Centrafrique : « C’est en train de se transformer en lutte confessionnelle »

François Hollande a annoncé le début de l’intervention militaire en Centrafrique, où rebelles et habitants s’affrontent depuis des mois. Françoise Morandat, coordinatrice de projet pour Médecins du Monde, rentre d’une mission humanitaire dans ce pays ravagé par la violence. Témoignage.

La terreur règne. En Centrafrique, rebelles et habitants s’affrontent depuis que la Séléka (« coalition » en sango) a pris le pouvoir, en mars 2013. Alors que l’intervention française vient d’être lancée, le pays est ravagé par les pillages et les assassinats. Aujourd’hui, ce conflit qui opposait rebelles et autochtones se transforme en lutte entre chrétiens et musulmans.
Françoise Morandat est sage-femme de formation. Elle travaille alternativement avec les ONG Médecins du Monde et Médecins Sans Frontières. Envoyée en mission en Centrafrique durant deux mois, elle était au cœur de l’agitation. Françoise a évalué les besoins de ce pays pour mettre en place un projet d’aide humanitaire.

« C’est une armée de cauchemar »

Selon Françoise, « il y avait déjà une coalition de groupes armés qui sévissaient dans le pays » avant le coup d’état. Au départ, « ils étaient environs 5000. La plupart sont musulmans, car ils viennent de pays musulmans. Mais le coup d’état n’était pas confessionnel ». Françoise explique, « à mon arrivée, le pays était aux mains des rebelles. Ils n’ont pas de formation militaire, pas de hiérarchie, juste leurs petit chef local qui s’est autoproclamé colonel ou général. Ils ne sont pas payés, ils ne sont unis par rien de concret. Leur seule légitimé vient de leurs armes » . Occupant le pays, ces groupes qui se sont nommés Seleka pillent, volent et rançonnent les habitants: « quand je suis arrivée, il y avait déjà eu quelques massacres de populations, ils en profitaient pour régler leurs comptes. C’est une armée de cauchemar ».

Les habitants ont commencé à fuir, allant même jusqu’à se réfugier dans un aéroport gardé par l’armée française. « Il y a environ 4500 personnes qui ont déboulé sur l’aéroport en disant aux soldats de les protéger parce qu’ils se faisaient massacrer dans leurs quartiers. L’aéroport a été paralysé pendant une semaine. Ils refusaient de rentrer chez eux ». En réaction, la communauté internationale fait pression sur le nouveau président, Michel Djotodia, pour que la situation cesse. Une opération de désarmement volontaire est lancée : « ça a duré pendant 15 jours, il y avait des patrouilles qui sillonnaient la ville pour voir si les Seleka voulaient rendre leurs armes. Au final, ils n’ont ramassé que 300 armes ».

« La vie est en suspens »

Les Seleka sont officiellement dissous depuis le 13 septembre: « il y a eu une accalmie pendant 15 jours, mais personne n’y croyait. Il y avait encore des braquages et des assassinats la nuit ». Profitant du calme, Françoise Morandat a quitté la capitale pour partir en mission d’exploration dans la région de Lobaye, au sud du pays. Elle raconte : « dans certains villages, des milices de défense s’étaient formées, ils se nomment les anti-balaka. Balaka signifie machette. Quand on est arrivés, une famille a été attaquée. La nuit suivante, la Seleka a assassiné une vingtaine de chrétiens en représailles. Toute la population est partie se cacher dans la brousse de peur de se faire tuer. La vie est en suspens ».

De retour dans la capitale, l’insécurité était permanente. Françoise a vu « monter la peur et la haine ». Selon elle, aujourd’hui : « C’est en train de se transformer en lutte confessionnelle, petit à petit les gens regardent leurs voisins d’un sale œil. Il y a une montée de la haine mutuelle qui est effrayante. Alors qu’il n’y avait aucun problème communautaire avant ».

Enfants soldats

Inspiré du livre d’Emmanuel Dongala « Johnny chien méchant » (Edition Serpent à Plumes), « Johnny Mad Dog » a été réalisé par Jean-Stéphane Sauvaire et produit par Matthieu Kassovitz et Benoît Jaubert.

« Johnny Mad Dog » est un film qui nous transporte tout droit dans un cauchemar. C’est l’histoire d’un jeune adolescent, tout juste quinze ans, armé jusqu’au dent, qui est à la tête d’un petit escadron de rebelles libériens. Tous sont des enfants et des adolescents. Enrôlés dès leur plus jeune âge, ils participent à la guerre civile qui vise à faire tomber le Président du Libéria et à prendre le pouvoir. Un conflit entre tribus sert de prétexte à ce coup d’État. Les partisans du gouvernement, militaires comme civils, sont sauvagement attaqués, pillés, assassinés.

Ce groupe d’enfants semble tout droit sorti d’un mauvais rêve. Outre leur mitraillette, chacun porte un déguisement, tel un trophée. Un petit garçon de dix ans porte des ailes de papillon, ce qui lui vaut son surnom de « Butterfly ». Un autre porte une robe de mariée, dérobée dans une maison. Ils se travestissent, comme s’ils voulaient conserver une part d’enfance, de jeux, d’innocence.

Mais ils tuent aussi. Ils violent. Ils pillent. Pour tenir le coup, drogue, alcool et chansons guerrières scandées à longueur de temps. Ces enfants ne rient pas, ils hurlent. Pour les recruter et leur faire perdre toute humanité, les chefs rebelles les forcent parfois à tuer leurs propres parents, comme le film nous le montre en première scène.

Johnny Mad Dog (incarné par Christopher Minie) est un adolescent en colère, haineux, endoctriné. Il ne sait que tuer et obéir aux ordres. Il est persuadé d’agir pour le bien de son pays, pour la paix. Pendant ce temps, Laokolé (jouée par Daisy Victoria Vandy) tente de fuir les combats avec son père infirme et son petit frère de six ans. Leurs chemins vont se croiser. L’amour et la haine vont se faire face, s’affronter et s’entremêler.

Ce n’est pas la première fois que le thème des enfants soldats est traduit au cinéma. En 2006, « Blood Diamond », le film de Edward Zwick dans lequel jouait Leonardo Di Caprio et Djimon Hounsou, relatait entre autres l’enrôlement des enfants dans la guerre civile au Sierra Leone. Comme toujours, ces enfants sont victimes de guerre hypocrites. Sous couvert de conflits ethniques, l’appât du gain et du pouvoir est le leitmotiv des ces atrocités.

A la fin de la guerre au Libéria, lorsque les rebelles auront remporté la mise, Johnny Mad Dog comprendra qu’on s’est moqué de lui. Les crimes qu’on lui a ordonné de commettre n’ont servi qu’à une poignée d’intéressés.
La violence de ce film réside surtout dans la haine que ces enfants laissent exploser.

Un discours de Martin Luther King, diffusé en fond sonore, nous rappelle la culpabilité de l’Occident dans ces conflits sanglants. Il nous rappelle la misère profonde d’une Afrique qu’on a pillée sans vergogne avant de la laisser pour compte, remplie de frustration, d’injustice et de ressentiment. Les luttes pour le pouvoir, qui déchire la plupart des pays africains, ne sont que la démonstration de cette frustration, engendrée par un système dont l’Afrique a toujours été exclue.

Le fait que « Johnny Mad Dog » raconte ces conflits à travers les enfants, exerce un impact d’autant plus grand sur le spectateur. On se surprend même à penser à notre propre société dans laquelle discrimination et exclusion se côtoient chaque jour. On pense alors à la chanson d’Ab Al Malik, « Soldats de Plomb » où il compare les enfants des cités à des enfants soldats. Ils ruminent leur haine et leur frustration en attendant la revanche. Le message de ce film, c’est qu’aucun enfant ne devrait user d’une arme pour faire entendre sa colère.

RD Congo : le conflit sans fin du Nord-Kivu

Après un accord de paix signé en janvier 2008, la région du Nord-Kivu, à l’est du Congo et frontalière du Rwanda, est de nouveau à feu et à sang depuis la fin du mois d’août 2008.

Depuis son indépendance en 1960, le Congo-Kinshasa est passé de conflits en conflits, de massacres en massacres. Après deux guerres (1996-1997 et 1998-2002) et les fortes répercussions du génocide du Rwanda voisin [[1994: Au lendemain du génocide rwandais, plus d’un million de Hutus se réfugie dans l’est de la République Démocratique du Congo, ex-Zaïre, fuyant l’avancée du Front patriotique rwandais (à majorité Tutsi) qui prend le pouvoir à Kigali. L’opération Turquoise, menée par la France et censée sauver les Tutsis du génocide, a surtout permis à l’armée, au gouvernement intérimaire et aux génocidaires de fuir au Zaïre. Leur installation au Kivu fera peser une menace continuelle sur le nouveau régime rwandais]], les tensions réanimées par la rébellion de l’ex-général de l’armée congolaise Laurent Nkunda paraissent insolvables.

Trois acteurs s’opposent…

 Les rebelles Tutsis congolais du Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP) menés par le général déchu Laurent Nkunda. Il estime que la population Tutsie est menacée par la présence sur le territoire de Hutus Rwandais et accuse le gouvernement de protéger ses ennemis.

 L’armée régulière congolaise appelée Forces Armées de République Démocratique du Congo (FARDC). Le gouvernement accuse le Rwanda de soutenir la rébellion de Nkunda, craignant que les Hutus Rwandais ne tentent de reconquérir le pouvoir de Kigali. L’armée est soutenue par l’ONU à travers la mission de la paix MONUC (Mission de l’ONU en RD Congo) [[17000 casques bleus actuellement. 3000 soldats supplémentaires ont été demandés par Ban Ki-moon]]

 Les rebelles Hutus rwandais composent l’essentiel des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR). Dans leurs rangs se trouvent des génocidaires de 1994. Les FDLR réclament la possibilité de rentrer au Rwanda et l’intégration de certains d’entre eux dans l’administration.

… dans un combat à entrées multiples

Déplacements de milliers de personnes, violences sexuelles institutionnalisées, pillages, la situation humanitaire et sécuritaire est plus qu’instable. Des cessez-le-feu sont régulièrement décrétés, peu souvent respectés. Les causes du conflit sont multiples. Conflit ethnique bien sûr, il est aussi économique. La région possède de nombreuses richesses minières au centre des préoccupations de tous. Selon l’ONG « Global Witness », le CNDP de Nkunda se bat pour conserver sa mainmise sur la mine de coltan qui serait la principale source de financement de ce mouvement.

Les gentils contre les méchants ?

Il faut souligner l’attitude discutable qu’ont eu tous les acteurs des tensions. Si Rama Yade, secrétaire d’État auprès du Ministre des Affaires Étrangères, en déplacement en RDC le 30 novembre, a réaffirmé le soutien de la France au Président congolais Joseph Kabila, reste que le personnage est discutable. Le président Kabila est, en effet, accusé par l’association Human Right Watch d’avoir fait exécuter plus de 500 opposants en deux ans. Les casques bleus de la mission MONUC, loin d’une image héroïque, ont été accusés de trafics d’or et d’armes avec les rebelles. Pour finir, l’armée régulière s’est révélée être à l’origine de « pillages et d’exactions » contre la population civile dans le Nord Kivu…

Le rôle de l’Europe ?

Ban Ki-moon, secrétaire général de l’ONU a lui-même demandé à l’Union Européenne de dépêcher sur place une force intérimaire en attendant l’arrivée de 3000 casques bleus supplémentaires. La Belgique, à travers son ministre des affaires Étrangères Karel De Gucht, s’est dite prête à envoyer des forces au Congo. Toutefois, ne s’estimant pas assez « forte », elle a rejeté la possibilité de conduire une opération sur place. Les autres pays européens sont pour le moins réservés sur cette éventualité. Javier Solana, haut représentant de l’Union Européenne pour la Politique Étrangère et de Sécurité Commune (PESC) a annoncé le 3 décembre que l’envoi d’une force européenne en RDC n’était pas à l’ordre du jour.

Nkunda veut des pourparlers…

L’ancien président nigérian et émissaire de l’ONU Olusegun Obasanjo a rencontré le président Kabila et Laurent Nkunda les 14 et 16 novembre. Depuis, les combats ont majoritairement cessé et les rebelles de Nkunda se sont retirés de certaines villes, arguant vouloir favoriser un climat de négociations. Des casques bleus ont confirmé que les rebelles s’étaient retirés d’Ishasha dont ils avaient pris le contrôle le 27 novembre.
L’actuelle position de médiateur d’Obasanjo pourrait aider à établir de véritables négociations. A suivre…

Silence, on viole !

L’Est de la République démocratique du Congo est le siège d’un conflit armé qui a fait de nombreuses victimes ces dernières années. Plusieurs organisations internationales tirent la sonnette d’alarme mais rien ne semble suffir. Chaque jour, des dizaines de milliers de femmes et de jeunes filles sont victimes de viols commis de manière systématique par les forces combattantes. Ces agressions sexuelles tendent à devenir de véritables armes de guerre.

Un drame humain

Le corps las et la tête baissée. Chaque jour, elles sont des centaines à se presser aux portes des centres de soins après des actes de maltraitance. Elles ont subi des viols à répétition, parfois sous les yeux de parents ou enfants, des enlèvements, des séquestrations. Elles se plaignent de maux de tête, de douleurs abdominales, certaines d’entre elles n’ont plus d’organes sexuels lorsqu’elles parviennent à atteindre les camps de réfugiés et les hôpitaux. Les hommes ne sont pas épargnés par les crimes sexuels. Des vieilles mains tremblantes aux yeux perdus des enfants, tout laisse penser que la guerre fait rage au Congo.

Une situation stagnante

En 2004, un rapport de l’organisation internationale Amnesty International [[www.amnesty.fr]] faisait déjà mention du drame qui était en train de se dérouler sur le territoire congolais. La situation était urgente et perdurait depuis plusieurs années.

« Dans de nombreux cas, des femmes et des jeunes filles ont aussi été utilisées comme esclaves sexuelles par les groupes armés. Des hommes et de jeunes garçons ont également été victimes de viols. Ces viols ont parfois été accompagnés ou suivis de blessures, d’actes de torture ou de meurtres. Souvent, ce sont des actes commis en public et devant des membres de la famille de la victime, notamment des enfants. Certaines femmes ont même été violées près des cadavres de membres de leur famille. »

Quatre ans plus tard, l’organisation mène toujours des actions pour être entendue. Dimanche 25 novembre 2008, des membres d’Amnesty International manifestaient sur la Place de la Monnaie de Bruxelles pour dénoncer la banalisation de ses actes.
Le 27 novembre 2008 à New York, des organisations non-gouvernementales (Oxfam, Refugees International, World Vision et Human Rights Watch) pressaient l’ONU [[www.monuc.org]] de faire le nécessaire pour mettre fin au conflit en garantissant la sécurité des civils.

Mais concrètement, sur le terrain, la situation ne cesse de se dégrader et les mesures ne sont pas prises. « La situation humanitaire est toujours aussi terrible » d’après Georgette Gagnon, directrice exécutive de la division Afrique de Human Rights Watch. Amnesty International s’indigne: « Dans un contexte d’effondrement de l’autorité de l’État dans l’est de la RDC, les lois nationales et le droit international ne sont plus respectés et toutes les factions armées ont perpétré et continuent de commettre en toute impunité des actes de violences sexuelles. »
Dans un pays où des millions de civils souffrent et meurent des traumatismes engendrés par des années de guerre, les structures de santé, loin de pouvoir accueillir tout le monde, s’effondrent par manque de moyens, surpopulation et pénurie de personnel.

Une arme de guerre

Un reportage de Susanne Babila, « Le viol, une arme de guerre au Congo », diffusé sur Arte en 2007, a mis en image les atrocités vécues par les populations congolaises. Médecins, humanitaires et psychologues s’indignent du silence qui a trop longtemps accompagné les victimes. Il ne s’agit pas d’actes isolés mais d’une véritable missive guerrière, venant toucher la population congolaise dans son intimité, fragiliser les structures familiales, favoriser la transmission du VIH et traumatiser durablement des populations. Le 17 janvier dernier, une résolution du Parlement européen [[http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&reference=P6-TA-2008-0022&language=FR]] demandait à l’Union européenne et aux Nations unies « de reconnaître le viol, la grossesse forcée, l’esclavage sexuel et toute autre forme de violence sexuelle comme crimes contre l’humanité, crimes de guerre graves et comme une forme de torture, qu’ils soient ou non perpétrés de manière systématique ». Une condamnation attendue par les victimes.

Liens vers le film de Susanne Babila, « Le viol, une arme de guerre au Congo »:

Première partie

Deuxième partie

Troisième partie