Grand entretien avec Richard Sammel (1/2) : Le cinéma.

De OSS 117 à Inglourious Basterds en passant par Un village français, Richard Sammel a enchaîné les productions à succès, devenant l’un des nazis les plus populaires du cinéma international.
Membre du jury du premier Festival International du Film Politique (FIFP) qui se clôturera ce samedi à Carcassonne, l’acteur allemand nous livre son regard sur le monde du cinéma et évoque ses nouveaux projets.

“Le cinéma politique permet de trouver des solutions et de ne plus se taper sur la gueule”

Pourquoi avoir accepté de faire partie du jury du premier Festival International du Film Politique ?

D’une part, je souhaitais soutenir cette initiative. Car d’une manière générale, il manque de films politiques à l’écran. Le film politique est un moyen pour l’art de pointer ce qui ne va pas dans la société. Et comme il y a beaucoup de choses qui ne vont pas aujourd’hui, je trouve important qu’un festival comme celui-ci existe pour les mettre en lumière.
Mais je viens aussi pour moi, tout simplement, en tant qu’étudiant, pour découvrir des films qu’autrement je ne verrai pas car ils risquent d’être peu programmés en salles.

Quel regard portez-vous sur ce début de festival ?

Il est très intéressant et offre une belle base de réflexion. On sent un vrai intérêt du public notamment lors des discussions avec les équipes des films après les diffusions. C’est super important de créer des événements fédérateurs comme le FIFP. A partir du moment où on arrive à discuter ensemble, on évite de se taper sur la gueule. On se rend compte qu’on est tous dans le même bateau et qu’on peut trouver des solutions pour s’en sortir.

“Si je suis juste là parce que je suis Allemand, que je porte bien l’uniforme et que je peux crier d’une manière assez convaincante, ce n’est pas la peine.”
Depuis vos débuts à l’écran en 1991 dans La Secte de Michele Soavi, vous avez décroché plus de 110 rôles. Qu’est-ce qui vous passionne tant dans le cinéma ?

J’ai depuis toujours un goût prononcé pour l’art au sens large. J’ai d’abord fait des études de musique puis le jeu de l’acteur a pris le dessus et j’ai eu la chance d’en faire mon métier. Je me considère constamment comme un élève itinérant. Je vais toujours là où les challenges m’attendent, surtout s’ils me font peur. Il est passionnant de sortir de sa zone de confort. J’aime m’exposer à d’autres langues et d’autres cultures par exemple.

Vous avez souvent joué des rôles d’officier allemand pendant la Seconde Guerre Mondiale au cours de votre carrière. Sortir de votre zone confort, c’est aussi chercher d’autres rôles que celui du nazi ?

J’ai joué une vingtaine de fois ces rôles là. Sur 110 films, ce n’est pas tant que ça finalement. Mais c’est vrai que ces rôles ont marqué mon CV car ils ont connu un grand succès (La vie est belle, OSS 117, Un Village français, Inglourious Basterds). Je ne suis pas lassé de ces rôles là, je suis plutôt lassé de me répéter tout le temps. Car il me semble que beaucoup de scénaristes utilisent ce rôle d’officier allemand dans une logique de réduction historique. On essaye de cantonner les nazis à des espèces de brutes, sadiques et sans coeur. On laisse le spectateur dans sa zone de confort. Si je suis juste là parce que je suis Allemand, que je porte bien l’uniforme et que je peux crier d’une manière assez convaincante, ce n’est pas la peine. A partir du moment où ça ne me fait pas grandir en tant qu’artiste, ça ne m’intéresse pas.
Par contre des personnages complexes, comme celui d’Heinrich Müller dans Un village français, où l’on prend le temps de raconter l’histoire d’un homme, c’est différent.

 “La réalisation est l’un des rêves que je poursuis”

Vous avez tourné avec de nombreuses légendes du cinéma comme Brad Pitt ou Quentin Tarantino. Qu’est-ce qui ressort de ces expériences ?

C’était nul (rires). Non je plaisante bien sûr, c’était un rêve qui se réalisait. Que dire de plus ? C’était magnifique bien évidemment ! Plus simple, chaleureux et instructif que je ne l’imaginais. Les plus grandes stars, on les met toujours au firmament, et à partir du moment où vous les rencontrez, vous vous rendez compte qu’elles sont comme vous et moi. C’est cette approche simple finalement qui permet d’être complètement à l’aise. C’est uniquement quand vous voyez la place accordée à votre film dans les médias que vous vous dîtes “j’ai travaillé avec des Dieux”. Vous le saviez avant, vous le savez après, mais ils font en sorte que vous l’oubliez pendant. C’est ce qui rend l’expérience superbe.

Vous êtes aussi à l’aise au cinéma et à la télévision qu’au théâtre. Quelles sont vos envies pour l’avenir ?

J’aime beaucoup varier les supports. Actuellement, je suis très attiré par la comédie, les films politiques et les chroniques sociales. J’aime beaucoup les choix cinématographiques de Vincent Lindon et d’Olivier Gourmet par exemple. Ce qu’ils font est extrêmement engagé, extrêmement humain. Mais je suis très éclectique. Faire un Marvel me plairait aussi beaucoup.

N’avez-vous jamais envisagé de passer de l’autre côté de la caméra ?

 La réalisation me tente c’est vrai. Je donne des stages d’acteurs à des professionnels et il semble que j’ai un crédit auprès d’eux car on parle le même langage. Je trouve que j’ai la possibilité de sortir quelque chose d’eux qui les dépasse. C’est ce qui m’intéresse moi-même, aller au-delà de ce que je sais faire. Après, il y a aussi des histoires que j’ai envie de raconter. Ca mijote depuis un moment. Je suis actuellement en phase d’écriture. Je ne sais pas si ça va aboutir dans un scénario, mais la réalisation est sur la liste de mes rêves.

A suivre prochainement : Grand entretien avec Richard Sammel (2/2) : la politique.

Propos recueillis par Paul Seidenbinder et Boris Boutet

Les errements de David Pujadas

En 2010, David Pujadas, présentateur du journal de 20 heures sur France 2, a été la cible de nombreuses critiques. Qu’elles soient internes ou bien externes, le journaliste n’a pas été épargné. Petit florilège de fin d’année.

X-Factor : Première étape à Montpellier

Samedi 6 novembre, devant un hôtel proche de la place de la Comédie, des centaines de candidats patientaient dès 9h pour la présélection du télé-crochet musical X-Factor. Montpellier est une des onze villes étapes du casting de la seconde saison de l’émission de télé-réalité.

« Fin de concession »: avant première d’un film polémique.

Mardi 19 octobre avait lieu au cinéma Diagonal de Montpellier la première projection de « Fin de concession », le nouveau film du documentariste Pierre Carles, en salle à partir du 27 octobre. Des membres de l’équipe d’Hautcourant étaient à cette avant première, en présence du réalisateur et de sa productrice Annie Gonzalez.

Après « Pas vu, Pas pris » et « Enfin pris », la troisième partie de la série de documentaires consacrés au système médiatique est à coup sûr un bilan de quinze années de travail sans en être la conclusion.

C’est cette fois-ci la question de la privatisation,en 1987, de T.F.1, la plus ancienne chaine de télévision nationale française, qui sert de point de départ au film. Plusieurs scènes d’archives croustillantes sont au rendez-vous, notamment lorsque Bernard Tapie ou Francis Bouygues défendent devant la Commission Nationale de la Communication et des Libertés, ancêtre du C.S.A, le projet de reprise du leader du BTP au nom du plus culturel et de l’ exigence de qualité qu’il comptaient y apporter. A les entendre, T.F.1 deviendrait la chaîne de la retransmission de la pelote basque et de l’opéra.

Si le film fait apparaître la plupart des grands noms de l’audiovisuel, il dévie très vite vers l’auto-critique et vers une réflexion sur la capacité du système médiatique à absorber la critique. Pour continuer son travail, le réalisateur devra alors faire appel au « mystérieux » journaliste Sud-américain Carlos Pedro, qui ne diffère du réalisateur que par une barbe de trois jours et par un étrange accent. Le spectateur pourra également assister à la cérémonie mouvementée de remise du trophée de la « laisse d’or » au journaliste de France 2 David Pujadas, récompensant entre autre son interview de Xavier Mathieu, leader des grévistes de l’usine Continental de Clairvoix.

D’une façon générale, ce film pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses et décevra peut-être ceux qui s’attendent à une avalanche de révélations. Mais il a tout de même le mérite de rappeler des faits trop peut évoqués et l’équipe du film nous invite avec un certain talent à rire avec eux des « cadors » de l’information. Un rire entre politesse du désespoir et renouveau des luttes.

Pierre Carles: un documentariste engagé, voire révolutionnaire.

L’objet des films de Pierre Carles n’est pas véritablement de dénoncer les liens qui unissent élites politiques, économiques et médiatiques, considérant que cette donnée est acquise. Il s’agit en fait de souligner l’hypocrisie des acteurs des grands médias qui refusent d’admettre cette réalité, revendiquant objectivité et indépendance en occultant l’auto-censure, la confraternité, leur appartenance au monde des élites.

Ces documentaires sont composés de vas et viens entre images d’archives, interviews et scènes faisant partager la réflexion ou le travail de l’équipe de réalisation, le tout accompagné d’une voix-off qui sert d’appui au spectateur. Si Pierre Carles ne cache pas ses convictions révolutionnaires, l’ambition de ses documentaires sur les médias est plus modeste: « égratigner » l’image de personnages publics sur-médiatisés et toujours présentés à leur avantage.

Vous l’aurez compris, le cinéma de Pierre Carles ne fait pas l’unanimité, et aucun de ses longs métrages n’a jamais été projeté à la télévision. La diffusion de ses œuvres se fait presque exclusivement sur grand écran grâce au réseau de salles de cinéma classées « art et essai » et à un bon nombre de spectateurs fidèles. Quoi qu’il en soit, force est de reconnaître au réalisateur la cohérence de son œuvre et de son propos.

Filmographie du réalisateur:

Juppé forcément (1995): Film qui revient sur l’élection d’Alain Juppé à la Mairie de Bordeaux

Pas vu, pas pris (1998): Sûrement le film le plus célèbre de Pierre Carles, il traite de la question de l’auto-censure et de l’hypocrisie des grands journalistes de télévision au travers de l’expérience personnelle d’un documentaire commandé puis annulé par la chaîne Canal+.

La sociologie est un sport de combat (2001): Retrace les entretiens et discussions du réalisateur avec le sociologue Pierre Bourdieu. Les analyses de ce dernier sur les médias et la télévision sont essentielles pour comprendre le travail de Pierre Carles. Ces théories, sont notamment exposées dans « Sur la télévision » et « L’emprise du journalisme ».

Enfin pris (2002): Suite de « Pas vu pas pris »

Attention danger travail (2003, coréalisé avec Christophe Coello et Stéphane Goxe): Parle de la question du travail et de l’aliénation qu’elle suppose pour un grand nombre d’individus.

Ni vieux ni traitre (2006, coréalisé avec George Minangoy): Revient sur le parcours et le quotidien d’anciens membres du groupe « Action Directe », responsables notamment de l’assassinat en 1986 de George Besse, alors à la tête de l’entreprise Renault.

Volem rien foutre al pais (2007, coréalisé avec Christophe Coello et Stéphane Goxe): Suite de « Attention danger travail », s’intéresse cette fois ci à ceux qui, au travers d’initiatives individuelles ou collectives, ont choisit de rejeter le travail ou plutôt de dépasser la vision du travail que nous imposent nos sociétés. Le film donne en effet la parole à des gens dont la vie sociale est très active et dont les activités sont nombreuses.

Choron dernière (2009, coréalisé avec Eric Martin): Retrace le parcours de Gorget Bernier, alias professeur Choron, un des personnages les plus atypiques et anticonformistes de l’histoire de la presse française d’après guerre et cofondateur du journal satirique Hara-Kiri. Le film pose également la question de son héritage dans le champ de la presse satirique française, critiquant notamment l’attitude de Philippe Val à la tête du journal Charlie Hebdo.

Fin de concession (sortie le 27 octobre 2010)

Crédit Photo : Martin Gauchery

Durant l’échange qui à suivit la projection du film, le réalisateur est revenu sur son travail et ses objectifs. Echange dont nous vous offrons un compte rendu:

« Ce que raconte le film c’est que certaines des actions que nous avons menées depuis 15 ans contre les grands médias ne suffisent plus, entre autre en raison de la capacité du système à les digérer et il est donc nécessaire de passer à autre chose, d’inventer une autre façon d’agir. Sans prétendre avoir trouvé la solution, il apparaît clairement que celle-ci doit en tout cas passer par l’action collective. Au travers d’un personnage « don-quichottesque » qui affronte à lui tout seul les moulins à vents médiatiques et dont les actions semblent vouées à l’échec, le collectif vient au secours de la démarche individuelle.
Cette morale du film ne vient pas en amont du projet, elle s’est imposée durant sa réalisation, illustrant ainsi l’un des intérêts du travail documentaire de long terme, qui laisse la place aux tâtonnements, aux expérimentations et aux hésitations.
Le film restitue un chemin pour ceux qui ont élaboré le film comme pour le spectateur. Les doutes, les hésitations sont en effet rarement présents dans les films, nous avons nous fait le pari de désacraliser le tournage. Ce film est le troisièmes long métrage que j’ai réalisé sur les médias et il n’est pas dépourvu d’un bilan critique notamment dans le fait d’avoir été progressivement considéré par le monde médiatique comme une institution de la critique des médias et d’être sujet à la flatterie et à l’éloge, comme le montre l’affiche du film.
Au delà de l’auto critique, le but de mon travail est avant tout de servir de révélateur, il s’agit de pousser les puissants à révéler leur véritable nature. Le film aura également permis, avant même sa sortie, au travers des extrais qui ont étés diffusés, de remettre sur la place publique la question de la privatisation de TF1 et du renouvellement de son contrat de concession. Ce fait est d’ailleurs assez largement ignoré du grand public. Même si aujourd’hui, avec le passage au numérique, la concession a été renouvelée jusqu’à 2023, très peu de gens savent quele droit d’émission de TF1 est théoriquement précaire, et ça ne plaît pas à la chaine que cela soit rappelé. »

Soucieux de mettre en parallèle ce film avec le débat du 6 octobre, nous avons demandé à Pierre Carles de réagir sur l’objet du débat et sur l’alternative proposée par Edwy Plenel au travers du site Mediapart.

« Il existe tout un tas de débats autour de l’indépendance de la presse en ce moment, mais quand ce sont des gens qui ont contribué à cette non indépendance à certaines époques de leur carrière cela me fait doucement rigoler. Il s ‘agit d’une critique bidon, sotte, anecdotique, ou du positionnement opportuniste de gens qui sentent tout d’un coup l’existence d’un business dans la critique des médias et qui s’y engouffrent […] mais il faudrait être très précis dans les exemples et avoir plus de temps pour en parler et ce n’est pas l’objet du film. Mais il y a néanmoins toute une fausse critique des médias qui cherche en fait à simplement réaménager le système. Avec les gens avec qui nous avons mené certaines actions, notre objectif n’est pas d’améliorer le système, c’est de le foutre en l’air. Le foutre en l’air pour le remplacer par autre chose, par un journalisme qui exerce véritablement un contre-pouvoir, qui soit au coté des dominés. Quand on est journaliste, on ne joue pas les portes-micro avec les puissants […], les institutions, avec les gens qui déterminent l’agenda politique, économique ou sportif. Si l’on retirait ce rôle de l’univers du journalisme, c’est 80% de la durée des journaux télévisés français qui disparaissent. »

Interrogés sur la poursuite de leur travail, Annie Gonzalez a annoncé la sortie prochaine du film « Squat » dont elle est la productrice. Réalisé par Christophe Coello, ce film raconte des expérience de vie et d’actions collectives dans un squat de Barcelone. Quand au prochain film de Pierre Carles, il s’agira probablement de la version finalisée du film « Ni vieux ni traitre », qui revenait sur le parcours et le quotidien d’anciens membres d’« action directe » et dont le nom provisoire est « Guerilla…francaise » .

Philippe Gildas, 50 ans de journalisme et d’humour

«Comment réussir à la télévision quand on est petit, breton, avec de grandes oreilles ?» Avec humour et maintes anecdotes, Philippe Gildas nous livre une belle autobiographie. Il est ce jour, 14 avril, l’invité de la librairie Sauramps Odyssée où il se livrera à une séance de dédicace dès 15h, suivie d’une rencontre à 17h. Ce grand bavard répond aux questions des journalistes de demain.

Roger Gicquel, un grand nom du journalisme nous a quitté

Il fut pendant des années la voix du 20 heures de TF1. Journaliste humaniste, présentateur vedette du journal télévisé dans les années 1970, Roger Gicquel est décédé samedi 06 mars 2010 des suites d’un infarctus.

Un parcours hors des sentiers battus

L’icône du 20 heures de TF1 a eu un parcours atypique. D’abord steward au sein de la compagnie UTA avant d’embrasser une carrière de comédien, ce n’est qu’au début des années 1960 que Roger Gicquel est devenu journaliste. Localier au Parisien Libéré dès 1961, il a pratiqué le terrain et ainsi apprit à connaître les gens durant sept ans. « La vie des gens l’intéressait » ajoute Patrick Poivre D’Arvor au micro de RTL. Il a intégré en 1971 le service d’information de l’Unicef, où il a travaillé deux ans en tant que consultant. Encouragé par Roland Dhordain, Roger Gicquel s’est ensuite essayé à la radio en présentant la revue de presse de France-Inter (1968-1973), dont il est devenu grand reporter à partir de 1969. Dès 1973, Gicquel a occupé le poste de directeur de l’information de l’ORTF jusqu’à son éclatement en 1974.

Mais, sa renommée, Roger Gicquel la doit au journal télévisé de TF1 où il fut nommé présentateur en 1975. Il est devenu la première « star » de l’information et a créé un JT novateur, très personnalisé, à la demande de TF1, à l’époque en pleine concurrence avec Antenne 2. À la Revue-Médias en 2007, il résumait : « montrez le même homme chaque soir à la même heure pendant des années et il devient automatiquement une célébrité ! » Après six années, gêné par sa notoriété et las de devoir présenter chaque soir un nouveau malheur, le présentateur a décidé d’arrêter le JT.

Roger Gicquel a pourtant continué d’occuper plusieurs postes sur TF1, jusqu’à sa privatisation en 1986. De 1983 à 1986, il a notamment produit et animé l’émission Vagabondages, au cours de laquelle il recevait des personnalités du monde socioculturel. Ensuite, Roger Gicquel a animé durant cinq ans, sur France 3 Ouest, En flânant, un magazine intimiste qui donnait à voir une Bretagne souvent méconnue, tout en sensibilisant le spectateur à la question environnementale : pollution et problèmes d’urbanisme notamment. L’émission s’est arrêtée en 1997 et Gicquel a poursuivi la ballade bretonne en écrivant : Tous les chemins mènent en Bretagne (1998) et Croisières et escales en Bretagne (2007). Amoureux de sa région natale, Roger Gicquel s’est aussi engagé pour la défendre, en devenant membre de l’association Eau et Rivières de Bretagne, qui milite contre les algues vertes.

Un journalisme personnalisé

Si Roger Gicquel est également reconnu, c’est pour son ton et son style, très personnalisé, alors qu’il présente le journal télévisé de TF1. En effet, la chaîne lui a demandé de personnaliser le JT. Alors que naît la concurrence entre TF1 et Antenne 2, il faut identifier le journal. Ainsi, chaque soir, Roger Gicquel introduit son journal par un éditorial dans lequel il donnait son avis sur tout ou presque. Selon Patrick Poivre d’Arvor, « il mettait volontiers de l’émotion dans l’information. A la suite de ses sujets, il donnait son sentiment sur ce qu’il venait de voir. Ce style inspirait la confiance. Quand les gens le voyaient arriver, ils se disaient : au moins celui-là il sait de quoi il parle ». Gicquel estimait de son devoir d’afficher cette sensibilité et il l’expliquait ainsi : « un journaliste qui relate un événement effroyable, s’il n’a pas cette once d’émotion naturelle, n’est pas humain ». Et bien que cette personnalisation semble aujourd’hui dépassée, elle marque le passage à l’antenne de Roger Gicquel, regardé chaque soir par des millions de Français. Et selon lui : «aujourd’hui, l’information à la télévision est désincarnée, directe et sans état d’âme. Je ne suis pas d’accord. Prendre le temps d’expliquer les choses et donner aux autres le temps de les entendre et de les comprendre, c’est une qualité. Pas seulement professionnelle. C’est aussi une qualité de vie.»

Roger Gicquel reste notamment célèbre pour cette phrase : « la France a peur », prononcée pour ouvrir le journal le 18 février 1976, après l’enlèvement et le meurtre à Troyes du petit Philippe Bertrand, dont Patrick Henry a ensuite été reconnu coupable. Restée dans les mémoires, cette phrase de Gicquel décrivait la profonde émotion qu’avait suscitée ce fait divers. Cette formule, telle qu’on la connaît, a d’ailleurs été tronquée et détournée de son sens. En effet, quelques minutes plus tard, Roger Gicquel précisait que cette peur était un sentiment auquel il ne faut pas s’abandonner.

Hommage à l’homme et au journaliste

Depuis l’annonce de son décès, nombreux sont les hommages qui lui sont rendus. Le site LeParisien.fr recense tous les petits messages qui sont adressés aussi bien à l’homme qu’au journaliste. Nombreux sont les internautes à regretter « la voix » et le « style » de Roger Gicquel, « un homme qui aura marqué plusieurs générations de téléspectateurs ». Si Anakyn le décrit comme : « proche, humain, confident, honnête, modeste, l’ami de tous qui s’invitait chez nous à travers le petit écran. Un vrai journaliste, capable d’improviser, de réagir à chaud, de poser des vraies questions, quelqu’un d’authentique et de simple qui nous manquera beaucoup. On lui garde une petite place en nous parmi nos beaux souvenirs, là où il continuera d’exister», Lapinbleu regrette « son humanisme, sa sensibilité, son parlé vrai que nous avons perdu au fil des prompteurs sans âme, condamnés à l’opinion la plus répandue…». Comme le relève LeParisien.fr, l’hommage dépasse même les frontières. Ainsi pour Flobarth, « c’est une page d’histoire importante qui est tournée à la télévision. Ce grand monsieur a marqué toute une génération de Français et d’Anglais, puisque qu’une grande majorité d’Anglais s’étaient connectés sur le journal télévisé de 20h français pour écouter Roger Gicquel. A chaque journal télévisé, j’ai une pensée pour lui. »

Ses acolytes journalistes le saluent également. Pour Michel Drucker, «la France a peur, c’est lui. Il avait un ton, il ne séparait pas l’info du commentaire, prenait l’info à son compte». Ajoutant : « Roger Gicquel était un très bon journaliste. Il a été le journaliste star entre Léon Zitrone et Patrick Poivre d’Arvor».

Roger Gicquel a marqué toute une génération de journalistes. Les journalistes de demain que nous sommes ont tout à apprendre du parcours et de l’homme qu’il était.

Julie DERACHE

Plus belle la vie… à Vancouver !

Évènement pour les amateurs de sport, les Jeux Olympiques de Vancouver promettent quelques soirées télé mouvementées…

Depuis le samedi 13 février, les amateurs de sport vibrent au rythme des exploits des athlètes français. Ceux d’hiver, qui skient, surfent, patinent ou bobsleighent… Les Jeux Olympiques restent un rendez-vous toujours très attendu par les téléspectateurs de tous poils, qui découvrent ou redécouvrent des disciplines oubliées entre chaque olympiade. Notamment le curling où le public semble fasciné par des hommes qui passent le balais. Et les exploits de Jason Lamy-Chapuis en combiné nordique et Vincent Jay en biathlon, dès le deuxième jour, ont bien lancé la quinzaine du blanc de Vancouver (Canada), pour les Français. Ces deux médailles d’or ont véritablement boosté les audiences de France Télévisions, seul groupe autorisé à diffuser les images dans l’Hexagone.

Mais les Jeux ne font pas rêver, ni rire tous les téléspectateurs. Décalage oblige, les épreuves débutent, heure française, à l’heure du programme phare de France 3. Comprenez 20h, moment où trois millions de Français ont l’habitude d’avaler leur soupe devant… Plus belle la vie. Vendredi 12 au soir, c’est avec stupeur que les fans du célébrissime feuilleton de France 3 ont découvert un message sur leur écran, indiquant qu’il fallait attendre jusqu’au 1er mars, pour retrouver le bar du Mistral et savoir qui Estelle allait choisir: Rudy ou le québécois? Suspens insoutenable… « Mais bien sur, que c’est capital », assure Sabine, qui a suivi les deux premières saisons et se délecte toujours autant devant les aventures des Marseillais. « J’admets qu’on peut attendre quinze jours pour savoir ce qui va se passer. Plus belle la vie, ce n’est tout de même pas une drogue… Mais tout de même, le groupe France Télévisions possède plusieurs chaînes. Il aurait aussi été possible de diffuser le sport sur France 4 et laisser aux fans de la série, la possibilité de suivre la suite des épisodes. C’est surtout le fait de découvrir ça vendredi soir qui m’a frustrée. Tout ça pour du ski ou du biathlon…»

Ce choix rédactionnel risque d’engendrer quelques discussions animées dans les foyers, à l’heure du dîner. Car même si certains de ces messieurs ont appris à apprécier ce soap à la sauce marseillaise –« c’est vrai que depuis que j’ai connu Hélène, je regarde de temps en temps »-, ils restent tout de même heureux de pouvoir s’offrir quelques soirées sport sur le petit écran. « Habituellement, les épreuves des JO d’hiver se disputent en journée. Pas facile quand on bosse. Là, avec le décalage horaire, on peut assister à toutes les courses de ski… Et le patinage artistique, le moins intéressant, passe tard dans la nuit. C’est parfait », s’amuse ainsi Nicolas.

Autant dire que les soirées seront animées, en ce mois de février. D’autant que, mesdames, il va falloir tenir bon pour garder le monopole des programmes. Bientôt, la Ligue des champions de football revient … Alors si vos conjoints sont supporteurs de Lyon ou Bordeaux : préparez-vous au combat de la télécommande…

Marcel Rufo : « Nous avons tous plusieurs pères »

Il est sans doute le pédopsychiatre le plus célèbre de France. Après avoir présenté, sur France 3, une émission dédiée à la famille « Le mieux c’est d’en parler », Marcel Rufo rejoint France 5 où il présente actuellement « Allo Rufo ». Auteur d’une trentaine d’ouvrages, le spécialiste de l’enfance et de l’adolescence, aborde la figure paternelle dans «Chacun cherche un père». Pour Hautcourant, le professeur analyse l’évolution de l’image et du rôle du père.

Pères, enfants, Marcel Rufo analyse une évolution sociétale

Pourquoi vous êtes-vous spécialisé dans l’étude des enfants et des adolescents ?

Avant de faire médecine, j’ai étudié la philosophie. Alors, une fois en médecine, son côté scientifique et technique me plaisait, mais la dimension plus globale de l’histoire du sujet, des relations avec sa famille, de la représentation de sa maladie me manquaient… Et, naturellement, je me suis dirigé vers la neuropsychiatrie. De grandes figures m’ont formé : Henri Gastaut ndlr, neurologue spécialiste de l'[épilepsie] et Arthur Tatossian [ndlr, psychiatre phénoménologue auteur de La phénoménologie des psychoses]. Toutefois, la psychiatrie m’ennuyait. Je suis donc allé en pédiatrie : l’histoire des enfants malades et comment on s’occupe d’eux m’a passionné.

Avez-vous été influencé par des personnes comme Françoise Dolto ?

Bien sûr. Elle a permis de dire aux gens que les symptômes apparemment médicaux, avaient un sens psychique. Elle a ouvert le champ de l’enfance. Dolto a permis de comprendre les mécanismes inconscients des enfants, comme le pipi au lit.

C’est parce que les pères ont une incidence directe sur leurs enfants que vous avez écrit un ouvrage sur eux ?

Non, j’ai écrit ce livre sur les pères pour deux autres raisons. La première est le changement très incroyable de la paternité depuis quelques temps. Les pères ont fait des progrès immenses. Puis, la seconde raison est que, très souvent, les psychologues disent pour un enfant en difficulté, avec un mauvais comportement : « mais que fait le père ? Où est l’autorité paternelle ?« . Nous sommes face à une véritable grande bascule dans notre temps face aux progrès énormes du féminisme, de l’égalité des sexes. En même temps, il ne faut pas oublier les rôles bien différents du père et de la mère pour élever un enfant. Je crois que c’est un moment important pour travailler la relation père-fils.

C’est quoi être père aujourd’hui ? En quoi son rôle est différent de celui d’hier ?

Aujourd’hui, les pères osent s’occuper des bébés. Ils sont vraiment admirables. Je suis personnellement sidéré. Ils viennent de plus en plus nombreux à mes conférences. Il y a une quinzaine d’années, quand je faisais des exposés, il n’y avait que des mères et des grands-mères. Les pères sont aussi plus présents lors des séparations. Ils n’abandonnent plus systématiquement, comme avant, l’enfant. Les pères actuels sont beaucoup plus remarquables que les pères que nous avons été.

A quoi est due cette évolution ?

Je pense que c’est du au féminisme, à l’égalité des sexes. C’est un des effets latéraux de Mai 1968. A dire que nous sommes égaux, nous sommes également égaux devant les enfants. Néanmoins, la mère reste plus importante. D’abord, c’est elle qui décide d’avoir un enfant ou pas. Après, pour les enfants, la mère est plus sûre que le père.

Quelles sont les différences entre le rôle du père et celui de la mère ?

Ce serait mal comprendre les choses que de dire que nous sommes tous égaux. Il faut être égaux dans la différence. C’est quelque chose d’assez essentiel. Le bébé va observer les différences entre son père et sa mère. Il s’agit pour lui de trouver les différences pour grandir.

Comment un enfant peut se construire dans un couple de même sexe ?

Je suis favorable à l’homoparentalité. Ce, avec des aménagements qui permettraient de ne pas tomber dans la critique plate d’une seule identification sexuée. Dans le cadre de l’adoption homoparentale, il faudrait que ce soit les deux familles qui adoptent l’enfant : les grands-parents, les oncles, les tantes, les cousins… Comme cela, on aurait pas ce que disent les psychanalystes, à juste titre, le trouble de l’identification.

Y-a-il plusieurs sortes de paternité ?

Oui, il y a plusieurs pères. Malgré ce que l’on croit, nous n’avons pas qu’un père biologique. Le père ne se résume pas au chromosome. Le père biologique, réel, devient rapidement le père imaginaire. C’est à dire, que sur son père, l’enfant va très vite imaginer des choses qui ne sont pas. Il construit autour du père, une enveloppe de héros. Pour l’enfant, le père est magnifique. Puis, à l’adolescent, l’image change : le père n’est plus si magnifique. Puis, finalement, on se dit « j’aime bien cet homme pour ses défauts aussi« . En même temps, viennent s’agréger des pères de compléments : un patron, un éducateur, un instituteur… Pour Camus, par exemple, son instituteur Louis Germain était un père.

Les pères de littérature existent-ils ?

Absolument. Salinger [ndlr, écrivain américain auteur de l’Attrape-coeurs], qui vient de mourir [ndlr, le 27 janvier 2010], était l’un de mes pères de littérature.

Pensez-vous qu’un enfant peut se construire avec un père absent ?

Cela dépend de l’absence. Le père qui est parti, et que la maman a aimé, n’est pas complètement absent. La mère peut dire : « il ne voulait pas vivre avec nous, mais moi je voulais que tu sois-là« . Cela construit l’enfant. Il va même beaucoup plus l’idéaliser. Ce père absent-là va rester beaucoup plus longtemps un héros. Le père inconnu, celui dont la mère ne parle jamais, est plus dommageable. Cela fait de lui le père secret, comme s’il y avait quelque chose de honteux. Les histoires doivent être dévoilées aux enfants, tout en les poétisant. L’enfermement dans un secret créé des troubles pour l’enfant, surtout pour un enfant fragile.

Que pensez-vous du phénomène des familles recomposées ?

C’est un mécanisme qui prend une ampleur presque majoritaire dans les grandes villes. Les couples qui se composent maintenant ont 10% de chance de ne pas survivre au bout de cinq ans. Je ne discute pas de la progression sociale du fait de vouloir être heureux à tout prix et de ne pas se sacrifier pour des enfants. Mais, pour eux, c’est toujours difficile, c’est un facteur de difficultés. Et on a beau se raconter ce que l’on veut : « on s’entend bien, on fait des gardes alternées« , c’est difficile pour les enfants.

Quel statut donner au beau-père ?

Cette histoire de donner un statut aux beau-parents est une bêtise ndlr, référence est faite au [projet de loi envisagé par Nicolas Sarkozy sur un « statut du beau-parent »]. Issu d’un premier divorce, l’enfant doit déjà partager son temps entre son père et sa mère. Ce qui veut dire que si l’on donne un statut au beau-père, il devra encore plus se partager en cas de second divorce. Et ainsi de suite… Quand est-ce qu’il va avoir un weekend pour lui ce pauvre malheureux ? Le beau-père n’a pas à avoir des droits sur l’enfant. Le beau-père a le rôle que l’enfant lui donne. Ce n’est pas une loi qui va créer l’affection.

Que pensez-vous du phénomène du parent-copain ?

Il ne faut pas être copain avec ses enfants. C’est là un point très important de la difficulté de notre temps. Les parents qui veulent séduire, les pères notamment, n’ont pas à le faire. Ils doivent être parent, avec toutes les limites. C’est un excès du progrès : le père toujours jeune, toujours séduisant, qui comprend tout, qui joue à être un peu trop jeune. Il faut qu’il soit vieux, qu’il vieillisse.

Pensez-vous qu’aujourd’hui les parents n’ont pas assez d’autorité ?

L’autorité d’avant, l’autorité pater familias était bête. Mais, entre l’autorité idiote et pas de limites, je crois qu’il faut trouver un juste milieu. S’il est interdit d’interdire, selon le grand slogan de 1968, il est fondamental de donner son avis. Il faut mettre des limites pour que le message passé à l’enfant soit : « je ne veux pas que tu te détruise, je ne veux pas que tu te fasses du mal ». L’autorité est : « je dois dire ma position pour te respecter, non pas pour te plaire« .

Que pensez-vous du phénomène de l’enfant-roi ?

L’enfant devient un « produit » rare. Nous sommes, en France, à 2 de natalité ndlr, selon les [indicateurs de fécondité]. Alors, on ne peut pas supporter qu’un enfant dans lequel on a investi notre avenir, échoue. L’enfant est porteur de toutes les choses que l’on voulait réussir et que l’on a pas réussies.

Le psy et l’écran

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Pourquoi faire de la télévision ?

Je pense que la télévision est un extraordinaire accélérateur de connaissances. Pour la vulgarisation, pour la diffusion du savoir, rien ne remplace la télévision. Entre nous, comme moyen de communication, je préfère l’écrit et la radio.

Justement, pourquoi avoir quitté la radio pour faire de la télévision ?

J’ai quitté Europe 1 car durant trois ans, toutes les semaines, j’animais la nuit une émission, c’est lourd et fatiguant. Une autre radio m’a proposé tous les jours de 14h à 16h : c’était encore plus exagéré. Mais, aujourd’hui, je parle tous les jours sur la 5. On pourrait me dire : « tu exagère encore plus« . Voilà que l’on me propose maintenant un prime de 20h30 à minuit sur France 2, en direct. Il ne me manquait plus que cela ! J’avoue que j’atteins presque mes limites physiques et psychiques. J’ai aussi un service à construire. Il faudrait donc que je sois de temps en temps dans la réalité et pas dans le virtuel.

La question centrale de faire de la psy à la télévision est : « est-ce que vulgariser est vulgaire ? ». Est-ce facile ? Je ne crois pas. Je voudrais bien voir certains de mes camarades, un peu critiques, sous la caméra, nous expliquer des choses complexes. Ils ont choisi d’autres voies que je respecte, j’aimerais simplement qu’ils respectent la mienne. Il faut faire attention à ne pas trop en dire, ne pas trop interpréter, mais ne pas rien dire non plus. Sinon, ce n’est pas intéressant. Il faut ouvrir des portes : une émission de six minutes ouvre une porte vers la psychologie.

Comment ne pas dire que Pradel et Dolto, sur France Inter, n’ont pas changé la donne ? [ndlr, en 1976 Jacques Pradel débute une émission sur France Inter, « Lorsque l’enfant paraît » avec la psychanalyste et pédiatre Françoise Dolto qui répond aux questions d’auditeurs sur le thème de l’éducation de leurs enfants] A mon niveau, à la suite de ces grands aînés, j’essaye de diffuser mes connaissances sur la psychiatrie enfantine.

De nouveaux projets ?

Nous allons créer à Marseille un nouvel établissement pour étudier comment guérir la guérison. [ndlr, Marcel Rufo est actuellement chef du service médico-psychologique de la famille et de l’enfant au CHU Sainte-Marguerite de Marseille]

A lire

 Chacun cherche un père de Marcel Rufo

 La bonne parole, Quand les psys plaident dans les médias de Dominique Mehl

Julie DERACHE

Marc Lévy : « Ecrire, c’est un territoire de liberté ».

A l’occasion de la sortie de son dixième roman  » La première nuit « , la librairie Sauramps Odyssée a accueilli hier soir, jeudi 10 décembre, Marc Lévy. Romancier français qui a vendu le plus de livres en France et dans le monde, ses neuf derniers romans ont été publiés, à ce jour, à 19 millions d’exemplaires. Second volet d’un diptyque,  » La première nuit  » raconte l’histoire d’Adrian, astrophysicien, qui part à la recherche de Keira, archéologue, disparue après un attentat. Dans un périple qui nous entraîne des hauts plateaux éthiopiens jusque dans les étendues glacées du nord de l’Oural, Marc Lévy conclut avec  » La Première nuit « , l’aventure fantastique commencée avec  » Le Premier jour « . Rencontre.

D’où vient votre goût pour l’écriture ?

Je ne sais pas. Je crois du plaisir de raconter des histoires. Mais je ne sais pas d’où il vient. Je pourrai vous faire une réponse toute convenue mais je ne le souhaite pas. Vous savez, si je vous demandai d’où est venu l’amour que vous portez à votre conjoint, vous n’en sauriez rien. Il est venu, c’est tout. Il y a des choses qui sont là et nous ne pouvons pas trouver d’explications.

Vous parlez toujours d’amour. C’est votre priorité dans la vie ?

Non ce n’est pas une priorité, c’est une question d’humilité. Je pense que l’amour est ce qui motive tout un chacun. De la chose la plus simple dans votre quotidien, à la chose la plus complexe. Quoi que vous cultiviez, quoi que vous fassiez, vous le faites par amour. Après, vous pouvez avoir une espèce de prétention, de fierté qui font que vous dites que ce n’est pas vrai. Mais tout se fait par amour. Nous élevons nos enfants par amour, nous vivons avec quelqu’un par amour, nous cultivons notre jardin par amour, nous construisons une maison par amour, … Tout se fait par amour. Même si cela dérange les cyniques. C’est une réalité. En tout cas, c’est la mienne. Je ne vois pas comment faire autrement.


Pensez-vous que par amour, comme c’est le cas avec Adrian, un homme est capable de tout ?

Il faut demander cela à ma femme ! (rires) Si je répondais oui, cela serait très prétentieux.

Est-ce que l’on peut dire « Marc Lévy, l’auteur séducteur » ?

Non. Je suis quelqu’un de très timide et de très pudique. Je ne suis pas du tout un séducteur. J’étais le plus mauvais dragueur de tout le lycée et ils s’en souviennent encore ! J’aimerai bien que la légende s’entretienne mais j’aurai, de suite, quelques copains pour dénoncer la forfaiture.

C’est la première fois que vous publiez un diptyque, pourquoi ?

J’ai écrit cette histoire dans une continuité. Je ne me rendais pas compte que je m’embarquais dans une intrigue aussi longue. C’est mon éditeur qui m’a fait remarquer qu’il était difficile de publier un livre de 950 pages. Donc, nous l’avons scindé en deux tomes. L’endroit où ils ont coupé l’histoire, c’est quand même un peu vache.

Vous l’auriez coupé où ?

Si c’était à refaire, j’aurai fait trois tomes de 350 pages chacun, au lieu de deux. Je crois que je me serais fait encore plus d’ennemis ! (rires) L’idéal aurait été de publier un seul livre. Mais les lecteurs trouvent très désagréable de lire un ouvrage de 950 pages. Dans le métro, par exemple, ce n’est pas très pratique.

Il y a une unité de temps entre les deux romans qui correspond à la réalité. J’ai vécu l’été comme Adrian.

A quel personnage vous identifiez-vous ?

Si je vous dis Keira, cela va vous paraître ridicule. C’est un mélange. Il n’y a pas un endroit où je me mets, moi, dans le roman. Je suis trop pudique pour me mettre dans un personnage. Cependant, je m’identifie pas mal à Walter (ndlr : Walter est le meilleur ami du héros). Je pourrai vous dire que je suis Adrian, le héros. Mais, j’ai déjà le vertige sur un tabouret et il escalade les montagnes à 2 000 mètres !


Pourquoi le thème de la destinée est présent dans tous vos romans ?

Parce que je crois que c’est ce qui me fait le plus peur.


Vous croyez en la destinée ?

Ce n’est pas ce que je vous ai dit. Je n’en sais rien. Qu’est ce que c’est que la destinée ? J’ai toujours voulu croire, et cela n’engage que moi, que la destinée est une succession de choix que la vie nous présente. Je déteste l’idée que tout est écrit. Sinon pourquoi se lever le matin, pourquoi aller à l’école, … Si tout est écrit, il n’y a qu’à se poser sur le tapis roulant et attendre qu’il arrive au bout. Je pense que la destinée, c’est une succession de choix. Et le destin, c’est ce que l’on va décider de prendre comme choix. Je trouve que c’est ce qu’il y a de plus intrigant. Pourquoi le piano qui se décroche tombe à deux centimètres de vous ou vous tombe sur la figure ?

Trois de vos ouvrages font référence à des évènements historiques : Les enfants de la liberté à la Résistance, Toutes ces choses qu’on ne s’est pas dites à la Chute du Mur de Berlin, et Où es-tu ? à l’ouragan de 1974. Quel est votre rapport à l’Histoire ?

Je trouve assez intéressant, pour certains romans, que les personnages évoluent dans l’Histoire qui les englobe. Je ne peux pas faire une réponse courte à la question que vous me posez. Chacun des trois romans que vous me citez à sa raison, divergente des deux autres. L’histoire des Enfants de la liberté est très particulière. Celle de Toutes ces choses qu’on ne s’est pas dites a d’autres motifs.

Mon rapport à l’Histoire ? Je pense que l’Histoire imprime l’histoire personnelle que nous vivons. Nous ne pouvons pas nous extraire du contexte historique dans lequel nous vivons, des évènements historiques dans lesquels nous vivons. Quand on est romancier et que l’on raconte l’histoire de personnages, on ne peut pas prendre deux personnages qui vivent en 1960 et les faire avoir les mêmes réactions que des personnages des années 2010. Ne serait-ce que les sentiments qu’ils ont. Ils ne sont pas impactés par la même morale publique, par la même conjoncture, par les mêmes problématiques. Je ne sais pas quel âge vous avez. 20 ans ? 22 ans ? Avoir 20 ans, il y a trente ans, n’est pas du tout la même chose qu’avoir 20 ans aujourd’hui. Ne serait-ce que parce qu’il y a trente ans, nous n’avions pas de téléphone portable. Nous ne savions pas ce que c’était que d’envoyer un sms. Vous ne savez sans doute pas ce que c’était de faire passer un petit papier en cours quand j’avais 16 ans. Il fallait avoir une technique pour faire passer une boulette de papier du dernier rang au premier, et dire à une copine « on se voit à 16h30 » sans que les copains ne le sachent et sans se faire chopper par la maîtresse. C’était un exploit ! Aujourd’hui, un petit texto, et hop hop hop, l’affaire est dans le sac ! Le débarquement du sms a changé les modes de communication. Sans vouloir me vieillir, à mon époque, nous n’avions qu’une chaîne de télévision et à 20h30 nous étions au paddock. Nous vivions dans une autre planète que celle dans laquelle vous vivez. J’ai un fils de 20 ans, je suis donc témoin de ce monde là.

Vous évoquez votre jeunesse, quels étaient vos livres préférés à l’époque du lycée ?

Je dirai La nuit des temps de Barjavel. D’ailleurs mon livre est une façon de rendre hommage à Barjavel. Le petit prince de Saint-Exupéry, Huis clos de Sartre, Paroles de Prévert, La condition humaine de Malraux, et E=mc2 mon amour de Patrick Cauvin. Et à la sortie du lycée, Romain Gary.

Plusieurs de vos romans ont été adaptés au cinéma, que pensez-vous de ces adaptations ?

C’est très complexe. L’adaptation d’un roman répond à des règles incontournables. Il y a toujours deux points de vue. Celui du lecteur et celui de l’auteur. Je considère que lorsqu’un réalisateur vous fait l’honneur d’adapter votre roman, il faut lui laisser la liberté de raconter l’histoire à sa façon. C’est un auteur à part entière. On ne peut pas contraindre l’intelligence d’un auteur à filmer les pages d’un livre. Même si la tentation de l’auteur du livre est de filmer exactement l’histoire qu’il a écrite. C’est un pari qui est impossible. Ne serait-ce que parce qu’un roman raconte une histoire en huit-neuf heures et qu’un film doit la raconter en une heure et demie. A partir du moment où c’est bien filmé, où les acteurs sont justes, la mise en vie de ses propres personnages est extrêmement jouissive.

J’ai vécu trois expériences différentes. Dans Et Si c’était vrai, le film est très éloigné du roman. Le réalisateur a prit le parti de changer la nature des personnages. Il les a débaptisés. Le « Arthur » et la « Lorraine » du film ne sont pas le « Arthur » et la « Lorraine » de mon roman. Alors que dans Mes amis, mes amours, même si la réalisatrice a enlevé une quantité de scènes importantes du roman et qu’elle en a rajouté d’autres, le « Matthias » et le « Antoine » du film sont vraiment le « Matthias » et le « Antoine » du roman. C’est une adaptation plus fidèle. Où es-tu ? a été produit en format télévision. Les quatre heures du téléfilm permettent de coller à la rythmique du roman. Donc, c’est encore plus fidèle. Cela a été trois très belles aventures.


En parlant de télévision, quelle est votre émission télévisée préférée ?

L’émission où ils vont dans des pays au bout du monde… En Terre Inconnue !


Et si nous faisions un petit portrait chinois… Si vous étiez…

Une saison ?

Le printemps.

Une femme ?

Joker !

Une musique ?

Une chanson des Beatles.

Un roman ?

Clair de femme de Romain Gary.


Un pays ?

La France.


Un personnage historique ?

Pasteur.

Vous dites que vous aimez la France, pourquoi vivre à New York ?

J’ai toujours vécu à l’étranger. J’aime vivre à l’étranger et j’aime vivre en étranger. Ce n’est pas parce que l’on vit à l’étranger que l’on n’aime pas son pays. De la même façon qu’à vingt ans, ne plus habiter chez ses parents ne vous empêche pas de les aimer. Nous sommes trois millions de Français à vivre à l’étranger. Heureusement d’ailleurs. Si aucun Français ne vivait pas à l’étranger, on ne saurait pas ce qu’est la France.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune écrivain qui veut se lancer ?

Si je pouvais en donner un seul : n’en écouter aucun. Écrire, c’est un territoire de liberté. Vous pouvez écrire un roman sans ponctuation si cela vous amuse. Il ne faut pas laisser l’écriture et la littérature s’enfermer dans des règles grammaticales. Certes, elles sont très importantes pour le maintien de la langue. Mais, il ne doit pas y avoir tout le temps des règles. Le seul gardien de la liberté d’écriture, c’est vous-même. Il faut écrire avec beaucoup d’humilité. L’écriture c’est un long tunnel de solitude. Avec un papier et un crayon, on peut tout écrire. Et si on peut tout écrire, on peut rentrer dans un domaine imaginaire qui vous transpose bien au-delà des murs qui vous enferment. C’est la seule conscience à garder quand on écrit. On peut faire ce métier très sérieusement sans jamais se prendre au sérieux. Il y a autant de façon d’écrire qu’il y a de gens qui écrivent. Il y a autant de façon d’aimer que de gens qui aiment. Il n’y a pas plus de recettes d’écriture, qu’il y a de recettes amoureuses.

L’écriture est-elle un besoin pour vous ? Avez-vous besoin d’écrire tous les jours ?

Je vous dirais que c’est un bonheur. Je ne veux pas donner de gravité à la chose. Dans ma vie, j’ai vu trop de gens dans le besoin pour avoir l’espèce de prétention de dire : « j’ai besoin d’écrire ». Si je ne peux plus écrire, je survivrai. Je touche du bois, mais s’il arrive quelque chose à mon fils, je ne sais pas si je survivrai. C’est un bonheur, un vrai bonheur que d’écrire. Je recommence un nouveau roman dans quelques semaines et je suis heureux de cela.

Pour finir, quel est votre rêve ?

De vivre très, très vieux. Cela englobe tous les autres rêves. Il y en a beaucoup. Tant que vous êtes vivant tous les rêves sont possibles.