Migrants : l’Italie se durcit, la France tergiverse

Menaces de fermetures d’aéroports, refus d’accueillir l’Aquarius, nouveau décret sur la sécurité et l’immigration, arrestation du maire de Riace en Calabre. Le gouvernement de Conte semble plus que jamais décidé à durcir sa politique migratoire

« Incroyable (…) je ne veux pas croire que la France de Macron utilise sa police pour débarquer clandestinement les immigrés en Italie ». Tels étaient les mots de Matteo Salvini lundi 16 octobre, après une reconduite de réfugiés à la frontière, alors que les autorités italiennes n’avaient pas été prévenues. La colère du vice-président italien, évoquant « une offense sans précédent», témoigne des tensions renforcées entre la France et l’Italie sur la question migratoire. Des désaccords illustrés lors de la rencontre entre Édouard Philippe et le ministre de l’Intérieur italien au G6 le 9 octobre. Le Premier ministre français avait encouragé Matteo Salvini à renoncer à sa politique des « ports fermés ». L’Italie refuse toujours d’accueillir les bateaux secourant les migrants.

Face à cette nouvelle attitude de l’Italie, le 15 octobre le tribunal administratif de Melun avait invalidé le transfert d’un demandeur d’asile vers l’Italie en raison d’une politique jugée hostile aux migrants. La fermeture italienne induirait-elle un assouplissement de l’accueil en France ? « Si la politique de Salvini peut empêcher les préfecture françaises de renvoyer les dublinés en Italie c’est tant mieux. Sachant que le ministre de l’Intérieur italien proclame devant les médias qu’il veut renvoyer tout le monde, commente ironiquement Catherine Borgida, bénévole au Collectif Migrante-s Bienvenue 34. On constate que depuis l’arrivée de ce gouvernement, on a eu très peu de renvois en Italie».

Mais la France n’est pas devenue pour autant un eldorado pour les migrants. Les associations de soutien aux réfugiés fustigent une politique qui va à l’encontre des droits humains dans un contexte où France et Italie se renvoient la responsabilité de l’accueil. Amnesty International a dénoncé le 12 et 13 octobre : « le refoulements de 26 personnes depuis le poste de la police aux frontières de Montgenèvre vers Clavière, village italien, sans examen individuel de leur situation ni possibilité de demander l’asile ». Une pratique qui, selon l’association, tend à se multiplier. Dans le cadre de la procédure Dublin, les réfugiés doivent s’enregistrer dans leur pays d’arrivée. Une « absurdité totale » pour le Collectif Migrant-e-s Bienvenue 34: « On est contre la procédure Dublin, c’est le pays dans lequel entrent les gens qui doit traiter les demandes d’asile, forcément ce sont toujours les mêmes ».

De son côté, le décret Salvini, annoncé le 24 septembre par le gouvernement italien prévoit un renforcement de la sécurité intérieure italienne, une diminution des permis de séjour pour motifs humanitaires, voire une suppression des demandes d’asile pour les individus condamnés en première instance. Mais il doit encore être signé par le président italien et voté par le Parlement. Selon Pascaline Curtet, déléguée nationale en région Sud Est à la Cimade: « ce fameux décret lié à l’asile va modifier les règles du jeu. Il y a fort à parier que ce changement va augmenter le nombre de personnes déboutées en Italie. » L’Italie prend donc le chemin d’une plus grande fermeté vis à vis des migrants. Sans que cela ne modifie réellement, pour l’instant, la politique d’accueil de la France.

La Cimade : 75 ans de solidarités

D’ici & d’ailleurs : ensemble. Du 18 novembre au 10 décembre, La Cimade ouvre l’édition 2017 du Festival Migrant’Scène dans plus de 60 villes en France métropolitaine et outre-mer. Montpellier en faisant partie, des évènements et rencontres sont organisés pour croiser les regards sur les migrations et ce, dès le 15 novembre. Entretien avec une militante de La Cimade, Nicole Chastanier.

Être bénévole à La Cimade : un engagement à temps plein

Nicole Chastanier, ancienne journaliste et bénévole à La Cimade (Comité inter mouvements auprès des évacués) depuis deux ans est engagée au service juridique de la locale à Montpellier. Car La Cimade est organisée en groupes, recevant tour à tour les migrants et demandeurs d’asile. Un groupe s’occupe des demandeurs d’asile, l’organisation de RESF (réseau éducation sans frontières) conseille les mineurs dont les parents ont été expulsés, Les amoureux du banc s’occupent des couples mixtes et Psymade leur apporte un accompagnement psychologique. Tous sont bénévoles et presque tous retraités, car « l’engagement demande du temps », souligne-t-elle. La Cimade collabore également beaucoup avec d’autres associations comme Médecins du Monde, le Secours Populaire ou le Secours Catholique afin de lier leurs forces et de « travailler ensemble dans la même direction ».

Tous les jeudis matin, plus de 50 personnes sont reçues par le service juridique. Il les conseille, monte des dossiers et accompagne les migrants dans toutes les étapes. Cependant, Nicole Chastanier déplore le surréalisme du discours des institutions : « Certains vivent ici depuis plus de dix ans et lors de la constitution de leur dossier, ils doivent trouver des preuves de leur présence et de l’argent qu’ils ont gagné alors qu’ils n’avaient pas le droit d’être là ou de travailler ».

L’application de l’État de droit se confronte également à la politique générale du gouvernement et selon Rafael Flichman du service communication : « Depuis l’élection d’Emmanuel Macron et la nomination de Gérard Collomb au ministère de l’intérieur, tout s’est empiré avec des répressions, des expulsions en masse, les demandeurs d’asile à la rue, la restriction de leurs droits et l’allongement de la durée de l’enfermement… voilà les perspectives des projets de loi à venir ».

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Communication et sensibilisation : du national au local

Les solutions sont donc d’informer et de communiquer sur leurs actions de plaidoyer et d’aide individuelle mais aussi de sensibiliser. Rafael Flichman indique que cela passe par « des actions partout en France et toute l’année » avec des évènements comme les 10 ans du Centre de Rétention Administrative de Rennes (octobre 2017), le soutien à l’exposition « Du bidonville à la ville » au Centre d’art La Fenêtre de Montpellier (du 26 octobre au 23 décembre) ou précédemment, l’exposition « Attention, Travail d’Arabe », créée par l’association Remembeur, pour démonter les stéréotypes sur l’immigration. Les supports pédagogiques, les interventions en milieu scolaire et les projections de films participent également à ce processus de sensibilisation.

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Migrant’scène intervient donc dans ce cycle d’évènements. Nicole Chastanier revient sur les différents temps de ce festival. Vendredi 24 novembre, Christine Lazerges, présidente de la Commission Nationale Consultative des droits de l’homme, animera une conférence-débat sur « L’accueil des étrangers en France ». Nicole souligne l’importance des débats : « il y a toujours beaucoup de monde, les gens ont vraiment envie de savoir et de dialoguer ».

Jeudi 30 novembre, le documentaire « Welcome chez nous » revient sur un village des Pyrénées-Orientales qui a accueilli des afghans, lors du démantèlement de la « Jungle » de Calais. Il rend compte d’une « intégration non violente et faite progressivement au fur et à mesure que les gens apprennent à se connaitre et que les liens se forment », dont la bénévole s’enchante.

Le Play Back théâtre du vendredi 1er décembre, par son aspect participatif, permet de « prendre une parole individuelle, par le récit d’une histoire sur le thème du passage d’une frontière, et la rendre collective pour la dédramatiser, et même en rire ».

Enfin, le Festival se termine jeudi 7 décembre, à Montpellier, par la projection du web-documentaire « Waynak, où êtes-vous ? ». La bénévole s’indigne de cette « mondialisation qui a fait des oubliés et d’une implication de gens à travers des expériences solidaires ». Les initiatives locales seront alors exposées par des acteurs engagés de différentes manières pour « rendre leurs utopies concrètes ».

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La Cimade, une histoire de solidarités

Selon l’article premier des statuts : « La Cimade a pour but de manifester une solidarité active avec ceux qui souffrent, qui sont opprimés et exploités et d’assurer leur défense, quelle que soit leur nationalité, leur position politique ou religieuse ». La Cimade affirme que « il n’y a pas d’étrangers sur cette Terre » et que plutôt que de construire un mur entre nous, il faut construire des ponts car « L’humanité passe par l’autre ».

La Cimade c’est plus de 75 ans d’engagement, 87 groupes locaux en France, 2000 bénévoles actifs, près de 200 points d’accueil et permanences, 106 salariés et plus de 100 000 personnes conseillées, accompagnées et / ou hébergées chaque année. Au départ, engagée auprès de l’Église confessante allemande, elle soutiendra les évacués d’Alsace et Moselle puis les étrangers des camps d’internement durant la Seconde Guerre Mondiale. Elle est aujourd’hui oecuménique et la plupart de ses membres se définissent comme « laïcs ».
L’accueil des immigrés se poursuivra des années 50 à 70, puis La Cimade viendra en aide aux algériens lors de la Guerre et s’engagera politiquement pendant la décolonisation. Aujourd’hui, en plus d’une action concrète auprès des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile, La Cimade s’engage à sensibiliser l’opinion publique pour changer les perspectives de la politique d’immigration. En dénonçant la politique du chiffre qui accroit les expulsions et méprise les vies humaines, elle participe à promouvoir la tolérance et le respect des droits de l’homme.

En septembre dernier, une campagne de communication « Vivre est une victoire » a été lancée pour comparer le parcours des réfugiés aux épreuves des athlètes des JO pour 2024. La Cimade frappe donc fort et les réactions sont virulentes, pari réussi.

CULTURE – Festival Migrant’Scène : l’événement sensibilisation de La Cimade

D’ici & d’ailleurs : ensemble. Du 18 novembre au 10 décembre, La Cimade ouvre l’édition 2017 du Festival Migrant’Scène dans plus de 60 villes en France métropolitaine (dont Montpellier) et Outre-mer. Près de 350 évènements et rencontres sont organisés pour croiser les regards sur les migrations et ce, dès le 15 novembre.

Programme : Migrant’Scène à Montpellier

Une pièce de théâtre « Titre Provisoire » mise en scène par Crystèle Kodr et Waël Ali (Liban, Syrie) sur l’histoire des parcours de migration à travers la vie d’une famille libanaise.

Mercredi 15 novembre à 20h15 et jeudi 16 novembre à 19h15 au Théâtre de la Vignette, Université Paul Valéry

Une conférence-débat sur « l’accueil des étrangers en France » donnée par Christine Lazerges, présidente de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme.

Vendredi 24 novembre de 19h à 21h au petit Théâtre du Domaine d’O

Un documentaire Welcome chez nous sur l’accueil de trente Afghans dans l’Eure, suite au démantèlement de la « jungle » de Calais. Débat en présence du réalisateur Adrien Pinon.

Jeudi 30 novembre à 19h au cinéma Nestor Burma à Celleneuve

Un théâtre-forum ou play back Théâtre sur le thème du passage d’une frontière, suivi d’un apéro-concert animé par la Batucanfare.

Vendredi 1er décembre à 19h à la Gerbe, 19 rue Chaptal

Un web-documentaire Waynak, où êtes-vous ? sur des initiatives internationales pour et avec les réfugiés. Présentation et rencontre avec des porteurs de projets locaux.

Jeudi 7 décembre de 18h à 19h30 à La Gazette Café, 6 rue Levat