Dette publique en Afrique : la colonisation est-elle réellement révolue ?

Il y a 22 ans, le 15 octobre 1987, le président du Burkina-Faso, Thomas Sankara était assassiné. Il voulait crier trop fort ce qu’il pensait notamment de la responsabilité de la dette de l’Afrique dans la situation économique, sociale et politique du continent. Il a ouvert une prise de conscience, mais la situation reste inchangée.

Février 1885, les États européens (France, Grande-Bretagne, Italie, Belgique, Espagne, Portugal) se réunissent lors de la conférence de Berlin pour décider, non sans débats, le partage de l’Afrique et sa colonisation. L’objectif affiché est « humanitaire » : «Il faut dire ouvertement que les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures», explique Jules Ferry, alors porte-parole de la gauche républicaine, quelques mois plus tard.

Il faudra ensuite attendre les années 1950 et 1960 pour que les pays africains obtiennent tour à tour leur indépendance. Une indépendance officielle.

En quittant le continent, l’occident leur a laissé la dette octroyée pour la bonne marche de la colonisation. Une dette à régler aux grands organismes financiers mondiaux : le FMI (Fonds Monétaire International) et la banque mondiale. Une dette qualifiée de multilatérale.

En parallèle, une seconde dette a déjà été mise en place, celle de l’aide publique au développement, qui n’est pas un don, mais un prêt à rembourser. Une dette bilatérale cette fois, émanant de politiques publiques des pays développés. En apparence à la manière du plan Marshall américain pour aider l’Europe après la seconde guerre mondiale. Mais, selon Thomas Sankara, «on nous a présenté des dossiers et des montages financiers alléchants. Nous nous sommes endettés pour cinquante ans, soixante ans et même plus. C’est-à-dire que l’on nous à amenés à compromettre nos peuples pendant cinquante ans et plus».

C’est en grande partie grâce à ses richesses naturelles que l’Afrique rembourse. Le Mali et le Burkina-Faso exportent le coton, le Congo la banane notamment. Mais il faut se nourrir. Et les pays importent ensuite les produits finis conçus avec leurs matières premières exportées. Même constat pour le pétrole. Au Nigeria, plus grand producteur d’or noir africain, aucune raffinerie ne fonctionne. Selon Eric Toussaint, historien et politologue, la dette est un des principaux facteurs de la pauvreté dans le continent. «On empêche notamment le développement des producteurs locaux» et donc l’indépendance économique des pays, explique t-il.

Il a crée en 1990 le Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde (CADTM). Il reprend les réflexions revendiquées par Thomas Sankara dans son discours en juillet 1987 à Addis Abeba, trois mois avant sa mort :«La dette sous sa forme actuelle, est une reconquête savamment organisée de l’Afrique(…). Faisant en sorte que chacun de nous devienne l’esclave financier, c’est-à-dire l’esclave tout court, de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la fourberie de placer des fonds chez nous avec l’obligation de rembourser. (…) Si nous payons nous allons mourir».

En 1999, le CADTM fait une pétition qui obtient 17 millions de signature en faveur de l’annulation de la dette. Présentée au G8 de Cologne la même année, la France et la Grande-Bretagne s’engagent à annuler 90% de la dette bilatérale des pays africains. Dix ans plus tard, «des allègements ont été effectués, mais ils sont loin d’être suffisants», souligne Eric Toussaint.

Peu d’efforts également ont été consentis par le FMI et la banque mondiale pour la dette multilatérale. En 1996, ils acceptent un allègement de la dette de 42 pays, dont la plupart en Afrique. Une condition cependant : les pays doivent prendre des « mesures d’ajustement structurel ». A savoir, la privatisation des entreprises publiques, de l’éducation, de la distribution de l’eau… Le Mali, le Mozambique et l’Ouganda ont ainsi réduit leur endettement, tout en réduisant encore leurs chances de développement social.

Se libérer du joug de la dette ne suffira pourtant pas. Une volonté politique sera nécessaire au sein des pays africains pour un développement endogène, et indépendant des importations. «Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, relève Éric Toussaint, les dirigeants ont tout intérêt à maintenir leur pays en état de soumission des aides publiques, aides grâce auxquelles ces derniers accumulent des richesses».

Au sein des populations locales, des manifestations sont régulièrement organisées pour dénoncer « cette colonisation financière » et la complicité des dirigeants africains, mais la situation a peu évolué. Au Zimbabwe, lors des élections présidentielles de mars dernier, de nombreux opposants au président dictateur sortant Robert Mugabe avaient été tués. Son adversaire Tsvangiraï s’était retiré avant le second tour, laissant le libre-arbitre au chef d’Etat.

De son côté, l’occident a d’autres responsabilités, Angolagate, dettes privées… qui assoient leur mainmise sur la situation économique, sociale et politique du continent africain.

Dépigmentation de la peau : au-delà du complexe, des raisons…complexes

Les crèmes pour éclaircir la peau connaissent un essor inquiétant en Afrique. Des produits utilisés en médecine pour traiter des cas graves d’allergies, de chocs hémorragiques… Mais ayant découvert qu’ils dépigmentent, les gens en font un usage abusif, dangereux pour leur santé : problèmes dermatologiques, maladies graves…On suspecte aujourd’hui des conséquences gynécologiques pour les femmes. Le Docteur Fatimata Ly, présidente de l’association internationale d’information sur la dépigmentation artificielle (AIIDA), a organisé une journée de sensibilisation le 17 mai dernier au Sénégal et fait le point sur Afrik.com. Une pratique qui malgré les dangers prend de l’ampleur et dont les causes demeurent complexes.

On suspecte fortement les corticoïdes, présentes dans les produits éclaircissants, d’entraîner des accouchements de bébés avec un plus petit poids de naissance, des risques de stérilité… Fatimata Ly reste néanmoins prudente. Selon elle, il faudrait réaliser d’autres études pour prouver les conséquences gynécologiques. En tout cas, les dangers pour la santé sont multiples (hypertension, diabète, problèmes osseux, cécité…). Selon une étude réalisée en 2004, par une équipe de dermatologues à Bobo-Dioulasso, au Burkina-Faso, sur 100 femmes, 50 utilisent des produits dépigmentants. « Le phénomène a pris tellement d’ampleur qu’il est devenu le troisième problème de santé publique dans ce pays, après le paludisme et les maladies respiratoires », affirme le Docteur Andonaba.

Quant à Mulumba wa Tshita, chimiste au Service de toxicologie à l’Institut national des recherches biologiques en RD Congo, ce dernier a affirmé le 29 mai à l’agence Panafricaine de presse (PANA) : « les utilisateurs des produits de dépigmentation, nombreux en RD Congo, s’exposent à plusieurs complications dermatologiques, dont le cancer de la peau et d’autres tumeurs. » Plus choc encore : « sur 250 personnes qui se dépigmentent, il a été enregistré 5 cas de décès. La dépigmentation tue », a lâché le Docteur Thierno Dieng, de l’Hôpital le Dantec à Dakar (Sénégal) le 17 mai, à l’occasion de la conférence nationale sur le sujet.

crédit photo : www.congoforum.be

Filières parallèles

Au-delà de ces maladies, la peau déguste : acné, brûlures, mycoses, eczéma… Les femmes souffrent de cicatrisations difficiles. Et voient leur peau décliner en plusieurs teintes au gré des agressions solaires. Devenue trop fragile, elle se couvre de taches noires, et rend difficile une intervention chirurgicale au cas où la personne a un problème. Et dans certains cas, les allergies entraînent le pire. La pathologie dermatologique est la deuxième cause de mortalité après le paludisme au Sénégal. Les femmes pratiquant la dépigmentation utilisent des produits contenant de l’hydroquinone (substance qui colorie la peau) à forte concentration. La dose à usage médical ne doit pas dépassée 2 %. Certains produits vont jusqu’à 22 %. Un arrêt à temps peut éviter certaines conséquences lointaines et minimiser les séquelles déjà installées sur la peau, sans les supprimer totalement. Interdite dans l’Union européenne depuis février 2001 (elle provoquerait le cancer), on trouverait pourtant à Paris, dans certains marchés, des produits contenant de l’hydroquinone.

Au Sénégal, la dépigmentation est interdite chez les élèves des cours élémentaire, primaire et secondaire. Mais rien n’est fait contre la vente des produits à base d’hydroquinone. Les spécialistes sénégalais de la peau ont appelé en 2000 déjà, le gouvernement à interdire l’importation des produits éclaircissants (en provenance de Grande Bretagne, des Etats Unis, du Nigeria, du Pakistan…). Une mesure de ce type a été prise en 1995 en Gambie et en 1992 en Afrique du Sud. Les résultats restent mitigés car des filières parallèles d’approvisionnement se développent. « En RD Congo, le ministère de la Santé publique a déjà interdit la vente et l’usage de produits à base d’hydroquinone sur les marchés, voire même la publicité de ces produits à la télévision. Mais les fabricants et les médias font la sourde oreille », déplore le chimiste Mulumba wa Tshita.

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Eau de javel

La dépigmentation de la peau daterait de la seconde guerre mondiale selon Togosite.com. Les militaires noirs américains, basés en Asie du Sud, ont découvert que les femmes asiatiques utilisaient des produits pour obtenir un teint laiteux et plus clair. Ils auraient « rapporté ces crèmes dans leurs bagages pour leurs sœurs, mères ou épouses en quête de nouveautés cosmétiques ». Les noires américaines auraient vite emboîté le pas aux Asiatiques, notamment pour éliminer des problèmes de résidus d’acné, de cicatrices, de taches ou pour unifier leur teint. Pas de débats sur la dépigmentation en Amérique, car l’usage de ces crèmes ne sert apparemment pas en général, à camoufler un problème d’identité. Sauf l’exemple de Michael Jackson, mais ce cas relève d’une « pathologie personnelle ».

Sur le continent africain, paradoxalement dans les pays où le concept de négritude est le plus exacerbé, la dépigmentation est devenue plus problématique. Surtout en Afrique francophone, au Sénégal et au Congo (où beaucoup d’hommes s’éclaircissent la peau également). Le phénomène de dépigmentation est apparu en Afrique à la fin des années 60. L’éclaircissement de la peau par différents procédés est désormais pratiqué dans plusieurs régions (Togo, Mali, Afrique du Sud). C’est par les hôtesses de l’air puis des femmes d’affaires qui ont séjourné aux Etats-Unis, que les éclaircissants ont d’abord été introduits en Afrique, auprès d’une classe sociale privilégiée.

Initialement citadine, la dépigmentation s’est répandue dans les campagnes. Ce qui soulève un autre problème. Les produits cosmétiques à base d’hydroquinone, sont les moins chers donc beaucoup plus utilisés par celles qui n’ont pas de grands moyens. Et selon le Dr Andonaba, leur utilisation requiert une préparation préalable de la peau pour accélérer l’éclaircissement et obtenir un teint uniforme. Pour cela, les plus démunies élaborent des mixtures pour le moins « décapantes ». Les femmes utilisent de l’eau de javel pour se frotter la peau dans le but d’éliminer la mélanine [[Cellules qui produisent du pigment noir et protègent la peau contre les rayons solaires et les cancers de la peau]] qui se trouve en surface, avant d’appliquer le produit qui se chargera de la destruction de la mélanine en profondeur.

« Etre plus clair comme les métis oui, comme les blancs, non. »

Naomi Campbell, le modèle...

Les causes de cette pratique n’ont pas pu être définies exactement. Pourtant, Ferdinand Ezembe, psychologue à Paris spécialisé dans la psychologie des communautés africaines, l’affirme : « cette attitude des noires par rapport à la couleur de leur peau, procède d’un profond traumatisme post-colonial. Le blanc reste inconsciemment un modèle supérieur. Pas étonnant dans ces conditions qu’un teint clair s’inscrive effectivement comme un puissant critère de valeur dans la majeure partie des sociétés africaines ». Le site Grioo.com [[Créé en 2002, Grioo.com est un site qui traite à la fois de l’actualité de la communauté afro mais aussi de son Histoire. Il propose des brèves, des articles et des forums de discussion sur le continent et les communautés d’origine africaine dans le monde]] va très loin. « Toute personne de race noire qui se dépigmente la peau est un grand complexé, qui a complètement honte d’être né noir. Il serait vraiment temps que les africains et particulièrement nos sœurs africaines se reprennent et soient fières de leur peau afin de mieux revendiquer leur identité culturelle. Si cela n’est pas, nous nous acheminons vers une auto-extermination de la race noire. Tous nos actes et pensées sont singés, mimés sur l’Occident et l’Amérique. Pour tout dire, la dépigmentation de la peau soit-elle à outrance ou pas est une véritable aliénation culturelle ».

Grioo.com cite pourtant le Dr Fatimata Ly, toujours nuancée, qui souligne de son côté que si la principale motivation des femmes est d’ordre purement esthétique avec 89 % des cas, 11 % des femmes ont recours à cette pratique dans un but thérapeutique. Et 41 % des femmes sont souvent guidées par « un suivi de la mode ainsi que par l’imitation des relations ». Pour la présidente d’AIIDA, « les arguments souvent brandis comme l’acculturation ne sauraient être considérés comme des explications plausibles ». Les femmes interrogées déclarent s’adonner à la pratique de l’éclaircissement et non au blanchissement. L’image du blanc comme modèle à suivre, est souvent réfutée par les adeptes de ces produits blanchissants, souligne Togosite.com dans un article mettant en garde contre la dépigmentation. Mais qui date déjà de 2006. « Etre plus clair comme les métis oui, comme les blancs, non. Quand tu es claire de peau, les hommes t’apprécient », témoigne Nabou. Angèle réfute l’accusation d’aliénation : « Je le fais un peu car ma peau n’est pas nette, tout simplement ».

Alors souci d’esthétisme, suivisme, méconnaissance ? Dans tous les cas, la dépigmentation volontaire ne concerne pas seulement la femme africaine même si elle est très répandue chez elle. Les asiatiques, les indiennes, les magrhébines, les afro-américaines et certaines antillaises la pratiquent également. Et nous, européens qui voulons à tout prix nous bronzer, nous transformant en lézards de plage, nous exposant dangereusement aux rayons et aux coups de soleil. Pour certains, crèmes auto-bronzantes ou monoï toutes ! Voir séances d’UV. Le monde à l’envers.