16h samedi 19 novembre, rue de l’Aiguillerie, au cœur de Montpellier. Les militants de « La France Insoumise » déballent leur dispositif du « porteur de parole ». C’est pour eux une première. Ils vont s’y initier avec trois « éducateurs populaires » présents ce jour-là : Hélène, Hugo et Julian. Mais en quoi consiste ce concept ? À interpeller le public avec des phrases chocs, dans le but de créer réflexion et interrogation. La première est installée sur une pancarte en travers de la rue, au-dessus des têtes : « La dernière fois que je me suis senti(e) trahi(e)… »
Le dispositif sera ensuite étoffé par d’autres pancartes complétant la phrase initiale avec des citations de passants. « On veut militer autrement, donc on essaie de faire autrement sur le terrain » explique Clément, membre du bureau départemental du Parti de Gauche. Pour Hélène, une formatrice, « les gens sont intéressés pour parler de politique », il faut donc leur apporter au plus près. Membre de la « Coopérative citoyenne » à l’origine du projet, elle a répondu à la demande des militants mélenchonistes pour « parler politique dans la rue, parler à des vrais gens et permettre le débat public ». Et pour Samuel, militant depuis mars dernier, ce dispositif du « porteur de parole » est « une manière de faire campagne autrement en rendant la parole au peuple à qui la politique appartient ».
« Lutter contre le travers militant des leçons de morale »
Rapidement, les premiers curieux s’arrêtent. Les discussions s’engagent. Volontairement, peu de détails visuels relatifs à « La France Insoumise » ou à Jean-Luc Mélenchon sont visibles. Seuls les couleurs rouge et bleu ainsi que le sigle inscrit à la bombe sur les citations y font penser. « C’est volontaire » affirme Hugo, « au Parti de Gauche ils acceptent facilement de mettre leur carte dans la poche. Ici, il s’agit de lutter contre le travers militant des leçons de morale, c’est la dernière chose qui paye. » Mais convaincre est bien la première préoccupation des militants présents. Clément tient toutefois à rappeler que « beaucoup de nouvelles personnes ne sont pas encartées » dans leur mouvement.
Tout l’enjeu de ces dernières semaines a été de réussir à faire campagne pour le parti de Jean-Luc Mélenchon alors que les médias étaient focalisés sur la primaire de la droite et du centre. « Nous essayons de développer nos propres médias sur Internet, avec des actions militantes à la clef » explique Muriel Ressiguier, conseillère régionale du Parti de Gauche. Son parti a fait le choix stratégique de l’impasse sur les primaires, qui ne permettraient pas à l’ensemble de la population de s’exprimer. « Au départ on ouvre le mode de sélection mais la classe populaire n’y participe pas », explique l’élue. En s’engageant dans une primaire ouverte à toute la gauche, les mélenchonistes redoutaient aussi de perdre leur identité puisque le résultat final « engage aussi à soutenir celui qui va gagner. Or, on ne défend pas la même chose. » Un discours que les militants de la rue de l’Aiguillerie développent eux aussi : « les sondages fabriquent une hiérarchie et une situation préconstruite. La primaire n’est pas forcément représentative de la démocratie » martèlent Samuel et Clément. Selon eux, il s’agit plutôt du triomphe de la politique spectacle, d’un affaiblissement des programmes politiques et de l’engagement militant, une idée également avancée par des universitaires. Parmi les militants présents aujourd’hui, aucun n’ira voter à une quelconque primaire, sujet qui les intéressent d’ailleurs très peu.
Le dispositif du « porteur de parole » intrigue
Autour d’eux, de plus en plus de personnes s’arrêtent, intrigués par le dispositif mis en place. Les passants se prennent au jeu des citations qui fleurissent un peu partout sur des bouts de cartons. « En 2012, un certain François H. a promis de s’attaquer à la finance ! », peut-on lire. Ou encore « En tant qu’ancienne institutrice, quand j’entends les hommes politiques de droite parler de l’école, ça me met en colère : pourquoi pas revenir au bonnet d’âne ?! »
Certains s’arrêtent même pour donner un coup de main et enchaînent sur des débats. Les échanges restent respectueux en dépit des divergences. « On ne sait plus pour qui il faut voter », interpelle Jacky, 80 ans. « C’est vous les jeunes qui devez refaire la politique, je vous fais confiance. »
Le temps du débriefing
La nuit commence à s’installer à Montpellier. Il est 18h lorsque l’équipe commence à débriefer l’action. Ils estiment que le dispositif a bien fonctionné, avec un regret cependant : les passants s’arrêtaient d’avantage par curiosité que pour réfléchir aux phrases inscrites sur les cartons. Tour à tour, les militants racontent leur expérience selon un rituel inspiré par les manifestants de Nuit Debout, consistant à dire « je prends » à chaque prise de parole et « je laisse » pour la passer au suivant.
Tous sont unanimes sur « la beauté de l’expérience humaine » de l’instant militant vécu. Mais le véritable objectif était d’abord de se trouver de « nouveaux alliés ». « Les gens s’en rappelleront et c’est très important pour le militantisme », se console Hugo, l’éducateur. Déjà, l’équipe se projette et imagine renouveler des actions similaires dans d’autres lieux, comme des facultés, avec un concept élargi. Pour ces prochaines fois, un militant s’interroge déjà : « Comment politiser le débat ? Comment passer au cap du militantisme ? » Vastes questions… auxquelles Hugo tente de répondre concrètement : « quand on identifie des alliés, vous n’avez pas le droit de les lâcher ! ».
Il est maintenant temps de plier bagage. « Je suis content, on redécouvre le goût de l’être humain » confie Hugo, loin, très loin des jeux si codés de la primaire.
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