C’est un geste fort que de présenter ce film en ouverture du Festival. Un film engagé, sur l’évolution des moeurs au Maroc, entre conservatisme et modernité. De manière chorale, il conte les destins croisés de Salima, Joe, Hakim, Inès.
Et surtout celle d’Abdallah, avec sa voix qui nous guide durant tout le film. Tout commence en 1982: il est professeur dans les montagnes de l’Atlas au Maroc et tente d’enseigner les sciences à ses élèves. Mais les nouvelles réformes lui impose (avec surveillance à la clé) d’utiliser l’arabe, langue coranique, au détriment du berbère. Les cours se transforment en éducation islamique. « Qu’importe la langue si vous leur ôtez la voix ? » désespère-t-il. « Rester pour lutter ? ». Il hésite.
Nous voilà sans transition en 2015. Salima, une jeune femme mariée et sans emploi se débat face à la pensée patriarcale qui l’étouffe et à la domination des hommes. Joe, de son vrai nom Joseph, est un restaurateur juif de Casablanca. Sans cesse renvoyé à son appartenance religieuse. Hakim, jeune marocain homosexuel rêve, lui, d’Europe et de liberté. À la recherche d’un avenir meilleur il est confronté au rejet de la société et de son père, du fait de son orientation sexuelle et de sa passion pour la musique. Inès, jeune lycéenne ultra connectée est confrontée et choquée par le mariage d’une de ses amies, mineure, avec un homme de 32 ans.
Tout cet entrelacs d’histoires de vies qui se frôlent sans se rencontrer questionne les mutations et soubresauts de la société marocaine : la religion, la libération de la femme et les mariages de mineurs, l’homosexualité. En quête de liberté, chacun des personnages tente à sa manière de s’affranchir des carcans du Maroc d’aujourd’hui.
Ecrit par le réalisateur lui-même et Maryam Touzani l’actrice principale du film (Salima), le scénario met en scène les comédiens de son précédent long métrage – le multi primé Much loved -, Amine Ennaji (Abdallah) et Abdellah Didane (Ilyas).
Le réalisateur d’origine marocaine scrute son pays avec un réalisme bouleversant. Il y décrit une société bloquée tout autant par l’emprise religieuse que celle de la domination des hommes sur les femmes. Dans « Casa la moderne » prisée des touristes, il filme l’envers du décor : la difficulté de naître et d’être femme, le rejet des juifs, la stigmatisation des homosexuels. Il y dépeint également la contestation de la jeunesse face au chômage, leur désespoir face à l’avenir. Et la violence qui en découle.
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