Les enfants de l’exil

Présenté au Festival International du Film Politique à Carcassonne Je n’aime plus la mer offre une perspective singulière sur la migration, le regard de onze enfants réfugiés dans le centre d’accueil de Natoy en Belgique.

Montrer la dureté de l’exil avec douceur, c’est le choix qu’a fait Idriss Gabel dans son nouveau documentaire Je n’aime plus la mer. Le réalisateur belge dévoile les visages de Lisa, Ali, Dicha, Myriam…des enfants contraints de quitter leur pays dévasté par la guerre. Dans le centre d’accueil de Natoy, ils attendent seuls ou avec leurs parents de se voir délivrer un permis de séjour par le commissariat général aux réfugiés et apatrides de Belgique.

« Ce film part d’une démarche citoyenne ». Idriss Gabel a voulu comprendre, questionner ses propres stéréotypes et représentations de la migration. En visitant des centres d’accueil pour réfugiés le réalisateur a été interpellé par le discours de ces enfants :« j’ai marché sur un squelette », « je n’aime plus la montagne », ou encore « je n’aime plus la mer ». Des mots qui ne devraient pas être les leurs. « Dans ce documentaire, j’ai cherché à transmettre la claque que j’ai reçue. Je ne voulais pas voler des images de leur souffrance pour faire pleurer. Je souhaitais que ce film soit un véritable échange, qu’ils en retirent quelque chose. »

« J’avais peur que l’on me vole »

Originaires d’Afghanistan, d’Irak, de Syrie ou d’Érythrée, avec leurs mots d’enfants, ils racontent l’insécurité, le racket et la violence qui les ont menés à fuir. Leur histoire est presque toujours la même. Les membres de Daesh, qu’ils appellent « des voleurs », ont menacé leurs parents de les enlever contre de l’argent. « En Irak j’étais triste parce que je ne pouvais pas sortir ou aller à l’école, j’avais peur que l’on me vole » confie Malak une jeune afghane. Ces enfants décrivent avec justesse et simplicité l’horreur de la traversée jusqu’en Belgique. Ils évoquent l’assassinat de leurs proches, le déchirement de l’abandon de leur maison et de leur pays, l’épuisement des journées de marche en montagne et la crainte de se noyer dans des bateaux de fortune. Mais même en Belgique, la peur est toujours présente : « Est ce que cela peut recommencer ici ? » demande à son père une jeune fille dont le bras a été entaillé par un homme de Daesh pour récupérer son bracelet en argent.

Avant de commencer à filmer, Idriss Gabel a vécu sept mois avec ces jeunes pour créer une relation de confiance. « J’ai cherché un groupe qui était à ce stade où ils ont besoin de parler, explique-t-il. Les enfants peuvent être parfois très cash, s’exprimer très ouvertement malgré un fort traumatisme ». Une psychologue les a accompagnés lors du tournage afin de les rendre conscients du partage qu’ils faisaient. A la différence de la spontanéité et du besoin d’extérioriser des enfants, les adolescents filmés portent leur blessure en silence, se replient sur eux-mêmes. Mais leur colère est palpable. « Il y a des gens ici qui disent qu’en Irak, il n’y a pas de violences, qu’ils aillent vérifier et vivre une semaine là bas » défie l’un de ces jeunes.

Idriss Gabel a choisi de capter l’émotion brute sans musique de fond. Le réalisateur a filmé leurs jeux, la complicité qui les lie et leur joie qui n’a pas disparue. Loin de tout misérabilisme, il montre des enfants comme les autres, qui continuent à vivre avec humour et innocence malgré la dureté de ce qu’ils ont vécu .

SÉANCE TENANTE #6 – Dans l’attente filme des vies en suspens

Avec Dans l’attente, Sarah Limorté suit le parcours de huit afghans hébérgés dans les Cévennes. Présenté à Cinemed dans la section Regards d’Occitanie, le documentaire peint avec justesse et réalisme le poids de l’attente d’un permis de séjour.

Dans le cadre des ateliers Varan, Sarah Limorté réalise son premier documentaire sur le thème : « Est ce ainsi que les jeunes vivent ?». Elle choisit de partager le quotidien de jeunes réfugiés afghans dans le village de Lassalle. Une problématique qui lui tient à cœur : « A Marseille, je suis impliquée dans les actions du collectif soutien migrants 13». Son intérêt est renforcé par la méfiance qu’elle observe envers ces jeunes croisés dans les rues et les commerces du village. «  Il y avait souvent des discours hostiles à leur présence qui faisaient complétement contraste avec l’engagement des bénévoles». La réalisatrice marseillaise décide alors de montrer les difficultés de l’attente pour l’asile, de vivre ce processus de l’intérieur.

«Je suis allée frapper à leur porte. Je  n’en menais pas large, j’étais un peu intimidée». Mais très vite, les jeunes l’accueillent, l’invitant à manger et à boire le thé. L’échange humain s’établit de manière évidente. La communication linguistique, elle, s’avère plus complexe. Le groupe d’afghans ne comprend pas immédiatement que Sarah Limorté souhaite faire un documentaire sur leur parcours. « Je pense que je suis arrivée un peu comme un ovni, le lien s’est créé mais de là à amener une caméra…». La contrainte de temps – un mois pour réaliser le documentaire – n’a pas favorisé l’instauration d’une relation de confiance. La seule expérience que ces jeunes avaient de l’image était l’agressivité des journalistes de Calais lors du démantèlement de la jungle. Certains d’entre eux étaient terrorisés à l’idée d’être retrouvés par les talibans. D’autres craignaient que le film ait un impact sur leur demande d’asile. A force de discussions, ils acceptent d’être filmés mais à une seule condition, conserver leur anonymat.

Tout l’espace cérébral est occupé par l’incertitude de l’avenir.

Une contrainte formelle qui va peu à peu devenir un choix esthétique. Pour ne pas filmer les visages, Sarah Limorté choisit d’explorer le gros plan : les mains, les pieds, le jeu, les exercices de français, le téléphone. « J’ai beaucoup tâtonné avec ma caméra, je ne savais pas trop au début comment m’y prendre, mais très vite cela m’a ouvert une porte sur des détails, des moments de forte concentration, de focalisation sur des choses pour passer le temps». Avec ces gros plans, Sarah plonge le spectateur dans l’intensité de chaque instant. Les vies sont en pause. Tout l’espace cérébral est occupé par l’incertitude de l’avenir. Face à l’attente d’un permis de séjour, les projections dans le futur sont impossibles. Pourquoi apprendre une langue, créer de nouvelles relations, faire un effort d’intégration si c’est pour être expulsé du pays dans les mois qui suivent ? Ces jeunes sont marqués par des déchirements permanents. Les communautés qu’ils recréent volent constamment en éclat. : «Ils me parlaient beaucoup de leur colère d’être séparés. Je l’ai un peu vécu avec eux, je commençais à filmer quelqu’un et il me disait deux jours après « je m’en vais ».

Aujourd’hui, ils sont dans une toute autre dynamique. «J’ai fait ce film dans un moment de leur vie où ils étaient en suspens ». Ils ont quasiment tous obtenu une réponse positive à leur demande d’asile et sont désormais inscrits à des formations intensives de français et des formations professionnelles. Les jeunes afghans ont assisté à la projection de son documentaire avec beaucoup d’enthousiasme. La peur et la pudeur qui avaient poussé certains à dissimuler leur visage a fait place à la fierté. L’un d’entre eux confie même à la jeune réalisatrice :  « si tu refais un film je montrerai que je travaille, que je parle mieux français et là tu pourras montrer mon visage ».

Mais cette situation est loin d’être une généralité. De nombreux «dublinés » vivent dans la terreur d’être rattrapés par la police et expulsés rappelle Sarah Limorté. Elle dénonce l’arbitraire des décisions de l’Office Français des réfugiés et apatrides mais surtout la procédure Dublin qui impose de demander l’asile dans le premier pays franchi en Europe. «Se retrouver à renvoyer des francophones en Italie pour des questions d’empreintes, je trouve cela scandaleux».

CULTURE – Festival Migrant’Scène : l’événement sensibilisation de La Cimade

D’ici & d’ailleurs : ensemble. Du 18 novembre au 10 décembre, La Cimade ouvre l’édition 2017 du Festival Migrant’Scène dans plus de 60 villes en France métropolitaine (dont Montpellier) et Outre-mer. Près de 350 évènements et rencontres sont organisés pour croiser les regards sur les migrations et ce, dès le 15 novembre.

Programme : Migrant’Scène à Montpellier

Une pièce de théâtre « Titre Provisoire » mise en scène par Crystèle Kodr et Waël Ali (Liban, Syrie) sur l’histoire des parcours de migration à travers la vie d’une famille libanaise.

Mercredi 15 novembre à 20h15 et jeudi 16 novembre à 19h15 au Théâtre de la Vignette, Université Paul Valéry

Une conférence-débat sur « l’accueil des étrangers en France » donnée par Christine Lazerges, présidente de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme.

Vendredi 24 novembre de 19h à 21h au petit Théâtre du Domaine d’O

Un documentaire Welcome chez nous sur l’accueil de trente Afghans dans l’Eure, suite au démantèlement de la « jungle » de Calais. Débat en présence du réalisateur Adrien Pinon.

Jeudi 30 novembre à 19h au cinéma Nestor Burma à Celleneuve

Un théâtre-forum ou play back Théâtre sur le thème du passage d’une frontière, suivi d’un apéro-concert animé par la Batucanfare.

Vendredi 1er décembre à 19h à la Gerbe, 19 rue Chaptal

Un web-documentaire Waynak, où êtes-vous ? sur des initiatives internationales pour et avec les réfugiés. Présentation et rencontre avec des porteurs de projets locaux.

Jeudi 7 décembre de 18h à 19h30 à La Gazette Café, 6 rue Levat

Ligue du Midi : ces identitaires qui veulent sauver la France 

Ils sont « maîtres chez eux ». Ils revendiquent leur identité locale, régionale et nationale. Ils en ont « marre des burkinis et des kebabs », s’élèvent contre le « coup d’état migratoire » et appellent à sauver le pays. Bienvenue à la Ligue du Midi.

Petite foule, gros slogans. La ligue du Midi est « un mouvement de terrain et d’agitation » qui entend défendre les français de souche face aux mondialistes. Si elle n’ambitionne pas de devenir un parti, elle n’en est pas moins en quête de visibilité. Raison pour laquelle « une grosse action » est organisée chaque mois : « les militants en sont friands » assure Richard Roudier, son président.

La dernière en date, la construction d’un mur anti-migrants devant le centre d’hébergement destiné à l’accueil de 90 réfugiés à Montpellier d’ici la fin de l’année. Une fierté pour ces identitaires qui scandent un « Montpellier sans clandestins ».

Rassemblés au Peyrou ce samedi 8 octobre « contre les migrants », ils étaient une soixantaine à assister aux discours de Richard Roudier et de ses invités. Parmi eux, le général Piquemal, radié des cadres de l’armée depuis août dernier, suite à sa participation à une manifestation contre la politique migratoire du gouvernement à Calais.

Présent aussi, Renaud Camus, auteur du concept de « grand remplacement » cher à Eric Zemmour. Selon sa théorie, nous assisterions à une substitution volontaire de la population européenne par une population extra européenne originaire d’Afrique et du Moyen Orient.

Pour cet écrivain d’extrême droite, les remplacistes, c’est à dire les élites politiques, médiatiques et intellectuelles blanches, courent à leur perte : « ils remplacent des veaux par des chacals. Ils seront mangés. » Dans son esprit, « les blancs » seraient les veaux, et « les africains », ces éternels cannibales, des chacals. Renaud Camus serait lui une sorte de berger guidant son troupeau vers « une guerre de libération nationale, de décolonisation, à l’intérieur du pays ».

Front National – Ligue du Midi, deux facettes d’une même pièce ?

Au fil des interventions, les mêmes incantations se succèdent et se répètent : la revendication de l’héritage culturel français face à l’islamisation, la fermeture des frontières, l’assimilation totale des étrangers, et l’incontournable remigration. Pour ces militants qui comptent « sauver la France », le combat à est moins la pauvreté ou le chômage que « l’occupation musulmane et étrangère ».

Un argumentaire semblable à celui du Front National. S’ils aiment à se distinguer, leurs divergences semblent plus subtiles que leurs valeurs communes. Et le FN s’avère être une véritable « caisse de résonance » pour la Ligue du Midi.

Ainsi, dans leur logorrhée, le gouvernement « socialo-islamo-gauchiste » aurait permis aux musulmans et aux étrangers de s’emparer du pays. Les réfugiés seraient à 90 % des migrants économiques en provenance de la corne de l’Afrique et de l’Afghanistan . Les autres, qui fuient la guerre, sont eux « des lâches qui ne se battent pas pour leur liberté ». Quant à l’islam, elle ne serait pas une religion mais « un outil du diable pour propager la haine ». Dans l’assistance, une dame frémit : « si l’on ne fait rien, tous ces jihadistes finiront par nous imposer la charia ».

-278.jpg

Des identitaires anti-identités (du moins celles des autres)

Lorsqu’on l’interroge sur l’extrême radicalité de ses propos vis à vis des français musulmans, Richard Roudier assume : « ils n’ont pas à se sentir rejetés s’ils ont été correctement assimilés, et si ça ne leur plaît pas, ils n’ont qu’à rentrer chez eux ». Ceux-ci devraient ainsi occulter une partie de leur origine, de leur histoire et culture au profit d’une seule et immuable « culture française ».

A l’inverse, sur son site, on peut lire : « Fière de ses racines, La Ligue du Midi additionne les héritages culturels et historiques de nos identités, qu’elles soient locales, régionales, nationales ou européennes. » Les liguards peuvent donc additionner leurs différents héritages culturels, mais pas les français musulmans. Si cela peut paraître paradoxal, pour Richard Roudier ca coule de source : la multiplicité des identités est acceptable, « seulement si elle est intra européenne ! » 

La manifestation s’est terminée par une collecte de fonds pour « l’organisation des prochains événements ». Et une marseillaise entonnée en choeur par une Ligue dont le jour de gloire est lui, loin d’être arrivé.

Montpellier, plus solidaire qu’identitaire

De l’autre côté de l’arc de triomphe, une toute autre troupe d’environ 300 personnes a tenu « à ne pas laisser la rue aux extrémistes ». Des antifascistes, des associatifs et des militants favorables à l’accueil des réfugiés à Montpellier se sont rassemblés pour clamer leur solidarité et leur souhaiter la bienvenue.

-283.jpg