De l’Afghanistan aux otages

Ce mercredi 1er décembre, le Diagonal a accueilli une conférence-débat organisée par le comité de soutien pour la libération de Stéphane Taponier et Hervé Ghesquière. Le thème : « Mieux connaître l’Afghanistan et la situation des otages. » Un sujet prometteur qui n’a pas attiré les foules.

18h15. Salle 2 du cinéma. Une quarantaine de personnes ont répondu présent au rendez-vous. « Je suis contente de voir autant de monde », s’exclame Sophie Pille, membre du comité de soutien. Pourtant, c’est une salle à moitié vide qui lui fait face. À croire que l’Afghanistan intéresse peu les Montpelliérains. Ce pays se rattache pour beaucoup à la guerre, aux attentats, aux talibans… La conférence a justement pour but de dépasser ces conceptions et de révéler une complexité souvent méconnue.

« Un diamant aux multiples facettes »

Georges Lefeuvre, ancien diplomate au Pakistan, se charge d’expliciter l’histoire afghane. Amputation de territoire, envahissements successifs, guerres multiples, diversité des tribus… Durant 45 minutes, l’anthropologue tente de faire partager son amour pour « un pays adorable mais abîmé ». L’Afghanistan est « un diamant » dont il faut comprendre les multiples facettes pour mieux appréhender la situation des otages.

À en croire Georges Lefeuvre, les deux journalistes auraient par ailleurs un peu de chance dans leur malheur : « La province de Kapisa où sont retenus Hervé et Stéphane n’est pas la pire. Un otage restera toujours un invité aux yeux des Pachtouns. Je n’envie pas leur sort, mais ils sont sûrement plutôt bien traités. »

Des briques et des rêves

Après ce long discours, place à un nouvel invité : Youssef Charifi. Ce producteur présente un extrait de la série documentaire Les Enfants de Kaboul : « Des briques et des rêves est un film tourné en 2008 dans le cadre des ateliers Varan, un organisme qui forme des réalisateurs. Ici, il est question du travail des enfants. »

Pendant 25 minutes, le spectateur suit Abdullah, 13 ans. Ce garçon est issu d’une famille nombreuse et pauvre. Il n’est jamais allé à l’école et travaille dans une briqueterie depuis trois ans. « C’est un métier dangereux, confie-t-il. Une brique peut tomber du camion et nous casser le dos ou blesser nos mains. » Abdullah n’est qu’un adolescent parmi tant d’autres, dans un pays où le travail des enfants reste la règle.

Des enfants qui ont souvent des rêves plein la tête. L’un veut devenir docteur, l’autre ouvrir un salon de thé, le troisième se verrait bien ingénieur. Mais ces moments d’égarement sont de courte durée. La briqueterie rythme leur vie. « Les gens qui font ce genre de boulot devraient faire des études, regrette Abdullah. Leurs parents devraient penser à eux pour ne pas gâcher leur avenir. Plus tard, je voudrais ne plus travailler. »

Quid du débat ?

Le film laisse certains songeurs tandis que d’autres profitent du retour des lumières pour s’éclipser. 19h55, la salle a perdu la moitié de ses effectifs. Il reste cinq minutes pour conclure. Exit le débat. À la place, les auditeurs sont invités à se rendre dans le hall du cinéma pour goûter une « cuvée spéciale otages ». « Cette initiative des vignerons et du comité est destinée à remonter jusqu’aux parlementaires, explique Sophie Pille. Comme ça, s’ils boivent ce vin, ils auront l’image d’Hervé et Stéphane à l’esprit. »

Les derniers invités prennent la parole à tour de rôle. Jean Kouchner, correspondant de Reporters Sans Frontières à Montpellier, intervient : « Quand le pays est loin, on a souvent l’image d’un gros pâté rempli de barbares. Pourtant, ce sont des hommes et des femmes qui vivent là. C’est justement cette réalité qu’ont voulu voir Hervé et Stéphane. Ils ont quitté leur convoi militaire pour montrer la complexité de l’Afghanistan. »

Face aux dernières personnes présentes dans la salle, Benoit Califano relativise : « Nous n’étions certes pas très nombreux ce soir, mais Montpellier a montré son soutien. Si personne n’avait bougé, les portraits des otages ne seraient pas tous les jours dans les médias, poursuit le directeur de l’École Supérieure de Journalisme de Montpellier, avant de conclure : Quand on fait du ramdam ici, notre voix porte là-bas. »

Otages : ne les oublions pas

Ce lundi 25 octobre est marqué par un bien triste anniversaire. Hervé Ghesquière, Stéphane Taponier et leurs trois accompagnateurs sont retenus en Afghanistan depuis 300 jours maintenant.

Les deux journalistes de France 3 ont été enlevés dans la vallée de Kapisa, au nord-est de Kaboul, alors qu’ils réalisaient un reportage pour le magazine Pièces à conviction. Une détention plus longue que celles, très médiatiques, de Christian Chesnot, Georges Malbrunot (124 jours en Irak en 2004) et Florence Aubenas (157 jours en Irak en 2005).

Une campagne de discrédit

Aujourd’hui, personnalités et anonymes se mobilisent pour tenter de faire libérer les otages. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Des polémiques ont éclaté durant les premiers mois qui ont suivi le 29 décembre 2009, date de l’enlèvement. A l’époque, les hautes sphères de l’Etat avaient dénigré les deux hommes, jugés inconscients.

Fabien Namias, chef du service politique d’Europe 1, a révélé le 6 janvier 2010 le mécontentement du président de la République. Nicolas Sarkozy aurait manifesté sa colère en conseil des ministres et vivement critiqué le comportement des journalistes.
Le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant (42’40), s’est quant à lui indigné le 17 janvier contre la recherche excessive d’un scoop.

Un mois plus tard, c’est au tour du chef d’état-major des armées d’apporter sa pierre à l’édifice. A quelques jours de la retraite, Jean-Louis Georgelin (19’55) a enchaîné les maladresses au micro d’Europe 1. Il a entre autres révélé le coût exorbitant des recherches, s’élevant alors à plus de 10 millions d’euros.

Tollé parmi les confrères

Journalistes, associations et syndicats sont immédiatement montés au créneau. Les responsables de Reporters sans frontières ont exprimé leur révolte face à de telles déclarations. Ils ont rappelé que leurs confrères avaient été enlevés en exerçant leur métier. Un métier qui suppose parfois de prendre des risques pour accomplir un objectif louable : informer la population de ce qui se passe hors de ses frontières.

Il faut rappeler que les journalistes de France 3 étaient loin d’être inexpérimentés. Tous deux étaient habitués à travailler dans des zones difficiles. Hervé Ghesquière a notamment couvert la guerre en ex-Yougoslavie, au Rwanda et en Irak. Stéphane Taponier, caméraman, a pour sa part réalisé des reportages en Afrique, en Irak et s’est rendu plusieurs fois en Afghanistan.

Un soutien massif

L’appui de la profession a permis de lever l’anonymat des journalistes. Les otages ont depuis le mois d’avril retrouvé un nom, un visage et un CV. Ils sont alors devenus plus humains. Plus réels. Le soutien de l’opinion a logiquement suivi.

A présent, fini les polémiques. C’est à celui qui manifestera le plus fort son engagement. Et dans ce domaine, les hautes sphères du pouvoir ne sont pas en reste. Loin des critiques initiales, Nicolas Sarkozy s’emploie aujourd’hui à régler la situation. Edouard Guillaud, le nouveau chef d’état-major des armées, se montre quant à lui optimiste. Les journalistes ont été joints par téléphone en septembre dernier. Une libération avant Noël pourrait être envisageable.

D’ici-là, des actions sont prévues pour rappeler quotidiennement la détention des deux journalistes. Ce soir, France 3 diffusera en direct un concert de solidarité réunissant une pléiade d’artistes, de journalistes et d’animateurs. Il en aura fallu du temps pour que Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier retrouvent une crédibilité dans leur propre pays.