P.B. : En quelques mots, comment est
né le Forum permanent des SDJ ?
François Malye : Jusqu’à la fin des
années 1990, le secteur n’était pas encore
trop sinistré. A partir des années 2000, la
concentration a augmenté. Des
entrepreneurs, dont les médias n’étaient
pas le cœur de cible, ont racheté des
journaux. Il devenait de plus en plus
difficile de faire face aux problèmes
internes liés à la déontologie et à la
censure… Et il devenait indispensable de
remettre de l’ordre dans tout ça. Nous
avons alors décidé de nous fédérer. Et en
cinq ans, nous avons doublé nos
adhérents… C’est bien la preuve qu’il y a
un problème !
Quel est son rôle ?
F.M. : Aujourd’hui, nous répondons à des
attaques multiples. Il existe des attaques
économiques, comme les pressions liées
à la publicité… Il existe aussi des attaques
politiques, comme lorsque Sarkozy souffle
le renvoi de Genestar, l’ancien patron de
Paris Match. Il y a une mainmise évidente.
Mais concrètement, la seule chose que
l’on peut opposer à ça, c’est une
« sanctuarisation » de l’indépendance des
rédactions. La loi doit reconnaître une existence juridique des Sociétés de
journalistes.
Nous revendiquons également un droit
de veto. Cela nous permettrait de refuser
un directeur de rédaction s’il ne respecte
pas la ligne du journal, ou si son projet
éditorial n’est pas bon. Aujourd’hui, il fait
ce qu’il veut.
En tant qu’observateur privilégié, quel
combat exemplaire de SDJ a pu vous
conforter dans votre mission ?
F.M. : Il y en a plusieurs. Le combat des
Échos est un combat exemplaire… Celui
du Monde l’est également. A la Tribune,
les journalistes ont négocié une vraie
charte avec Alain Weill, le nouveau
propriétaire, ce qui est exemplaire pour
bien des rédactions… Or ce n’était pas
simple ! Ce fut un vrai combat technique et
juridique. Weill a signé un accord
contraignant. Ce n’est pas forcément un
grand philanthrope… mais il a compris que
c’était nécessaire. Et d’autant plus dans
l’information économique.
Nous devons garantir au lecteur que
nous produisons une information de
qualité. Aujourd’hui, il n’y a pas de
garantie.
Avez-vous rencontré ce genre de
problèmes au Point ? Avez vous le
souvenir d’un conflit avec la famille
Pinault, qui possède votre journal ?
F.M. : Vous ne verrez jamais de conflit
avec la famille Pinault… Le conflit se joue
avec le directeur de la rédaction. En
réalité, c’est plus un problème
d’autocensure que de censure. Prenez
l’exemple des suicides chez Renault. Il
résume bien l’ambiance. Il y a eu très peu
d’enquêtes. Les journalistes n’ont pas
cherché à en savoir plus que ça… Il faut
surtout avoir en tête que Renault est l’un
des premiers annonceurs dans tous les
journaux…
Pour ma part, j’avais écrit un article sur
des insecticides. BASF [[BASF est un groupe allemand, comptant parmi les leaders de l’industrie chimique.]] a annulé un an de
publicité. Croyez moi, ce n’est pas rien…
Vous parlez souvent en termes
« guerriers ». Il est question de combats,
de rapports de force. Alors quel est
l’adversaire principal des SDJ ?
F.M. : A un moment c’était les syndicats.
Ils estimaient qu’on empiétait sur leur
travail. Aujourd’hui, nous avons quasiment
fait alliance avec eux. C’est vraiment que
la profession va mal.
Le problème, c’est que le pouvoir
politique croit que les journalistes doivent
être à la botte. Dans leur logique, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) est un système imparfait, alors ils vont atténuer ses fonctions, et c’est le président qui
décidera… Idem pour la direction de
France Télévision [[La réforme de l’audiovisuel a ôté au CSA le pouvoir de nommer le président de France Télévision. Cette charge revient à présent au pouvoir exécutif, autrement dit à Nicolas Sarkozy.]]. C’est un recul
extraordinaire. Je crois qu’au fond, c’est un
problème de société. La population n’a pas
forcément conscience que certaines
valeurs doivent être préservées.
Lorsqu’on observe l’histoire des médias,
on s’aperçoit que la lutte pour la liberté de
la presse a pu provoquer des révolutions.
Mais aujourd’hui, nous vivons dans une
société consumériste et égocentrique.
Cependant, je ne désespère pas.
Le Forum permanent des SDJ a fait
des propositions de loi pour garantir
l’indépendance de la presse. Avez-vous
eu un retour du côté du
gouvernement ?
F.M. : Non. Les États Généraux
débutaient juste après… Mais je ne dis pas
que sans ça, ils nous auraient répondu.
Pour ces gens, nos demandes paraissent
outrancières. Ils ne comprennent rien à la
vie dans une rédaction.
Que pensez-vous des États Généraux
de la presse ?
F.M. : Le problème de ces États
Généraux, c’est qu’ils ne se préoccupent
pas non plus de la qualité du produit.
Depuis 93, le journal la Croix publie un baromètre de
la confiance des lecteurs. Et depuis 93, ça
s’aggrave. La défiance s’accroît. S’ils ne
nous ont pas vraiment voulus aux États
Généraux, c’est qu’ils ne voulaient pas de
ce débat. Ils auraient dû financer un
sondage sur le sujet. Les lecteurs aussi
ont leur mot à dire…
Aux États Généraux, ils nous ont fait
passer un Quiz : « Citez un pays où le
pluralisme est meilleur qu’en France ». La
question était mal posée… Ils auraient dû
nous demander : « Y a-t-il d’autres pays qui
ressemblent à la France ? » J’aurais
répondu non. En France, la presse est
totalement dépendante du pouvoir.
Et le fait que ce débat soit orchestré
par le gouvernement…
F.M. : Effectivement, c’est la profession
qui aurait dû le faire. Si la profession
n’avait pas été si divisée entre la base et
le sommet, elle l’aurait fait. L’initiative n’est
pas mauvaise en soi, mais elle aurait été
efficace si elle avait mobilisé tous les
acteurs. Sur les cent quarante personnes
conviées, le Forum Permanent des SDJ ne disposait que de
deux strapontins…
En fait, ceux qui organisent les États
Généraux sont les mêmes personnes qui
ont construit ce système. Et ils restent
entre eux. Ils ne proposent aucune
autocritique. Ils vont gratter un peu
d’oxygène et d’argent sur le dos des
journalistes, mais pas pour des
changements de qualité… Néanmoins, je
pense que nous finirons bien par avoir des
échanges constructifs avec les éditeurs…
Je reste optimiste.