Sans coup de théâtre, la grève suivie par la Writers Guild of America (WGA) s’est achevée mardi 12 février sur le vote des 10500 membres du syndicat. De Los Angeles à New York, la consultation s’est soldée par un plébiscite de 92.5% des voix en faveur de la levée des piquets. Elle entérine l’accord passé avec les grands studios, représentés par l’Alliance of Motion Picture and Television Producers (AMPTP). Après les scénaristes hier, producteurs, acteurs et équipes s’apprêtent à reprendre du service.
Quatorze semaines de grèves ont eu raison des sept principaux conglomérats de l’industrie hollywoodienne. D’abord réfractaires aux négociations, ils ont dêpéché l’AMPTP pour mener les discussions. L’aboutissement de ce bras de fer qui durait depuis le 5 novembre dernier met fin à une période de paralysie des divertissements audiovisuels. Le nouveau contrat des scénaristes aura coûté la suspension de toutes les productions télévisuelles, et des tournages de films à gros budget, dont « Anges & Démons« .
L’accord valable jusqu’au 1er mai 2011 prévoit une augmentation de 3.5% sur le tarif des scénarios, ainsi que sur les droits perçus par les auteurs lors des rediffusions de films ou de séries. Mais c’est un autre point qui crée l’évènement. Principale revendication des grèvistes, la diffusion des contenus sur l’Internet et les téléphones mobiles leur sera également rémunérée, d ‘abord sur un forfait de 1200€ annuels, puis sur 2% des recettes de la troisième année. Ils obtiennent ainsi une meilleure rémunération des droits d’auteur sur les nouveaux médias, proportionnelle au chiffre d’affaires réalisé par les producteurs.
Le président de la WGA Ouest, Patric Verrone a laissé éclater son enthousiasme : «Il s’agit du meilleur accord négocié par la Guilde ces trente dernières années !». Se montrant très optimiste quant à l’issue du vote, il a tenu à remercier les téléspectateurs, «qui ont toléré trois mois de rediffusions et de télé-réalité.»
Les scénaristes doivent aussi leur succès aux renforts venus de la Guilde des Acteurs. En refusant de passer le piquet de grève, les stars de George Clooney à Glenn Close ont précipité l’annulation des Golden Globes, accentuant ainsi la pression imposée aux studios.
Leslie Moonves, directeur exécutif du réseau CBS a conseillé aux cadres des grands studios hollywoodiens de rester en contact avec les représentants des Guildes dans les mois à venir. Pour installer durablement un climat pacifique. « S’il y a une leçon à tirer de cette expérience, a t’il confié, c’est bien qu’il ne faut pas nous complaire d’une rencontre tous les trois ans. »
Un miliard de dollars de pertes
L’échéance la plus probante reste celle des Oscars le 24 février. Les menaces de boycott ont contribué à la reprise des négociations avec l’AMPTP, soucieux de sauver l’évènement le plus prestigieux du cinéma. La cérémonie prendra place, malgré une organisation réduite par manque de préparation.
L’optique d’une reprise du travail ne déplait pas aux scénaristes. «Je viens de me reposer pendant trois mois, je peux bien me coucher tard !» affirme d’ailleurs Marc Cherry, créateur de Desperate Housewives. Outre le gouffre financier, estimé par la WGA à près de 285 millions de dollars, creusé par l’absence de revenus les grévistes s’exposaient au terme de leur couverture santé ainsi qu’à une extension du mouvement jusqu’à l’automne. Après des mois d’inactivité, certains programmes prévoient déjà une accélération de leur agenda. David E. Kelley, célèbre pour Ally MacBeal, constate qu’«il semble que tout le monde fonctionne à l’adrénaline ! Ils sont prêts à y aller.»
La catastrophe pécuniaire ne se limite pas aux membres de la WGA. Ce chômage forcé a privé de salaire les cadreurs, décorateurs et maquilleurs. L’agence pour le développement économique de Los Angeles estime à 650 millions de dollars les pertes en salaires de l’industrie du cinéma et de la télévision. L’effet domino s’est déployé sur l’ensemble de l’économie locale, affectant tout le monde, des restaurateurs aux dentistes. Les pertes se chiffrent à plus d’1 milliard de dollars de manque à gagner dans la région.
Relancer la machine à divertissement
Une fois l’accord validé, les scénaristes s’empareront de leurs ordinateurs, 100 jours après les avoir éteints. Outre l’urgence des Oscars, la priorité concerne la production télévisée. Le secteur emploie 254 000 personnes, et demeure l’un des plus rentables sur les recettes publicitaires. La reprise du travail permettra aux talk-shows et séries les plus populaires de réapparaître sur les écrans dans un délai de quatre à six semaines. Le retour de Grey’s Anatomy, Desperate Housewives et Lost, bloquées en cours de saison a reçu la confirmation du réseau ABC qui prévoit quatre à sept épisodes d’intrigue « accélérée ».
Les réseaux télévisés se voient confrontés à un autre problème. Une partie du public s’est érodée, lassée par l’attente et les rediffusions incessantes. Pour la reconquérir, certains prévoient des tournages intensifs jusqu’en juin, voire d’emmagasiner des épisodes pour l’été. Ils pensent ainsi anticiper l’expiration prochaine des contrats de la Guilde des Acteurs qui les expose à une autre grève potentielle. Une autre tendance, celle du développement des émissions de téléréalité, risque de s’accentuer.
L’avenir reste incertain. Forcées de racheter à la dernière minute des programmes canadiens, les grandes chaînes ne peuvent plus lancer la production de nouveautés pour septembre. La très populaire « Heroes », littéralement achevée en catastrophe à mi parcours attendra septembre en compagnie d’autres à l’audience plus réduite. Enfin, seize épisodes de 24 entreront en production au printemps, mais Jack Bauer ne reviendra pas sur les écrans avant janvier 2009, faute de pouvoir trouver 24 créneaux-chrono disponibles.