Identité nationale, burqa : la majorité joue avec le feu

A l’heure du débat nauséabond sur l’identité nationale qui, loin de fédérer les français les divise plus que jamais, l’UMP se démène avec un projet de loi que Jean-François Copé et Eric Raoult portent péniblement sur leurs épaules. Celui sur l’interdiction du port du voile intégral. Décryptage.

Après des mois de discussions, force est d’admettre pour ces fervents défenseurs d’une identité républicaine qu’une loi visant à interdire le port de la burqa ou du niqab est difficilement applicable sans porter atteinte aux libertés fondamentales.

Même Xavier Darcos qui fut pourtant favorable à l’interdiction du voile dans les écoles en 2004, reconnaît dans Le Monde du jeudi 17 décembre: « qu’un dispositif répressif, dont l’application est jugée très difficile, ne serait pas de nature à régler la question complexe du port de la burqa. »

Jean-François Copé, affirmait pourtant dans Le Figaro du 16 décembre : « Il y a des fondements juridiques solides pour justifier une interdiction », en faisant référence à l’intervention de Guy Carcassonne, professeur de droit public à l’université Paris X, qui fut diffusée sur la Chaine Parlementaire.

Or « les fondements juridiques solides » que Jean-François Copé prétend détenir sont peut-être plus fragiles qu’il le laisse entendre.
Guy Carcassonne explique en effet que la seule solution pour qu’une telle loi apparaisse serait de faire appel à « l’ordre publique et la sécurité ». « Il ne s’agirait pas d’interdire le voile intégral mais tout ce qui cache le visage » car le fait de montrer son visage est le signe que l’on appartient à une société. Cela fait parti de nos codes sociaux, non seulement pour des questions de sécurité mais aussi parce que c’est un des signes de reconnaissance que nous partageons.

Soit, mais est-ce vraiment pour des questions de sécurité que ces parlementaires ont voulu au départ interdire le voile intégral ? N’y-a-t il pas quelque chose de biaisé dans cette volonté de légiférer à tous prix sur un phénomène, qui rappelons-le ne peut pas être mesuré, et dont les conséquences sociales ne peuvent être évaluées qu’avec des conjectures hasardeuses voire pire, par des jugements de valeurs stigmatisant ?

L’UMP, dans son obsession d’affirmer haut et fort ce que c’est que d’être français, réalise alors qu’il n’est pas possible de légiférer sur le port du voile intégral pour des raisons qui aurait pu être valable : le respect de la laïcité ou la dignité de la personne liée au traitement infligé aux femmes par leurs maris.

Ainsi, le respect de la laïcité ne peut être invoqué car selon Guy Carcassonne : « La République peut s’imposer à elle-même une laïcité, mais le législateur ne saurait pas interdire au citoyen la liberté de choisir ce qu’il considère comme important pour sa foi ».

La dignité de la personne non plus car interdire le voile intégral au nom de celle-ci relèverait du jugement arbitraire. Qui va définir ce qu’un individu juge digne pour sa propre personne. L’État ? Une commission de la dignité ? Et en poussant la logique plus loin, est-il digne de porter un tatouage, un piercing, une croix ou une kipa ? Préjuger de cela nous amènerait immanquablement vers des dérives que la vieille Europe connait bien.

Impossible donc de légiférer sur ces principes et pourtant on cherche, on continue, on veut coûte que coûte sanctionner. Quand bien même l’utilité d’une telle loi est douteuse mais qu’en plus son application, stigmatisant une population que l’on met déjà trop souvent sous les feux des projecteurs, se fera pour de fausses raisons de sécurité et d’ordre public.

Symptomatique, cette proposition de loi illustre bien la position de la majorité qui s’efforce constamment d’établir des liens entre la foi musulmane et l’intégrité de la république française et se retrouve souvent dans des impasses. Ces débats divisent même les hommes politiques au sein de la majorité et exacerbent les tensions en donnant forme à des problèmes qui n’en étaient pas forcément au départ.
Le débat sur l’identité nationale suit la même logique. Mettre sur le devant de la scène des pseudos problèmes de société pour éviter des débats beaucoup plus gênant pour le gouvernement sur la gestion de la dette, la Réforme Générale des Politiques Publiques, la réforme sur la taxe professionnelle, la suppression du juge d’instruction, la revalorisation annuelle du SMIC au strict minimum face au maintien du bouclier fiscal, l’intégration européenne forcée par le traité de Lisbonne, le retour dans le commandement intégré de l’ONU ou encore les quotas d’immigrés renvoyés dans leurs pays. Autant de sujets qui mériteraient un véritable débat national avec les mêmes moyens que ceux déployés pour l’identité nationale.

Ce débat ci n’est qu’une grossière manœuvre de diversion, une basse manière de fédérer toutes les rancœurs autour de crispations identitaires, une méthode de division aussi vieille qu’efficace.
Conscient de l’impasse dans laquelle la majorité est en train de s’engouffrer, les ministres se divisent déjà sur le sujet.

Cette exacerbation de la problématique du voile et de l’identité nationale destinée à étouffer les contestations sur les autres politiques mises en pratique n’est pas sans risque. Le feu que le gouvernement allume ainsi par petites touches risque ainsi de se propager rapidement. Les émeutes de 2005 dans les banlieues sont certes passées, mais toujours bien présentes dans les mémoires, et le gouvernement ferait bien de s’en soucier.

Politiques vs Populations dans nos quartiers

La burqa est considérée par certains comme « une prison ambulante », « une menace pour la République ». Pour d’autres comme « un choix religieux » au nom du principe de la liberté. Pour y voir plus clair, nous avons donné la parole aux premiers concernés dans nos quartiers, du Petit Bard à la Paillade, en passant par Gambetta à nos mosquées.

Le port de la burqa fait débat aujourd’hui dans notre société. Le ministre de l’Immigration vient de relancer la discussion en voulant légiférer sur cette question. Le député communiste André Gérin a été alarmé par cela et a prôné la création d’une commission d’enquête parlementaire sur le port de la burqa ou du niqab. Il avait d’ailleurs refusé à Lyon de marier un couple dont la femme portait une burqa.

Selon lui, « on est dans un pays républicain, laïc et on voit des fantômes ». Libération, dans son édition du 17 juin 2009, titre à ce sujet: «La burqa, une «prison ambulante ». Devant le Congrès réuni à Versailles, le président Nicolas Sarkozy a donné son point de vue et a réaffirmé que la laïcité ne signifiait pas le «rejet du sentiment religieux» et a précisé que «la burqa n’est pas un problème religieux» mais «un problème de liberté, de dignité de la femme». «Ce n’est pas un signe religieux mais un signe d’asservissement, d’abaissement» (…) «Elle ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la République française». Il a même félicité le Parlement d’avoir pris en main le problème. Ceci contredit ses propos lors de la visite de Barack Obama, président des États-Unis, le 6 juin dernier. Il a effectivement soutenu le port du voile comme Obama, oubliant que le foulard était interdit à l’école. Face à la polémique que ses déclarations avaient suscitées, l’entourage de Sarkozy avait immédiatement réajusté le tir en disant que : «le président Sarkozy est évidemment contre le port du voile à l’école». Obama a, quant à lui, défendu dans un discours au Caire le port du voile pour les Musulmanes en Occident, prenant le contre-pied de la France et d’autres pays européens. Pour lui, «il est important pour les pays occidentaux d’éviter de gêner les citoyens musulmans de pratiquer leur religion comme ils le souhaitent, et par exemple en dictant les vêtements qu’une femme doit porter».

Suite à cette mission parlementaire créée le 1er juillet, une note de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) citée par Le Monde et datée du 30 juillet, signale que seulement 367 femmes sur l’ensemble du territoire français auraient adopté le voile intégral. Selon Le Figaro de septembre 2009, «les policiers se sont livrés à une estimation sur la base des lieux de culte salafiste*. Le chiffre de moins de 2 000 femmes paraît crédible» Ce phénomène resterait donc marginal en France. Et, toujours d’après ce journal, une très grande majorité de ces femmes est âgée de moins de 30 ans. Pour un quart d’entre elles, il s’agit de françaises converties à l’islam. De plus, « le port du voile intégral s’apparente à une volonté de provoquer la société, voire sa famille », avance le SDIG.

De notre côté, nous nous sommes rendus dans les quartiers de la Paillade, du Petit Bard, au marché aux puces de dimanche, à Gambetta, dans des mosquées pour recueillir des témoignages et donner la parole aux habitants de Montpellier concernés par ce sujet. Nous avons interrogé des hommes et des femmes de 20 à 40 ans, certaines femmes voilées, d’autres mettant la burqa. Nos questions tournaient autour de la recommandation sur la manière dont une femme doit s’habiller selon l’Islam, si le fait de mettre une burqa était une obligation religieuse ou bien une interprétation culturelle. Certains pensent que les femmes qui mettent la burqa sont des femmes soumises, forcées par leur mari. D’autres, soutiennent que la burqa est un refuge pour elles et que c’est le seul moyen qu’elles ont pour qu’on leur accordent plus de respect dans les quartiers. Chaque personne interrogée a donné son point de vue sur la question : « L’islam nous dit de mettre une tenue descente, qui n’est pas transparente et qui n’attire pas l’attention des hommes », affirme une première femme. « L’Islam recommande aux femmes de couvrir leur corps pour des questions de pudeur, et pour que celles-ci évitent de montrer des parties sensibles ». ajoute une seconde. « La tenue ne doit pas être transparente, ni courte, ni serrée car elle doit cacher les formes comme il est dit dans le Coran» termine une troisième. L’un d’eux signale que cette pratique existait durant la colonisation : « en Algérie, les voiles des femmes ne choquaient pas alors ». Pour lui, il y a d’autres choses plus choquantes que la burqa tels que le « mariage homosexuel ou l’exhibitionnisme dans les publicités où les femmes sont dénudées pour vendre des yaourts ». Certains pensent que : « la burqa est une interprétation culturelle pour la seule et simple raison que les femmes musulmanes ne se couvrent pas de la même façon si on fait le tour des pays musulmans. » On peut donc dire, comme deux personnes qui fréquentent la mosquée de la Païllade nous l’on dit, qu’il y a deux écoles qui se confrontent. D’une part, des savants qui affirment que le port de la burqa est obligatoire. D’autre part, d’autres jugent que ce n’est pas nécessaire. Ce que l’on peut retenir c’est que les avis divergent : si certaines la portent c’est avant tout pour se préserver des regards des autres notamment des hommes, pour éviter le jugement des autres ou pour se sentir plus respectées, d’autres souhaitent simplement l’accomplir par conviction religieuse. Malgré cela, l’une d’elle a affirmé qu’elle souhaite se cacher pour avoir la paix mais certains l’agressent et l’appellent même « ninja ».

Les habitants des quartiers nord ont été également interrogés sur la légitimité des politiques à intervenir ou non sur la manière dont un citoyen doit s’habiller et si pour eux la burqa est une menace pour la République. Pour les personnes questionnées, « une loi ne devrait pas être un prétexte pour s’attaquer aux libertés des personnes ; ce qui est un besoin réel c’est la pédagogie, c’est le dialogue. » Ils soutiennent que les politiques ne doivent pas intervenir dans la manière de s’habiller des citoyens. Un autre affirme : « on dirait un état communiste où c’est l’uniformisation qui règne ». « Les politiques, nous disent-ils, mettent toujours leur grain de sel mais il ne faut pas heurter la sensibilité des personnes ». Sur l’idée que certaines personnes pensent que les femmes qui mettent la burqa sont des femmes soumises, forcées par leur mari, les avis divergent. Ils nous disent que cela est peut-être possible. Mais si c’est le cas cela relève d’un problème d’éducation, de vie sociale qui dépasserait largement le cadre de la burqa. D’autres pensent que ce n’est pas possible car c’est un choix religieux avant tout, on doit le faire pour Dieu et qu’il n’y a pas de contraintes en religion. Une des femmes interrogées qui a la quarantaine va plus loin. Pour elle : « c’est impensable, la femme est la plus forte et on doit lire l’histoire des femmes du compagnon du prophète qui étaient de grandes commerçantes, des savantes au contraire pour comprendre cela». Pour eux, il faut donc éviter de simplifier les choses. «On peut noter toutefois qu’à travers l’histoire des individus ou des groupes de personnes, certains, ont voulu se démarquer de la norme sociale par leurs comportements, par les croyances… Enfin, j’ose penser ou croire que la Religion dans son essence et dans sa globalité vise le bonheur de l’homme ». Si l’on crée une loi, certains voudront au contraire d’avantage revendiquer leur appartenance à leur religion et revendiquer leur droit en provoquant la société. Et, on voit qu’il y a bien une appréciation différente de l’utilisation de la burqa et des raisons qui justifient son choix. On note un malaise et une mal-compréhension au sein de ses populations de la part des politiques et d’une partie de la population. L’état parle en ce moment d’un débat sur l’identité nationale. Cependant, la République n’aurait-elle pas plus besoin d’un dialogue pour réconcilier les différentes couches de la population diverse et variée, qui ne pourrait pas pour l’instant se souder autour de cette question, tant qu’un malaise existe et perdure ?

Ibra Khady Ndiaye

Vifs remerciements à ces personnes qui ont bien voulu répondre à nos questions.