Jeudi 13 novembre, à 18h30, l’ambiance est à la complicité et l’intimité féminine au café Bermuda-Clafoutis. Quelques hommes tout de même, la cinquantaine avancée, s’attardent sur chacune de ses paroles. Entre deux confidences, elle qui tapisse son bureau avec des mots et regarde The Hours quand son moral est à zéro, Alice Ferney écoute. A côté d’elle, une jeune femme, Ilène Grange de la Compagnie de l’âtre, lit d’un ton haut perché des extraits de son dernier roman.
L’histoire d’Elsa Platte, délaissée par son mari, qui oublie sa solitude devant le téléviseur. Au programme, encore et encore, Chaînes conjugales, le film mythique de Joseph Mankiewicz, réalisé en 1949. Alice Ferney décortique les sentiments amoureux, la perte de l’autre, le manque.
Parmi la trentaine de personnes rassemblée, curieux ou fidèles, certains hochent la tête, sourient, se reconnaissent dans les paroles de l’auteure.
Bandeau orange sur la tête, look hippie et veste léopard posée sur la chaise, Alice Ferney cumule les livres, les paradoxes et les identités. D’ailleurs Alice est en fait Cécile. Et Ferney, Gavriloff. Car « celui qui écrit n’est pas celui qui vit ». Soucieuse de séparer sa vie de son œuvre, son pseudonyme lui permet d’établir une distance entre sa vie d’écrivaine et son travail de professeur d’économie à l’université d’Orléans. Alice, prénom choisi en référence au conte d’Alice au pays des Merveilles.
« Quand on lit, on se dit c’est ça, c’est ce que je vis ! »
D’ailleurs, Alice finit son verre. Tout en maniant son stylo, elle embrasse d’un regard la salle, et se tait. Ilène Grange, la lectrice, entame un morceau du roman où les enfants d’Elsa Platte l’espionnent pendant un énième visionnage de Chaînes Conjugales. On reconnaît dans l’assemblée les mères de famille avec leurs sourires en coin. Du déjà vécu, assurément ! D’ailleurs Martine, 57 ans, blonde vêtue élégamment d’un long manteau rouge, avoue se reconnaître dans l’état de vérité : « Quand on lit, on se dit c’est ça, c’est ce que je vis ! »
Pour Jocelyne, il n’est pas question de projection dans les personnages mais plutôt de parcourir des yeux un roman bien construit, guidée par « la magie des mots ». Alice, quant à elle, a du mal à tourner la page : « Je suis dans un moment où je déteste mon livre ! A chaque fois j’essaye de l’oublier. La fin d’un livre, c’est un peu comme un deuil »
Dans toute sa bibliographie, qui compte aujourd’hui sept romans, à chaque fois un éternel absent : l’homme. Certains de ses lecteurs lui reprochent d’ailleurs ce manque. Elle réplique que l’homme est toujours présent dans ses ouvrages, mais mis à distance. Et s’il y en a bien un qui a pris le large, c’est le mari d’Elsa Platte. Il a laissé derrière lui un simple post-it : « Prépare-toi à dormir seule ».
Il est 19h30, le public quitte les chaises pour rejoindre l’auteure autour d’une séance de dédicace. Certains achètent même Paradis Conjugal, tout alléchés qu’ils sont. Comme le lapin blanc pressé par sa trotteuse, Alice se lève enfile sa veste léopard et s’en va, laissant derrière elle une pile de livre pour autant de merveilles…
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