Littérature antillaise et postcolonialisme

Le 27 novembre 2009 à Montpellier, la littérature antillaise fait l’objet d’un éclairage théorique. Dans le cadre d’un colloque sur les « mondes postcoloniaux », des universitaires se penchent sur les « scènes antillaises et politiques du  » Tout-Monde  » ».

La littérature martiniquaise s’inscrit dans l’espace de la production littéraire francophone mais participe également à la culture des Caraïbes. Surtout, les écrivains antillais ne cessent de dénoncer la situation coloniale tout en créant une prose originale, avec ses inventions linguistiques. De la « négritude » à la « créolité », Florian Alix, de l’Université de Strasbourg, explore le repositionnement de « l’essai postcolonial martiniquais ».

Une littérature anticoloniale

Florian Alix, évoque l’histoire des écrivains anticolonialistes. Les essayistes antillais entremêlent littérature et politique à travers la revendication d’une spécificité culturelle des noirs. La revue Légitime Défense, proche des surréalistes, développe une analyse marxiste de la société martiniquaise. Les écrivains regardent les Antilles par le prisme du monde.
Aimé Césaire (1913-2008), écrivain et homme politique, associe littérature et engagement à l’image des élites occidentales. Son discours sur la négritude s’inscrit dans un cadre d’analyse marxiste. Pour Frantz Fanon (1925-1961), psychiatre et homme de lettres martiniquais,
l’oeuvre littéraire doit être politique et sa pratique doit s’inspirer des luttes. Dans Peau noire, masques blancs, il critique le mimétisme des élites de couleurs sur les classes dominantes occidentales. La culture et les relations politiques sont deux champs d’études reliés chez Frantz Fanon. La négritude de Césaire est définit en termes politiques: la situation des noirs dans le monde découle du colonialisme.
Le local est lié au global sur le plan idéologique et institutionnel. Les écrivains antillais sont liés à des mouvements anticolonialistes, et se tournent vers le reste du monde. Cependant, la négritude constitue un mouvement littéraire qui concerne peu le prolétariat noir. Toutefois, les auteurs de l’archipel de Caraïbes, se positionnent comme les porte-parole des opprimés.

La littérature postcoloniale

Florian Alix évoque ensuite l’évolution des essayistes antillais. Édouard Glissant, écrivain contemporain, reproche à Aimé Césaire et Frantz Fanon de se détacher de la situation locale. Ces personnalités de la plume évoquent la domination dans les Antilles mais à travers une analyse anticolonialiste plus large. Édouard Glissant amorce un repositionnement. Les intellectuels contemporains s’écartent du champ politique avec la fin de l’impérialisme qui permet un recentrement sur la Martinique. Édouard Glissant demeure anticolonialiste et s’inscrit dans la perspective d’une émancipation culturelle et politique. Cependant, il reste à l’écart des partis et intervient dans l’actualité en tant qu’écrivain. L’Institut martiniquais d’études (IME) insiste sur la légitimité scientifique, avec une séparation de la sphère du politique. L’éloge de la créolité permet de créer un regroupement politique mais ne débouche sur aucun programme pratique. Le projet culturel prédomine en s’appuyant sur la langue créole. Le contexte international évolue avec la fin des réseaux de luttes anticolonialistes. Le nationalisme est alors limité au culturel.
Aimé Césaire et Frantz Fanon tentent de comprendre le monde pour observer les Antilles. En revanche, Édouard Glissant s’intéresse aux Caraïbes pour analyser le monde. L’essai se recentre donc sur la réalité martiniquaise.

Dans la littérature francophone

Selon Florian Alix, le travail littéraire de Fort de France intègre progressivement la culture française. Toutefois, les Antillais préservent leur autonomie par rapport au champ littéraire français. Édouard Glissant critique la normalisation de la langue créole. Il entretient un rapport ambigu, de révérence et de distance, avec ses prédécesseurs. Il s’inscrit dans la filiation des intellectuels anticolonialistes à travers la construction progressive d’une culture nationale. Cependant, ce projet n’est plus révolutionnaire et se rapproche du nationalisme respectable, intégré aux lettres française.
Ces écrivains postcoloniaux adoptent une relation critique au politique qui les amène à redéfinir leur rôle. Raphaël Confiant, essayiste et militant de la cause créole, reproche à Aimé Césaire de ne pas avoir entendu les voix subalternes, comme celle des indiens, et la diversité des situations.
La politique et le monde sont pensés depuis la culture et les Antilles.

Études postcoloniales et littérature

Marie-Christine Rochmann, de l’Université Paul Valéry Montpellier III, prolonge la contextualisation historique de l’oeuvre d’Édouard Glissant en le situant par rapport aux études postcoloniales. Édouard Glissant se réfère à la théorie postcoloniale qui s’attache à la subversion littéraire et poétique. Cependant, les études postcoloniales s’intéressent rarement à Édouard Glissant qui est peu traduit en anglais. En revanche, ce champ d’étude a institutionnalisé l’œuvre de Frantz Fanon. Cependant les concepts utilisés par Glissant existent déjà dans le monde anglo-saxon. Ensuite, son analyse semble davantage culturelle et poétique par rapport à Fanon qui demeure plus politique.
Sartorius. Le roman des Batoutos se situe en Afrique, et non en Martinique. Cet ouvrage reprend le récit du mythe fondateur de la tribu. Glissant se réfère à Gilles Deleuze, qui estime que « la fonction fabulatrice doit inventer un peuple ». Il emprunte au philosophe la théorie des identités racines et des rhizomes. L’écrivain se réfère à l’anthropologie comme lieu d’analyse des discours coloniaux. Il reprend la théorie afro-centriste selon laquelle la culture égyptienne fondatrice se diffuse au cours de l’histoire. Le peuple noir doit renouer avec cette origine. Cependant, les Batoutos refusent l’identité essentialiste de la race.
Édouard Glissant, l’essayiste martiniquais dialogue avec les études postcoloniales tout en conservant son identité de poète et sa liberté de créateur.

De nouveaux concepts

Kathleen Gyssels, de l’Université d’Anvers, présente l’historique des « concepts glissantiens » de la créolité à la postcréolité.
Édouard Glissant appelle à « débalkaniser les Caraïbes ». Il développe une conception transcommunautaire de la littérature. Selon l’écrivain, « il est des communautés littéraires qui dépassent les communautés linguistiques ». La notion de créolisation se réfère au rhizome avec « un métissage sans limites aux résultats démultipliés ». Cependant, l’éloge de la créolité se recentre sur les Antilles francophones. Toutefois, la créolisation ne fige pas et s’apparente à un mouvement linguistique.
La littérature antillaise privilégie la création et l’invention linguistique à l’héritage figé. A l’image de Patrick Chamoiseau, romancier et théoricien de la créaolité, qui refuse d’être considéré comme « le fils spirituel d’Édouard Glissant ».

Les écrivains antillais participent à la rénovation de la langue française et alimentent un décentrement de la littérature par rapport à l’hexagone. Les luttes politiques des Antilles sont accompagnées par un souffle poétique et une innovation créatrice. Toutefois, la culture prime désormais sur la politique. La poésie doit ainsi permettre de dépasser la civilisation marchande.

Des textes d’intervention sur le monde contemporain:

http://tout-monde.com/pdf/Manifeste.pdf

http://tout-monde.com/2009-intraitable.html

http://www.galaade.com/oeuvre/quand-les-murs-tombent

Sentiments confus pour Antillais déboussolés

Flashback. Le 4 novembre 2008, un vent d’espoir a soufflé. Un moment historique plébiscité par près de 80% des Français, avec une saveur plus particulière pour les habitants d’Outre-mer, des Antilles à la Réunion.

L’élection de Barack Obama a provoqué un réel sentiment de fierté pour ces populations où le métissage fait partie intégrante de la société. Un instant unique, célébré par une liesse populaire qui vivait ce vote comme un grand tournant pour les minorités du monde entier. Pour les Antillais, un homme noir Président des États-Unis était un signe fort pour l’intégration. On entendait alors dans de nombreuses bouches : « A quand un Obama français ? » A quand un fils ou une fille d’immigré à la plus haute marche de l’État ? A quand des élites dirigeantes reflétant réellement la diversité de la société française ?

Il y a bien eu quelques effets d’annonce : Fadela Amara, Rachida Dati ou encore Rama Yade invitées à participer au gouvernement de Nicolas Sarkozy. Plus récemment Pierre N’Gahane, Français d’origine camerounaise devenu le premier Préfet noir de France. Pourtant au final, le constat est amer pour cette France de la diversité : une sous-représentation des minorités chez les hauts-fonctionnaires, chez les élus et dans la plupart des grandes formations politiques. Injustice pour certains, ségrégation officieuse pour les plus radicaux, cette situation n’en est pas moins alarmante dans un pays qui se présente comme celui des Droits de l’Homme et de l’égalité.

photo_1234949108792-1-0.jpgAujourd’hui, retour à la réalité. Incertitude et incompréhension ont remplacé espoir et fierté. La joie éphémère d’une page d’histoire qui s’écrit, a fait place aux réalités d’une société antillaise qui souffre. Un malaise social accentué par l’indifférence du gouvernement aux « S.O.S » des peuples guadeloupéens et martiniquais. Produits de première nécessité aux prix exorbitants, salaires qui stagnent et chômage galopant, voilà les problèmes à régler pour éviter l’implosion.

Mais cette crise masque surtout des problèmes profonds. Les jeunes Antillais sont désœuvrés et subissent le chômage encore plus durement qu’en métropole. Près de 40% des moins de 30 ans sont sans emploi. Beaucoup d’entre eux se perdent dans le crack et la violence. D’autre part, l’économie locale est gérée par une véritable caste d’hommes blancs : les békés. Ces descendants de grands propriétaires esclavagistes trustent plus de 40% des mannes financières de Martinique et de Guadeloupe alors qu’ils ne représentent qu’un à 2% de la population antillaise. Pour un peuple qui n’a pas encore pansé les plaies de l’esclavage, comment ne pas comprendre qu’une telle situation ne puisse évoquer chez certains un sentiment de rejet ou d’infériorité ?

Ce qui s’exprime aujourd’hui aux Antilles, c’est d’abord le désarroi de cette population qui veut être écoutée et considérée comme les autres. Aurait-on seulement imaginé que la situation dégénère à ce point dans un autre département de France métropolitaine ? A croire que la société américaine, qui appliquait une forme d’apartheid il y a encore 50 ans, a évolué plus vite que la notre, qui a abolit l’esclavage il y a plus de 150 ans…

« The change has come » lançait le slogan de Barack Obama comme un message au monde. Traduisez : le changement est venu. Et bien aux Antilles, il tarde à arriver…