Abd Al Malik : « Allumons les bougies de l’espoir ».

En amoureux des mots et poète humaniste des temps modernes, Abd Al Malik est venu déclamer quelques extraits de son nouveau livre « La guerre des banlieues n’aura pas lieu » et partager sa vision de la vie, de la France, de l’avenir. La librairie Sauramps Odyssée a accueilli le rappeur, slammeur et auteur-compositeur, ce mercredi 24 mars, pour le plus grand plaisir des Montpelliérains. Après la rencontre, c’est avec le sourire qu’il se livre à HautCourant. Un petit instant d’éternité.

« Nous sommes tous issus de la même lumière ». Une dédicace. Des mots qui touchent au cœur. Abd Al Malik, c’est ça. « Avec le cœur », une générosité, une émotion, un amour des mots. Un artiste qui garde le sourire et ne fait pas semblant. De Sénèque à Akhénaton en passant par Aimé Césaire et Jean Ferrat, son univers éclectique se dessine autour de philosophes, de rappeurs, de grands noms de la littérature et de chanteurs d’une autre décennie. « Un mélange de tradition et de modernité ». Pour lui, l’art a l’ambition d’universel.

Défaire les clichés et déconstruire les préjugés, voilà son maître mot. A ceux qui le voient tantôt comme un rappeur, tantôt comme un slammeur, tantôt comme un interprète de « chanson française de cité », il répond : « je suis un rappeur qui amène une singularité à mon art ». A ceux qui ne voient l’Islam que par le prisme de l’extrémisme, de la violence et de la burqa, il répond que lorsque l’on est dans une vraie démarche spirituelle, « on est dans le respect des lois du pays, dans le respect de tout être – homme et femme –, dans le respect de soi-même, on est dans l’écoute, dans le non-jugement, dans le dialogue… ». A ceux qui ne voient dans les banlieues qu’une bombe à retardement, il offre La guerre des banlieues n’aura pas lieu.

Une lettre ouverte à Éric Besson

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Sorte de conte initiatique moderne qui présente un cheminement de vie et offre un état des lieux sur la France d’aujourd’hui, La guerre des banlieues n’aura pas lieu, c’est un peu le Mentir-vrai d’Aragon. Se servant d’un matériel autobiographique provenant de sa propre histoire, Abd Al Malik raconte des faits réels gardés dans sa mémoire pour une composition fictionnelle qui, bien que produit d’un mensonge et donc « menteuse », transporte une vérité qui s’approche plus de la réalité. Son objectif ? « Dire que nos élites politiques, culturelles et intellectuelles, sont de plus en plus déphasées avec la réalité, avec ce que l’on peut vivre, nous, dans la vraie vie. Il faut résorber le fossé entre les élites et nous le peuple. Il faut que l’on travaille à ce que la France soit à la hauteur d’elle-même. En termes d’idées et de principes philosophiques et fondateurs, la France est un pays merveilleux. Mais, les valeurs n’ont de sens qu’illustrées. Liberté, égalité, fraternité, richesse de la diversité, ces beaux principes n’ont de sens que s’ils sont actés. Sinon, c’est cruel, gravissime, presque criminel ». Un politique, comme un artiste, c’est quelqu’un qui devrait avoir « mal aux autres », dit-il en citant Jacques Brel.

Le poète réalise au fur et à mesure de son écriture que son livre est une véritable lettre ouverte à Éric Besson, une réponse au débat sur l’identité nationale. Qu’est-ce que l’identité française, et non nationale, pour lui ? « L’identité française, ce n’est pas une religion, une couleur de peau, c’est une communauté d’idées, une vision, un être au monde. C’est le rapport à l’universel, à la langue, à la singularité, à la culture. C’est ça que d’être français, et je suis fier et heureux d’être français. Il faut que l’on montre la richesse et la beauté de cette identité-là. Ce débat aurait pu créer du lien mais, maladroit et agressif, il a été mal mené. Conséquence : la montée du Front National et une désunion dans le pays. »

Et, face à un monde « incohérent » où les êtres sont « éclatés », il faut « travailler à être un, de l’intérieur ». Pour le poète, s’il est une chose fondamentale dans cette construction, c’est la cohérence : « ma cohérence est éthique, déontologique et morale, avec des valeurs. Sans être toutefois ni dans une démarche moralisatrice, ni une démarche dans le jugement d’autrui ».

Des mots qui dansent, une émotion passe. Questions à un poète.

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« Les mots mènent aux actes […] Ils préparent l’âme, la mettent en condition, la poussent à la tendresse ». Sainte Thérèse d’Avila (citée par Abd Al Malik dans la préface de La guerre des banlieues n’aura pas lieu)

Pensez-vous que seuls les mots peuvent guérir les maux de la société ?

Bien sûr. Tout part de là, tout commence par les mots. « Au commencement était le Verbe » (nldr, Évangile selon Saint Jean). Autant, l’Histoire nous a montré que des horreurs ont trouvé leur origine dans les mots, autant les changements positifs trouvent aussi leur origine dans les mots. Alors, le verbe est soit porteur de vie, soit mortifère. C’est à nous de choisir.

D’où vient cet amour des mots ?

Gamin, j’étais dyslexique. Quand j’ai pu lire et écrire correctement, ça a été une bouée de sauvetage, puis un merveilleux véhicule pour voyager. C’est un monde qui s’est ouvert à moi. J’ai dévoré tous les bouquins, même si je ne comprenais pas tout ce que je lisais. Très tôt j’ai été introduit à de grands auteurs. Et, petit à petit, ces auteurs sont devenus des amis. Des amis qui, peu à peu, m’ont poussé à l’écriture.

J’ai une vie livresque très riche. Mais, s’il y a une chose que tous ces auteurs m’apprennent, c’est que le plus important n’est pas dans les livres. Le plus important est dans la vie. Les livres ne sont qu’un prétexte pour faire du lien, pour comprendre que l’on doit partager avec les gens, que l’on doit vivre les choses. L’essentiel se vit. Lisez, puis fermez les livres et vivez.

Que pensez-vous de l’adage « le poids des mots, le choc des photos » ?

J’aimerai que l’on aille plus loin. Un être, ce n’est pas qu’une photographie. Les gens sont faits de chair et de sang, ils ont des espoirs, des craintes, des peurs, des joies. Les mots aident à décrypter, à décrire un monde intérieur, à communiquer, à échanger avec les autres. Par contre, il faut se méfier des images. C’est une réalité figée dans le temps et dans l’espace. Or, il y a des choses qui se passent en annexe, avant et après.

Pensez-vous qu’un mot peut tuer ?

Bien sûr. Parfois, on dit des choses abruptes, comme ça, sans se rendre compte et ça peut tuer. Les mots peuvent empêcher l’espoir, la possibilité de transcender une condition et peuvent être porteurs d’enfermement. C’est pour cela qu’il faut faire très attention aux mots que l’on emploie.

Vous vous dites patriote. C’est dans une démarche patriote que vous avez écrit ce livre ?

Ma démarche artistique, musicale ou littéraire, est souvent faite dans une démarche patriotique. Un patriotisme au sens de Sartre, de Camus : dire qu’il y a des valeurs avec lesquelles on ne doit pas transiger. Des valeurs que l’on doit porter, défendre, envers et contre tout.

Quelles sont les valeurs les plus importantes pour vous ?

D’abord, les valeurs fondatrices de ce pays : la liberté, l’égalité, la fraternité, l’universel. Puis, le respect de l’autre dans la différence, la solidarité, le fait de pouvoir transcender sa condition par le savoir et devenir quelqu’un alors que l’on vient de nulle part. Ce sont des valeurs ancrées à l’Histoire de ce pays. Des gens se sont battus, sont morts pour ça.

Dans C’est du lourd, vous dites « quand tu insultes ton pays, tu t’insultes toi-même », à qui est adressé ce message ?

A nous tous. Beaucoup ont pensé que je m’adressais uniquement aux jeunes des cités. Bien sûr, cela les concerne. Mais, cela concerne aussi les politiques et les élites en général. Dont des intellectuels qui ne voient que des choses négatives, qui refusent de voir que la diversité est une chance ou d’admettre que l’immigration a toujours été source de richesses. C’est aussi insulter son pays. Il est facile de dire : « regardez rien ne fonctionne ». Tout le monde peut le faire. Mais se dire « c’est vrai que c’est difficile, mais soyons ceux qui allumons les bougies de l’espoir, au lieu de constater et de rester dans l’obscurité » est autrement plus enrichissant.

Pourquoi cette référence à La Guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux ?

D’abord pour m’inscrire dans un acte littéraire. Puis, je trouvais ça fort, le fait que personne ne veut la guerre mais que des fois on agit de manière inéluctable vers elle. La possibilité de ne pas faire la guerre est dans nos mains à tous, pour peu que l’on s’en donne les moyens, que l’on évoque et que l’on invoque la paix. Dire que la guerre des banlieues n’aura pas lieu, c’est une ligne de mire, c’est dire : « on va faire en sorte qu’elle n’ait pas lieu ».

Vous parlez souvent de spiritualité, comment la vivez-vous quotidiennement ?

Je la vis au travers de l’Islam. Je suis musulman pratiquant. Mais, la spiritualité embrasse toute chose. On peut ne pas croire en Dieu et être profondément spirituel. La spiritualité est un être au monde. C’est une capacité à partager avec les autres, à comprendre que notre destin à tous est lié.

Êtes-vous un optimiste ou un idéaliste ?

Les deux. Optimiste, c’est voir le verre à moitié plein. Idéaliste, c’est avoir un idéal. Le fait de rêver, d’avoir des utopies, de voir les choses de façon positive, permet de travailler à rendre nos rêves réels. Je ne suis pas « cuicui les petits oiseaux », je ne nie pas les problèmes que l’on traverse. Mais, ma démarche est authentiquement positive. Mon idée est de donner de l’espoir.

Pour finir, pensez-vous que tout ne passe que dans l’émotion que suscite les mots ?

Dans l’émotion, il n’y a ni couleur, ni sexe, ni âge, ni milieu socioculturel. Il y a juste des hommes et des femmes avec un même cœur qui bat.

Julie DERACHE

Politiques vs Populations dans nos quartiers

La burqa est considérée par certains comme « une prison ambulante », « une menace pour la République ». Pour d’autres comme « un choix religieux » au nom du principe de la liberté. Pour y voir plus clair, nous avons donné la parole aux premiers concernés dans nos quartiers, du Petit Bard à la Paillade, en passant par Gambetta à nos mosquées.

Le port de la burqa fait débat aujourd’hui dans notre société. Le ministre de l’Immigration vient de relancer la discussion en voulant légiférer sur cette question. Le député communiste André Gérin a été alarmé par cela et a prôné la création d’une commission d’enquête parlementaire sur le port de la burqa ou du niqab. Il avait d’ailleurs refusé à Lyon de marier un couple dont la femme portait une burqa.

Selon lui, « on est dans un pays républicain, laïc et on voit des fantômes ». Libération, dans son édition du 17 juin 2009, titre à ce sujet: «La burqa, une «prison ambulante ». Devant le Congrès réuni à Versailles, le président Nicolas Sarkozy a donné son point de vue et a réaffirmé que la laïcité ne signifiait pas le «rejet du sentiment religieux» et a précisé que «la burqa n’est pas un problème religieux» mais «un problème de liberté, de dignité de la femme». «Ce n’est pas un signe religieux mais un signe d’asservissement, d’abaissement» (…) «Elle ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la République française». Il a même félicité le Parlement d’avoir pris en main le problème. Ceci contredit ses propos lors de la visite de Barack Obama, président des États-Unis, le 6 juin dernier. Il a effectivement soutenu le port du voile comme Obama, oubliant que le foulard était interdit à l’école. Face à la polémique que ses déclarations avaient suscitées, l’entourage de Sarkozy avait immédiatement réajusté le tir en disant que : «le président Sarkozy est évidemment contre le port du voile à l’école». Obama a, quant à lui, défendu dans un discours au Caire le port du voile pour les Musulmanes en Occident, prenant le contre-pied de la France et d’autres pays européens. Pour lui, «il est important pour les pays occidentaux d’éviter de gêner les citoyens musulmans de pratiquer leur religion comme ils le souhaitent, et par exemple en dictant les vêtements qu’une femme doit porter».

Suite à cette mission parlementaire créée le 1er juillet, une note de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) citée par Le Monde et datée du 30 juillet, signale que seulement 367 femmes sur l’ensemble du territoire français auraient adopté le voile intégral. Selon Le Figaro de septembre 2009, «les policiers se sont livrés à une estimation sur la base des lieux de culte salafiste*. Le chiffre de moins de 2 000 femmes paraît crédible» Ce phénomène resterait donc marginal en France. Et, toujours d’après ce journal, une très grande majorité de ces femmes est âgée de moins de 30 ans. Pour un quart d’entre elles, il s’agit de françaises converties à l’islam. De plus, « le port du voile intégral s’apparente à une volonté de provoquer la société, voire sa famille », avance le SDIG.

De notre côté, nous nous sommes rendus dans les quartiers de la Paillade, du Petit Bard, au marché aux puces de dimanche, à Gambetta, dans des mosquées pour recueillir des témoignages et donner la parole aux habitants de Montpellier concernés par ce sujet. Nous avons interrogé des hommes et des femmes de 20 à 40 ans, certaines femmes voilées, d’autres mettant la burqa. Nos questions tournaient autour de la recommandation sur la manière dont une femme doit s’habiller selon l’Islam, si le fait de mettre une burqa était une obligation religieuse ou bien une interprétation culturelle. Certains pensent que les femmes qui mettent la burqa sont des femmes soumises, forcées par leur mari. D’autres, soutiennent que la burqa est un refuge pour elles et que c’est le seul moyen qu’elles ont pour qu’on leur accordent plus de respect dans les quartiers. Chaque personne interrogée a donné son point de vue sur la question : « L’islam nous dit de mettre une tenue descente, qui n’est pas transparente et qui n’attire pas l’attention des hommes », affirme une première femme. « L’Islam recommande aux femmes de couvrir leur corps pour des questions de pudeur, et pour que celles-ci évitent de montrer des parties sensibles ». ajoute une seconde. « La tenue ne doit pas être transparente, ni courte, ni serrée car elle doit cacher les formes comme il est dit dans le Coran» termine une troisième. L’un d’eux signale que cette pratique existait durant la colonisation : « en Algérie, les voiles des femmes ne choquaient pas alors ». Pour lui, il y a d’autres choses plus choquantes que la burqa tels que le « mariage homosexuel ou l’exhibitionnisme dans les publicités où les femmes sont dénudées pour vendre des yaourts ». Certains pensent que : « la burqa est une interprétation culturelle pour la seule et simple raison que les femmes musulmanes ne se couvrent pas de la même façon si on fait le tour des pays musulmans. » On peut donc dire, comme deux personnes qui fréquentent la mosquée de la Païllade nous l’on dit, qu’il y a deux écoles qui se confrontent. D’une part, des savants qui affirment que le port de la burqa est obligatoire. D’autre part, d’autres jugent que ce n’est pas nécessaire. Ce que l’on peut retenir c’est que les avis divergent : si certaines la portent c’est avant tout pour se préserver des regards des autres notamment des hommes, pour éviter le jugement des autres ou pour se sentir plus respectées, d’autres souhaitent simplement l’accomplir par conviction religieuse. Malgré cela, l’une d’elle a affirmé qu’elle souhaite se cacher pour avoir la paix mais certains l’agressent et l’appellent même « ninja ».

Les habitants des quartiers nord ont été également interrogés sur la légitimité des politiques à intervenir ou non sur la manière dont un citoyen doit s’habiller et si pour eux la burqa est une menace pour la République. Pour les personnes questionnées, « une loi ne devrait pas être un prétexte pour s’attaquer aux libertés des personnes ; ce qui est un besoin réel c’est la pédagogie, c’est le dialogue. » Ils soutiennent que les politiques ne doivent pas intervenir dans la manière de s’habiller des citoyens. Un autre affirme : « on dirait un état communiste où c’est l’uniformisation qui règne ». « Les politiques, nous disent-ils, mettent toujours leur grain de sel mais il ne faut pas heurter la sensibilité des personnes ». Sur l’idée que certaines personnes pensent que les femmes qui mettent la burqa sont des femmes soumises, forcées par leur mari, les avis divergent. Ils nous disent que cela est peut-être possible. Mais si c’est le cas cela relève d’un problème d’éducation, de vie sociale qui dépasserait largement le cadre de la burqa. D’autres pensent que ce n’est pas possible car c’est un choix religieux avant tout, on doit le faire pour Dieu et qu’il n’y a pas de contraintes en religion. Une des femmes interrogées qui a la quarantaine va plus loin. Pour elle : « c’est impensable, la femme est la plus forte et on doit lire l’histoire des femmes du compagnon du prophète qui étaient de grandes commerçantes, des savantes au contraire pour comprendre cela». Pour eux, il faut donc éviter de simplifier les choses. «On peut noter toutefois qu’à travers l’histoire des individus ou des groupes de personnes, certains, ont voulu se démarquer de la norme sociale par leurs comportements, par les croyances… Enfin, j’ose penser ou croire que la Religion dans son essence et dans sa globalité vise le bonheur de l’homme ». Si l’on crée une loi, certains voudront au contraire d’avantage revendiquer leur appartenance à leur religion et revendiquer leur droit en provoquant la société. Et, on voit qu’il y a bien une appréciation différente de l’utilisation de la burqa et des raisons qui justifient son choix. On note un malaise et une mal-compréhension au sein de ses populations de la part des politiques et d’une partie de la population. L’état parle en ce moment d’un débat sur l’identité nationale. Cependant, la République n’aurait-elle pas plus besoin d’un dialogue pour réconcilier les différentes couches de la population diverse et variée, qui ne pourrait pas pour l’instant se souder autour de cette question, tant qu’un malaise existe et perdure ?

Ibra Khady Ndiaye

Vifs remerciements à ces personnes qui ont bien voulu répondre à nos questions.

Crise des banlieues et révolte grecque: symboles d’un même malaise ?

En octobre 2005, les banlieues françaises s’enflammaient. Depuis le 7 décembre 2008, la Grèce fait face à de violents heurts entre jeunes et policiers. Entre similitudes et spécificités…

Des bavures policières comme déclencheur, des perspectives sombres comme origine et des modes d’action similaires : de fait, des ressemblances existent. Mais la révolte grecque n’est pas la crise française : les crise financières et politiques s’en sont mêlées.

Même détonateur

 En France, le 27 octobre 2005, deux adolescents, Zyed Benna (17 ans), et Bouna Traoré (15 ans) pris en chasse par des policiers, trouvent la mort dans une centrale EDF à Clichy-sous-Bois. Si les circonstances de l’évènement n’ont toujours pas été officiellement tirées au clair, la négligence des policiers est peu contestable. Dans la soirée, les tensions entre Clichois et policiers éclatent. C’est le début de plus de trois semaines de violences urbaines à travers la France.

 À Athènes, c’est la mort du jeune Andreas Grigoropoulos qui a déclenché les violences. L’adolescent a été tué le 6 décembre 2008 dans le quartier d’Exarchia. Il faisait partie d’un groupe de trente jeunes qui lançaient des pierres et divers projectiles contre le véhicule de deux policiers. L’un des policiers est sorti et a tiré trois balles en direction de la victime, touchée mortellement à la poitrine. Le soir même, des affrontements contre la police se sont multipliés et propagés vers d’autres villes grecques.

Mêmes origines du mal ?

Les crises grecques et françaises expriment un profond malaise.

 En 2005, le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy s’illustre dans des interventions « choc », déclarant « Je vais nettoyer la cité des 4000 au Kärcher », ou qualifiant les jeunes des banlieues de « racaille ». La situation économique et sociale n’est pas brillante, l’échec des politiques d’immigration et d’intégration cuisant. Si la situation est grave depuis de nombreuses années, le ras-le-bol social est monté en puissance.

 Du côté grec, on le sait, la terrifiante et médiatique « crise financière mondiale » guette. 25% de chômeurs chez les moins de 24 ans, précarisation, économie parallèle en expansion, la situation économique est loin d’être réjouissante. Le mécontentement est aussi politique. La classe politique parait inefficace et trempe dans des scandales. L’actuel premier ministre Kostas Karamanlis est le symbole de ces politiques dont les jeunes grecs ne veulent plus.

Si les situations sont comparables, elles sont toutefois loin d’être identiques.
La crise française était le résultat d’une fragmentation sociale très pesante. C’est majoritairement la voix des quartiers « défavorisés » qui s’est exprimée en 2005. En Grèce, c’est dans le quartier d’Exarchia, dans le centre d’Athènes, qu’ont commencées les violences. Ce quartier, connu pour son côté bohème, a souvent été le théâtre de heurts entre forces de l’ordre et groupes anarchistes. La crise grecque parait être le résultat d’une forte lassitude politique et économique, plus que d’une isolation sociale.

Mêmes modes d’action ?

Dans les deux cas, les violences prennent essentiellement la forme d’incendies criminels et de jets de pierres contre les forces de l’ordre. Parfois, des émeutes ont éclaté. Principales cibles des incendies : véhicules [[Au 21 novembre, selon un total établi par la DGPN, 9 071 véhicules avaient été brûlés depuis le début des émeutes]] et édifices publics.
Les nouvelles technologies sont mises au service des violences : en France, les portables avaient permis aux participants de rassembler les plus jeunes, en Grèce, Internet et les blogs appellent à l’émeute.
Si, en France, le Président de la République n’avait pas hésité à décréter l’état d’urgence assorti d’un couvre-feu, en Grèce, l’action gouvernementale et policière grecque semble bien plus timorée. Les émeutes avaient duré un peu plus de trois semaines en France, qu’en sera-t-il en Grèce ?

« Un détenu en prison coûte six fois moins cher qu’un malade dans un hôpital psychiatrique »

Maurice Duval est maître de conférences en ethnologie à l’université Paul Valéry (Montpellier III) et ancien directeur du CERCE (Centre d’Etudes et de Recherches Comparatives en Ethnologie).

Maurice Duval est un universitaire engagé, « j’accepte les compromis sans accepter les compromissions » précise-t-il dès les premières minutes de l’entretien.
Après avoir travaillé sur les Gurunsi au Burkina Faso, cet ethnologue a suscité débats, polémiques et controverses lors de la sortie de son ouvrage intitulé Un ethnologue au Mandarom. Enquête à l’intérieur d’une secte (Paris, PUF, 2002), résultat de 4 ans de recherches et d’infiltration au sein de la communauté.
Durant un entretien réalisé à Montpellier, Maurice Duval développe sa pensée qui met en perspective, analyse et critique le traitement carcéral « du malaise social de notre société ». Il évoque une « fracture entre les dominés et les dominants avec entre les deux, les agents de l’Etat ». L’une des conséquences de cette division est « l’accroissement des inégalités que l’on retrouve notamment dans les domaines de l’éducation, de la santé ou du travail ».
Image Sin city le film - Robert Rodriguez et Frank Miller - 2005

« Les dominés recherchent une reconnaissance sociale dans le matériel puisqu’ils n’ont rien d’autre »

Selon l’ethnologue, si les « dominants » jouissent d’une position sociale confortable qui leurs apporte reconnaissance et respect au sein de la société, à l’inverse « les dominés recherchent une reconnaissance sociale dans le matériel puisqu’ils n’ont rien d’autre ». L’universitaire prend pour exemple les banlieues « qu’il convient de nommer: zones socialement défavorisées ». La disparition du parti communiste et plus largement la dépolitisation de ces quartiers n’a pas été sans conséquence. « Le PC canalisait autant les espoirs que la colère. Il proposait des objectifs et des moyens de lutte. Aujourd’hui la pauvreté comme la révolte sont encore là, mais les banlieues ne sont plus rouges. ». Et pour Maurice Duval c’est là que le bat blesse. « On assiste davantage à une criminalisation de la pauvreté qu’à une prise en charge globale du malaise sociale que la société traverse. ». L’ethnologue poursuit, « le traitement carcéral produit les effets inverses à ceux souhaités, les prisons sont productrices d’effets pervers. ».

« Un détenu en prison coûte six fois moins cher qu’un malade dans un hôpital psychiatrique »

Edvard Munch - Le cri - 1893
Les établissements pénitentiaires entraînent chez les détenus une importante consommation de drogues « afin de tenter d’oublier la situation dans laquelle ils se trouvent » mais aussi, le développement « d’une anxiété et d’une haine vis-à-vis des institutions de l’Etat » explique Maurice Duval. Pour le chercheur, l’incarcération des malades psychiatriques est une autre illustration de l’absurdité et de l’inutilité des prisons. « Un détenu en prison coûte six fois moins cher qu’un malade dans un hôpital psychiatrique » avance l’universitaire, qui poursuit, « cela reflète d’une part l’abandon des aides sociales et psychologiques au profit d’un traitement, pénal, mais aussi une normalisation de la société. ».

« Le FN n’est pas passé, mais ses idées sont passées »

Maurice Duval fait alors référence aux thèses sociobiologiques de l’extrême droite aux Etats-Unis. « Ce courant de pensée s’oppose au déterminisme social, les individus sont par exemple délinquants ou Président par essence, ils naissent pour le devenir ». L’ethnologue marque un temps d’arrêt dans le développement de sa pensée puis énonce une dernière phrase, lentement, comme une mise en garde, « le Front national n’est pas passé, mais ses idées sont passées ».


Prisons : en attendant la mort.