D’où vient votre goût pour l’écriture ?
Je ne sais pas. Je crois du plaisir de raconter des histoires. Mais je ne sais pas d’où il vient. Je pourrai vous faire une réponse toute convenue mais je ne le souhaite pas. Vous savez, si je vous demandai d’où est venu l’amour que vous portez à votre conjoint, vous n’en sauriez rien. Il est venu, c’est tout. Il y a des choses qui sont là et nous ne pouvons pas trouver d’explications.
Vous parlez toujours d’amour. C’est votre priorité dans la vie ?
Non ce n’est pas une priorité, c’est une question d’humilité. Je pense que l’amour est ce qui motive tout un chacun. De la chose la plus simple dans votre quotidien, à la chose la plus complexe. Quoi que vous cultiviez, quoi que vous fassiez, vous le faites par amour. Après, vous pouvez avoir une espèce de prétention, de fierté qui font que vous dites que ce n’est pas vrai. Mais tout se fait par amour. Nous élevons nos enfants par amour, nous vivons avec quelqu’un par amour, nous cultivons notre jardin par amour, nous construisons une maison par amour, … Tout se fait par amour. Même si cela dérange les cyniques. C’est une réalité. En tout cas, c’est la mienne. Je ne vois pas comment faire autrement.
Pensez-vous que par amour, comme c’est le cas avec Adrian, un homme est capable de tout ?
Il faut demander cela à ma femme ! (rires) Si je répondais oui, cela serait très prétentieux.
Est-ce que l’on peut dire « Marc Lévy, l’auteur séducteur » ?
Non. Je suis quelqu’un de très timide et de très pudique. Je ne suis pas du tout un séducteur. J’étais le plus mauvais dragueur de tout le lycée et ils s’en souviennent encore ! J’aimerai bien que la légende s’entretienne mais j’aurai, de suite, quelques copains pour dénoncer la forfaiture.
C’est la première fois que vous publiez un diptyque, pourquoi ?
J’ai écrit cette histoire dans une continuité. Je ne me rendais pas compte que je m’embarquais dans une intrigue aussi longue. C’est mon éditeur qui m’a fait remarquer qu’il était difficile de publier un livre de 950 pages. Donc, nous l’avons scindé en deux tomes. L’endroit où ils ont coupé l’histoire, c’est quand même un peu vache.
Vous l’auriez coupé où ?
Si c’était à refaire, j’aurai fait trois tomes de 350 pages chacun, au lieu de deux. Je crois que je me serais fait encore plus d’ennemis ! (rires) L’idéal aurait été de publier un seul livre. Mais les lecteurs trouvent très désagréable de lire un ouvrage de 950 pages. Dans le métro, par exemple, ce n’est pas très pratique.
Il y a une unité de temps entre les deux romans qui correspond à la réalité. J’ai vécu l’été comme Adrian.
A quel personnage vous identifiez-vous ?
Si je vous dis Keira, cela va vous paraître ridicule. C’est un mélange. Il n’y a pas un endroit où je me mets, moi, dans le roman. Je suis trop pudique pour me mettre dans un personnage. Cependant, je m’identifie pas mal à Walter (ndlr : Walter est le meilleur ami du héros). Je pourrai vous dire que je suis Adrian, le héros. Mais, j’ai déjà le vertige sur un tabouret et il escalade les montagnes à 2 000 mètres !
Pourquoi le thème de la destinée est présent dans tous vos romans ?
Parce que je crois que c’est ce qui me fait le plus peur.
Vous croyez en la destinée ?
Ce n’est pas ce que je vous ai dit. Je n’en sais rien. Qu’est ce que c’est que la destinée ? J’ai toujours voulu croire, et cela n’engage que moi, que la destinée est une succession de choix que la vie nous présente. Je déteste l’idée que tout est écrit. Sinon pourquoi se lever le matin, pourquoi aller à l’école, … Si tout est écrit, il n’y a qu’à se poser sur le tapis roulant et attendre qu’il arrive au bout. Je pense que la destinée, c’est une succession de choix. Et le destin, c’est ce que l’on va décider de prendre comme choix. Je trouve que c’est ce qu’il y a de plus intrigant. Pourquoi le piano qui se décroche tombe à deux centimètres de vous ou vous tombe sur la figure ?
Trois de vos ouvrages font référence à des évènements historiques : Les enfants de la liberté à la Résistance, Toutes ces choses qu’on ne s’est pas dites à la Chute du Mur de Berlin, et Où es-tu ? à l’ouragan de 1974. Quel est votre rapport à l’Histoire ?
Je trouve assez intéressant, pour certains romans, que les personnages évoluent dans l’Histoire qui les englobe. Je ne peux pas faire une réponse courte à la question que vous me posez. Chacun des trois romans que vous me citez à sa raison, divergente des deux autres. L’histoire des Enfants de la liberté est très particulière. Celle de Toutes ces choses qu’on ne s’est pas dites a d’autres motifs.
Mon rapport à l’Histoire ? Je pense que l’Histoire imprime l’histoire personnelle que nous vivons. Nous ne pouvons pas nous extraire du contexte historique dans lequel nous vivons, des évènements historiques dans lesquels nous vivons. Quand on est romancier et que l’on raconte l’histoire de personnages, on ne peut pas prendre deux personnages qui vivent en 1960 et les faire avoir les mêmes réactions que des personnages des années 2010. Ne serait-ce que les sentiments qu’ils ont. Ils ne sont pas impactés par la même morale publique, par la même conjoncture, par les mêmes problématiques. Je ne sais pas quel âge vous avez. 20 ans ? 22 ans ? Avoir 20 ans, il y a trente ans, n’est pas du tout la même chose qu’avoir 20 ans aujourd’hui. Ne serait-ce que parce qu’il y a trente ans, nous n’avions pas de téléphone portable. Nous ne savions pas ce que c’était que d’envoyer un sms. Vous ne savez sans doute pas ce que c’était de faire passer un petit papier en cours quand j’avais 16 ans. Il fallait avoir une technique pour faire passer une boulette de papier du dernier rang au premier, et dire à une copine « on se voit à 16h30 » sans que les copains ne le sachent et sans se faire chopper par la maîtresse. C’était un exploit ! Aujourd’hui, un petit texto, et hop hop hop, l’affaire est dans le sac ! Le débarquement du sms a changé les modes de communication. Sans vouloir me vieillir, à mon époque, nous n’avions qu’une chaîne de télévision et à 20h30 nous étions au paddock. Nous vivions dans une autre planète que celle dans laquelle vous vivez. J’ai un fils de 20 ans, je suis donc témoin de ce monde là.
Vous évoquez votre jeunesse, quels étaient vos livres préférés à l’époque du lycée ?
Je dirai La nuit des temps de Barjavel. D’ailleurs mon livre est une façon de rendre hommage à Barjavel. Le petit prince de Saint-Exupéry, Huis clos de Sartre, Paroles de Prévert, La condition humaine de Malraux, et E=mc2 mon amour de Patrick Cauvin. Et à la sortie du lycée, Romain Gary.
Plusieurs de vos romans ont été adaptés au cinéma, que pensez-vous de ces adaptations ?
C’est très complexe. L’adaptation d’un roman répond à des règles incontournables. Il y a toujours deux points de vue. Celui du lecteur et celui de l’auteur. Je considère que lorsqu’un réalisateur vous fait l’honneur d’adapter votre roman, il faut lui laisser la liberté de raconter l’histoire à sa façon. C’est un auteur à part entière. On ne peut pas contraindre l’intelligence d’un auteur à filmer les pages d’un livre. Même si la tentation de l’auteur du livre est de filmer exactement l’histoire qu’il a écrite. C’est un pari qui est impossible. Ne serait-ce que parce qu’un roman raconte une histoire en huit-neuf heures et qu’un film doit la raconter en une heure et demie. A partir du moment où c’est bien filmé, où les acteurs sont justes, la mise en vie de ses propres personnages est extrêmement jouissive.
J’ai vécu trois expériences différentes. Dans Et Si c’était vrai, le film est très éloigné du roman. Le réalisateur a prit le parti de changer la nature des personnages. Il les a débaptisés. Le « Arthur » et la « Lorraine » du film ne sont pas le « Arthur » et la « Lorraine » de mon roman. Alors que dans Mes amis, mes amours, même si la réalisatrice a enlevé une quantité de scènes importantes du roman et qu’elle en a rajouté d’autres, le « Matthias » et le « Antoine » du film sont vraiment le « Matthias » et le « Antoine » du roman. C’est une adaptation plus fidèle. Où es-tu ? a été produit en format télévision. Les quatre heures du téléfilm permettent de coller à la rythmique du roman. Donc, c’est encore plus fidèle. Cela a été trois très belles aventures.
En parlant de télévision, quelle est votre émission télévisée préférée ?
L’émission où ils vont dans des pays au bout du monde… En Terre Inconnue !
Et si nous faisions un petit portrait chinois… Si vous étiez…
Une saison ?
Le printemps.
Une femme ?
Joker !
Une musique ?
Une chanson des Beatles.
Un roman ?
Clair de femme de Romain Gary.
Un pays ?
La France.
Un personnage historique ?
Pasteur.
Vous dites que vous aimez la France, pourquoi vivre à New York ?
J’ai toujours vécu à l’étranger. J’aime vivre à l’étranger et j’aime vivre en étranger. Ce n’est pas parce que l’on vit à l’étranger que l’on n’aime pas son pays. De la même façon qu’à vingt ans, ne plus habiter chez ses parents ne vous empêche pas de les aimer. Nous sommes trois millions de Français à vivre à l’étranger. Heureusement d’ailleurs. Si aucun Français ne vivait pas à l’étranger, on ne saurait pas ce qu’est la France.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune écrivain qui veut se lancer ?
Si je pouvais en donner un seul : n’en écouter aucun. Écrire, c’est un territoire de liberté. Vous pouvez écrire un roman sans ponctuation si cela vous amuse. Il ne faut pas laisser l’écriture et la littérature s’enfermer dans des règles grammaticales. Certes, elles sont très importantes pour le maintien de la langue. Mais, il ne doit pas y avoir tout le temps des règles. Le seul gardien de la liberté d’écriture, c’est vous-même. Il faut écrire avec beaucoup d’humilité. L’écriture c’est un long tunnel de solitude. Avec un papier et un crayon, on peut tout écrire. Et si on peut tout écrire, on peut rentrer dans un domaine imaginaire qui vous transpose bien au-delà des murs qui vous enferment. C’est la seule conscience à garder quand on écrit. On peut faire ce métier très sérieusement sans jamais se prendre au sérieux. Il y a autant de façon d’écrire qu’il y a de gens qui écrivent. Il y a autant de façon d’aimer que de gens qui aiment. Il n’y a pas plus de recettes d’écriture, qu’il y a de recettes amoureuses.
L’écriture est-elle un besoin pour vous ? Avez-vous besoin d’écrire tous les jours ?
Je vous dirais que c’est un bonheur. Je ne veux pas donner de gravité à la chose. Dans ma vie, j’ai vu trop de gens dans le besoin pour avoir l’espèce de prétention de dire : « j’ai besoin d’écrire ». Si je ne peux plus écrire, je survivrai. Je touche du bois, mais s’il arrive quelque chose à mon fils, je ne sais pas si je survivrai. C’est un bonheur, un vrai bonheur que d’écrire. Je recommence un nouveau roman dans quelques semaines et je suis heureux de cela.
Pour finir, quel est votre rêve ?
De vivre très, très vieux. Cela englobe tous les autres rêves. Il y en a beaucoup. Tant que vous êtes vivant tous les rêves sont possibles.