L’ADN de la télévision publique

Cet ADN souffre de n’être que partiellement déchiffré. Si son importance est largement reconnue, les experts divergent quant à la façon de l’identifier. Le public a été mis à contribution.

«De l’exception culturelle à l’exécution culturelle»

C’est le slogan que brandissent depuis quelques temps (en 2007, suite au report d’un décret voté dans le cadre de la télévision du futur, en 2008, au festival international de la production audiovisuelle (FIPA) de Biarritz) les professionnels de la création.
Pourtant les déclarations d’intention ont été nombreuses dans le sens d’un intérêt accru à la création. Outre celles émanant du gouvernement, on peut noter la volonté affirmée d’ « assurer la promotion de l’exception culturelle » dans les vœux 2008 du président du conseil supérieur de l’audiovisuel. Le même Michel Boyon qui, dans les colonnes du Monde du 12 mars dernier réaffirmait « la vocation du service public comme haut lieu de la création audiovisuelle ». Au forum Télérama sur le big bang de la télévision du 27 mars dernier, Patrice Duhamel précisait que France Télévision a «un devoir d’audience, un devoir de qualité et donc un devoir d’audace» .
L’idée de préserver l’exception culturelle n’est pas nouvelle. On la retrouve déjà en 1993, dans les réflexions de la commission Campet sur le service public. En 2006, le directeur général de France Télévision , Patrice Duhamel, affirme « le documentaire, c’est l’une des marques de fabrique, l’ADN de la télévision publique » « nous y insistons énormément ».

Qu’en est-il dans les faits ?

«Le but de la réforme n’est pas d’exacerber les tensions entre chaînes publiques et privées, rappelle Christine Albanel au forum Télérama, mais au contraire de clarifier les règles du jeu». Des enquêtes ont été effectuées afin d’expliciter l’identité propre de chacune d’elles . L’Acrimed, du 12 au 18 septembre 2007 a réalisé un « coup de sonde » entre les programme de TF1 et France 2. Deux chaînes qu’a choisi d’interroger du 2 au 29 février 2008, la rédaction du Nouvel Observateur[[Le nouvel Observateur du samedi 8 au vendredi 14 mars 2008]]. Quel constat ? Des différences « non flagrantes » pour l’Acrimed, un phénomène de « persistance rétinienne » qui fait oublier les distinctions pour le Nouvel Observateur. Dans les deux études, ce sont pour les magazines d’information et les documentaires que les variations sont le plus convaincantes.
Cela suffit-il à conforter les opinions du premier ministre sur les ondes de RTL qui dit ne pas voir de différences ente la télé publique et la télé privée ? Ou faut-il affiner l’analyse en se référent aux indications de la ministre de la culture et de la communication qui affirme sur France Culture «non ! (il n’y a pas beaucoup de choses à revoir dans le cahier des charges de la télévision publique) il y avait beaucoup d’éléments qui allaient dans le très bon sens» .

La parole au public, cet inconnu

Thierry Curtet sur le blog sauvons la télé.com- souligne que «ceux qui critiquent la télévision sont ceux qui ne le regardent pas » .
Qui sont les téléspectateurs ? Brigitte le Grignou, dans « du côté du public, usages et réception de la télévision » [[Du côté du public, Usages et réceptions de la télévision, Economica, Paris, 2003]] révèle « tandis que s’accumulent les données sur l’audience, le public, quant à lui demeure inconnu [[Ibid, p.60]] ». Après avoir rappelé qu’en France, la recherche sur le public menée par l’industrie télévisuelle est le fait d’une société privée : Médiamétrie (détenue par les chaines, les radios et centres d’achat d’espace publicitaire), elle précise « ce sont alors les clients qui définissent les méthodes et les outils, mais aussi l’objet à étudier en fonction de leurs intérêts respectifs ». Ce faisant elle invite à s’interroger sur la domination des mesures quantitatives. Celles qui sont issues de critères sélectionnés a priori. Il faut savoir les compléter par des méthodes qualitatives qui sauront recueillir l’expression du public.
L’idée de la consultation de «ceux qui regardent la télévision» a trouvé à se concrétiser via la toile. Christine Albanel a lancé un forum de discussion autour de la problématique télévision publique, vers un nouveau contrat de service public. Forum clos à présent que le site cma-telepublique propose de prolonger . L’idée a essaimé : blog sauvons la tele.com, France 3, enquêtes de Télérama etc.
Si les jugements sont divers, une question revient souvent : comment concilier une télévision de qualité qui soit en même temps populaire ? Elle en appelle une autre. A quelle aune mesurer la qualité de la télévision publique ? Philippe Lefait, le présentateur des mots de minuit, interrogé sur Médiapart donne un élément de réponse « la pseudo logique mercatique ne disparaît avec la publicité que si l’on juge une chaine publique comme on note du patinage artistique. Une note technique (l’audience), pondérée par une note artistique (la qualité des programmes). La direction du groupe France Télévision a d’ailleurs mis en place il y as six mois un outil de ce type , la qualimat, qui doit être consacré de la même façon que l’est l’audimat aujourd’hui. s’il n’est pas sacralisé dans les textes, les lobbies et les amis médiatiques du président Sarkozy parviendront à le remettre en cause».

Le réalisateur, le producteur et le diffuseur

Ils sont trois acteurs principaux du scénario de la création audiovisuelle. Condamnés à évoluer de concert, leur entente est parfois proche de celle décrite par Sergio Leone dans The Good, The Bad and The Ugly. Un documentariste, un producteur et un diffuseur ont accepté d’expliciter leur rôle et de réagir aux annonces de Nicolas Sarkozy .

Laure Pradal est documentariste

Elle a travaillé pour l’émission Strip-Tease et réalisé de nombreux documentaires diffusés sur Arte, France 2 et France 3.
Ce sont « des documentaires d’auteur, avec une écriture orientée vers la fiction. J’ai réalisé surtout des films personnels, seulement cinq commandes, c’est alors moi qui écris le scénario . Le diffuseur ou le producteur commande uniquement le sujet ». Elle explique que dans son travail, le repérage est très important. Pour un documentaire de 13 minutes, il peut prendre 6 mois. Il faut obtenir toutes les autorisations. Le réalisateur doit donc savoir « mener plusieurs projets en parallèle ». Laure Pradal confie « le plus déplaisant est peut-être l’incertitude liée à ce métier, le statut d’intermittent est un atout en France, par rapport à d’autres pays, mais il est toujours menacé ».
Pour elle « le producteur idéal est celui qui a une culture documentaire importante, qui connaît parfaitement le travail de l’auteur pour pouvoir séduire les diffuseurs. Il doit avoir un regard extérieur pour juger le travail de l’auteur, tout en lui laissant une grande liberté créative ». Interrogée sur les phénomènes de concentration dans la production, elle répond « Il y a bien sûr de grosses productions qui ont le monopole mais les diffuseurs veillent à travailler avec des boîtes plus petites et en province. Ils travaillent souvent davantage avec des réalisateurs qui se sont fait un nom qu’avec des inconnus ». Laure Pradal veut gagner plus d’indépendance «je vais travailler avec la production de mon frère: Manuel Pradal, cela deviendra une structure familiale. Des réalisateurs comme Agnès Varda ont depuis très longtemps leur propre production».
Au sujet de l’annonce concernant la suppression de la publicité sur les chaînes publiques, elle réagit : « Ce qui est en danger est tout ce qui touche à la culture, l’espace de création va être de plus en plus limité, l’intermittent de plus en plus marginalisé ».
La qualité de la télévision publique en France ? « Seules quelques cases, très tard le soir ». Laure Pradal est d’accord avec l’idée que les grosses productions peuvent servir de vitrines « si elle entraînent le spectateur dans une curiosité vers le genre documentaire. Mais cela peut avoir un effet pervers, le spectateur peut devenir accroc à ce genre de films avec des artifices permanents. Son mode de pensée ne lui permettra alors plus d’accéder à des films plus austères ».

Laure pradal

Marie-France Dewast travaille pour ADL Production

Cette société est implantée à Montpellier. Marie-France Dewast l’a rejoint il y a quatre ans. Elle en est la productrice déléguée. ADL produit des documentaires de création.
Une dizaine d’auteurs lui ont soumis leur projet. Elle en a produit trois (deux étant diffusés à la télévision, un troisième en circuit associatif). Lorsqu’on l’interroge sur sa profession à travers une citation de Catherine Humblot « la plupart des sociétés de production fonctionnent sur un mode artisanal… les producteurs sont des gens passionnés, susceptibles et en perpétuel danger financièrement » sa réponse est laconique « je suis d’accord avec elle » .
Didier Mauro [[Le documentaire, Cinéma et télévision, Dixit, Paris, 2003]] remarque que les sociétés de production spécialisées en documentaire sont dix fois plus nombreuses (650) qu’il y a vingt ans. Ce sont souvent de petites structures qui prennent des risques financiers. « L’apport de la Société de production dans le montage financier d’un film varie de 5 à 20 %, en industrie le plus souvent » explique Marie-France Dewast . La recherche de financements est une partie importante du travail des producteurs. Marie-France Dewast rajoute « mais pas la seule, car ce travail ne se fait que si on adhère au projet d’un auteur et qu’on décide de s’y investir à fond – et souvent à fonds perdus ! » . Il commence par la réécriture du sujet très souvent, et par des conseils à l’auteur. Il continue avec la recherche d’accords avec un diffuseur. «Les chaînes publiques sont des partenaires recherchés mais très convoités» .
Interrogée sur les ventes à l’étranger, elle explique « les ventes à l’étranger sont rares et chères : d’abord il faut faire traduire les dialogues, les sous-titres en langue étrangères sont assez coûteux ; les démarches également, car il faut se rendre sur les marchés, type festival en France et à l’étranger… on pratique plus fréquemment les ventes aux chaînes du câble ou à des locales ».
Consultée sur son ressenti après l’annonce de la suppression de la publicité sur les chaînes publiques, Marie-France Dewast s’interroge « tout est lié aux compensations qui seront garanties, et, qui paiera ? » elle ajoute « mais, je ne suis pas contre une chaîne publique sans publicité ».
Sa définition d’une télévision de qualité ? « diversité et chance aux nouveaux venus en préservant les auteurs plus expérimentés qui ont des choses à nous apprendre ».

L'asile du droit. Documentaire produit par Marie-France Dewast

Tiziana Cramerotti est la responsable de l’antenne et des programmes de France 3 Sud

Tiziana Cramerotti explique que sur les 200 à 250 projets qu’elle reçoit chaque année, une vingtaine sont retenus. Lorsqu’on lui pose la question des critères, elle précise « il s’agit de documentaires ancrés dans la région, tous les thèmes sont ouverts, ils sont parfois liés à un événement. Par exemple, l’année dernière, à l’occasion du mondial de rugby, trois documentaires ont été diffusés. Dans ce cas précis, 18 mois d’anticipation ont été nécessaires ».
Si le nombre de projets qui lui parviennent est suffisamment important pour permettre une offre diversifiée, il arrive à Tiziana Cramerotti de proposer des sujets. Ayant une formation de linguiste, elle a un jour trouvé intéressant de chercher à « identifier quels étaient les gens qui, à travers le temps, avaient forgé l’accent du Sud Ouest ». Elle ajoute « dans ce cas précis, cela s’est fait de façon très informelle, j’ai eu l’occasion d’en parler autour de moi, et, d’un intérêt commun avec un réalisateur est né la documentaire Drôle d’accent».
Concernant le goût du public, il n’y a pas d’enquête d’opinion . Tiziana Cramerotti explique que « les retours que font sur le site Internet les téléspectateurs sont le plus souvent encourageants et enjoignent à continuer ainsi ».
France 3 Sud s’inscrit dans le projet du documentaire dès le départ, par un contrat de coproduction. « La chaîne participe à un échange éditorial avec le producteur et le réalisateur » renchérit Tiziana Cramerotti, avant de préciser que la part de la chaîne dans le budget total du film est de l’ordre de 25% en moyenne.
Interrogée sur les récentes déclarations de Nicolas Sarkozy concernant le financement des chaînes publiques, elle répond qu’« en attendant plus de précisions, rien ne change » . Quant à sa conception de ce que doit être une télévision de qualité, elle affirme « une télévision attentive à la vie des citoyens dans leur quotidien, aussi bien dans leurs affaires de travail, de famille, d’amour, de connaissance mais aussi de repos et de loisirs. Une télévision qui sait prendre l’individu dans toutes ses composantes et qui est rigoureuse dans son travail ».

Graine d'espoir. Documentaire diffusé sur FR3

Documentaire et chaînes publiques

Si un « genre » de l’audiovisuel français peut s’interroger sur les nouveaux dispositifs en matière de financement des télévisions publiques, c’est le documentaire.

Olivier Mille, président de la commission d’aide à la création télévision Procirep, rappelle «le secteur public finance une part importante de la fiction et de l’animation et la totalité du documentaire» [[ Ecran Total n° 678, oct 2007]] L’apport des chaînes publiques dans le documentaire s’élève à 99,8 millions d’euros en 2006, soit un taux de financement de l’ordre de 45,2% [[Chiffres CNC]]
Le budget d’un documentaire de 52 minutes destiné à une chaîne hertzienne coûte en moyenne 150 000 euros . Dans ce budget, plusieurs acteurs interviennent selon un scénario très précis.
Scénario qui met en lumière la dépendance du documentaire envers la manne des chaînes publiques.
Pour financer un documentaire, trois acteurs sont indispensables : un diffuseur (dans ce cas les chaînes publiques), un producteur, et l’Etat (via le Cosip/CNC, compte de soutien à l’industrie des programmes audiovisuels) . Le Cosip, crée en 1986, est selon Didier Mauro, auteur de « Le documentaire, Cinéma et Télévision »[[ Le documentaire, Cinéma et télévision, éditions Dixit, Paris, 2003]] « le principal bailleur de fonds du documentaire » . Il est alimenté par une taxe sur la redevance et les recettes publicitaires des chaînes publiques et privées ainsi que sur les abonnements.

Un scénario précis

Lorsque qu’un documentariste a un projet destiné à être diffusé à la télévision, il peut espérer obtenir des aides à l’écriture via le CNC Centre National de la Cinématographie, la SCAM Société Civile des Auteurs Multimédias, les régions … .
Une fois ces aides obtenues (ou non, les dossiers sont nombreux), il doit trouver une société de production prête à s’investir afin de réunir les moyens nécessaires à la réalisation du film. Le producteur prépare alors avec l’auteur le dossier de présentation du projet .
Ce dossier est proposé aux chaînes de télévision en vue d’établir un contrat de diffusion ou de coproduction. Il sert ensuite à demander des financements aux institutions (Cosip, Procirep…). Le projet n’est éligible qu’une fois contractualisées les relations entre la société de production et la chaîne de télévision .
Les démarches visant à rechercher des financements complémentaires (aides de l’Union européenne, des collectivités territoriales, des ministères et musées, instituts de recherche, prévente de droits de diffusion etc.) ne seront elles déclenchées, qu’une fois établis les rapports entre le Cosip et la société de production.

Les règles du scénario

Les règles qui régissent ce scénario sont nombreuses . Elles portent sur le statut de l’œuvre audiovisuelle, sa définition, sa production, sa diffusion (les chaînes publiques ont une obligation de diffusion de 40 % d’oeuvres françaises et 60 % d’œuvres européennes). Certaines de ces règles sont aujourd’hui remises en question.
La commission Copé sur la « nouvelle télévision publique » a pour but de réfléchir à quatre grandes thématiques : le financement, les nouvelles technologies, la définition du futur contrat de service public et enfin la gouvernance d’entreprise, c’est-à-dire les rapports entre France Télévision et l’Etat. Une façon de mettre en route «l’une des plus grandes réformes accomplies» durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Sauf que la réforme de l’audiovisuel était, bien avant ces effets d’annonces, déjà en chemin.
En octobre dernier, le gouvernement reculait sur la procédure d’adoption du décret visant au renforcement des obligations d’investissement des diffuseurs dans les œuvres audiovisuelles. Ce décret, voté par le Parlement, précisait la notion d’oeuvre et le pourcentage des quotas leur revenant.
A peu près au même moment, Christine Albanel confiait une mission de concertation à David Kessler et Dominique Richard ayant pour but de réfléchir à l’évolution des décrets Tasca, au motif qu’ils seraient désormais inadaptés «à l’ère du numérique ». Décrets qui contraignent les chaînes à investir 16% de leur chiffre d’affaire dans la production audiovisuelle .
Ces discussions ont contribué à augmenter les tensions entre producteurs et diffuseurs.
Désaccords vites aplanis après l’intervention du 8 janvier de Nicolas Sarkozy . Muriel Roze, directrice des magazines et documentaires sur FR3, a résumé l’état actuel des choses, en commentant le projet de suppression de la publicité sur les chaînes publiques « Les producteurs sont forcément un peu inquiets, c’est évident, leur sort est très largement lié au nôtre ».

Quels scénarios pour la création audiovisuelle ?

Suite à l’annonce de Nicolas Sarkozy relative à la suppression de la publicité sur les chaînes publiques, les appréhensions des professionnels de la création sont nombreuses.



« Nous sommes inquiets » confiait Jacques Peskine, délégué général de l’union syndicale des producteurs audiovisuels (USPA), lors du festival international des programmes audiovisuels (FIPA) à Biarritz.
Un sentiment que la création de la commission instituée par Nicolas Sarkozy pour réfléchir à un nouvel audiovisuel public, n’est pas parvenue à éliminer. Jean-François Copé, son président, a été apostrophé le 20 février dernier sur France inter, au sujet des effets collatéraux de cette annonce. L’auditeur : un scénariste de téléfilm, lui précise «sachez que nous les créateurs, ressentons déjà les conséquences de cette déclaration (fuite de certains annonceurs). Dans quelle mesure pouvez-vous nous garantir la pérennité du financement ?». Dans sa réponse, Jean-François Copé s’est reporté aux propos de Nicolas Sarkozy selon lesquels il y aurait une compensation à l’euro près des pertes liées à la suppression de la publicité . «Une promesse qui n’engage que ceux qui y croient» commente le même jour à la radio Catherine Tasca, ancienne ministre de la culture et de la communication «nous connaissons l’état actuel des finances publiques, je ne crois pas un instant en la capacité d’installer durablement un volume équivalent».

La popularité de Nicolas Sarkozy est en berne. Les français semblent plus confiants en l’action de son premier ministre. C’est d’ailleurs à lui qu’a été adressé, le 23 janvier dernier, un courrier commun des organisations de l’audiovisuel et du cinéma.
Dans cette lettre, les auteurs admettent que « la philosophie (du projet de suppression) pourrait aller dans le bon sens » mais soulignent « le flou » des contours sur la compensation des ressources. Ils ajoutent « le service public joue un rôle essentiel dans la diversité et le dynamisme de la production française de fiction, de documentaire, d’animation et de spectacles vivants. Nous nous trouvons donc à un instant décisif de l’avenir de France Télévision et de la création audiovisuelle française ».

Qu’est-ce que cela signifie ?

Qu’en est-il des mécanismes qui rendent la création directement dépendante de la télévision publique ? Quel est le quotidien des professionnels de la création audiovisuelle ? Que pensent les spectateurs de cette réforme ? Qu’en pensent certains spécialistes ?

Une série d’articles pour répondre à ces questions

Les premiers, à travers l’exemple du documentaire, s’attacheront à présenter les étapes à suivre pour le financement de ce « genre » particulier (Documentaire et chaînes publiques) ainsi que le quotidien des acteurs stratégiques du film documentaire (Le documentariste, le producteur et le réalisateur).
Puis, une interrogation sur l’exception culturelle française servira d’introduction aux articles consacrés aux attentes du public (Télévision Publique, qu’en pense le public ?) ainsi qu’à celles de spécialistes ayant réfléchi dans leurs travaux à la télévision (Une autre télévision est possible, oui mais laquelle ?).

Litvinenko, empoisonnement d’un ex-agent du KGB

Film documentaire réalisé par Andreï Nekrassov
Russie, 2007, 1h50

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Cette histoire aurait pu faire l’objet d’un bon polar. Il n’en est rien. Lorsqu’il apprend que son ami Alexandre Litvinenko a été empoisonné, Andreï Nekrassov dispose de seulement six mois pour réaliser son documentaire, tourné à partir d’éléments collectés durant sept ans. Il le présente au Festival de Cannes, en 2007. Pourquoi un tel empressement ? Ce film à petit budget est un témoignage à multiples facettes.

Alexandre Litvinenko, nom de code Sacha, décède le 23 novembre 2006 à Londres, où il a trouvé refuge. Empoisonnement au polonium 210, un produit radioactif très toxique. La victime est un ex-agent du FSB, nouveau service de sécurité intérieure russe créé après la dissolution du KGB en 1991. Cet homme a accusé ses supérieurs de commanditer des assassinats dans une vidéo tournée en 1998, et révélée au public des années plus tard. A ses côtés, d’autres officiers du FSB parlent. Il s’agit d’une véritable rébellion au sein des services secrets. Après avoir été libéré, Sacha est finalement condamné à trois ans de prison avec sursis. Il préfère fuir pour protéger son fils, âgé de six ans.

Mais la caméra d’Andreï Nekrassov ne se contente pas de recueillir les propos du défunt. Les sources sont confrontées, recoupées et alimentées d’images d’archives et de documents officiels. La politique de Vladimir Poutine est clairement mise en cause : la guerre en Tchétchénie, le meurtre de la journaliste Anna Politkovskaïa, les affaires de corruption…Autant de sujets que l’auteur traite de façon pédagogique et approfondie.

Il reste fermement engagé : c’est un sympathisant déclaré du mouvement d’opposition L’autre Russie, de l’ex-champion d’échecs Garry Kasparov. Mais ses positions politiques ne l’empêchent pas d’accomplir un travail remarquable, digne d’un journaliste d’investigation. La défense des libertés demeure primordiale à ses yeux ; la politique vient après. Sans cesse aux aguets, il décèle les lèvres pincées ou l’œil fuyant de celui qui ne veut pas en dire trop.

De retour chez lui en avril 2007, le réalisateur retrouve sa maison dévastée…sans qu’aucun objet ne manque. Seule la photo de son ami, agonisant sur son lit d’hôpital, est disposée en évidence sur l’oreiller.

Selon lui, A. Litvinenko a fait preuve de « courage civique » en dénonçant les crimes du FSB. En s’engageant à restituer la vérité de cette affaire, noyée par le mensonge d’Etat, A. Nekrassov a aussi pris des risques au nom de valeurs démocratiques.

Ce documentaire n’a malheureusement pas été diffusé en Russie. La censure – non officielle – sévit aussi sur le grand écran.