Halles Laissac: des tripes, des courges et du rouge

«Un matin de marché aux Halles», ce n’était pas exactement ce à quoi nous nous attendions. À la place des légumes chers et des commerçants aigris, à Laissac, nous avons trouvé une ambiance chaleureuse, des clients fidèles et bavards. Récit d’une crise de foie.

9h40, un matin de Beaujolais Nouveau, aux Halles Castellanes. Pas un chat, les commerçants semblent à peine se réveiller. Le reportage paraît d’ores et déjà compromis. Qu’à cela ne tienne, nous irons aux Halles Laissac. 9h50, arrivés sur les lieux, l’ambiance est toute autre. Le contraste avec les Halles Castellanes est saisissant. Une structure métallique qui semble crouler sous le poids des années, des commerçants qui s’activent à leurs besognes quotidiennes, et surtout, des clients qui flânent d’échoppe en échoppe. Si ces halles sont d’apparence précaire, leur histoire ne l’est pas.

Au détour d’un étal, Jeannine, jeunette de 78 ans, nous alpague: « Vous êtes nouveaux ici? » Une permanente blond Marilyn, un visage gaiement fardé, de grosses bagues à chaque main, un accent chantant du midi, Jeannine fait partie des murs. « Je viens ici tous les jours depuis que je suis petite. J’accompagnais maman aux commissions, et j’ai pris le relais ». On ne peut plus l’arrêter. On apprend rapidement qu’elle est cancer ascendant scorpion, qu’elle aime la viande chevaline et qu’elle travaillait en tant que secrétaire au Lycée Clémenceau. Derrière sa vitrine, une commerçante qui a suivi le monologue s’exclame «Vous êtes tombés sur la bonne!»

«La triperie, si ce n’est pas frais, vous ne tenez pas le choc»

Plus loin, Françoise s’affaire à ranger museaux et pieds de porc dans son présentoir. Elle tient la dernière triperie de Montpellier. Sa mère avait ouvert le magasin en 1958, et la fille a pris la relève en 1970. Elle nous explique brièvement le fonctionnement des halles: «Ici, on est tous locataires, on paie un loyer en fonction du m². Moi, je paie 750 euro par trimestre». Les clients se succèdent. L’un achète une tête de veau, le suivant deux cœurs de bœuf. Pour beaucoup, ce sera du foie ou du gras double. «La triperie, si ce n’est pas frais, vous ne tenez pas le choc,» explique la commerçante. Pour elle, c’est simple, elle se fournit chez son frère, qui a repris le poste de chevillard de son père.

En face, la tenancière de la maison Christopholi range potimarrons et salades dans ses paniers. Elle a un regard moins positif sur les halles que les autres commerçants. Selon elle, ce lieu devrait être détruit, ou au moins réhabilité. «Elles sont vraiment vétustes, et la clientèle vieillit. Les jeunes ne savent pas que les légumes sont moins chers ici qu’en grande surface». Mais elle reste optimiste sur un fait: avec les émissions culinaires qui ont le vent en poupe, elle compte bien sur un retour aux produits des terroirs. Aujourd’hui, selon elle, les habitudes changent, les consommateurs demandent de plus en plus des produits bio. «C’est très dur de faire du bio en France, avec la concurrence de l’Espagne du Maroc et d’Israël». Et de se désoler de la disparition des petits producteurs de proximité. Surtout qu’elle a pris un risque en prenant la succession de sa mère dans le commerce. «Avant, j’étais infirmière de bloc et j’ai repris les légumes pour des raisons sentimentales» lorsque sa mère est partie à la retraite.

«Je crois bien que cette année ils ont mis du raisin dedans!»

DSCF5778B.jpgIl est 10h30 et il nous reste le cœur des halles à visiter. Placé au centre, ouvert aux quatre vents, le bar est déjà occupé par une dizaine d’hommes, tous un ballon de rouge et un bout de pâté devant eux. Accoudés au bar, ils discutent, refont le monde. Dans notre souci de réalisme, nous nous joignons à la bande apparemment joyeuse pour comprendre l’essence des halles. Nous faisons la connaissance du taulier, Gérard. À peine les verres de Beaujolais Nouveau servis, il s’exclame «je crois bien que cette année ils ont mis du raisin dedans!». Très vite, nous nous faisons adopter par la clientèle du bar. Une première tournée est offerte: «ça vient des Corses, là-bas!» Les autres s’enchaînent rapidement: «celle-là, c’est de la part d’un de vos confrères journalistes». D’ailleurs ce dernier nous rejoint rapidement et entame la conversation. Il semble connaître le bar de longue date: «Ici, il y a la moitié des clients qui n’a pas de voiture, et l’autre moitié qui n’a plus le permis!» Une fois intégrés, nous pouvons questionner Gérard, qui travaille ici depuis une douzaine d’années. Les clients sont pour la plupart réguliers. Très tôt le matin, ce sont les commerçants qui viennent prendre le café, puis suivent «ceux qui vont au boulot». L’heure passe, notre sens journalistique s’évapore, nous voilà copains comme cochons avec la bande à Gégé.

Les halles Laissac, côté coulisses

Gérard, cafetier : « Faire évoluer la vie à l’intérieur des halles ».

P1370463-2.jpg Gérard, ancien pro de football, reconverti en coiffeur, tient, depuis 2004, la buvette « Chez Corinne ». L’enseigne est ouverte depuis l’inauguration du marché, en 1962. Le lieu est aussi le rendez-vous incontournable des halles : « Je démarre tous les matins avant
six heures ! Il n’y a que deux cafés du centre-ville qui commencent si tôt ».
Pour lui, les raisons de préférer les halles Laissac sont nombreuses : « Nous avons les meilleurs commerçants de toute la ville. Il y a une ambiance conviviale qui touche les clients. » Gérard est cependant conscient que le marché est déserté par les plus jeunes. L’homme est ouvert à l’idée de rénover ce lieu : « Je pense qu’il faut rendre la structure extérieure plus attirante. Les étages de parking sont une vraie verrue dans le centre historique… » Mais il fustige le manque d’initiatives de certains de ses collègues commerçants : « Il faut aussi faire évoluer la vie à l’intérieur, en proposant des animations. Le problème c’est que les autres commerçants attendent trop de la municipalité et ne proposent pas grand-chose de nouveau ».

Alain, le doyen de Laissac : « C’est agréable de travailler ici ».

P1370461-2.jpg Autrefois, les halles Laissac comptaient une dizaine de bouchers. Aujourd’hui, ils ne sont plus que trois. Alain Pons est l’un de ceux-là. Depuis vingt-trois ans. Ce qui fait de lui le plus ancien des commerçants des halles. Il a connu une autre époque, où les échoppes fleurissaient : « nous étions plus de soixante. Aujourd’hui, nous sommes vingt-trois. Les deux étages étaient remplis. Maintenant, les commerçants n’occupent que le bas ou préfèrent s’installer à l’extérieur.» Lui, préfère rester : « C’est agréable de travailler ici. Nous sommes plus proches de nos clients. Le contact humain est important ». De génération en génération, sa clientèle lui est fidèle : « J’ai servi les grands-parents, les parents et maintenant c’est le tour des enfants ». Pourtant, les jeunes couples se font rares. Faisant fi du vieillissement de sa clientèle, le boucher vante les mérites du marché couvert : « Comparé à un marché plein air, nos conditions de travail sont plus agréables. Par exemple, nous sommes à l’abri du vent. D’ailleurs, les portes coulissantes ne datent que d’une dizaine d’années. Notre plus grand avantage est que nous pouvons avoir une vie de famille à côté. Nous avons nos après-midi de libres. »

Emilie, une relève froidement accueillie.

flzeu-2.png Ouverte depuis le début du mois d’octobre, Emilie Argiolas, est critique sur l’ambiance aux halles : « La plupart des commerçants se connait depuis longtemps, et certains entretiennent d’anciennes rivalités. Ici c’est un peu chacun pour soi, et les nouveaux venus sont mis à l’écart. » En reprenant ce magasin, la jeune fleuriste sait que l’emplacement de son commerce maximise ses chances de réussir : « Le boulevard du Jeu-de-Paume est un passage obligé ». Reste que l’enseigne qu’elle a reprise avait besoin d’un sacré coup de neuf : « La majorité des magasins des halles a gardé une allure traditionnelle. J’ai voulu faire de ce lieu un fleuriste urbain, plutôt que de conserver l’allure d’un fleuriste de marché. »

Marie, nouvelle arrivante aux halles : « Je suis à 100% souriante dans la journée ».

P1370465-2.jpg Installée depuis le mois de mars, Marie, est l’une des dernières arrivées aux halles Laissac. Elle a repris un stand qui donne à l’extérieur du marché. L’intégration dans la famille des halles se fait petit à petit : « Je suis un peu à part parce que les autres commerçants se connaissent depuis des années. Il faut que je fasse ma place. Je suis à part aussi à cause de mon emplacement à l’extérieur ». Côté produits, la jeune femme mise sur la diversité « Je vends de l’huile d’olive, de la confiture, des fruits et légumes secs et du miel en plus des olives préparées. Ce sont à la fois des produits régionaux et de France. Mais certains viennent d’Italie, du Pakistan et d’Inde. » En hiver, les halles tournent au ralenti : « En ce moment c’est plutôt calme. Ce n’est pas pareil en période estivale où les gens prennent plus souvent l’apéritif. En été, ils sont attirés par l’odeur des olives et viennent me voir. » Pour attirer et fidéliser sa clientèle, un seul mot d’ordre : « Je suis à 100% souriante dans la journée. Il faut aussi aimer le dialogue, c’est important pour s’attirer des clients. C’est une des bases à connaître quand on fait les marchés. » Pour faire face à la baisse de la fréquentation, « il faudrait rénover la Halle, mais pour l’instant, les projets sont au point mort ».

Jean Michel, primeur : « Cela fait trois générations que l’on est sur place »

P1370470-2.jpg À son compte depuis 20 ans au marché Laissac, Jean Michel est la troisième génération de vendeurs de légumes installée ici. Autrefois, la distribution de commerces était bien différente : « Avant, les légumes se vendaient à l’étage. Lors de la construction du parking en 1990, nous nous sommes tous installés en bas ». L’avantage d’être installé aux halles est clair pour lui : « Je ne peux pas imaginer être dans un marché extérieur et ne pas pouvoir disposer du frigo et de toutes les installations ». La Halle a fait l’objet d’une rénovation très sommaire en 2000 : « On a eu un nouveau carrelage au lieu du béton, mais vous voyez bien l’état ». En effet, l’immeuble s’avère un peu vétuste. « Nous attendons de voir ce que la mairie décide en termes de rénovation » prononce – t-il avec un certain air d’inquiétude.

M. Martínez, charcutier : « Il y a beaucoup de clients qui viennent de Pérols, Lattes, St Jean de Védas… »

P1370469-2.jpg Pour M. Martínez, le petit plus des halles Laissac est son parking qui permet aux personnes des villages environnants de s’y rendre pour faire leurs courses. S’il est installé depuis 22 ans à Laissac, sa femme quant à elle, exerce la même activité aux halles Castellane : « là bas, on y travaille toute la journée, donc même si la clientèle n’est pas concentrée, c’est plus avantageux ». Ceci explique les loyers plus élevés en plein centre ville. Il exprime certaines craintes vis-à-vis de l’avenir : « On sait qu’il nous reste cinq ou six ans avant la construction du parking quartier St. Roch. Mais, à ce moment là, le garage de Laissac sera démoli. Impossible de savoir ce que l’on va faire de nous » Entre temps, il cherche à satisfaire les clients avec zèle : « J’ai des produits italiens, espagnols, français, des spécialités catalanes. Le client peut choisir » Au cours des années, les habitudes de consommation ont muté : « Avant les gens achetaient pour la semaine, en grandes quantités et des produits de base comme le lard, le foie, pour faire du foie gras. Maintenant ça reste rôti – jambon – saucisson. Il n’y a que pendant les jours de fêtes que les gens achètent des produits un peu différents ».