Fin janvier, un ponte du quotidien conservateur le Figaro, Yves Thréard, déclarait sans ambages ni faux-semblants : « Nicolas Sarkozy n’aime pas les journalistes, il les déteste même ». Le ton était donné.
« M. Sarkozy confond télévision publique avec télévision d’Etat »
Quelques jours auparavant, au cours de sa conférence de presse spectaculaire devant plus d’une centaine de journalistes, le président de la République a annoncé la suppression de la publicité dans l’audiovisuel public, effective dès le 1er janvier 2009, sans concertation avec les ministres et les directions concernés. Un manque à gagner de plus de 800 millions d’euros pour France Télévision qui a aussitôt fait réagir l’opposition, soupçonnant le président de favoriser par cette réforme, les affaires de groupes tel que le groupe Bouygues, propriétaire de TF1. Patrick Bloche, vice-président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale en charge des médias avait alors dénoncé un « jeu de bonneteau hasardeux consistant à déshabiller le service public pour venir à la rescousse des grandes chaînes privées dont les actions ont aussitôt décollé« .
Pour désigner le nouveau mode de financement de la télévision publique, la Commission Copé, regroupant, à parité, professionnels et parlementaires, a été mise en place. Ses conclusions, rendues le 25 juin, ont fait long feu, surpassées par la volonté présidentielle d’appliquer ses propres idées : Nicolas Sarkozy a fixé son propre calendrier (la publicité disparaitra entre 20h et 6h du matin dès janvier 2009 puis la mesure sera étendue au 1er décembre 2011 alors que la commission préconisait 2012). Pour financer le manque à gagner, le chef de l’Etat a décidé de taxer les opérateurs de téléphonie et d’Internet à 0,9 %, alors que la commission Copé proposait que cette taxe soit de 0,5 %.
Mais c’est la nomination du président de France Télévision en Conseil des ministres qui a provoqué le plus grand tollé. En lieu et place de l’actuelle nomination par le CSA, la procédure, qui accordera ce pouvoir à l’exécutif, prévaudra également pour la présidence de Radio France. « M. Sarkozy confond télévision publique avec télévision d’Etat. Il sera peut-être, demain, rédacteur en chef« , a dénoncé dans le Monde Arnaud Hamelin, producteur et président du Syndicat des agences de presse télévisées (Satev). L’indépendance des médias français, déjà fortement malmenée, encaisse là un nouveau coup dur.
Une séquence « off » du président crée la polémique
x5z26r&related=1Cette annonce coïncide avec la publication par rue89 d’une vidéo « off » du président avant une interview sur France 3. Dans ce témoignage, Nicolas Sarkozy semble rappeler qu’il est le patron du service public et promet du changement. « Ca va changer » répète-t-il énervé dans ce document. Fait-il référence à la présidence actuelle de Patrick de Carolis avec qui le ton est récemment monté ? Après avoir menacé de démissionner, le président de France Télévision s’est exprimé sur RTL : « Lorsqu’on dit qu’il n’y a pas de différence entre la télévision de service public et les télévisions privées, je trouve cela faux, je trouve cela stupide, et je trouve cela injuste ». Une sortie qui a fortement déplu à l’Elysée. Soi-disant conforté dans ses fonctions par Sarkozy, Patrick de Carolis reste ouvertement sur la sellette. Henri Guaino ne le nie d’ailleurs pas. Selon Le Monde, le conseiller du président confirme qu’une nouvelle nomination aura lieu après l’adoption de la loi. Même la majorité semble agacée par l’attitude présidentielle. « On ne peut pas s’attaquer à l’AFP et à France Télévision », se lamentait un député UMP.
Cette vidéo « off » de rue89 a également relancé le débat sur la protection des sources journalistiques. Après la demande de l’Elysée à rue89 pour que le site d’information détruise la vidéo, France 3 a ainsi porté plainte afin de découvrir la source qui a permis « la fuite » de cette séquence « off ». Une première en France : un média qui menace un autre média pour découvrir sa source. Fondateur du site menacé et ancien de Libération, Pierre Haski explique : « La lettre de l’avocat exigeait aussi que Rue89 révèle la source de ce document. Cette demande, sans précédent entre médias, avait provoqué de nombreuses protestations, notamment des journalistes et de la direction de la rédaction de France3 qui s’en sont désolidarisés. Rue89 avait refusé d’obtempérer, et la vidéo est toujours disponible ». L’usage veut que ce soit l’Etat qui perquisitionne des journaux pour trouver leurs sources. Le Canard enchainé peut en témoigner.
Protection des sources : une loi floue
En décembre dernier, le journaliste Guillaume Dasquié, spécialisé dans les enquêtes sur le renseignement, était mis en garde à vue à la DST. Au final, une mise en examen pour « détention et divulgation au public de renseignement ou fichier ayant le caractère d’un secret de la défense nationale ». « La garde à vue de Guillaume Dasquié met en relief le retard de la législation française, la plus rétrograde d’Europe pour la protection des sources des journalistes. L’article 109 du code de procédure pénale n’assure pas assez la protection des journalistes », expliquait alors Robert Ménard à Hautcourant.com. Promis dans son programme présidentiel, la nouvelle loi sur la protection des sources des journalistes a été adoptée le 15 mai en première lecture à l’Assemblée nationale. Aussitôt dénoncée par un cortège de juges, d’avocats et de journalistes, elle ne protège les sources que dans certains cas. Les journalistes satiriques espéraient une loi leur permettant de n’encourir aucune sanction devant un juge s’ils ne divulguaient pas leurs sources. Ils ont été déçus. « La justice aura le droit de rechercher l’origine d’une information de presse lorsqu’un « impératif prépondérant d’intérêt public » l’imposera, à titre exceptionnel, en cas de crime ou délit grave et si cela est absolument nécessaire à l’enquête », explique le site bakchich.info. Le flou de la formulation interpelle.
Après 14 mois de sarkozysme et de conflits politico-médiatiques, François Malye, secrétaire général du Forum des sociétés de journalistes (FSDJ), juge « qu’il y a une régression démocratique. On assiste à une reprise en main par des grands acteurs qui veulent mettre de l’ordre dans les médias ».