CULTURE – Les 24h (vraiment) démentes

Voilà déjà une semaine que les Internationales de la Guitare ont imprégné Montpellier et ses alentours d’une atmosphère mélodieuse. Et cette 22e édition ne déroge pas à la traditionnelle journée-marathon des 24h dément(es).

De samedi dernier 10h, au dimanche 1er octobre, même heure, c’est bien une course effrénée, escortée par la pluie, qui s’est rythmée au fil des concerts et des rencontres. Ce parcours musical s’étendait dans le centre historique de celle que l’on nomme la « Surdouée ». De lieux insolites, à l’instar du Jardin des Plantes, aux lieux emblématiques que sont le Rockstore et l’Opéra Comédie, un métissage stylistique était à l’oeuvre. Jazz manouche, musique expérimentale, flamenco ou encore pop-folk étaient représentés par des figures de la scène nationale et internationale.

Plus qu’une simple journée, cet évènement entièrement gratuit illustre bien la volonté du festival de rendre accessibles ces concerts à la population locale. La musique semble transcender les frontières, les classes sociales et les genres.

Flamenco : Israel Galván sublime l’Apocalypse

Est-il possible de révolutionner le flamenco sans dénaturer son âme ? Israel Galvan ne cesse de nous le prouver à chaque festival de Montpellier Danse. En 2007, il avait déjà surpris le public avec la présentation de son spectacle Arena, sur le thème de la tauromachie. Mercredi 24 juin, il a sublimé ce genre avec El final de este estado de cosas, Redux. Au terme de deux heures, le danseur semble avoir exploré toutes les possibilités d’un art qui s’encre dans la tradition

Ceux qui voulaient voir du « olé » et des castagnettes auront certainement été déçus, ceux qui sont venus se faire surprendre par la créativité sans limite du chorégraphe sont repartis rassasiés de rythmes et ébloui par la précision du geste. Sans limite, oui, car dans El final de este estado de cosas, Redux Israel Galván, n’hésite pas à étriller au passage quelques tabous. Le danseur révèle sa féminité avec un port cambré, mais davantage encore en se travestissant en femme bourreau. Un sacré pied de nez au machisme qui imprègne la culture espagnole, et la culture gitane en particulier. Suprême provocation dans une société où l’on doit le respect aux morts, le bailaor se lance dans une série de tacones sur des cercueils. Même dans sa tombe, la grande faucheuse n’effraie pas le danseur impétueux qui claque le bois de ses mains et ses pieds. Ce final, profane, permet de se rapprocher de la genèse du scénario basé sur la lecture biblique de l’Apocalypse.

Quelques scènes déroutent parfois, comme quand l’artiste évolue sur des guitares saturées et un chant de douleur féminin, mais l’ensemble conserve sa cohérence grâce à une mise en scène savamment étudiée qui permet de ne jamais basculer dans la farce ou le mauvais goût. Israel Galván prend constamment le risque de nous décevoir sans jamais y parvenir. Le danseur expliquait récemment sa démarche dans une interview : «Si je m’aventure dans quelque chose de nouveau ou d’innovant, c’est toujours en partant des racines».

Et s’il fallait définir l’essence du flamenco, chez Israel Galván, c’est avant tout une façon brutale et élégante d’exprimer des émotions, la souffrance avant tout. Tout peut être raconté avec le flamenco, y compris la violence de la guerre. L’artiste offre quelques minutes de réflexion aux spectateurs en nous laissant apprécier en vidéo une performance de Yalda Younès, une bailaora libanaise. Ici, le mouvement et le rythme font corps avec le vacarme des explosions. Tout peut être raconté, quelque soit le décor. Le chorégraphe joue avec la diversité des sons, des matériaux avec lesquels il entre en contact. Torse et pieds nus dans le sable, comme réduit à l’état de nature, les sons sont étouffés, sourds. Sur une petite estrade montée sur ressorts, il défit toutes les règles de gravité. Sa flambée rageuse de pasos se déplace sous l’impulsion et laisse échapper de la poussière. Même quand l’énergie semble destructrice, on sent cette soif de vie et de danse. Et les bras virevoltent et s’élancent imperturbablement vers le ciel. Avec grâce, toujours. Car le flamenco a aussi, parfois, quelque chose de divin.