En retrait de la vie politique, Aurélie Filippetti n’en demeure pas moins une citoyenne engagée. Rencontrée à l’occasion du festival Cinemed qu’elle préside pour la troisième année consécutive, l’ancienne Ministre de la Culture de François Hollande se livre sans langue de bois sur hautcourant.
A la fin de l’année 2017, vous vous êtes mise en retrait de la vie politique. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Je suis toujours complètement en retrait de la vie politique. Je ne prendrai pas part aux débats dans la campagne pour les élections européennes. Il y a des moments où l’on doit être à l’intérieur de l’appareil politique parce qu’on peut faire avancer les choses. Et d’autres où l’on sait que, de toute façon, on ne pourra pas aller plus loin pour défendre ses idées. A ce moment là, il vaut mieux sortir et se mettre ailleurs.
Moi franchement je ne me verrai pas participer aux débats parlementaires tels qu’ils sont menés aujourd’hui à l’Assemblée. D’un côté, une majorité très godillot qui suit aveuglément tout ce qu’on lui demande de voter. De l’autre, une opposition qui doit faire de la communication à outrance pour exister. Moi ce n’est pas trop mon truc. Je trouve que pour l’instant il n’y a pas d’espace à gauche. Pas de parti qui pourrait me convenir.
Vous restez malgré tout une citoyenne engagée.
Tout à fait. Et je continue à prendre part au débat public. J’ai publié un livre il y a quelques semaines (NDLR : Les Idéaux). J’ai envie d’en écrire un autre dans l’année. Pour moi c’est la meilleure forme de participation au débat public. L’écriture engagée, c’est la vraie liberté.
Vous évoquez la “communication à outrance” utilisée par les partis d’opposition. Que pensez-vous des déclarations de Jean-Luc Mélenchon suite aux perquisitions effectuées au siège de La France Insoumise ?
Pour moi c’est justement une nouvelle opération de communication qui va encore fonctionner car on vit dans la société du spectacle. Je trouve choquant qu’un parlementaire s’attaque à la justice. Les juges d’instruction sont indépendants. Heureusement qu’il y en a en France. Bien sûr qu’il y a des pressions sur la justice mais le juge d’instruction, lui, est indépendant.
“Des donateurs ont été particulièrement généreux avec Macron”
Maintenant que Jean-Luc Mélenchon dise qu’il n’y a pas eu la même diligence vis à vis des financements de la campagne d’Emmanuel Macron ça c’est un fait. Bien sûr il y a des problèmes dans la campagne de l’actuel Président. Des donateurs qui ont été extrêmement généreux avec Macron et pas avec d’autres. Ça c’est problématique. Mais la manière dont Mélenchon a pris à partie la justice, ce n’est pas acceptable.
Il faut respecter l’institution judiciaire en général. Si on commence à s’y attaquer, on ne peut pas après critiquer Marine Le Pen quand elle tient des discours contre la justice. Sinon c’est deux poids deux mesures.
La 40e édition de Cinemed que vous présidez met à l’honneur le Liban, un pays qui traverse une importante crise migratoire. Comment jugez-vous le comportement des Européens face à ces problèmes ?
Je trouve que l’Europe n’assume pas du tout ses responsabilités. Sans doute la France encore moins que les autres.
On a accueilli beaucoup moins de réfugiés que les autres pays européens par rapport à notre population. Sur les 190 000 migrants qu’on reçoit chaque année, on ne compte que 36 000 réfugiés de plus. En moyenne, ça fait un par commune. C’est vraiment rien du tout.
“On a aucune leçon à donner à l’Italie”
Il faut avoir conscience que cette crise aurait pu arriver aussi chez nous. Elle nous est arrivée dans le passé d’ailleurs. On doit absolument être solidaires de ces peuples mais aussi des pays qui sont touchés par la crise migratoire.
Comme l’Italie de Matteo Salvini ?
L’Italie a été en première ligne et les autres pays européens l’ont laissée se débrouiller. On a laissé notre frontière fermée et maintenant on vient donner des leçons aux Italiens en leur disant “vous avez voté pour un facho.” On a aucune leçon à donner à l’Italie.
L’arrivée au pouvoir de l’extrême droite est la conséquence de l’incurie de l’Union Européenne. De son absence totale de responsabilité et de solidarité à la fois vis-à-vis des migrants et des pays de l’UE les plus exposés à cette crise.
Vous avez été Ministre de la Culture pendant deux ans. Depuis quelques jours, c’est Franck Riester qui occupe ce poste. Quels sont les principaux enjeux auxquels il devra faire face ?
Je le connais car il était député en même temps que moi et il a suivi tous les dossiers culturels depuis plusieurs années. Donc voilà on verra. La véritable question c’est celle des moyens qu’on va donner à la culture.
Il faut que la culture soit une priorité pour le gouvernement et pour le Président de la République. C’est indispensable. On a besoin d’avoir une politique culturelle à la hauteur de l’image que renvoie la France dans le monde.
Je trouve que depuis plusieurs années, on n’accorde pas à la culture la place et les moyens qu’elle mérite.
Propos recueillis par Camille Bernard et Boris Boutet