presse écrite, en affirmant que « la profession ne peut pas se contenter de réclamer de nouvelles idées. »

Par ailleurs, et dans le même esprit que Laurent Joffrin, selon une enquête publiée dernièrement sur le site de 20 minutes, « 82% des Français pensent qu’il est important de pouvoir réagir à des articles ou de dialoguer avec les journalistes. De plus, 61% des français estiment que la télévision est le média qui informe le mieux. Et en moyenne 68% des lecteurs ont davantage jugé l’information claire, impartiale et instructive pour ce premier semestre 2008« . A bon entendeur…

Et déception des autres

Colère, déception et interrogations, ce sont les sentiments qui accompagnent les déclarations de certains lecteurs interrogés sur le sujet.
« Je lis le canard enchainé et Le Monde très régulièrement. Je vis et je ressens la crise de la presse comme tous les lecteurs français. Je pense qu’ils ont vu les pages de journaux consacrées traditionnellement au débats démocratiques remplacées par la publicité, donc s’ils ne demandent pas l’avis des lecteurs, qui sont rappelons le, les clients de la presse écrite, à qui vont-ils le demander ? Aux agences de pub qui veulent plus d’espaces ou les patrons de presse qui sont des hommes d’affaires loin de toute déontologie » nous confie François Huppert, architecte à la retraite, vivant à Béziers.

Le même point de vue est partagée par Christine Fortuno, assistante sociale d’une cinquantaine d’années qui s’indigne de cette « absence voulue, programmée ». Faisant partie de l’association des lecteurs de Libération et militante politique, Christine dénonce « le monopole du pouvoir sur les médias ». Ahmed Guasmi, enseignant à Paris, pense que les organisateurs ont déjà une idée en tête sur les conclusions des rapports et ne voudraient pas avoir des personne gênantes, en l’occurrence les lecteurs.

En attendant, les lecteurs fidèles à la presse écrite continuent à acheter leurs quotidiens en espérant un dénouement favorable à la crise en général, en dépit de leur absence de ces États Généraux de « leur presse ».

 » Sans lectrice ni lecteur, il n’y a pas de presse « 

Au moment où se tiennent les États généraux de la presse, un acteur pourtant incontournable est encore laissé pour compte : le lecteur. Interpelé par un communiqué publié fin octobre, l’Élysée n’a pas donné suite aux attentes des associations et sociétés de lecteurs qui demandaient à y être représentées. A l’occasion de la soirée « Presse libre ! » organisée par RSF et Mediapart le 24 novembre 2008, associations, intellectuels et journalistes ont pris la défense des lecteurs.

La question a déjà été posée plusieurs fois, notamment par les journalistes de Mediapart ou de Rue89 : qu’en est-il de la place des lecteurs dans ces États généraux de la presse ? En effet, si il y a UN absent de ces discussions, et non des moindres, c’est bien le lecteur ! Pourtant, comme le rappelle si simplement le communiqué publié à ce sujet par plusieurs associations et sociétés de lecteurs le 27 octobre dernier : « sans lectrice ni lecteur, il n’y a pas de presse ». Une évidence qui repousse le « grand chantier » de Nicolas Sarkozy dans ses propres contradictions : comment moderniser la presse française sans prendre en compte l’avis de celles et ceux à qui elle est destinée ? Pire encore, comment réduire le lecteur à un simple consommateur, quand il doit être un acteur du jeu démocratique ? Pour que la presse ne soit pas réduite à « vendre les « minutes disponibles de nos cerveaux » », privilégiant la rentabilité à la qualité de l’information.

Un mois après cet appel, le constat est toujours le même : les lecteurs ne sont pas invités à prendre part aux débats. Zina Rouabah, coprésidente de la société des lecteurs de Libération, le rappelait lors de la soirée « Presse libre ! » organisée par Mediapart et RSF (Reporters Sans Frontières) le 24 novembre dernier. « Il faut croire que le lectorat « Tiers-État » n’a pas été entendu » ironisait-elle à la tribune du théâtre de la Colline. Et ce n’est pas faute d’avoir essayer de s’investir. Depuis août, ils n’ont cessé d’interpeller Emmanuelle Mignon, conseillère du président de la République en charge du dossier des États généraux, mais leurs revendications sont restées sans réponse.

« Fédérer journalistes et lecteurs »


Intellectuels et journalistes, présents aux cotés d’Edwy Plenel (directeur de publication de Mediapart) et Jean-François Julliard (secrétaire général de RSF) ont voulu apporter un soutien nécessaire à ce « public » mis à l’écart des discussions sur « sa » propre presse. Pour Bernard Stiegler, docteur à l’École des hautes études en sciences sociales, « le lecteur n’est pas un consommateur, mais un individu qui désire développer son esprit par l’information ». Il alerte sur « la menace d’une aliénation de l’esprit public » au profit d’une poignée de privilégiés. François Malye, grand reporter au Point et membre du forum permanent des sociétés de journalistes, estime pour sa part qu’« il faut fédérer les journalistes et les lecteurs ». Sans ce préalable, il n’y aura « que des revendications de patrons en phase avec les attentes de la présidence de la République », au détriment de celles des citoyens.

Une enquête[[Enquête réalisée pour le compte du quotidien 20 minutes par SSI (Survey Sampling International)]] révèle que plus de 40 % des lecteurs de presse quotidienne (payante et gratuite) considèrent celle-ci comme garante de la liberté démocratique. Pour défendre cette liberté, il est indispensable que le lectorat « Tiers-États » puisse faire entendre sa voix, avant d’être laissé pour compte dans l’indifférence générale. Selon cette même étude, 17,6% des Français ont entendu parler des États Généraux de la presse et seulement 11,6 % se sentent concernés par les problèmes de la presse. Un manque d’intérêt qui masque la menace réelle qui plane sur le pluralisme et la qualité de l’information en France.