Les captivantes « Âmes grises » de Philippe Claudel

Avec nuance et honnêteté, Philippe Claudel nous livre avec « Les âmes grises », un instant de médiocrité humaine. D’une beauté froide et saisissante.

Ni noir, ni blanc. Gris. Philippe Claudel a, on ne peut mieux, choisi son titre. Parce qu’il a le juste sens des nuances, la médiocrité humaine décrite par l’auteur dans Les âmes grises, devient d’une beauté captivante. L’atmosphère de ce village, où une petite fille est retrouvée morte en 1917, pourrait être aussi glauque que glaciale. Mais comme les champs de bataille situés non loin, les paysages, la trame, les personnages sont noirs de bassesse et de cruauté, blancs d’humanité.

L’écriture imagée et poétique demeure légère, même dans le plus sordide des instants. Portée par la plume de Claudel, le lecteur se laisse berner et emmener dans des détours et voies sans issue. L’auteur du Rapport de Brodek nous réapprend le goût des mots. Car contrairement à beaucoup d’autres, cette intrigue ne se laisse pas consommer, elle se déguste.

Les âmes grises, Philippe Claudel, LGF, Le livre de poche, 2006, 279 pages, 6€50.

Le rapport de Brodeck – Prix Goncourt des lycéens 2007, Philippe Claudel, Stock, 2007, 400 pages, 21€50.

Les captivantes « Âmes grises » de Philippe Claudel

Avec nuance et honnêteté, Philippe Claudel nous livre avec « Les âmes grises », un instant de médiocrité humaine. D’une beauté froide et saisissante.

Ni noir, ni blanc. Gris. Philippe Claudel a, on ne peut mieux, choisi son titre. Parce qu’il a le juste sens des nuances, la médiocrité humaine décrite par l’auteur dans Les âmes grises, devient d’une beauté captivante. L’atmosphère de ce village, où une petite fille est retrouvée morte en 1917, pourrait être aussi glauque que glaciale. Mais comme les champs de bataille situés non loin, les paysages, la trame, les personnages sont noirs de bassesse et de cruauté, blancs d’humanité.

L’écriture imagée et poétique demeure légère, même dans le plus sordide des instants. Portée par la plume de Claudel, le lecteur se laisse berner et emmener dans des détours et voies sans issue. L’auteur du Rapport de Brodek nous réapprend le goût des mots. Car contrairement à beaucoup d’autres, cette intrigue ne se laisse pas consommer, elle se déguste.

Les âmes grises, Philippe Claudel, LGF, Le livre de poche, 2006, 279 pages, 6€50.

Le rapport de Brodeck – Prix Goncourt des lycéens 2007, Philippe Claudel, Stock, 2007, 400 pages, 21€50.

Un doux parfum de Ruffin

Jean-Christophe Ruffin est un humaniste. Sa carrière de médecin du monde lui a ouvert les yeux sur un monde scindé en deux grandes parties, et qui joue selon les règles de la première, l’occident tout puissant. Le fil conducteur de ses livres est représenté par le sort réservé au tiers-monde par cette société capitaliste de consommation qui commande le monde occidental. Au travers de cette « grille de lecture », il s’adonne ouvrage après ouvrage, à se renouveler tout en gardant le même thème.

Si Globalia peut être taxé de roman d’anticipation, dans la veine des 1984 d’Orwell, et autres Le meilleur des monde d’Huxley, si La Salamandre est en quelques sortes une tragédie romantique, sa dernière parution, Le parfum d’Adam touche à l’art du roman d’espionnage.

Comme dans tous ses livres, Ruffin s’attache à critiquer durement, mais aussi le plus en profondeur possible le sujet précis auquel il s’attaque. En l’occurrence, son dernier opus balaie les sujet-clefs du moment, tout en restant sur de classiques fondamentaux : le développement durable, le terrorisme biologique, la santé mondiale et la psychologie… Le tout dans une ambiance d’espionnage et de contre-espionnage digne des meilleurs James Bond.

Encore une fois il nous propose des voyages exotiques et inattendus, nous emmenant des déserts arides de l’Amérique du nord aux bidonvilles humides du Brésil en passant par l’Europe de l’Est et les mégapoles Américaines.

Dans ce nouvel opus toutefois, il pousse peut être un peu loin le goût du détail dans un récit qui aurait sûrement gagné à être plus court et ainsi plus dense. Voulant mêler espionnage et histoire d’amour, il dessert le second style en poussant très, peut-être trop, loin le premier. Au final, la romance entre les deux protagonistes est un peu délaissée et laisse le lecteur sur sa faim.

Le Parfum d’Adam est tout de même globalement un roman d’espionnage de très bonne facture avec une morale sous-jacente qui éveille brillamment le lecteur à des problématiques actuelles et titille son instinct d’humanitaire qui s’ignore.

Un doux parfum de Ruffin

Jean-Christophe Ruffin est un humaniste. Sa carrière de médecin du monde lui a ouvert les yeux sur un monde scindé en deux grandes parties, et qui joue selon les règles de la première, l’occident tout puissant. Le fil conducteur de ses livres est représenté par le sort réservé au tiers-monde par cette société capitaliste de consommation qui commande le monde occidental. Au travers de cette « grille de lecture », il s’adonne ouvrage après ouvrage, à se renouveler tout en gardant le même thème.

Si Globalia peut être taxé de roman d’anticipation, dans la veine des 1984 d’Orwell, et autres Le meilleur des monde d’Huxley, si La Salamandre est en quelques sortes une tragédie romantique, sa dernière parution, Le parfum d’Adam touche à l’art du roman d’espionnage.

Comme dans tous ses livres, Ruffin s’attache à critiquer durement, mais aussi le plus en profondeur possible le sujet précis auquel il s’attaque. En l’occurrence, son dernier opus balaie les sujet-clefs du moment, tout en restant sur de classiques fondamentaux : le développement durable, le terrorisme biologique, la santé mondiale et la psychologie… Le tout dans une ambiance d’espionnage et de contre-espionnage digne des meilleurs James Bond.

Encore une fois il nous propose des voyages exotiques et inattendus, nous emmenant des déserts arides de l’Amérique du nord aux bidonvilles humides du Brésil en passant par l’Europe de l’Est et les mégapoles Américaines.

Dans ce nouvel opus toutefois, il pousse peut être un peu loin le goût du détail dans un récit qui aurait sûrement gagné à être plus court et ainsi plus dense. Voulant mêler espionnage et histoire d’amour, il dessert le second style en poussant très, peut-être trop, loin le premier. Au final, la romance entre les deux protagonistes est un peu délaissée et laisse le lecteur sur sa faim.

Le Parfum d’Adam est tout de même globalement un roman d’espionnage de très bonne facture avec une morale sous-jacente qui éveille brillamment le lecteur à des problématiques actuelles et titille son instinct d’humanitaire qui s’ignore.

Les Histoires de Noël d’Anne Perry

Après moults enquêtes livrées au coeur de la cité londonienne, Anne Perry nous gâte avec des romans policiers qui se déroulent autour de Noël. Une vraie bonne surprise de cette fin et début d’année.

Si l’envie vous vient de retrouver l’atmosphère chaleureuse des fêtes de fin d’année, je vous conseille l’excellente série des enquêtes de Noël livrée par la romancière anglaise Anne Perry.

Un écrivain prolifique

Vous ne la connaissez peut être pas mais cet écrivain native de Londres a écrit pléthores de romans policiers historiques. Pour l’anecdote, elle fut elle-même accusée d’un meurtre au cours de sa jeunesse. Des enquêtes de Charlotte et Thomas Pitt en passant par le détective Monk sous l’époque victorienne, elle livre sans concession un tableau parfois désenchanté des riches classes sociales anglaises.
Les livres de Noël d’Anne Perry sont sortis sous un format différent que celui des traditionnels livres de poche. La pochette est cartonnée et illustrée. Il s’agit d’une série de nouvelles policières qui mettent en lumière des acteurs secondaires de ces ouvrages habituels. Ces histoires, vous les retrouverez dans quatre aventures différentes : la Disparue de Noël paru en décembre 2003, le Secret de Noël en décembre 2004, le Voyageur de Noël en décembre 2005 et le Détective de Noël en décembre 2006.

Le secret de Noël : un coup de coeur

Le Secret de Noël est à lui seul, un véritable coup de coeur. Il mêle à l’intrigue policière, une peinture de la campagne anglaise où chacun recèle de secrets plus ou moins honteux. En voici un court résumé : lorsque le pasteur Dominic Corde et sa femme Clarice sont dépêchés en catastrophe afin de remplacer à l’église le Pasteur Wynter, ce dernier est retrouvé chez lui décédé. A-t’il été assassiné? Clarice va mener l’enquête auprès des habitants du village de Cotisham. Je ne vous en dirai pas plus et vous laisse découvrir ces quelques bonnes feuilles encore disponibles jusqu’à Noël prochain.

Daniel Pennac, « Le dictateur et le hamac »

« Ce serait l’histoire d’un dictateur agoraphobe qui se ferait remplacer par un sosie.
Ce serait l’histoire de ce sosie qui se ferait à son tour remplacer par un sosie.
Mais c’est surtout l’histoire de l’auteur rêvant à cela dans son hamac.
Et c’est l’éloge du hamac: ce rectangle de temps suspendu dans le ciel. »
Quelques mots au dos d’un livre: « Le dictateur et le hamac », les mots d’un éternel rêveur: Daniel Pennac.

Fruits de ses nombreux songes: Cabot-caboche, L’œil du loup, la saga des Malaussène et des Kamo pour ne citer que les plus connu. Paru en 2003, l’auteur se dévoile dans Le dictateur et le hamac et nous invite dans les coulisses de son imagination. Subtil mélange, le livre propose aux lecteurs une rencontre entre une histoire loufoque et les étapes de sa construction. Une étrange comédie qui prend vie petit à petit dans le fameux hamac suspendu au Nordest du Brésil, à Maraponga, où l’auteur passe, à l’époque, ses journées à s’évader.

« Je songe à cette question qu’on pose parfois aux romanciers : Comment naissent vos personnages ?
Comme ça. De l’imprévisible et nécessaire combinaison entre les exigences d’un thème, les besoins du récit, les sédiments de la vie, les hasards de la rêverie, les arcanes d’une mémoire capricieuse, les évènements, les lectures, les images, les gens. »

Ainsi vogue le récit. Agrémenté de bribes de vécu, d’informations échangées, entendues, qui peu à peu prennent forme dans une histoire faite de clins d’œil à la vie.
L’auteur se questionne ouvertement et convie le lecteur dans les cheminements de sa pensée. Les « ce serait » et autres verbes au conditionnel rythmes les différentes fenêtres de création par lesquelles il nous invite à renter. Après avoir introduit une ouvreuse de cinéma pour les besoins du personnage principal, il pense tout haut. « Cette histoire manque de femmes, comme j’aimerais profiter de cette pause, dans mon hamac pour raconter ton histoire a toi par exemple, petite ouvreuse… » Et l’histoire repart vers des sentiers inconnus.

Le roman est un régal d’écriture et une réflexion sur l’étrange comédie de la vie, un jeu de dupe et de sosies où la recherche de soit, la passion, l’ennui, le rêve pousse les personnages à avancer vers l’infini.
L’histoire d’un dictateur qui se fait remplacer par un sosie ? Cela ressemble étrangement à un film… Mais alors, qui imite qui ? Ce livre nous invite à rencontrer celui à qui s’est vraiment arrivé…après tout, « il suffit d’imaginer… » suggèrent les pages avant de se refermer.

Controverse littéraire : que doivent lire les jeunes ?

Du 28 novembre au 1er décembre, se tiendra la 24e édition du Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint Denis. Autour du thème « Peurs et frissons », près de 2000 auteurs et illustrateurs chercheront à faire frémir leurs jeunes lecteurs. Cette tranche d’âge intéresse de plus en plus le monde de l’édition par l’éventualité des profits qu’elle représente mais aussi par l’étendue des possibles en matière de choix des thèmes et de traitement des sujets.

Un Salon de référence

Avec près de 143 000 visiteurs l’an dernier, ce Salon est devenu une référence en matière d’évènement littéraire pour la jeunesse. Cette année encore, près de 1500 séances de dédicaces, 600 rencontres organisées et des milliers de livres proposés devraient garantir un succès tant numérique que qualitatif. C’est aussi l’occasion de remettre différents prix littéraires pour le livre de jeunesse.

Une littérature à part pour un public fragile

Plus que jamais « les peurs et frissons » des jeunes sont au centre des débats. La littérature Adolescente est « un des segments qui monte dans l’édition jeunesse » nous apprend Emmanuel Davidenkoff sur le site de France Info. C’est surtout l’objet de polémiques incessantes entre ceux qui souhaitent protéger la jeunesse et ceux qui entendent la former au contact de réalités parfois pénibles.

Le 29 novembre 2007, dans le journal Le Monde, la journaliste Marion Faure a publié un article intitulé « Un âge vraiment pas tendre ». Elle s’indigne au fil des lignes de la noirceur qu’on impose continuellement aux plus jeunes aux travers de sombres récits. « Mal-être, suicide, maladie, viol… Pourquoi les livres destinés aux adolescents sont-ils si noirs ? » s’interroge-t-elle. Mais loin de faire l’unanimité, sa position a suscité de vives réactions, de la part d’éditeurs notamment.

Les avis sont partagés : il y a ceux qui pensent d’un côté qu’il faut préserver la jeunesse, parfois fragile, de la dureté du monde et ceux qui croient, au contraire, qu’il est indispensable d’aborder l’ensemble des sujets existants. Tous les jeunes ne seront pas amenés à vivre un divorce, le suicide d’un proche ou une guerre civile. Tous les livres n’ont d’ailleurs pas vocation à être des outils pédagogiques aidant les jeunes à faire un travail psychologique, mais faut-il pour autant se cantonner à de douces histoires qui prolongent un peu l’enfance ?

Les débats entre enseignants, psychologues, écrivains et éditeurs ont encore de beaux jours devant eux.

Infos concernant le Salon:

Paris Est Montreuil – Halle Marcel Dufriche
128 rue de Paris
93100 MONTREUIL
http://www.salon-livre-presse-jeunesse.net/
tel : 01 55 86 86 55

La rentrée des bonnes feuilles

Quelles sont les tendances de la rentrée littéraire? Les choix des lecteurs un mois avant les fêtes de fin d’année? Rencontre improvisée à Sauramps.

Jour de la désignation du prix Fémina, et à la librairie Sauramps en ce lundi matin, quelques badauds se promènent autour des rayons garnis. « C’est une bonne rentrée littéraire avec plus de 700 nouveaux ouvrages dont 450 français » explique Sandrine, responsable du secteur littérature générale qui lit en moyenne une centaine d’ouvrages durant cette période. « La clientèle reste parfois trop portée sur l’image médiatique de quelques auteurs incontournables », déplorent cependant les libraires, parfois frustrés du manque de curiosité des lecteurs.

En avant, le Nobel

Ces derniers qui pourtant franchissent l’entrée de la librairie, s’agglutinent autour des ouvrages de Jean-Marie Gustave Le Clézio. En témoigne, ce couple d’Allemands qui venu acheter un de ses romans connaissait au préalable l’attribution du Nobel à l’écrivain français. « Il y a un petit côté cocorico, on ne pouvait ne pas le mettre en première ligne du magasin », ajoute Yann, employé. De même, au lendemain de notre première visite, le Fémina attribué, une vieille dame se rue sur l’ouvrage de Jean-Paul Fournier, Où on va papa ?. En compagne de son amie qui en a apprécié la lecture, elle reprend les commentaires médiatiques entendus çà et là sur cet ouvrage: « C’est l’histoire d’un père qui élève ses deux enfants handicapés, le narrateur raconte avec beaucoup d’humour malgré le tragique de la situation».

Si les prix semblent effectivement attirer les foules, ils ne font cependant pas tout à en croire les lecteurs. Nombre d’entre eux se refuse à réduire leur choix aux seules récompenses et à la rentrée littéraire. Mirène, s’insurgeant même : « Je connaissais le Clézio au préalable, je viens de terminer Ritournelles de la faim mais je l’ai acheté avant qu’il soit nobelisé ». Pourtant elle est venue chercher Sextus Politicus, ouvrage humoristique sur les hommes politiques avouant : « J’ai entendu plusieurs critiques positives à la radio ». Drôle de paradoxe qui se retrouve chez de nombreuses personnes interrogées. Rares sont celles qui ne s’arrêtent pas à l’entrée du magasin face aux nouveautés de cette rentrée. Il n’y aurait donc pas d’achat anodin.

Une envie de découverte

Un médecin habitué de Sauramps se pose néanmoins en porte à faux avec cette attitude: « Je refuse le principe du marketing autour du livre mais il y a des découvertes intéressantes. La rentrée littéraire n’est finalement qu’un prétexte. Bien sûr, il y a de très bons romans mais aussi des très mauvais, souvent d’ailleurs les deuxièmes romans ». « Nous, on essaie d’avoir nos propres codes concernant l’achat de nos ouvrages : l’accroche du titre, la qualité du papier, et touche d’originalité, lire la vingt-cinquième page». Leur coup de cœur respectif : Dans les veines en fleuve d’argent de Dario Franceschini ». « Un récit qui se déroule le long du Pô, c’est un vrai bonbon dont on ne se lasse pas ». Une déception ? Jason Meek avec Nous commençons notre descente. « Ce livre ne m’apporte rien personnellement » conclut-il.

Plus que la couverture médiatique, le bouche à oreille fait encore son effet. Autre habitué de la librairie, un étudiant dont la pile de poches trahit son engouement pour la lecture explique ainsi : « Je suis plutôt indifférent à l’actualité littéraire et préfère suivre les recommandations de mes proches ».

Dans ce contexte, le public suit-il encore les préceptes des libraires ? Sandrine, notre employée revient à la charge : « Nous, on a conseillé le premier livre d’un auteur montpelliérain Jean-Baptiste Del Amo avec Une éducation libertine ainsi que Syngaré Sahour d’Ahiq Ratimi, un écrivain afghan (d’ailleurs Gisèle achètera ce livre « J’ai lu un article sur ce dernier. Précédemment, j’ai acquis Terres et cendres du même auteur) ou encore Là où les singes sont chez eux de Jean-Marie Blas de Roblès (qui à l’heure où s’écrivent ces lignes a obtenu le Prix Médicis)».

Ces orientations semblent avoir porté leurs fruits au vu du nombre de ventes mais encore faut-il se rendre régulièrement en librairie. Un couple de quadragénaires, Marc et Emmanuelle, explique : « Nous ne sommes pas rentrés dans une librairie depuis deux ans, ce jour-ci, c’est l’exception ». Leurs préférences se tourneront vers L’art de la méditation de Matthieu Ricard, moine bouddhiste venu à Lodève cet été au côté du Dalaï Lama vu à « Thé ou Café » quelques jours auparavant. Souvent décriée la floraison de commentaires autour de la rentrée littéraire a aussi du bon.

« Force est de constater que la lecture-loisirs se porte bien avec des secteurs forts : la Bande Dessinée, la Science Fiction et la littérature générale sont en plein essor, la diversité de l’offre en nombre et en genre, garantissant un public large. » entérine Yann, le libraire. Prochain grand rendez-vous de l’année, Noël et une première inquiétude, la crise aura-t-elle un impact sur les traditionnels achats en cette période ?

Alice Ferney se livre

Out of Africa est son film préféré. Elle compare Truffaut à Spielberg, cite avec aisance Nietzsche et Michel Butor. Alice Ferney est une auteure sans complexe, venue présenter son nouveau roman, Paradis Conjugal, sorti aux éditions Albin Michel, à la librairie Sauramps.

Jeudi 13 novembre, à 18h30, l’ambiance est à la complicité et l’intimité féminine au café Bermuda-Clafoutis. Quelques hommes tout de même, la cinquantaine avancée, s’attardent sur chacune de ses paroles. Entre deux confidences, elle qui tapisse son bureau avec des mots et regarde The Hours quand son moral est à zéro, Alice Ferney écoute. A côté d’elle, une jeune femme, Ilène Grange de la Compagnie de l’âtre, lit d’un ton haut perché des extraits de son dernier roman.

L’histoire d’Elsa Platte, délaissée par son mari, qui oublie sa solitude devant le téléviseur. Au programme, encore et encore, Chaînes conjugales, le film mythique de Joseph Mankiewicz, réalisé en 1949. Alice Ferney décortique les sentiments amoureux, la perte de l’autre, le manque.
Parmi la trentaine de personnes rassemblée, curieux ou fidèles, certains hochent la tête, sourient, se reconnaissent dans les paroles de l’auteure.

Bandeau orange sur la tête, look hippie et veste léopard posée sur la chaise, Alice Ferney cumule les livres, les paradoxes et les identités. D’ailleurs Alice est en fait Cécile. Et Ferney, Gavriloff. Car « celui qui écrit n’est pas celui qui vit ». Soucieuse de séparer sa vie de son œuvre, son pseudonyme lui permet d’établir une distance entre sa vie d’écrivaine et son travail de professeur d’économie à l’université d’Orléans. Alice, prénom choisi en référence au conte d’Alice au pays des Merveilles.

« Quand on lit, on se dit c’est ça, c’est ce que je vis ! »

D’ailleurs, Alice finit son verre. Tout en maniant son stylo, elle embrasse d’un regard la salle, et se tait. Ilène Grange, la lectrice, entame un morceau du roman où les enfants d’Elsa Platte l’espionnent pendant un énième visionnage de Chaînes Conjugales. On reconnaît dans l’assemblée les mères de famille avec leurs sourires en coin. Du déjà vécu, assurément ! D’ailleurs Martine, 57 ans, blonde vêtue élégamment d’un long manteau rouge, avoue se reconnaître dans l’état de vérité : « Quand on lit, on se dit c’est ça, c’est ce que je vis ! »

Pour Jocelyne, il n’est pas question de projection dans les personnages mais plutôt de parcourir des yeux un roman bien construit, guidée par « la magie des mots ». Alice, quant à elle, a du mal à tourner la page : « Je suis dans un moment où je déteste mon livre ! A chaque fois j’essaye de l’oublier. La fin d’un livre, c’est un peu comme un deuil »

Dans toute sa bibliographie, qui compte aujourd’hui sept romans, à chaque fois un éternel absent : l’homme. Certains de ses lecteurs lui reprochent d’ailleurs ce manque. Elle réplique que l’homme est toujours présent dans ses ouvrages, mais mis à distance. Et s’il y en a bien un qui a pris le large, c’est le mari d’Elsa Platte. Il a laissé derrière lui un simple post-it : « Prépare-toi à dormir seule ».

Il est 19h30, le public quitte les chaises pour rejoindre l’auteure autour d’une séance de dédicace. Certains achètent même Paradis Conjugal, tout alléchés qu’ils sont. Comme le lapin blanc pressé par sa trotteuse, Alice se lève enfile sa veste léopard et s’en va, laissant derrière elle une pile de livre pour autant de merveilles…

Conte défait

Gabriel est un homme de principes. D’abord : seul son plaisir compte. Ensuite: une fois dans ses paumes la chair perd toujours. En dépit des apparences de dandy élevé aux bonnes manières, son sourire juvénile n’a plus grand chose d’angélique. Toujours en soif, jamais rassasié, le satyre obscène d’à peine vingt ans abuse brutalement, jouit dans l’instant et parfois même tue. Tueur de petite fille, violeur de femme, Gabriel a comme on dit « mal tourné ». Rien ne le prédestinait pourtant, lui, le fils de la fée, à pareille perte. Elle si parfaite, elle si belle, aux jambes sans fin, au teint de lait et aux lèvres fraise des bois. De son vivant tout le monde l’admirait, et lui l’aimait, la fée et son ventre si rond. Celui dont Gabriel est le seul enfant.

Las, la fée est morte, fleur flétrie d’une longue agonie. L’ogre Gabriel souffre, et le lecteur avec lui. Certes, Gabriel est un monstre, un Œdipe à la lame facile. Mais Alice Ferney est de ces auteurs qui vous instillent en juste dose une émotion et son contraire, dégoût et compassion. Durant une centaine de pages noircies d’ecchymoses l’on assiste, en témoin impuissant, à la valse folle du diablotin issu du « Ventre de la fée ». Un conte de femme, où la brutalité s’écrit avec tendresse, qu’elle adresse aux hommes, montrant d’un doigt accusateur ce qu’ils renferment de plus sombre.

Premier ouvrage d’Alice Ferney, « Le ventre de la fée » paru aux éditions Actes Sud inaugure une longue réflexion de facture plus classique sur l’amour maternel dont « Paradis Conjugal » est le dernier né. Qu’elle les explore dans la violence ou qu’elle en fasse l’apologie à coups de sanguine bien ajustés, la femme, l’épouse et la mère ont trouvé en Alice Ferney une experte de talent portée par une plume à la ponctuation délicate. Homme ou femme, quittes à obéir à vos pulsions les plus viles, faites donc. Succombez et dévorez« Le ventre de la fée ».